Je viens de finir l'assommoir, je voulais enchainer sur d'autres Rougon-Macquart, mais je vais une pause avant de devenir dépressif
D'ailleurs si quelqu'un sait d'où vient cette manie française à transformer un roman en autobiographie, je suis curieux d'en apprendre l'explication. Et est-ce typiquement français ou bien retrouve-t-on le cas dans d'autres pays ?
Si on fait de l'histoire de la littérature à la tronçonneuse, le roman reste déterminé tout le long du XIXe siècle par une conscience de l'auteur relativement externe qui se saisit d'objets et de la société pour les regarder. Il peut introduire du soupçon comme les réalistes de façon critique mais on le sent toujours ricaner derrière - c'est Stendhal et Flaubert, c'est Zola et Balzac qui jugent en surplomb - quel que soit le statut énonciatif de l'œuvre. Ca n'empêche pas l'auteur d'introduire régulièrement des éléments de sa vie mais on refuse le transfert trop évidemment.
Le premier XXe est marqué, pour différentes raisons, par une perte de foi en cette capacité surplombante de la voix qui narre, surtout dans la proximité des deux guerres mais aussi face à l'extension du monde colonial qui crée un décentrement, et c'est notamment la raison pour laquelle la littérature fait place à ce moment-là à l'hésitation, la rumination, le ressassement, le doute, dans le nouveau théâtre, dans les avant-gardes poétiques, plus tard dans le nouveau roman même si des auteurs multi-genres comme Genet permettent la bascule. (là j'y vais à la hache, on trouve les prémisses des techniques type flux de conscience relativement long avant, dès les années 1870 en fait, mais parlons tendanciel). J'ai jamais vraiment lu Proust personnellement comme un moderne, je trouve que c'est un XIXemiste dégénéré qui a été le dernier à écarteler la formule de l'auteur-Dieu en la poussant dans ses derniers retranchements. Mais on peut le voir comme un hapax ou comme un moderne, peu importe.
Les auteurs d'aujourd'hui se sont construits dans le prolongement de la radicalisation de cette formule du soupçon proposé par les néo-romanciers à partir des années 50. Simplement, avant, quelqu'un qui doutait pouvait avoir fait un tour dans un stalag, au Congo, avoir été agronome en Asie ou autre, il avait malgré son incapacité à se positionner des choses à raconter sur le monde parce que la France y avait sa place. Aujourd'hui son descendant - sa descendante - ne sort jamais de son VIe arrondissement natal alors on crame un peu plus vite les munitions.
Y a pas de différence de nature si fondamentale que ça je pense entre un Robbe-Grillet et un Echenoz typiquement, si ce n'est que l'un a vécu un peu plus de truc que l'autre qui est un branleur.
Moi en train de faire de l'histoire littéraire et de la sociocritique :
Je comprends pas très bien cette exigence de vécu pour un sachant. Il me semble qu'on ne demande pas à un psychologue d'être camé pour traiter des addictions. On voit bien à quelle extrême nous conduit l'obligation de l'expérience, la littérature s'effondrerait. Elle serait du premier degré assez crétin. Plusieurs grands écrivains naturalistes ont décrit leur travail comme similaire à du jeu de rôle.
Je ne l'exige pas par principe. Je n'ai simplement pas trouvé empiriquement d'autres causes explicatives. Je suis plus que prêt à admettre une meilleure hypothèse. Vraiment.
La crise de l'expérience c'est quelque chose qui a été théorisé par divers écrivains d'ailleurs je le sors pas de mon fion. Ça me fait penser à Huysmans aussi qui n'a jamais été capable d'écrire son grand roman de la faim faute de l'avoir éprouvée.
Après je vois l'expérience plus comme le carburant sine qua non. Il faut la transformer, en elle-même elle est inerte mais je crois qu'il en faut.
Capacité de projection et d'imagination, d'inventio rhétorique et poétique,bien sûr ; mais ca arrive pas ex nihilo non plus.
Après j'ai pas défini expérience. J'entends pas expérience au sens romantique ou moderne. Je l'entends de façon plutôt "sociologique" ou plutôt holiste.
Genre c'est pas l'aventure personnelle que j'appelle expérience. Ce que j'appelle expérience c'est l'appartenance à un espace où on a conscience qu'il se passe des choses, qu'il y a une dynamique.
Il n'y a plus d'écoles, de mouvement, je postule que c'est parce qu'on est bloqué dans un état social qui a fondamentalement peu muté depuis maintenant peut-être plus d'un demi siècle. Si crise de l'expérience il y a, c'est celle du grippage d'une société de service post-industrielle où il ne se passe rien.
Les écrivains plein d'imagination qui ne repose sur rien c'est ceux qui se complaisent dans des mondes merveilleux finalement souvent pauvres de mon point de vue.
Les écrivains qui me plaisent et qui ont à mon avis fait des choses importantes vivaient dans une société en proie à des mécanismes historiques mouvants. Aujourd'hui je ne vois rien dont on pourrait rendre témoignage.
Même pas de notre ennui. Ca a pu être visionnaire vite fait pendant trente secondes à l'articulation des années 80 et 90. Là c'est bon Houellebeecq était ringard avant d'écrire.
C'est un peu de la littérature-musée. C'est pas une vision qui me branche. Il me semble que tant qu'à faire de la sociologie, autant aller sur le Cairn. En étudiant les sciences humaines, on se rend compte que les écrivains ne sont jamais au niveau, malheureusement. Pire, on voulant incarner un propos, ils bavent d'affreuses faussetés générales dans leurs copies. Je vais être très bas dans mes ambitions, il me semble que là où les livres font le moins d'erreur, c'est dans le particulier, dans le narratif, et dans l'imagination. C'est sûr, avec un avis comme ça, on étudie pas loin. Mais ce travail presque reconstitutif que tu sembles vouloir me semble laborieux, culturel, et finalement pas très artistique. Finalement, il est toujours en retard, au lieu de créer, d'influencer. Non ?
Le musée consacre l'avant bien digéré, la littérature parle en synchronicité de maintenant. Je la vois pas en retard, quand je lis des sociologues s'embrouiller pour savoir si le racisé existe et quand je lis à côté le nègre de narcisse qui a de mémoire un bon siècle.
Je la trouve même au contraire potentiellement en avance parce qu'elle n'a rien à prouver et aucune obligation de recul. Après oui du coup beaucoup se trompent. On s'en fout on les oublie en les glissant sous le tapis géant de la mémoire.
Les foireux je trouve justement que c'est les spéculateurs de la SF qui ne devinent jamais le peu d'innovation que notre société produit encore. Rien de plus ringard qu'une nouvelle de robot des années 60, qu'on lit au deuxième degré pour sa désuétude.
Du narcisse *
Ça n'a pas grand rapport mais je suis sur Pseudolus de Plaute. Il casse tout le temps le quatrième mur pour faire des vannes méta en mode adresse directe au spectateur du bouffon personnage-titre. On n'invente rien.
Le goût des idées de la sodomie de la maison d'édition les Belles Lettres :
(pour l'instant rien d'anormal)
(9.90 euros et 70 pages avec une police et des marges pareilles)
Toujours se méfier de la !
hocine08
hocine08
07 mai 2021 à 00:07:48
Alerte
Dur de me dégager du temps pour lire en ce moment.
En parallèle des nouvelles de Bukowski j'ai commencé aujourd'hui "Les Raisins de la colère" de John Steinbeck.
J'ai beaucoup apprécié "À l'est d'Eden" alors autant tenter celui-là.
Je reviendrai sur ce topic une fois la lecture avancée.
Cahierdelart
Cahierdelart
07 mai 2021 à 10:06:17
Alerte
Je termine le diptyque Féerie pour une autre fois. Ensuite, je vais me lancer dans l'Adolescent de Dostoïevski, ou Ernest Hello. A voir.
Lecture lente et fatiguée. Les confinements et l'entassement familial, ça effrite le moral.
—————-
J’attends avec impatience vos retours sur les raisins de la colère et l’adolescent !
Tu t'es fait glory owled.
Je kiffe leurs vieilles éditions. Elles tiennent bien en plus.
J'ai fini le Phédon de Platon
J'aime beaucoup la position de Socrate sur la manière dont le philosophe doit se tenir, pour ""apprendre à mourir"" même si dans les faits, je n'adhère toujours pas à sa vision de l'âme
Sa démonstration est très claire et très logique, c'est ce qu'on attend d'un philosophe.
Et la théorie des Idées m'a pas mal convaincu même si je devrais lire Aristote pour une approche contraire à ce concept
C'est vraiment l'âme comme séparée du corps, et immortelle qui me parle pas trop
Ceci dit je commence Le Rouge et le Noir de Stendhal, un peu de fiction fait toujours du bien
Frapper ton chat même avec Plaute ça ne se fait pas, j'appelle la SPA d'ici peu ils vont l'embarquer.
Le 12 mai 2021 à 14:10:04 :
J'ai fini le Phédon de PlatonJ'aime beaucoup la position de Socrate sur la manière dont le philosophe doit se tenir, pour ""apprendre à mourir"" même si dans les faits, je n'adhère toujours pas à sa vision de l'âme
Sa démonstration est très claire et très logique, c'est ce qu'on attend d'un philosophe.
Et la théorie des Idées m'a pas mal convaincu même si je devrais lire Aristote pour une approche contraire à ce concept
C'est vraiment l'âme comme séparée du corps, et immortelle qui me parle pas tropCeci dit je commence Le Rouge et le Noir de Stendhal, un peu de fiction fait toujours du bien
C'est d'autant plus difficile d'y adhérer que Platon s'acharne à montrer les limites de ses propres raisonnements, de donner matière à contradiction avec Cébès et Simmias et de suggérer le doute à chaque moment propice.
Si tu veux une description plus détaillée de l'âme, une qui n'est pas dénuée de corporéité, je te conseille de lire son Timée. L'âme selon Platon ce n'est pas une monade indivisible séparée du corps, c'est une réalité composite, un mélange d'indivisible et de divisible, ainsi que de ce qui est toujours semblable à soi-même et de ce qui erre dans le devenir (35a). Elle est invisible mais n'est pas totalement immatérielle puisque ses trois parties, y compris la raison, siègent dans le corps et que deux d'entre elles (la téméraire et la sensuelle) sont mortelles (69d-72d pour une description de ces dernières dans le corps).
Sa remarque en 52b-c laisse planer toutefois l'idée que l'âme (ou sa partie rationnelle exclusivement) fait partie de ces choses qui n'ont aucun lieu à proprement parler. Sur ce point, je me range plutôt du côté des hindous, c'est-à-dire que la raison, le coeur et le ventre ainsi que les facultés associées sont toutes mortelles et des parties du corps, et qu'au-dessus de cette âme corporelle, il y a quelque chose d'absolument simple, la conscience immatérielle qui voit toutes ces choses s'agiter dans le corps.
Le 12 mai 2021 à 16:16:48 :
Frapper ton chat même avec Plaute ça ne se fait pas, j'appelle la SPA d'ici peu ils vont l'embarquer.Le 12 mai 2021 à 14:10:04 :
J'ai fini le Phédon de PlatonJ'aime beaucoup la position de Socrate sur la manière dont le philosophe doit se tenir, pour ""apprendre à mourir"" même si dans les faits, je n'adhère toujours pas à sa vision de l'âme
Sa démonstration est très claire et très logique, c'est ce qu'on attend d'un philosophe.
Et la théorie des Idées m'a pas mal convaincu même si je devrais lire Aristote pour une approche contraire à ce concept
C'est vraiment l'âme comme séparée du corps, et immortelle qui me parle pas tropCeci dit je commence Le Rouge et le Noir de Stendhal, un peu de fiction fait toujours du bien
C'est d'autant plus difficile d'y adhérer que Platon s'acharne à montrer les limites de ses propres raisonnements, de donner matière à contradiction avec Cébès et Simmias et de suggérer le doute à chaque moment propice.
Si tu veux une description plus détaillée de l'âme, une qui n'est pas dénuée de corporéité, je te conseille de lire son Timée. L'âme selon Platon ce n'est pas une monade indivisible séparée du corps, c'est une réalité composite, un mélange d'indivisible et de divisible, ainsi que de ce qui est toujours semblable à soi-même et de ce qui erre dans le devenir (35a). Elle est invisible mais n'est pas totalement immatérielle puisque ses trois parties, y compris la raison, siègent dans le corps et que deux d'entre elles (la téméraire et la sensuelle) sont mortelles (69d-72d pour une description de ces dernières dans le corps).
Sa remarque en 52b-c laisse planer toutefois l'idée que l'âme (ou sa partie rationnelle exclusivement) fait partie de ces choses qui n'ont aucun lieu à proprement parler. Sur ce point, je me range plutôt du côté des hindous, c'est-à-dire que la raison, le coeur et le ventre ainsi que les facultés associées sont toutes mortelles et des parties du corps, et qu'au-dessus de cette âme corporelle, il y a quelque chose d'absolument simple, la conscience immatérielle qui voit toutes ces choses s'agiter dans le corps.
C'est d'autant plus difficile d'y adhérer que Platon s'acharne à montrer les limites de ses propres raisonnements, de donner matière à contradiction avec Cébès et Simmias et de suggérer le doute à chaque moment propice.
Oui ça permet d'ailleurs de pousser son raisonnement au plus loin
Merci pour la recommandation du coup
C'est parti pour la lecture de World War Z, de Max Brooks.
Après un mois de février vide de lecture, j'ai finalement décidé de recommencer à lire et j'ai pu finir la physiologie du mariage de Balzac. Inutile de dire que ça a beaucoup vieilli mais il est drôle de constater que certaines choses de l'époque sont toujours d'actualité de nos jours concernant les femmes comme l'utilisation de la migraine. Aussi il est enrichissant d'en apprendre plus sur le mariage de l'époque même si dans ce livre, on nous présente uniquement le point de vue de l'homme (et encore celui d'une classe sociale fortement aisée), les femmes n'étant pas encore vues comme des égales bien que craintes pour leur talent de manipulation. On dirait que les femmes étaient très infidèles à l'époque mais Balzac est muet quant à la propre infidélité des hommes.
J'ai attaqué l'histoire du Moyen-Orient de Corm et recommencé la lecture d'anatomie du scénario mais ma saloperie de liseuse n'a plus de batterie et je ne sais pas où j'ai mit le chargeur alors je vais recommencer Propaganda de Bernays puisque je l'ai en format papier.
Je finis ma relecture de la reprise de Robbe-Grillet, il me reste 50 pages et la dernière journée à lire, c'est vraiment plus pornographique que dans mes souvenirs au fur et à mesure mais ça reste un chef-d'oeuvre dd construction, dont j'aime bien le fait qu'il soit sorti en 2000, ca paraît tellement antidaté.
Pour avoir lu récemment un Echenoz chassant dans la même cour le contraste est violent.