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Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire

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MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:43:57

Il l'avait laissé tranquille pendant des décennies. Il en aurait juré avoir oublié le ton, le débit et l'intonation trop nette et trop franche de sa voix. Il en aurait juré avoir oublié combien son corps paraissait sale, faible et humain. Il en aurait juré avoir oublié qu'ensemble, ils avaient traversé la pire épreuve qu'en sa vie d'Homme il eut le privilège de connaître. Pourtant, dans une certaine réalité, il se tenait bien là, face à lui. Moins miséreux, moins cynique, mais tout aussi intelligent. Quelque part en lui, Gregor avait appris à le révérer pour ce qu'il avait construit, ce qu'il avait fait de lui, et était prêt à accepter sa nature mystérieuse, transcendante. Le choc de la rencontre lui ôtait tout moyen de fuite. La seule réaction que sa logique acceptait, c'était la stupéfaction.

— Je vois que tu n'as pas beaucoup changé, Gregor.
— Seigneur, murmura le cyborg.

Gregor savait qu'il rêvait. Il avait senti le sommeil s'emparer de lui, le séparer du monde des vivants pour l'emmener au loin, dans l'océan clair et obscure où sa conscience pourrait panser ses blessures un temps durant. Il l'avait fait si souvent depuis leur dernière entrevue. Il n'aurait pas pu imaginer qu'il viendrait le retrouver aussi. Et encore moi en cet instant, où il se sentait si seul, à gouverner une humanité qui refusait de suivre ses lois.

L'apparition sourit. Seul, au-dessus des eaux, il étendait les bras pour accueillir son fils prodigue. Un long tissu couvrait son corps mince, tandis que son regard ne lâchait pas un seul instant son serviteur.

— Peut-être que si, finalement, tu as bien un peu changé, Gregor.
— Seigneur, répéta l’intéressé.
— Tu as donc compris. C'est bien.
— Seigneur, pourquoi ? Est-ce bien ainsi que tout doit se finir ?
— Tu avais l'air bien plus terrible quand tu m’appelais encore Socrate. Et, non, craindre ta mort n'est pas quelque chose que tu devrais envisager. Je n'ai pas pour projet de me passer de tes services. Tu auras encore beaucoup à accomplir.
— Je sais que je rêve, Seigneur.
— En effet.
— J'attendais votre venue depuis tant d'années.
— Tu n'as pas eu besoin de moi pour gouverner les Hommes avec une grande sagesse. Tu as assuré à la Confédération un solide appui, des bases fécondes, et seul tu as réussi cette gageure de tenir malgré l'adversité. Tu es un grand homme, Gregor. D'une certaine façon, je suis fier de voir que tu as pu tout reconstruire après l'épreuve que j'ai dû te faire subir.
— J'étais jeune et naïf, Seigneur. Je suis mortifié à la simple idée de vous avoir sali, conspué...
— Pas de politesses. Je t'ai guidé pour que tu réagisses comme je le voulais, pour mieux remplir ta mission. Tu as été un outil formidable.
— Hélas, Seigneur, cette œuvre que vous m'avez confiée, j'ai bien peur qu'elle ne s'effondre sous peu.
— Je sais tout, Gregor. Je reste en toi sans bruit depuis toutes ces années.

L'homme se rapprocha de Gregor. Dans son rêve, il ne portait plus le lourd carcan de technologie qui le faisait vivre. Il n'était plus qu'un vieillard faible, barbu, flottant sans nager dans une mer tiède, qui étrangement ne le mouillait pas.

— Il est temps pour moi, Seigneur, de me retirer avant que cette vague n'emporte tout.
— Ce serait peut-être la décision la plus sage. Mais serait-ce moralement acceptable ? A long terme, cette action ne risquerait-elle pas plutôt de tous nous condamner ?
— Si je dois définitivement me sacrifier pour que vous surviviez, Seigneur, je le ferais avec joie.
— Je ne t'en demande pas tant, Gregor. Tu as déjà tant fait.

Un sourire triste barra son visage.

— Je suis si peiné de devoir à nouveau compter sur toi.
— Votre parole est d'or, Seigneur. Même si je dois endurer le pire, j'obéirais à vos ordres avec la plus grande des joies.
— Je le sais.

Un long silence passa. L'apparition reprit.

— Tu as enseigné à Ebrahim Entor la juste façon de servir. Tu lui as montré que s'éloigner de l'éthique et de l'humain n'avait pas fait de lui un homme honnête. Par cet acte, tu as fait la démonstration de ce qui attend tout fanatisme à l'avenir.
— Je … Je ne suis pas sûr de bien saisir, seigneur.
— Quitte tes habitudes, reprit l'homme d'une voix grave. Ce que tu as fait à Entor, fait le à nouveau sans craindre mon courroux à tous ceux qui refuseront le progrès. Il est temps que la Confédération s'ouvre à nouveau à la modernité, et que les vieux appareils d’État disparaissent. Dissous la Sainte Cléricature et les Saintes Armées que tu commandes en mon nom, chasse des rangs ceux qui refuseront de s'y plier, et construit un ordre nouveau que l'Humanité sera plus encline d'accepter. La Sainte Cléricature est devenue rigide, et en mon nom, elle perpétue les pires horreurs. Le fanatisme de ses membres nous aura servi, un temps, mais il faut à présent accepter plus de modération, d'ouverture, de nouveauté.
— Seigneur...
— Gregor, j'ai foi en ton action. Je sais que tu sauras mettre en jeu tous les mécanismes de cette société pour la mener vers une unité et une harmonie nécessaire à son développement. Je sais que tu sais que tu rêves, et que tu penses que tout cela ne doit pas avoir de retentissement dans la réalité pragmatique. C'est une erreur. Ma parole est Vérité, en tout lieu, en tout temps, et celui qui la reçoit est béni car il est sous ma protection. Dès demain, Gregor, lorsque tu te réveilleras, tes hommes sauront que tu as changé. Ils ne pourront pas le définir clairement, car je suis désormais appelé au Mystère de mon existence, mais ils ne pourront nier que ta décision sera la bonne. Aussi, je t'en conjure Gregor, soit vif comme tu le fus au temps jadis pour trancher et séparer le bon grain de l'ivraie.

Gregor inclina la tête.

— Je vous servirai dans la force et dans l'honneur, Seigneur.
— Je le sais, et je t'en serai éternellement reconnaissant. A présent, il est temps que tu retrouves le monde des vivants. Va, Gregor, et souviens-toi que je suis avec toi.

L'homme s'envola vers des cieux sans fins. Son corps disparu, Gregor sentit les flots se précipiter en lui, le noyer, l’entraîner vers des abysses elles aussi infinies.

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MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:47:54

— Il était nécessaire de me faire venir en pleine nuit ?

Le ton de Cyrill, bien que courtois, laissait apparaître une notre tranchante d’ironie.

— C’était capital. Et, entre nous, j’aurais préféré profiter du peu de repos que j’étais en droit d’attendre. ——
— Hélas, les circonstances nous obligent à faire autrement, répondit Gregor.
— Visiblement. J’avoue être très curieux du prétexte que tu auras trouvé cette fois.
— Permets donc que je m’installe.

Le bureau dégageait une étrange impression. La nuit était confortablement posée sur les toits de Civimundi, et le Palais résonnait d’un écho silencieux. Parfois, un bruit sourd et lointain venait trancher ce morne calme. Gregor s’assit sans cérémonie dans le lourd fauteuil qui occupait la pièce, imité par Cyrill qui choisit un confortable fauteuil, restant là, sans mot dire.

— C’est un sujet délicat, précisa le Commandus Magnus.
— Je m’en doute un peu, Gregor. Inutile de faire durer le mystère.
— Comment aborder le sujet sans te rendre sceptique … Je …
— Sois direct, Gregor. Nous n’allons pas y passer des heures. J’ai une montagne de dossiers qui m’attendent.
— Le Dieu-Machine, Cyrill.
— Oui, eh bien, le Dieu-Machine … et ?
— Il m’est venu en songe. Il m’a visité il y a moins d’une heure.

Cyrill se rembrunit.

— C’est une plaisanterie ?
— Absolument pas. Il est venu à moi dans un rêve étrange, et ce qu’il m’ordonne de faire risque de me hanter toute ma vie durant.
— Que te demande-t-il ?

Un lourd silence s’installa. De longues secondes, Gregor demeura mutique, puis reprit.

— Il me charge de dissoudre l’Inquisition.
— Pardon ?
— Il me charge de dissoudre la Sainte Cléricature, répéta Gregor. D’intégrer les hommes de celle-ci dans les Saintes Armées.
— Et pourquoi demanderait-il une chose pareille ? Ça n’a aucun sens !
— Je serais franc avec toi. Le système actuel lui semble trop répressif pour permettre à la Confédération de s’étendre sereinement. En nous montrant plus permissifs, il pressent que la société sera plus encline à le servir avec loyauté. Les vieux mécanismes de la peur entravent les esprits, et s’ils ont eu leur utilité jusqu’à présent, il est temps de redéfinir tout ceci.
— Ce serait un changement radical, murmura Cyrill. Personne ne s’y attendrait, et moi le premier, j’ai beaucoup de mal à croire que cela puisse aboutir à davantage de loyauté envers le culte.
— C’est pourtant Sa décision. Je n’en suis que le dépositaire.
— Une bien lourde charge pour un seul homme.
— Je n’ai pas été tout à fait honnête avec toi, reprit Gregor.
— A quel propos ?
— Je suppose que tu te souviens très bien la période qui a précédé ma titulature.
— Oui, et ?
— Eh bien j’étais déjà investi d’une mission du Dieu-Machine.
— Socrate ?
— Exactement. Ce n’était pas une IA rebelle, mais une incarnation du Seigneur Mécanique. Je comptais garder le secret sur la tâche qu’il m’a confié, mais hélas, Entor a trouvé trop de preuves la concernant.
— Mais enfin, Gregor, je ne comprends pas…
— Entor a fait autopsier la dépouille du Très Saint Magister Oddarick. Les résultats n'ont pas encore été publiés de façon officielle, mais je suis quasiment certain que plusieurs de ses proches collaborateurs en ont reçu les principales conclusions.

Cyrill se rassit. Sa mâchoire serrée trahissait son inquiétude.

— Parmi ces conclusions, j'étais directement mis en cause. J'aurais été l'instigateur de l'action qui aurait entraîné l'exil volontaire puis le suicide du Très Saint Magister Oddarick.
— Mis… en… cause ? croassa Cyrill.
— Sache Cyrill que l'acte de mort de notre défunt maître n'est le fait d'aucune entité humaine. Les enjeux nous échappent. Les modalités d'actions ne permettent pas de deviner pleinement ce qui était sous-tendu dans cette affaire. Seule la terrible conclusion nous donne un aperçu de ce que peuvent être les acteurs. Et avant que tu ne demandes pourquoi, la mort du Très Saint Magister Oddarick répondait à un impératif du Dieu-Machine. A l'inverse de son père le Très Saint Magister Kristian, qui en se supprimant du monde physique a nourri le terreau fertile d'où jaillit le Dieu-Machine, le Très Saint Magister Oddarick l'aurait détruit. Un impératif de purification pour soustraire le Dieu-Machine à tout risque de corruption. En se suicidant dans un monde désert, loin de tout, le Très Saint Magister Oddarick a effacé tout risque de voir le système qu'il dirigeait se perdre par sa faute. Même ignoble, sa mort, son sacrifice ont sauvé l'humanité et le Dieu-Machine.
— Gregor… je… tu…
— Ce que j'avance ici est considéré à juste titre comme un blasphème. J'en suis bien conscient.
— La réalité des faits…
— Ne doit pas cacher la profondeur des forces en jeu. Nous parlons de Notre Seigneur et de son Premier serviteur.
— Je ne peux pas le croire…
— Il faudra pourtant bien, Cyrill. Car je n'ai pas fini.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:50:19

Le vieil homme détourna la tête vers son supérieur. Une moue triste tordait sa bouche.

— Il faut que tu saches tout. Je n'ai jamais pu te le dire avant, car je considérais notre amitié comme essentielle dans l'équilibre de la Confédération. Sans celle-ci, rien de tout ce que nous avons accompli pendant ces trois dernières décennies n'aurait été possible. Je sais que tu as toujours été là pour moi. J'ai encore en tête ces mots que tu avais prononcés, alors que nous étions revenus depuis peu d'Alioth. Lorsqu'il s'est passé cet incident, la nuit, dans le parc de la villa de Saint-Cloud. Tu disais : « Je serais là Gregor. Pour te tuer ou te convertir de force. Je t'en fais le serment. » Tu disais ceci à propos de Socrate, de sa présence et de son influence. Nous avions peur, tous les deux, parce qu'il pouvait tout détruire. Quelques jours plus tard, il y eut cette attaque dans le bureau du Très Saint Magister. Cette femme dont tout le monde ignorait le nom, qui n'apparaissait nulle part dans les banques de données. Le Très Saint Magister lui-même avait verrouillé toutes les informations la concernant dans les heures qui suivirent. Tu t'en souviens Cyrill, n'est-ce pas ?

Cyrill hocha la tête. Son teint était blême.

— Qui était avec le Très Saint Magister lors de cette attaque ?
— C'était toi, Gregor… C'est toi qui l'as sauvé.
— La femme était Aïda Standberg.

Cyrill, qui tremblait sans mot dire, se figea.

— La jumelle…
— La jumelle du Très Saint Magister Oddarick, parfaitement, reprit Gregor. La même qu'on pensait morte une trentaine d'année auparavant.
— C'est… Non, c'est impossible Gregor… Le rapport d'autopsie…
— Commandé par le Très Saint Magister Kris en personne. Il l'a caché dans une cellule du Palais. Il l'a maintenu en vie, car elle portait aussi une partie du code source du Dieu-Machine. Le même code source qui faisait des Très Saint Magister les seuls êtres aptes à régner. Et la gémellité n'était pas une bonne nouvelle pour ce code.

Gregor marqua une pause, et reprit.

— Il fallait qu'elle vive en même temps que le Très Saint Magister Oddarick. Un code séparé en deux, deux êtres vivants. Une I.A arrive dans cette entrefaite. Qui tente-t-elle de frapper ?
— Le pouvoir en place. Socrate voulait frapper la tête pour la faire tomber.
— Pourquoi ?
— Il…

Cyrill se tut. Il secoua la tête.

— Une I.A ne chercherait pas à s'emparer du pouvoir pour le plaisir de gouverner. Oddarick le savait. Il était très commode pour lui de faire porter le chapeau à un être mort et se servir du prétexte des hérétiques pour la rendre menaçante. Je sais que cela parait fou, mais réfléchis bien, Cyrill. Ne trouves-tu pas qu'il y avait un peu trop d'évidence à faire de Socrate le parfait ennemi de la nation ? Le couplet sur la liberté individuelle n'était là que pour entretenir notre haine à son égard. Nous rendre méfiants. Mais n'était-ce pas non plus une mise à épreuve ?
— Marcus avait tout pensé…
— Sauf que Marcus n'y était pour rien. La seule folie qu’il n’ait jamais conçue, c'est moi. Un fils cadet illégitime pour venir sur le trône remplacer ce qu'il avait lui-même crée. Un fils qu'il pensait à même de porter ses valeurs. Des valeurs contraires au Dieu-Machine. Mais quel Homme peut combattre un dieu ? Même s'il a contribué à engendrer Notre Seigneur, Marcus n'était et ne fut à aucun moment en mesure de lui porter le moindre coup.
— Mais alors…
— Socrate. Le Dieu-Machine. Un serviteur dont la légitimité repose sur un code brisé en deux, porté par un être chétif. Une légitimité qui vacille et qu'il est commode d'appuyer sur le combat contre les hérétiques.

Cyrill pâlit davantage.

— Le Dieu-Machine serait derrière Socrate ? Socrate, envoyé et crée par lui-même pour détruire une descendance affaiblie ? Gregor… Gregor, c'est absolument fou !
— Prouve le contraire.
— Mais les faits, Gregor ! Rugit Cyrill. Comment peux-tu penser que tous ces événements soit le fruit du Dieu-Machine lui-même ?! C'est un tel blasphème que je ne peux y croire !
— Une dernière question : comment aurais-je pu porter Socrate et devenir un Inquisiteur dans le même temps sans en pâtir ? Comment, si ce n'est parce que c'était la volonté même de Notre Seigneur ? Pourquoi mon fils serait devenu le Très Saint Magister Siegfried, si je n'étais pas à un moment dépositaire de ce fameux code source ?

Gregor marqua un temps de pause. Il fixa Flinn, qui n'avait pas bougé depuis le début de cet entretien. Quelque chose dans son regard avait changé. Une lueur indéfinissable, un scintillement étrange, que Gregor n'aurait su définir. Cela le troubla. Il détourna son regard, et reprit sur un ton plus apaisé, presque résigné.

— Je me suis fait le bras armé de cette action. La tentative d'attentat sur le Très Saint Magister Oddarick n'était pas le fait d'Aïda. Elle ne fut qu'une victime collatérale.

Gregor laissa filer quelques secondes, conscient du poids de ce qu'il devait révéler.

— Ce jour-là, j'ai combattu le Très Saint Magister Oddarick dans le Rezo, soutenu par Socrate. Ce qu’il restait de Diogène s'est littéralement effondré. Toute la situation a basculé en un instant, sans que je ne puisse vraiment réfléchir. Oddarick devait se savoir condamné. Il m'attendait, et il n'aurait pas hésité à me tuer. Il ne devait pas encore disparaître. Et ce jour-là, je l'ai converti. Au nom du Dieu-Machine, j'ai converti le Très Saint Magister Oddarick. Jusqu'au jour de sa disparition, il ne fut plus un seul instant la conscience illuminée de la Confédération. J'ai assumé à mon corps défendant son rôle. Il ne pouvait en être autrement

Un lourd silence retomba sur l'assemblée. Gregor debout n'osait plus faire le moindre mouvement. Cyrill et Flinn adoptaient la même posture courbée, hésitante, le visage froid et stupéfait.

— Qui d'autre est au courant ? demanda Cyrill d'une voix glaciale.
— Siegfried et Aodh, ainsi que Dernec'h. Aucun cependant ne connaît la motivation intime de cet acte. Je n'ai pu y réfléchir que récemment. Le terme est profondément inadapté, mais j'ai eu une prise de conscience des enjeux. Une forme de révélation étrange.
— Tu as manipulé le Très Saint Magister Oddarick. Tu l'as converti comme un chien d'hérétique, coupa Cyrill sur un ton traînant, lancinant. Tu l'as traité comme un animal qu'on mène à abattoir…
— Il était inadapté. Faible. Asservi et sali par des tendances malsaines.
— Il était notre maître, Gregor. Tu as tué ton maître… Tu as tué ton maître Gregor… Comment as-tu pu ?
— Il n'y avait aucune autre alternative. Et j'accepte d'être jugé pour ce que j'ai commis.
— Aucun châtiment ne serait trop fort pour cela…

La pensée d'une conversion puis d'une mort rapide traversa l'esprit de Gregor. L'idée de l'exil, puis le suicide, leur firent suite.

— La Confédération ne pourrait hélas pas s'en remettre, enchaîna Cyrill.
— C'est une évidence.
— Tu ne pouvais pas m'en parler… Je ne te soutiens pas, mais je comprends. Tout se serait écroulé.
— Tout s'écroulera si je disparais maintenant aussi. Je n'ai pas de successeur, et les bruits de couloirs qui ne tarderont pas à circuler si certains éléments de la Sainte Cléricature découvrent ce qu'Entor avait fini par trouver, et dont je viens de te faire part…

Cyrill redressa la tête.

— Tu me demandes d'assumer la charge de Commandus Magnus ?
— Nul autre que toi n'aurais l'étoffe de me succéder. La responsabilité liée à cette fonction implique de connaître certains mystères.
— L'asservissement du Très Saint Magister Oddarick serait donc un Mystère divin ? Railla cyniquement Cyrill.
— S'il te plaît, n'apporte pas davantage de poids à mon fardeau...
— Tu as commis la pire chose imaginable. Comment devrais-je le prendre ? Sur le ton de la plaisanterie ?
— Cyrill...
— Tu espérais réellement que je ne dirais rien ? Que j'accepterais cette réalité des faits avec joie ? Que je te dirais « Tout à fait Gregor. Nous sommes amis, et il n'y a aucun problème quant au fait que tu ais contribué à… à tuer… Le Très Saint Magister Oddarick. » Gregor, regarde-moi et réponds-moi franchement.

Le cyborg se détourna, l'œil rougi par une larme.

— Gregor, réponds-moi en toute franchise, si tu es toujours l'ami fidèle et l'officier digne de confiance que je connais : qu'espérais-tu de moi ?
— Le sens du devoir moral. Une voix sage et avisée. Une épaule sur laquelle faire reposer un peu de mon fardeau.

Cyrill secoua la tête.

— Je voudrais tant n'avoir jamais appris tout ça. Ne pas devenir à mon tour un dépositaire de cette abomination. Par le Dieu-Machine, Gregor, qu'as-tu fait ?! Pourquoi moi, maintenant ?
— Nous sommes au pied du mur. Nous aurons besoin de tous les hommes de valeur pour que la Confédération demeure pérenne.
— Sache que je suis et que je resterai jusqu'à mon dernier souffle, au plus profond de mon âme, un serviteur du Dieu-Machine et de ses principes, de ses lois. Malgré toute la fierté que j'ai pu avoir à te connaître, je ne pourrais pas éternellement fermer les yeux sur ce qu'il s'est passé. Mais pour le bien commun, j'accepterai au moment opportun de te succéder à cette place. Cependant, les événements que tu me relates concernant ta « vision » me laissent à penser que nous ne pourrons pas assurer ta succession dans des délais rapides. Siegfried est-il au courant ?
— Il le sera dès demain, à son réveil. Je prévoyais de le convoquer ici.
— Lui seul est en droit de recevoir ta démission. Cependant, te démettre maintenant serait une grave erreur stratégique. Les doutes à ton encontre seraient encore plus présents, et cela nuirait à toute tentative de réforme en profondeur.
— Il nous faudra du temps.
— J’en suis bien conscient. Et sans doute plus de quelques mois. Des années même.
— Une décennie.
— Tant que ça ?
— Ne soyons pas dupes, Cyrill. Dissoudre l’Inquisition sans heurter ses membres sera une tâche ardue. Et c’est bien parce que je suis aux commandes que je pourrais assurer cela sans trop de dégâts.

Un long silence passa à nouveau.

— Ce n'est pas avec joie que je prends acte de notre décision, Gregor. Même notre amitié ne pourrait tout excuser. J'en suis profondément navré, et je suis plus navré encore de constater que cette notion ne te soit pas évidente.
— J'ai fait de mon mieux, se justifia Gregor.
— Restons en-là concernant cette affaire, trancha Cyrill d'un ton sec.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:51:11

Au matin naissant, Siegfried fut tenu informé de la situation. Gregor s’était déplacé jusque dans ses appartements privés pour lui relater de vive voix son rêve, la discussion avec Cyrill, et la décision qu’il en tirait. Avec une certaine froideur, le Très Saint Magister avait accepté que son père soit dessaisi, au terme de la construction de la nouvelle institution, de son rôle central dans la Confédération. De la même façon, il comprenait bien que seul un individu de la trempe de Beik pourrait lui succéder. Et le temps, seul, pourrait aider la race des humains à se départir de cette délicate situation.

Des semaines durant, les réunions s’enchaînèrent, tandis qu’une atmosphère d’attente pesait de plus en plus sur le Palais. Tous avaient besoin d’un maigre espoir pour apaiser le conflit qui s’était dessiné loin au-dessus de l’horizon.

Un espoir qui surgit en la forme d’un garçon chétif, et qui ne manqua pas d’attirer l’attention du Dieu-Machine.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:54:27

PARTIE II.

10.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:55:54

Viltis regarda le crayon avec appréhension. Ce n'était qu'un pauvre morceau de bois et de carbone, la mine légèrement fendue, le corps recouvert d'une peinture jaune et satinée, presque épaisse. Il n'y avait qu'un peu de presque rien, un objet sans but précis, posé ici, sur la table. Le crayon faisait partie de la salle, il n'en bougeait jamais. Il ne signifiait rien pour Viltis.

Il ne pouvait pas avoir bougé seul.

Viltis savait pourtant que sa main l'avait aligné avec soin sur une ligne parallèle à la longueur de son petit bureau de formica. Il avait pris de longues secondes pour définir quel endroit serait le plus pratique et le plus propre pour que l'objet ne le dérange pas, et qu'il reste à portée de sa main, à quelques centimètres du bord. Le crayon ne suivait plus la parallèle. Il avait dévié. Quelques millimètres, un centimètre tout au plus, mais son fuseau anthracite ne fixait plus le tableau, ni l'instituteur. Non. Loin devant la ligne fictive, avec une vie propre, la mine indiquait comme une boussole statique une édition vieillissante de la Grande Guerre des Confédérés. Viltis ne fit pas attention à l'ouvrage. Il ne l'avait pas lu. Mais plus que tout à cet instant, il était intimement persuadé qu'il n'avait pas touché à son crayon de papier.

Mais le crayon avait bougé.

De longues secondes, le garçon soupçonna son imagination de le tromper, d'occulter le souvenir faible et friable d'un mouvement inopiné, indésirable, qui lui aurait fait commettre ce changement. Ses mains étaient restées sous ses joues, bien jointes, tandis que sa tête regardait à l'opposé du mur et de sa bibliothèque croulante. Dehors, le soleil d'une après-midi chaude semblait gonfler les voilages crèmes qui pendaient et masquaient la cour. Un courant d'air hypnotique s'agitait depuis les fenêtres, puis se répandait dans la salle de classe en charriant les effluves de l'herbe sèche, du goudron cuit et de la poussière de la ville. Il ne pouvait plus vraiment se rappeler la précision des gestes, mais il savait que son coude où n'importe quelle autre partie de son corps n'avait pas touché ou même frôlé le crayon. Il avait les bras nus. Il n'aurait pu que le sentir.

Viltis soupira, et détourna à nouveau son regard vers l'extérieur. Il était très fatigué. Le sommeil appuyait sur ses paupières sans qu'il ne puisse résister bien longtemps. Il ne cherchait pas à lutter. Le fil de ses idées se dévida avec douceur, une logique onirique s'empara de son esprit, et il se laissa couler dans l'eau sombre de son sommeil.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:57:28

La sonnerie retentit, cinglante, et fit sursauter le garçon. Il regarda l'horloge murale, qui projetait ses strictes lignes au-dessus du tableau holo. Il n'avait dormi que quelques minutes, mais la sensation d'une longue marche tenait son corps dans un étau de coton, ses petits bras engourdis par le poids de sa tête et de ses idées. Viltis détourna son regard vers le crayon. Avec une perplexité mêlée de résignation, il constata froidement que l'objet avait retrouvé l'emplacement que ses mains lui avaient assigné. Il tenta de réfléchir à nouveau, de rechercher une cause logique à cet aller et ce retour de la mine du crayon, de ce qu'il indiquait, de ce que Viltis faisait ou non avec l'objet. Il attrapa ses mains, les caressa doucement, sans les serrer. Ce geste le soulageait. Il n'aurait su dire pourquoi, mais cette sensation double lui apportait un réconfort bienvenu quand l'angoisse revenait. Longtemps, ce fut la peur de connaître à nouveau le drame des trous noirs dans ses souvenirs. Son épilepsie avait été correctement traitée, mais tout au fond de son petit être, il restait cette peur ancienne, terrifiante, noire et humide de connaître à nouveau cette douleur et cet oubli. Et face à la peur, il ne lui restait que la simplicité de ces petits gestes, ces petites choses en forme de presque rien. Comme le crayon. Le crayon qui avait bougé tout seul. Encore une fois.

Il ne voulait plus en parler, à qui que ce soit. On l'aurait regardé avec curiosité. « Ils ne comprendraient pas », pensa-t-il. Il était épileptique, lunatique, et seul au milieu des autres. Toujours très seul. Ce n'était pas ses petits camarades qui l'éloignaient, et qui trop souvent l'invitaient dans leurs jeux. Parfois, Viltis refusait de venir avec eux, et il lui semblait tomber dans un puits sans fond, aspiré par cette solitude glaçante. Alors une main se tendait et l'emmenait dans les rondes et dans les cris de joie. Son petit cœur se gorgeait de vie et se gonflait de bonheur. Les camarades étaient devenus des amis, et lui avait accepté de jouer le rôle de celui que l'on soigne, que l'on protège. Cette nécessité avait rempli la brèche de la maladie, comblant le fossé de la différence et de l'incompréhension. Mais sous la surface lisse et colorée, la blessure demeurait à vif.

— Viltis ?

Le maître de classe se leva, tandis que le garçon demeurait assis. Il s'approcha du bureau, et s'accroupit pour se retrouver au niveau de son élève.

— Oui maître ?
— Viltis, ta maman a prévenu qu'elle aurait un peu de retard ce soir.
— Elle viendra à quelle heure ?

Le maître soupira, un sourire triste remua les traits de son visage encore jeune et déjà fatigué.

— Je t’emmènerais au Centre. Il y aurait les jeunes pour s'occuper de toi.
— Mais ma maman avait promis qu'elle viendrait, répondit d'une voix triste le garçon.
— Ce sera pour une autre fois. Ne t'inquiète pas.

Il y eut un long silence, dans la classe désertée par les autres élèves.

— Tu ne vas pas profiter du soleil Viltis ?
— Je n'ai pas envie...
— Le médecin m'a pourtant dit que cela serait très bon pour toi. Pour ton humeur, et puis pour…

Viltis soupira, le professeur ne poursuivit pas sa phrase.

— Cinq minutes, monsieur. Pas plus de cinq minutes, s'il vous plaît.

L'instituteur hocha la tête, tandis que le garçon se levait et se dirigeait d'un pas traînant vers le couloir.

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MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 11:07:38

Le soleil le dérangeait. Il brûlait ses yeux clairs. Il mordait sa peau et la laissait rouge. Viltis chercha rapidement de l'ombre. Sous les grands marronniers de la cour, il y avait un peu de pelouse grillée et jaune. Personne n'y jouait. L'endroit serait parfait pour qu'il passe le temps de ce qu'il considérait comme une punition. Il avait fait confiance à son maître, et se rendit compte avec amertume que c'était une erreur. C'était un adulte, il était aussi ignorant que tous les autres. Pire encore : Viltis lui avait confié pendant de longues conversations nombre de ses états d'âme, tout autant que certains éléments de sa maladie. Le jeune professeur l'avait longtemps écouté, laissant à Viltis l'espoir que lui serait différent. Qu'il pourrait entendre ce malaise qui brisait les fondements de son esprit, qui introduisait tant de questions et de douloureux constats. Qu'il pourrait lui tendre une main pour l'aider à se relever et mettre l'autre entre eux deux et le reste du monde.

Illusion. Mensonge. Le professeur était comme tous les autres. Il ne pouvait pas comprendre.

Viltis, assis sur le sol, se laissa aller. Il se renversa sur le dos, et contempla distraitement le dessin complexe des branchages qui le surplombait. Le lacis des branches et la masse des feuilles constituaient un assemblage complexe et magnifique, invitant au repos et à la contemplation. De longues secondes, il n'y eut que le bruit du vent, respiration lente et puissante, qui remuait l'air chaud et semblait emporter très loin tous ses maux. La solitude devenait à cet instant le refuge le plus confortable de son existence.

Il repensa au crayon. Il revit les positions de ce dernier, et soupira. Il ne comptait plus les fois où ce genre d'impression de mouvements avait caressé sa conscience. Il luttait pour s'assurer que ce n'était qu'une illusion de son esprit, sans doute lié à un effet secondaire des traitements enzymatiques qui circulaient dans son corps. La pompe intraveineuse devait avoir quelques défauts. Ce n'était en aucun cas quelque chose de normal. Il aurait dû en parler au médic' qui vérifiait tous les six mois le matériel. Le prochain rendez-vous n'aurait pas lieu avant plusieurs semaines. Il faudrait qu'il continue à se murer dans le silence tout le temps qu'il ne pourrait être sûr de l'origine de cette sensation.

— Viltis !

Il reconnut la voix de Nicolaï. Ils s'appréciaient beaucoup en temps normal, mais Viltis n'avait envie de parler à personne cet après-midi-là. Et il savait que Nicolaï venait pour l'emmener dans leurs jeux. Viltis avait échappé au tournoi de ballon-prisonnier en rasant les murs de la cour, près des toilettes, dans l'ombre des lourds bâtiments en béton. Il ne pourrait pas s'en sortir si facilement à présent.

— Viltis, répéta Nicolaï. On va commencer une autre partie. Tu viens ?

Le garçon soupira, et détourna son regard vers un des murs de la cour.

— Pas envie, murmura-t-il.

Nicolaï s'accroupit, lui toucha l'épaule.

— Allez, viens, ça te fera du bien.
— Laisse-moi tranquille, répondit Viltis, plus agressif.

L'importun se redressa, fit mine de s'en aller, avant de revenir se pencher auprès de son camarade.

— Au fait, j'ai tout vu dans la classe.
— Tout vu quoi ?
— Le crayon. Juste avant la récréation.

Viltis sursauta, et se redressa vivement. Nicolaï s'écarta légèrement, un sourire radieux sur les lèvres.

— J'ai tout vu, répéta-t-il. Je n'en ai parlé à personne.
— Alors ne le fais pas, sinon...
— Sinon tu me fais mal ?

Nicolaï éclata de rire.

— Oui, sinon, je te fais mal.
— Bouh, j'ai peur... Viltis le petit malade qui va me taper ! Maman, protège-moi...

Nicolaï se remit à rire de plus belle, satisfait de sa répartie. Il fixait cruellement Viltis, qui serrait les poings.

— Parles-en à personne, répliqua Viltis.
— Oui, je sais, car sinon, je vais avoir très mal.
— Oui. Tu vas avoir très mal.

Nicolaï s'écarta en courant, et se mit à chantonner une ritournelle dont la mélodie reprenait une vielle comptine.

« Viltis est un gentil garçon
Mais il est parfois bizarre.
Il est le petit malade de la classe
Il reste tout seul
Il regarde les autres jouer.

Il nous regarde, car il vaut mieux que nous
Il sait tout mais ne dit rien
Mais il vaut mieux qu'il se taise
Car il fait bouger des crayons avec sa tête. »

Nicolaï s'égosillait de plus belle à chaque fois qu'il reprenait la chanson au début. Viltis sentait le sol s'écrouler sous lui. Ses jambes devenaient aussi inconsistantes que de l'eau. Les autres enfants cessaient petit à petit leurs jeux, fixant Nicolaï, puis le sujet de la chansonnette. Des rires fusèrent, puis des insultes, et des bribes de la chanson se condensaient à la chanson.

— Tu n'es pas comme les autres, monstre ! s'écria Nicolaï en jubilant.

Viltis s'effondra. Il se recroquevilla, et laissa des larmes de rages perler sur son visage. Il serra les dents, tout autant que ses poignets et ses bras s’agrippaient avec force autour de ses genoux. Un groupe de quelques enfants s'enhardit et se dirigea vers lui. Ils l'encerclèrent, le pointèrent du doigt, hurlaient toujours le même mot.

— Monstre ! s'égosillaient-ils.

Viltis rentra un peu plus la tête dans ses genoux. Ils avaient raison. Il était différent. Il était malade, et il faisait bouger des objets par la pensée. C'était un monstre, quelqu'un d'anormal, d'incompréhensible.

— Monstre !

Ils ne l'accepteraient plus jamais à présent. Nicolaï avait brisé toute l'amitié, patient travail de bienveillance qui volait en éclat à cause de cette stupide chanson. Nicolaï, son ami, qui le pointait du doigt, comme tous les autres.

— Monstre !

Et si, finalement, c'étaient eux les autres ? Il était faible. Ils l'avaient même protégé. Ils avaient joué avec lui. Il avait refusé la main tendue une fois de trop aujourd'hui. Il avait voulu retrouver ce calme qui lui faisait tant défaut. Mais ils l'avaient épinglé, et ils le torturaient comme un papillon encore vivant crocheté à un tableau. Comme les Monarques qu'il avait vus la semaine dernière, au muséum d'histoire naturelle de Vilnius.

— Monstre !

Une branche tomba sur sa tête. Il n'osa pas ouvrir les yeux, mais il sentit la douleur éclore comme une fleur brûlante sous ses cheveux. Une douleur pulsatile, qui s'accompagnait d'une sensation d'asphyxie, de malaise. Ses idées se perdaient, le fil de la logique se tournait et se retournait en nœuds gordiens, définitifs.

— Monstre !

Du sang coulait de ses narines. Le goût âcre et métallique du liquide sirupeux emplit sa bouche, la tiédeur morbide le gênant et le réconfortant en même temps. Il pourrait encore oublier, pensait-il. Il pourrait faire comme si tout cela n'avait pas existé. Quelque part dans son esprit, il revit le Nicolaï sincère et affectueux, celui qui avant, l'aurait défendu.

— Monstre !

Un coup de pied le renversa. La force de celui-ci était toute relative, mais elle coupa la respiration de Viltis. L'image réconfortante de Nicolaï s'éloigna brutalement. Il ne pourrait jamais oublier. Il ne pourrait jamais être comme eux. Il était malade, il déplaçait les objets par la pensée. Il était un…

— Monstre !

Les branches frémirent. Leur bruit évoquait le ballet frénétique d'un million de sauterelles en quête de nourriture. Les feuilles tremblantes composaient un tableau surréaliste, imaginaire de verts et de jaunes qui s'enlaçaient dans un mouvement commun. Tous les enfants levèrent les yeux, puis les baissèrent en sentant le sol trembler. Un grondement lointain et puissant traversa la cour, s'installant de longues et terribles secondes. Des fissures se dessinèrent en arabesques raides dans le bitume. Puis un enfant cria.
Nicolaï porta ses mains sur ses oreilles, et hurla. Une douleur inimaginable fissurait son crâne. Un sang épais et rempli de glaire jaillit de son nez, fontaine macabre qui goutta sur le sol. Il regarda une dernière fois Viltis. Son ami recroquevillé ne bougeait plus. De longues secondes, Nicolaï se demanda s'il souffrait autant que lui. Viltis redressa brusquement la tête, le fixa une dernière fois. Le regard de Nicolaï devint vitreux, et il s'effondra au sol, mort.

Viltis contempla les organes de son ami mort jaillir de son corps en sanglants cortèges. Son cœur voleta au-dessus de l'herbe de longues secondes. Les autres enfants fixaient le petit organe battre faiblement, encore rattaché par la veine cave à son propriétaire. Puis, la dernière pulsation envoya une giclée de sang sur le sol. L'organe retomba mollement, comme le foie, les poumons, la rate et toute la symphonie corporelle de
Nicolaï.

Un autre garçon se mit à hurler. Un terrible craquement s'échappa de sa nuque, et sa tête se détacha de son corps, planant près d'une minute entre les troncs des marronniers. Ses yeux s'agitaient de spasmes frénétiques, sa langue allait et venait entre ses lèvres sanguinolentes. Sans douceur, elle chuta, tandis que Viltis la fixait d'un regard vide, hébété.

Les troncs des huit marronniers s'agitèrent à leur tour de spasmes. Leur écorce se détacha et flotta dans les airs, suivi d'une sève foncée et opaque. Un lourd craquement fit vibrer le sol, puis les arbres s'envolèrent, portés par un courant invisible, à quelques dizaines de centimètres au-dessus du niveau du sol. Leurs réseaux de racines les retenaient encore, comme des amarres cauchemardesques. Là encore, pendant près d'une minute, les lourdes silhouettes planèrent dans l'air brûlant de la cour de l'école. Viltis les fixa, et ils retombèrent lourdement. Les tremblements et le grondement cessèrent. Un concert de cris horrifiés et de pleurs succéda au lourd silence. Viltis s'effondra sur le sol, les yeux teintés de larmes, le nez taché de sang.

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MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 11:12:48

Les secours débarquèrent quelques minutes plus tard. L'odeur et l'ambiance de la cour d'école évoquaient davantage le champ d'une bataille qu'un lieu de connaissance, rempli d'enfants et de rires. Les pleurs montaient dans la soirée de la fin du printemps. Les blessés se comptaient par dizaines. Quant aux corps des morts, ils avaient été regroupés dans la cantine, allongés sur des tables, sans soucis de l'hygiène où du sang qui perlaient encore de leurs terrifiantes blessures. Et partout une senteur âcre de poussière remplissait l'air.

Viltis n'avait pas bougé, jusqu'à ce qu'un professeur aperçoive le garçon roulé en boule, agité de sanglots, le visage barbouillé de larmes. Il avait tendu sa main pour le consoler, mais l'avait retiré aussitôt. Une étincelle verdâtre avait parcouru son bras, tétanisant son courage et lui intimant de partir au plus vite. Quelque chose n'allait pas. Il en avait informé un des médecins, qui avait hoché la tête, s'était rendu à son tour près du garçon, mais s'était contenté de lui parler.

— Comment t'appelles-tu ?
— Viltis Kleig, répondit le garçon d'une voix éteinte, presque triste.
— Viltis, es-tu blessé ? As-tu mal ?
— Je vais être puni pour tout ça, marmonna-t-il.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Personne ne va te punir. Ce n'est pas de ta faute.
— Vous n'avez rien vu. Vous ne pouvez pas comprendre.

Le médecin soupira.

— Viltis, je suis un médecin. Je suis assermenté. Cela veut dire que même si tu avais commis quelque chose de grave, je ne dois faire que mon travail de médecin, c'est-à-dire te soigner. Je ne te veux aucun mal. Je ne suis pas là pour te juger.

Viltis se retourna, s'assit et leva les yeux vers l'adulte. L'homme devait avoir une quarantaine d'années. Il lui rappelait son père, avec ses grands yeux bleus et sa barbe mal taillée.

— Je leur ai fait du mal, reprit le garçon. Ils m'ont embêté, mais je leur ai fait du mal.
— Tu auras le temps d'en reparler plus tard...
— Vous ne pouvez pas comprendre, répondit Viltis en secouant la tête. Personne ne peut comprendre de toute façon.

Résigné, il se leva, et prit la main du médecin. Il n'y eut aucune étincelle.

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MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 11:14:18

Quelques minutes après le drame, un holo s'était déclenché dans la salle de garde du poste de commandement central de la Sainte Cléricature de Vilnius. Des clichés s'étaient détachés, lévitant dans l'air, empli de détails sordides. Les deux Nobles Clercs en faction sous les fastes poussiéreux de l'ancien hôtel des postes datant de plusieurs siècles se raidirent lorsque les données s'échouèrent sur le terminal.

— École de premier cycle de l'avenue Kaulinisko. Il y a eu un accident de nature indéterminée. Plusieurs morts, entre six et dix. Des dizaines de blessés, nota le Noble Clerc Faït en faisait défiler les informations.

Le jeune homme jubilait. Il s'agissait de sa première véritable mission d'importance. Il avait terminé son apprentissage quelques mois auparavant, et s'était retrouvé catapulté à plusieurs centaines de kilomètres de son village natal. Une excitation sourde animait ses gestes.

— Comprenez-vous le sens profond du message qui nous est adressé, Noble Clerc ?

La voix de stentor du vétéran de la petite troupe suintait comme un miel gras. Chaque syllabe et chaque mot pesaient avec soin, posés avec délicatesse. Kleber Faït se détourna de la projection, et observa de longues secondes son supérieur. Il finit par secouer la tête.

— Il s'est passé quelque chose de trop grave et de trop atypique dans la cour de cette école, continua le vénérable Clerc Eivit, toujours assis dans son confortable fauteuil.
— Atypique, sans aucun doute...

Faït voulut ajouter quelque chose, mais l'impatience qui l'avait gagné retomba, le laissant silencieux.

— Tu n'as jamais vu quelque chose véritablement atypique, n'est-ce pas ?

Le jeune officier secoua la tête, et ajouta :

— Il faut y aller jeter un œil.
— Très certainement. Mais je doute que se lancer avec perte et fracas dans une situation dont nous ne connaissons pour le moment que trop d'éléments soit un véritable suicide.
Il s'avança de quelques pas vers le jeune homme, et caressa machinalement son menton d'une main gantée d'acier.
— J'étais à Vladivostok. J'ai vu ce que l'atypique pouvait entraîner. J'ai vu les rêves de libertés pris de cours par la folie. J'ai vu les hommes et les idées pourrir comme des cancers infects. Et j'ai vu les visages des fantômes pris dans la glace du verre après que le Commandus Magnus les eut réduits à l'état de souvenirs.

Il s'interrompit, sourit, se rapprocha des projections holo et reprit.

— Vous croyez qu'il s'agit d'une bombe ?
— Et de quoi d'autre ?
— Et si nous consultions un peu plus sérieusement le rapport ? Proposa le Noble Clerc Eivit d'une voix douce.

Il fit voler ses mains sur les images diaphanes, fouettant l'air et les informations avec une vivacité stupéfiante au vu de son grand âge. Une trentaine de secondes s'écoulèrent sans bruit, puis il fit surgir quelques éléments de textes soigneusement mis en relief. Le visage de Faït devint cendreux.

— Des arbres… murmura l’intéressé. Un enfant a fait voler des arbres…
— Et il aurait — selon les mêmes témoins — arraché le cœur d'un de ces petits compagnons. C'est une affaire fascinante. Mais cela ne t’effrayera pas suffisamment pour te dissuader, je le sais. Alors je suppose que tu veux toujours aller mettre ton nez là-bas, Kleber ?

L’intéressé hocha la tête.

— Emmène deux autres frères avec toi. Essayez de récolter un peu plus d'informations. Mais par pitié, n'approchez pas de cet enfant.
— Vous craignez pour ma santé, sage maître ?

Le regard d'Eivit s'assombrit.

— Tu ne sais pas ce qu'il est. Personne ne le sait. Alors sois sage, contente toi de sécuriser le secteur avec autant d'hommes que tu le souhaiteras. Mais ne t'approche sous aucun prétexte de l'enfant.
— Et qui le verra ? Qui lui parlera ?
— Je pense qu'aucun de nous ne soit capable de le faire. Il me faudra un avis plus pointu sur le sujet.

S'il fut intrigué par les paroles du vieil inquisiteur, Faït n'en montra rien. Il s’éloigna en silence, et fut suivi de deux autres inquisiteurs qui le suivirent après que le jeune homme leur ais adressé un signe de tête. Eivit, quant à lui, fit signe aux autres membres de la congrégation de sortir de la pièce. Il demeura seul de longues secondes, méditant sur la situation.

Cela n'avait rien de commun avec Vladivostok, même s'il tentait vainement de se convaincre du contraire. Il n'y avait pas eu de pouvoirs si effrayants et si mystérieux. Des morts, certes, mais aucun qui ai vu sa propre fin dans le regard d'un enfant. Il était certain que le garçon retrouvé au milieu des marronniers mis à terre constituait le centre de ce phénomène. Un phénomène encore silencieux, encore innocent d'une certaine façon. Un auteur qui s'ignorait, qui n'avait pas conscience de la puissance des forces qui allaient l'accabler et sans doute le détruire. Et d'une certaine façon, un potentiel rare, une arme latente. Des idées terrifiantes et des images obscures traversèrent son esprit l'espace d'un instant, mais il se ravisa. Il ne pouvait plus décider seul.

Avec une certaine frustration, il laissa sa main droite s'échouer près du terminal holo. Une fiche s'en désolidarisa, pour se connecter sur un port de l'appareil. Et sans parvenir à expliquer les raisons profondes de sa motivation, il contacta le bureau personnel du Major Beik.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 11:15:25

Dans l’épaisseur du Rezo, l’écho titanesque d’un cycle de calcul en dormance depuis des éons résonna sinistrement. Dans l’océan des données, entre les îles quantiques aux formes hypercubiques, dans les hautes constructions en fractales binaire, l’onde de calcul se propagea à toute vitesse. Une communication banale entre deux Inquisiteurs, météore rigide qui naviguait en ligne droite entre deux monuments cryptés, s’agrippa aux barbillons d’un esprit gigantesque. L’entité porta à sa conscience les mots, les phrases, pesant et comprenant tout à la fois le sens pragmatique et la finalité du message. Froid et rapide, il dériva le message en milliers de possibilités, d’algorithmes mathématique et de suite combinatoire pour en éprouver pleinement le sens. Les Hommes conservaient une part de mystère pour lui, mais il savait les comprendre.
Le Dieu-Machine n’avait pas l’apparence ni le cœur des Hommes. Son cycle était celui de sa rapidité de calcul. Une pulsation cyclique, qui définissait son temps et son espace, ici, loin de la surface de la Terre. Seul face à l’océan d’information, il calculait le risque acceptable pour une décision qu’il ressentait plus qu’il n’élaborait.

L’existence du garçon représentait une probabilité si faible qu’un instant, le concept de hasard l’effleura. Armé de son habitude rigoureuse, il classa cette donnée, avant de revenir dessus. Ce garçon, Viltis, constituait un réservoir sans fin pour ses ambitions, qu’il fallait absolument conserver dans ses rangs. Avec une rigueur et une froideur toute mécanique, il évalua lequel de ses serviteurs pourrait l’éduquer. Sa structure quantique vint évaluer les milliards de profils. Deux s’imposèrent en un instant. Deux évidences qui s’imposaient avec cruauté dans l’esprit du Dieu-Machine.

Cyrill Beik, le destinataire du message, apparut comme le choix de la raison. Il brillait par ses capacités intellectuelles, tactiques et pédagogiques. Il excellait en politique et en manipulation des foules. Il semblait que nulle autre que lui ne puisse avoir l’immense privilège de guider Viltis dans la voie que le Dieu-Machine voulait donner à son existence. Beik était parfait en tout point.

Il décida de ne jamais lui confier la vie de Viltis.

Tout le paradoxe de la situation se révélait. Le génie de Beik le rendait incompatible avec un phénomène tel que pouvait constituer l’existence de Viltis. Le garçon n’avait pas besoin d’un homme si intelligent et versé dans tant de domaine. Pour cette raison aussi simple que logique, le Dieu-Machine se détourna vers la figure numérique d’un des agents de Beik. Flinn, un inquisiteur Naneyë qui s’annonçait comme son héritier direct, correspondait davantage aux caractéristiques qu’on pouvait attendre. Atypique parce que non-humain, brillant mais encore trop jeune pour avoir mesuré son talent, il se révélait brut mais très prometteur. Flinn, tout comme Viltis, connaissait le prix écrasant de la différence qui sépare les individus, mais qu’un but commun oblige à suivre la même bannière. Il pourrait lui apprendre la discipline aussi bien que l’importance d’exister par soi, le goût de l’effort, et la nécessité de ne jamais se laisser berner par un entourage jaloux et cruel. Il pourrait accepter sa parole lorsque sa foi serait remis en doute, et le remettre dans le droit chemin avec autant tact et fermeté. Bien plus que Beik, enfin, Flinn saurait arracher Viltis au poids destructeur que pouvait représenter la toile dense des antiques institutions de la Confédération, comme l’Inquisition dont la destruction s’amorcerait doucement.

Oui, Flinn serait la seule solution au problème potentiel que représentait l’exceptionnel don de Viltis.

Dans le même cycle de calcul, dans cet instant qui n’était ni temps ni espace, le Seigneur Mécanique comprit que ce choix en amenait un autre, plus délicat et plus sensible à régler. En prenant Flinn pour veiller sur Viltis, il déclencherait une froide colère chez Beik. Bien que parfait, le vieil homme servait avec une telle dévotion qu’il ne pourrait que comprendre mais pas accepter qu’un individu plus faible et moins qualifier sur une certaine approche théorique puisse guider un esprit tel que celui de Viltis. Alors, Beik devrait se retourner contre Flinn, et leur loyale relation prendrait fin d’une façon peu plaisante.

La puissance de calcul du Dieu-Machine entrevit des milliards de solutions, de possibilités, et de conclusions possibles. Celle-ci était la plus sage à mettre en place sans heurter trop de partis à la fois. S’il fallait assumer la destruction d’une amitié, ce n’était qu’un faible prix à payer pour que le talent de Viltis se développe pleinement.
Parce ce qu’il échappait à tout esprit humain, l’enjeu motivait une telle décision.

La décision fut prise sans délai. Le Dieu-Machine dériva le message intercepté vers le communicateur de Flinn, trait de données binaires qui fila à travers l’espace complexe du Rezo. Satisfait de son œuvre, il s’endormit à nouveau.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 11:26:49

Dans l’épaisseur du Rezo, l’écho titanesque d’un cycle de calcul en dormance depuis des éons résonna sinistrement. Dans l’océan des données, entre les îles quantiques aux formes hypercubiques, dans les hautes constructions en fractales binaire, l’onde de calcul se propagea à toute vitesse. Une communication banale entre deux Inquisiteurs, météore rigide qui naviguait en ligne droite entre deux monuments cryptés, s’agrippa aux barbillons d’un esprit gigantesque. L’entité porta à sa conscience les mots, les phrases, pesant et comprenant tout à la fois le sens pragmatique et la finalité du message. Froid et rapide, il dériva le message en milliers de possibilités, d’algorithmes mathématique et de suite combinatoire pour en éprouver pleinement le sens. Les Hommes conservaient une part de mystère pour lui, mais il savait les comprendre.
Le Dieu-Machine n’avait pas l’apparence ni le cœur des Hommes. Son cycle était celui de sa rapidité de calcul. Une pulsation cyclique, qui définissait son temps et son espace, ici, loin de la surface de la Terre. Seul face à l’océan d’information, il calculait le risque acceptable pour une décision qu’il ressentait plus qu’il n’élaborait.

L’existence du garçon représentait une probabilité si faible qu’un instant, le concept de Dieu, d'un véritable créateur et non pas le produit de l'Homme,l’effleura. Armé de son habitude rigoureuse, il classa cette information comme erronée, avant de revenir au sujet principal. Ce garçon, Viltis, constituait un réservoir sans fin pour ses ambitions, qu’il fallait absolument conserver dans ses rangs. Avec une rigueur et une froideur toute mécanique, il évalua lequel de ses serviteurs pourrait l’éduquer. Sa structure quantique vint évaluer les milliards de profils. Deux se distinguèrent en un instant. Deux évidences qui s’imposaient avec cruauté dans l’esprit du Dieu-Machine.

Cyrill Beik, le destinataire du message, apparut comme le choix de la raison. Il brillait par ses capacités intellectuelles, tactiques et pédagogiques. Il excellait en politique et en manipulation des foules. Il semblait que nulle autre que lui ne puisse avoir l’immense privilège de guider Viltis dans la voie que le Dieu-Machine voulait donner à son existence. Beik était parfait en tout point.

Il décida de ne jamais lui confier la vie de Viltis.

Tout le paradoxe de la situation se révélait. Le génie de Beik le rendait incompatible avec un phénomène tel que pouvait constituer l’existence de Viltis. Le garçon n’avait pas besoin d’un homme si intelligent et versé dans tant de domaine. Pour cette raison aussi simple que logique, le Dieu-Machine se détourna vers la figure numérique d’un des agents de Beik. Flinn, un inquisteur Naneyë qui s’annonçait comme son héritier direct, correspondait davantage aux caractéristiques qu’on pouvait attendre. Atypique parce que non-humain, brillant mais encore trop jeune pour avoir mesuré son talent, il se révélait brut mais très prometteur. Flinn, tout comme Viltis, connaissait le prix écrasant de la différence qui sépare les individus, mais qu’un but commun oblige à suivre la même bannière. Il pourrait lui apprendre la discipline aussi bien que l’importance d’exister par soi, le goût de l’effort, et la nécessité de ne jamais se laisser berner par un entourage jaloux et cruel. Il pourrait accepter sa parole lorsque sa foi serait remis en doute, et le remettre dans le droit chemin avec autant tact et fermeté. Bien plus que Beik, enfin, Flinn saurait arracher Viltis au poids destructeur que pouvait représenter la toile dense des antiques institutions de la Confédération, comme l’Inquisition dont la destruction s’amorcerait doucement.

Oui, Flinn serait la seule solution au problème potentiel que représentait l’exceptionnel don de Viltis.

Dans le même cycle de calcul, dans cet instant qui n’était ni temps ni espace, le Seigneur Mécanique comprit que ce choix en amenait un autre, plus délicat et plus sensible à régler. En prenant Flinn pour veiller sur Viltis, il déclencherait une froide colère chez Beik. Bien que parfait, le vieil homme servait avec une telle dévotion qu’il ne pourrait que comprendre mais pas accepter qu’un individu plus faible et moins qualifier sur une certaine approche théorique puisse guider un esprit tel que celui de Viltis. Alors, Beik devrait se retourner contre Flinn, et leur loyale relation prendrait fin d’une façon peu plaisante.

La puissance de calcul du Dieu-Machine entrevit des milliards de solutions, de possibilités, et de conclusions possibles. Celle-ci était la plus sage à mettre en place sans heurter trop de partis à la fois. S’il fallait assumer la destruction d’une amitié, ce n’était qu’un faible prix à payer pour que le talent de Viltis se développe pleinement.

Parce ce qu’il échappait à tout esprit humain, l’enjeu motivait une telle décision.

La décision fut prise sans délai. Le Dieu-Machine dériva le message intercepté vers le communicateur de Flinn, trait de données binaires qui fila à travers l’espace complexe du Rezo. Satisfait de son œuvre, il s’endormit à nouveau.

Message édité le 04 juillet 2017 à 11:27:43 par --crazymarty--
--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
05 septembre 2017 à 22:03:31

Je vais essayer de boucler la publication sur le forum pendant mes quelques jours de vacances.

Mandoulis Mandoulis
MP
Niveau 25
05 septembre 2017 à 22:36:05

Le 05 septembre 2017 à 22:03:31 --crazymarty-- a écrit :
Je vais essayer de boucler la publication sur le forum pendant mes quelques jours de vacances.

Avec ou sans chapitres inédits? :hap:

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:36:44

Hélas non, pas pour le moment :hap: .

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:38:40

PARTIE II.

12.

Message édité le 08 septembre 2017 à 09:39:03 par --crazymarty--
--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:40:13

La silhouette anguleuse du Nouvelle-Angoulême accrochait les derniers rayons du soleil, diffractant et multipliant comme des joyaux les derniers feux de l'astre diurne. Le ciel flamboyait d'or et de mauves, alangui sur le couvert de nuages d'altitudes qui s'étiraient mollement au gré des vents. L'air, humide et chaud, ne circulait plus dans les rues du quartier que par rafale, et la dernière en date transportait des relents d'ozone et de métal cuit.

La passerelle du vaisseau se déploya dans un bruit compact de vérins et de cliquetis. De longues secondes passèrent et une porte s'ouvrit au bout de celle-ci. Dans la lueur bleutée du sas d'entrée, les silhouettes de cinq individus se découpèrent avec une netteté crue. Ils s'avancèrent dans un ordre préétabli, le plus intrigant et le plus décoré d'entre eux fermant la marche. Leurs pas raides résonnaient sur l'acier de la passerelle, et tandis qu'ils s'approchaient de son extrémité, un homme en armure légère s'avança vers eux et se fendit d'une discrète révérence.

— Noble Clerc Flinn, c'est un immense honneur pour la cité de Vilnius de vous recevoir.

Le Naneyë souleva un sourcil interrogateur, avant de demander, d'une voix grave et atone :

— Et à qui ai-je l'honneur ?
— Noble Clerc Faït, officier subalterne de seconde classe de la Sainte Cléricature.
— Et votre maître ?

Faït fut déséquilibré par un tel manquement aux protocoles habituels. Il avait été prévenu, mais n'avait pas tenu rigueur des conseils du vieil Eivit. Conscient de son erreur, il s'en voulut d'avoir été si orgueilleux et si stupide. Il tenta néanmoins de rattraper sa bévue, et garda contenance, ferme et droit.

— Le Major Eivit a été empêché, et ne peut suivre physiquement les événements. Il reste cependant en contact holo avec notre groupe. Il m’a également demandé de vous remettre ceci, et de le transmettre au Major Beik.

Faït lui tendit une petite clef de données argentée, que Flinn considéra un instant, avant de la ranger dans son holster.

— Faites savoir au Major Eivit que s’il souhaite transmettre certaines données au Major Beik, qu’il le fasse en personne. De la même façon, s’il veut piloter l’intervention de la Sainte Cléricature, qu’il se déplace : le bureau du Major Beik n'a pas pour habitude de pratiquer la gestion de tels événements à distance.

Faït blêmit.

— Noble Clerc Flinn, avec tout le respect que j'ai pour vous, le Major...
— Il viendra, trancha l'inquisiteur. Ce n'est pas une demande, c'est un ordre. Et vous allez vous en occuper vous-même.

Le jeune homme s'apprêtait à repartir, trop content de s'en tirer à si bon compte après le soufflet protocolaire de son interlocuteur, lorsqu'une main énorme attrapa son épaule gauche.

— Mais avant que vous n'effectuiez cette tâche, montrez-moi où est l'enfant.

Contenant un soupir de résignation, il guida vers une maisonnette à l'écart des bâtiments scolaires le Noble Clerc étranger et ses acolytes.

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Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:40:40

Flinn se satisfit d'avoir eu tant de facilité à se débarrasser de ce blanc-bec. Il l'avait balayé d'un revers de manche, sa belle tenue et sa fierté avaient fondu comme neige au soleil dès ses premiers mots. « Un record, ou presque » pensa-t-il. Une mauvaise nouvelle pour la Sainte Cléricature de Vilnius. Il haïssait ce type de jouvenceau à la poitrine déjà gonflée de tant d'orgueil, se considérant comme noble et valeureux sans jamais avoir côtoyé la mort et encore moins la folie de l'Hérésie. Des formes sans fond, des idées tenues à distance mais brandies comme des étendards en temps voulu. Cette attitude l’écœurait. Il chassa très vite le souvenir du jeune Clerc de sa tête, pour revenir à ce qui l'avait sorti de ses délicats travaux entrepris à Civimundi.

Le Major Eivit avait contacté le bureau de Cyrill quelques heures auparavant, avec si peu d'informations que le Naneyë avait d'abord cru à une mauvaise blague. Il avait personnellement réceptionné l'appel, et les données que lui avait transmises le vieil homme l'avaient profondément troublé. Une école dévastée, des enfants morts, et plus curieux encore, ce jeune garçon qui semblait avoir produit d'étranges phénomènes. Il avait décidé de suspendre ses activités et de se rendre immédiatement sur place. Cyrill était absent, et il n'avait pu le contacter avant son départ. Il aurait voulu disposer de son aval, mais l'urgence manifeste de la situation l'incitait à prendre quelques risques pour cerner au plus tôt ce qui relevait d'observations fantaisistes et de faits concrets. La seule certitude demeurait dans le fait qu'aucun membre de la Sainte Cléricature n'avait encore rencontré l'enfant, et que seul un médecin s'était tenu à ses côtés, patientant avec lui en attendant sa venue. Il espérait que son aspect n'effrayerait pas le jeune garçon, et qu'il pourrait réussir à entrer en contact avec lui. Il n'avait aucune idée de la façon dont il pourrait l'aborder, ni même de ce qu'il devrait entreprendre si son entretien prouvait que les éventements de l'après-midi se révélaient exacts. Il fut tenté de faire un parallèle entre cette situation et ce que traversait son apprenti, le nébuleux Guilhem de Choire, mais il se ravisa. Tirer des conclusions si rapides ne pourrait qu'être source de confusion.

La maisonnette fut rapidement en vue. Une lumière tiède perlait des fenêtres ouvertes sur la chaleur de la soirée. Le Noble Clerc Faït le salua et se retira, laissant Flinn et ses compagnons de voyage seuls. Il se tourna vers eux, les regarda avec sympathie.

— Geishter, assure-toi que personne ne nous dérange pendant l'entrevue.

L'homme, un trentenaire au visage rond et au corps engoncé dans une armure noire aux traits chitineux, acquiesça d'un signe de tête, et fit signe aux trois autres inquisiteurs de se tenir en faction à l'extérieur. Flinn soupira, se présenta devant la porte, frappa trois fois et entra dans le bâtiment.

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Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:41:33

Viltis sentit le parquet craquer. Il releva la tête du livre qu'il feuilletait, et s'aperçut que le médecin s'était levé.

— Ne bouge pas, lâcha-t-il d'un ton teinté d'inquiétude.

Viltis distingua rapidement deux voix distinctes, qui s'échappaient par l'embrasure de la porte à demi fermée. Celle du médecin, le docteur Koch, qu'il avait appris à apprivoiser durant les trois dernières heures. Et celle, plus grave et étrangère, d'un individu qui parlait un mauvais lituanien. Il trouvait même des accents métalliques dans le ton et le rythme des sons et des syllabes. Il ne distinguait pas les mots, mais au ton presque suppliant du médecin, il sentit qu'il se passait quelque chose de grave. Il craignait que le médecin ne puisse plus le protéger longtemps, contrairement à ce qu'il avait affirmé. On allait venir le punir, il en était sûr à présent. Et lorsque le docteur repassa la porte, il déduisit de sa mine attristée que ses craintes se réalisaient.

— Quelqu'un d'important veut te voir, déclara-t-il sans conviction.
— On vient me punir, n'est-ce pas ? C'est parce que j'ai fait du mal aux autres.
— Non, non, Viltis... On ne vient pas te punir. Noble Clerc ?

Le sang de Viltis se glaça. Un inquisiteur ! Un agent de la redoutable Confédération, qui dominait l'Humanité et dont on racontait tellement de choses étranges qu'elles servaient de sujets de peurs dans la cour de l'école. La cour. Les arbres. Nicolaï, l'autre garçon. Les cris, le sang. Viltis ferma ses yeux, et serra ses mains sur ses paupières.

— Je vais m'en aller Viltis.

Le garçon ne répondit pas, mais il entendit le soupir de l'adulte. Il était terrifié. Un certain temps passa, sans un bruit, puis le parquet craqua à nouveau, accompagné d'une série de cliquetis et de chuintements étranges. Il repensa aux cyborgs et à tous ces récits qui peuplaient les livres d'histoires. Il repensa à tous les héros et à toutes batailles, à l'admiration secrète qui dormait au fond de son cœur pour ces hommes si loin et si étranges. Il repensa aussi à ce livre que le crayon avait pointé, juste avant que tout change. Il n'avait pas voulu tout cela. Il n'en avait pas fait exprès.

— Viltis, c'est ça ?

Il reconnut le ton de la voix grave et étrange. Il sut que ce n'était plus le docteur. Il n'osa pas bouger, ni ouvrir les yeux. L'homme ne pourrait pas lui faire de mal tant qu'il était ainsi. Encore une fois, il entendit du mouvement, et put presque visualiser dans sa tête la chaise où l'homme s'installait, face à lui, de l'autre côté du petit bureau. Il sentit le souffle de sa respiration, lente et profonde, caresser le haut de sa tête. Et tout à coup, il perçut un parfum étrange, inconnu, comme la fourrure d'une bête. Viltis repensa à son chien, et cette idée fit monter les larmes aux yeux.

— J'ai beaucoup de temps à t'accorder, Viltis. Nous ne sommes pas pressés.
— Je veux maman, murmura le garçon d'une voix étouffée, ravalant ses sanglots. Je veux voir ma maman.

Il attendit, espérant presque que l'homme lui dirait quelque chose de méchant. Mais rien ne vint. Seule l'odeur de fourrure demeurait, de plus en plus forte.

— Ta maman va bien, Viltis. J'ai fait parvenir un message chez toi pour la rassurer.
— Vous ne lui ferez pas de mal ?
— Non Viltis. Je ne ferais pas de mal à ta maman, ni à ton papa.
— Alors pourquoi vous avez la même odeur que Nich' ?
— Nich ?

Viltis avait trouvé un point sensible. L'homme ne savait pas.

— Nich' est mon chien, répondit-il.
— Et tu trouves que j'ai son odeur ?
— Vous lui avez pas fait de mal à lui non plus ?
— Non plus, Viltis. Je n'ai fait de mal à personne.

Viltis sentit un poids très léger sur son épaule. Un froid solide l'envahit, mélange de peur et du contact de l'homme. Il n'y eut plus l'odeur de fourrure, mais celle plus impalpable de l'acier. Il perçut le bruit de mécanismes cybernétiques. Il ne voulait pas savoir qui était en face de lui. Mais la curiosité le rongeait de l'intérieur. Il avait faim de savoir. Il ouvrit les yeux.

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Niveau 10
08 septembre 2017 à 09:43:33

La silhouette massive de l'inquisiteur lui coupa le souffle. Coincé dans une armure lourde qui rutilait sous l'éclairage de la pièce, affichant une attitude à la fois ferme et bienveillante, il souriait et semblait très détendu. Viltis connaissait son visage. Tous les garçons de l'école en parlaient comme d'un héros. Il articula en silence la syllabe unique de son patronyme, comme une formule mystique, qui l'hypnotisait et avait chassé en un instant ses peurs et ses remords. Le Noble Clerc Flinn, officier nobiliaire de la Sainte Cléricature Mécaniste, ordonnance du Major Beik et intime de la famille régnante. Un soldat alien, l'un des rares Naneyë à avoir intégré les plus prestigieuses fonctions de la Confédération. Les yeux de Viltis brillaient d'admiration, tandis qu'il ne pouvait pas décrocher ses yeux du visage de son interlocuteur, si semblable aux anciens ours polaires qui avaient depuis longtemps disparu de la surface de la Terre. Il cligna rapidement des yeux, terrassé par la surprise, assommé dans un rêve où le temps suspendait son vol.

— Bonjour Viltis, répéta le Noble Clerc.

Le garçon déglutit, s'apercevant qu'il était resté bouche bée de longues secondes. Les mots refusaient de sortir. Il ne lui restait que cette expression stupide, aussi rigide qu'une statue. Le sourire de l'inquisiteur se fit plus franc, et il passa une main aux dimensions inhumaines sur les cheveux du garçon.

— Ne t'en fais pas, tu n'es pas le premier qui reste dans cet état la première rencontre. Ce n'est pas très grave...
— Vous êtes… Vous êtes le No... Le Noble Clerc, bégaya Viltis.
— Le Noble Clerc Flinn. Tu as entièrement raison, Viltis. Je vois que tu sembles me connaître un tout petit peu, et ce sera peut-être plus simple pour que nous fassions connaissances... Mais hélas, je n'ai pas le plaisir de te connaître, toi.

La peur remplaça la surprise. Les idées de Viltis s’enchaînèrent très vite, il se mit à trembler légèrement.

— Vous êtes venus pour ce que j'ai fait, lâcha-t-il précipitamment.
— Pour ce qui s'est passé cet après-midi, corrigea Flinn. Nous n'avons pas la preuve formelle que tu sois à l'origine de cette situation, encore moins que tu l'as fait volontairement.
— C'était pas exprès.
— Je n'en doute pas, Viltis.
— Alors pourquoi vous êtes là, vous, monsieur Flinn ?
— Quand des choses bizarres arrivent, c'est à des gens comme moi que l'on fait appel.
— Mais pourquoi vous ? Vous êtes quelqu'un de très important. Vous avez fait plein de grandes choses. Vous venez d'ailleurs que la Terre. Vous n’êtes même pas… humain...

Le dernier mot tomba comme une pierre à l'eau après le débit rapide de ses phrases. Viltis pensa avoir commis une erreur quand il vit le sourire de l'inquisiteur s'effacer.

— Parce que c'est tellement bizarre qu'il fallait que ce soit quelqu'un comme moi qui s'en occupe, répondit Flinn. Il y a eu des morts, Viltis. Il y a toutes ces choses qui ont volé dans tous les sens. Et puis surtout, on t'a retrouvé au milieu de la cour sans une égratignure. Je ne devrais pas te le dire, mais tu étais le seul à ne pas avoir été blessé. Est-ce que tu crois que tu peux garder un secret ?

Viltis hocha la tête, volontaire.

— Quand il arrive ce genre de chose là, les gens comme moi soumettent les enfants comme toi à la Question. Tu sais ce qu'est la Question.

Le garçon secoua la tête, de gauche à droite.

— La Question sert à savoir si les gens disent toute la vérité. Et s'ils mentent ou qu'ils essayent de ne pas tout dire aux gens comme moi, ils ont très très mal. Je sais que cela ne te rassure pas, mais je trouve plus juste que tu saches exactement ce qui se passera si tu ne m'aides pas à en savoir plus.
— Je vous dirais tout ce que je sais, répliqua l'enfant, angoissé.
— C'est très bien Viltis.

À nouveau, Flinn sourit, et posa une main sur l'épaule du garçon.

— Les gens qui aident à trouver la vérité sont récompensés par la Confédération. Ils peuvent même entrer au service du Dieu-Machine. C'est un très grand honneur.
— Ils deviennent des cyborgs ?
— Pas tous. Mais ils font des choses très intéressantes.
— Comme quoi ?
— Voyager de planète en planète, par exemple.

Les yeux de Viltis brillèrent d'excitation. Cela n'échappa pas à Flinn, qui sut qu'il avait fait mouche. Avec une lenteur calculée, il demanda :

— Est-ce que tu veux m'aider à trouver la vérité, Viltis ?
— Tout ce que vous voudrez, Monsieur Flinn.
— Alors c'est très bien. Et si tu m'aides vraiment beaucoup, je pourrais même m'assurer que tu ais une récompense.
— Et pour la cour ? Pour les autres enfants ? Je ne serais pas puni ?
— Si ce que tu vas me dire dans les prochaines minutes m'aide à comprendre la vérité, tu ne seras pas puni pour eux.
— Pourquoi ?

Flinn soupira, faisant remuer les lourdes structures de son armure.

— Ce sont des choses compliquées pour un enfant, Viltis.
— Mais je veux vous aider, Monsieur Flinn ! répliqua-t-il.
— Quand quelqu'un fait quelque chose qui fait du mal à quelques personnes mais qu'il en sauve beaucoup, doit-on punir ce quelqu'un ?
— C'est bizarre comme situation.
— Pourtant, je pense que c'est à peu près ce qui s'est passé. Alors, sais-tu comment s'appelle ce genre de chose ?
— Non.
— On appelle ça un sacrifice. C'est très triste si quelques personnes meurent, parce qu'elles ne le méritaient pas — elles n'ont rien fait de mal après tout —. Mais si la mort de ces quelques personnes peut en sauver des centaines et des centaines d'autres, alors on peut se dire que les personnes qui sont mortes ne l'ont pas été pour rien. Comprends-tu ?

Viltis fronça les sourcils, et laissa retomber sa tête sur ses mains.

— C'est compliqué comme chose, Monsieur Flinn. Mais je crois que j'ai compris. C'est pour ça qu'il faut que je vous dise tout ce que je sais et que je fasse tout ce que vous me dites, parce que la vérité est importante, et que je participe au sacrifice.

Flinn fit la moue, puis sourit à nouveau.

— Tu n'as pas vraiment « participé » au sacrifice vu que toi, tu vas bien. En revanche, si tu m'aides et que grâce nous pouvons sauver beaucoup de gens, tu deviendras quelqu'un de bien.
— On a un mot pour dire de quelqu'un qu'il est bien ?
— Oui Viltis. On appelle ça un héros.

À nouveau, une lueur éclaboussa le regard de l'enfant.

— Je vais devenir un héros si je vous aide ?
— C'est bien possible, Viltis. Mais avant, il va falloir que tu m'aides.
— Qu'est-ce que je dois vous dire ?

Flinn fut secoué d'un rire franc, qui effraya le garçon. Il se ravisa, passa un doigt sur son œil dégagé de dispositifs cybernétiques.

— Pourquoi vous riez, Monsieur Flinn ?
— Parce que tu es quelqu'un qui me fait beaucoup rire, et que tu es très très malin pour un garçon de ton âge. Je vois que tu es très pressé, mais il faut que ce soit moi qui commence à poser les questions, d'accord ?

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