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Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:27:28

Flinn sourit.

— C’est un très joli piège, Viltis. Mais la raison à cette question, c’est que la puissance du Dieu-Machine existe dans le monde réel, dans notre existence à tous. C’est la force du Dieu-Machine qui habite chacun de ses croyants, chacun des soldats, des licteurs, des officiers, des cybernautes et de tous ceux qui le servent. Mais qu’est ce qui fait que cette force existe ?
— La foi ?
— Exactement. Ce que je te dis là est complexe, Viltis, mais sache que c’est la foi qui anime le cœur de tous ceux qui se soumettent au Dieu-Machine. Et parce qu’ils ont choisi cette voie, il mérite un respect infini. Un jour, toi aussi tu en viendras à te questionner, à savoir pourquoi tu fais ce que tu fais. Alors il faudra que tu en parles autour de toi. Le doute est le frère de la foi : il doit exister, mais il ne doit pas la chasser.
— C’est un exercice difficile.
— Un combat de tous les jours. Tout le monde doute. Est-ce que le Dieu-Machine veille sur moi ? Est-ce que je fais pour lui à un sens ? Est-ce que je dois obéir aux ordres qu’on me donne ? Lorsque le doute est là, tout parait si dur. Mais quand la foi revient, alors tout trouve un sens. Et c’est ce sens qui nous apaise. Ce n’est pas une question de logique, juste de sentiment.

Flinn porta un poing à son cœur.

— C’est ici que loge la foi. Pas là.

Il pointa son crâne.

— Le Dieu-Machine nous guide par la pensée rationnelle, en intervenant auprès de certains de ses serviteurs. Non pas parce qu’Il les préfère, mais surtout parce qu’il serait trop complexe pour des individus comme toi ou comme moi de communiquer avec Lui. J’ai la foi, mais je ne parle pas sa langue.
— Alors vous croyez sans voir ?
— C’est le principe même de la foi, Viltis.

Il désigna un morceau de balustrade à proximité du garçon.

— Il faudrait que je te raconte ma propre histoire, peut-être que cela pourra t’aider. Est-ce que je peux m’asseoir ?
— Bien sûr, maître.

Flinn se glissa sur le morceau de béton abîmé. Il apparaissait beaucoup moins massif.

— Connais-tu mon histoire, Viltis ?
— Maître, avec tout le respect que je vous dois, c’est une question un peu stupide…
— Donc je devrais avoir droit à une réponse stupide, non ?

La remarque fit sourire le garçon.

— Je ne parle pas de l’histoire qui circule dans les ouvrages de références et les biographies autorisées par la Sainte Cléricature.
— Alors de quoi parlez-vous ?
— Du pourquoi et du comment je suis arrivé sur Terre.
— Avec votre père, n’est-ce pas, maître ? Il était commandeur, et il…
— En très gros, c’est à peu près ce qui s’est passé, coupa Flinn. Et est-ce que tu connais son histoire à lui ?

Viltis secoua la tête.

— Mon père, le gouverneur Inuë qui assure le commandement du secteur d’Alioth, n’a pas toujours été un cyborg. Avant que le Commandus Magnus — quand il n’était encore que le capitaine Gregor Mac Mordan — ne mette le pied sur mon monde natal, il gouvernait notre peuple. Nous n’étions pas beaucoup, et notre espèce déclinait. J’ai honte de l’avouer, mais nous avions d’autres espèces qui assuraient plus ou moins notre survie, parce que nous les avions réduit en esclavage quelques millénaires avant. L’habitude avait perduré, et sans eux… Je ne serais pas là. Le gouverneur Inuë était un roi, Viltis. Un roi qui régnait avec l’amour des siens sur un monde qui mourait tout doucement. Parce que mon peuple n’avait pas la foi, qu’il savait que son histoire avait été coupée, et qu’une vieille légende nous racontait comment un peuple étranger venu du fond des âges et de terres plus lointaines que nous ne pouvions l’imaginer aurait pu nous détruire. La foi avait disparu parce que la peur avait surgi. On disait des gens qui n’étaient pas croyants, avant l’avènement du Dieu-Machine, qu’ils sont pragmatiques. Mon peuple était pragmatique. Jusqu’à ce que le capitaine Mac Mordan débarque. Mon père ne connaissait pas son Dieu, ni sa religion, mais il a vu un homme qui semblait avoir sacrifié son corps pour servir une cause plus grande que lui. Cette cause avait besoin de cette Homme, et c’est pour cela qu’il s’était retrouvé face à mon père. Beaucoup de personnes travaillent encore à comprendre ce qui a fait dire à mon père le serment d’allégeance au Dieu-Machine sans être converti, mais je crois avoir du début de réponse.
— Et pourquoi, maître ?
— Parce qu’il a effleuré du bout des doigts ce qu’était la foi. Il avait vu ce que croire pouvait engendrer. Du pouvoir, mais surtout de l’espoir. Hors, lui et son peuple manquaient cruellement d’espoir et d’avenir. Il a préféré renoncer à sa fierté et à sa liberté pour suivre quelque chose dont il ignorait tout, mais dont les serviteurs étaient fiers, solides, et dignes de confiance. Jamais le capitaine Mac Mordan n’a trahi mon père. J’étais très en colère lorsque j’ai vu que mon père était devenu un cyborg… C’était une notion que nous ignorions jusqu’à présent. Pour nous, il n’était même plus vivant. On en avait fait une sorte de marionnette. J’ai voulu faire du mal au capitaine lorsque j’ai compris que je devais venir avec l’expédition. Mon père voulait me protéger et me sortir de ce désespoir qui régnait sur Alioth.
— Mais vous ne compreniez pas.
— Parce que je ne savais pas ce qu’était l’espoir. Ma culture, mon peuple, tout sur ma planète devait disparaître. Pour moi, tout ceci était normal. Jusqu’à ce que mon père demande à être mécanisé pour le bien de son peuple. Il avait peur, mais il avait aussi du courage. Et je crois que c’est à cet instant qu’il a connu la foi. Il a connu la foi, et il ne l’a jamais perdu. Même lorsqu’il a dû annoncer à son peuple que tous allaient devoir changer leurs cultures, oublier leurs peurs, et revenir sur dix millénaires de préceptes et de poncifs érigés comme des pensées sacrées.
— Vous vous égarez, maître, nota Viltis d’une voix calme.
— Si je m’égare, c’est donc que tu comprends au moins une partie de ce que je dis.
— Disons que c’est très intéressant, maître. Et que je ne peux même pas imaginer une bonne partie de ce que vous racontez… Il y a trop de choses étranges pour moi.

Flinn sourit.

— L’étrange est pourtant une notion qui devrait t’être familier, n’est-ce pas, Viltis ?

Le garçon se laissa aller à rire. Flinn sut qu’il avait atteint en partie son objectif. Son apprenti ne rentrerait pas le cœur lourd de sentiments négatifs. Lui-même se chargerait de faire rédiger une missive à destination des parents de son protégé. Une lettre formelle, se contentant d’informer en des termes convenus que leur enfant se portait bien, et qu’il était une fierté pour toute la nation humaine. Le Naneyë ne pouvait pas rêver achever une leçon sur un plus beau sentiment de devoir accompli. Une petite victoire qu’il espérait voir grandir dans un futur prochain.

Une stridulation perturba le calme ambiant. Viltis fixa Flinn, qui porta un doigt agile sur son aug’. Il hocha la tête en silence, concluant l’appel par un « je comprends, merci de m’avoir prévenu ». Un masque de suspicion s’était abattu sur son visage.

— Que se passe-t-il, maître ?
— Il va nous falloir rentrer. Je viens de recevoir une convocation ? Apparemment, nous devons rencontrer un cybernaute.
— Encore un autre ? Je ne comprends pas, maître.
— Et très honnêtement, moi non plus Viltis.
— Le départ est avancé ?
— Non, absolument pas. Dans la convocation, on m'informe juste que cela à voir avec les cubes. Nous ferions mieux de nous dépêcher, conclut Flinn.

Viltis sauta de sa position avec souplesse. Son visage s’anima d’un sourire tiède. Il allait partir pour les étoiles.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:28:18

PARTIE III.

5.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:32:44

— Connexion incompatible, murmura Evan, agacé. Je le savais, mais merci quand même.

Il soupira, encore. Il s’acharnait sur la mise à jour d’un protocole de liaison entre un spectromètre à bandes larges flambant neuf et un système de traitement des donnés antédiluviens, sans succès. La tâche le rendait nerveux.

Evan fixa l’horloge, et constata avec une pointe d’inquiétude qu’une heure avait filé sans qu’il ne s’en aperçoive. Dépité, il laissa son corps s’affaler en arrière sur le dossier de sa chaise, et se laissa aller à quelques instants de rêveries.

Il avait besoin de plus de temps. Il avait besoin de plus de temps. Un luxe qui lui faisait défaut pour régler la quantité de préparatifs essentiels au voyage qui se profilait. Les ordres, le marquage des outils, les fastidieuses procédures d’embarquement, les protocoles d’entretien, les autorisations à envoyer. Son seul réconfort résidait dans la perspective salvatrice d’une cabine personnelle, afin de profiter du calme grave et silencieux du voyage spatial.

Il se redressa comme un ressort, et abattit son poing mécanisé sur la table. Oleg Kraft, bien sûr ! Son ancien mentor trouverait une solution rapide à son problème. Fier de sa trouvaille, il se connecta à l’interface. L’instant d’après, la voix d’un quinquagénaire au visage rond, expressif et presque juvénile se matérialisait devant lui.

— Evan, quelle bonne surprise de te revoir… Tu as pu te sortir de ce problème de connecteurs qui t’avait tant énervé ?
— Bonjour, custodes, répondit platement le jeune homme. Et, oui, j’ai pu m’en débrouiller, grâce à vos conseils.
— Il faut bien que je serve encore à quelque chose… Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme l’impression que c’est encore un problème matériel qui t’amène vers moi, non ?

Evan soupira et leva un œil au ciel.

— Oui, c’est encore exact. J’ai perdu beaucoup de temps à essayer de mettre en efficience un spectromètre et système autonome… Un véritable casse-tête. Je me suis alors souvenu de votre existence…

Il sourit, et Oleg Kraft ricana doucement en guise de réponse.

— Toujours aussi attentionné, mon cher Evan. C’est bien parce que tu étais mon élève que je te fais tant de fleur.
— Vous savez très bien que je ne suis pas spécialement doué pour « communiquer » avec les créations de mes confrères, major… Ça n’a jamais été le cas.
— Evan, Evan, Evan… Je sais que tu fais ton possible, et que tu batailles dur dans ton domaine. Mais il faudra songer à un moment ou bien à un autre à t’adresser aux cybernautes qui exercent à tes cotés auprès du Major Antelli. Ils sont tout aussi compétents que moi, sinon plus.
— Mais vous avez été l’un de mes maîtres, et ça fait une sacrée différence.
— En effet, puisque je peux à loisir m’amuser de te taquiner… Un cybernaute fraîchement nommé au rang d’aedificator incapable de paramétrer son propre matériel… C’est pire que l’histoire de l’arroseur arrosé… Mais revenons au cœur du sujet. Pour ton spectromètre, si tu veux que je m’en occupe, il faudra compter trois jours au bas mot.
— Trois jours ?! s’exclama Evan. Mais je pars dans moins de vingt-quatre heures !
— Tu devais te douter que j’ai aussi ma propre masse de travail à gérer, non ? Et maintenant tu pars… C’est nouveau ?
— C’est une longue histoire… Vous allez devoir vous contenter de la version courte.
— Je suppose que c’est mieux que rien.

Evan se leva, et commença à arpenter la pièce.

— Vous vous souvenez de la raison pour laquelle j’ai été fortement guidé vers le major Antelli voilà six mois, n’est-ce pas ?

Le visage de Kraft se tordit d’une moue incertaine.

— Les bruits de couloirs ne sont jamais fiable, Evan. Pour être honnête, je n’ai jamais osé déranger le major Petrus pour connaître le motif de ton départ ?
— Ah, vraiment ?
— Il avait d’autres chats à fouetter. Et puis… Tu n’étais pas vraiment l’apprenti idéal. Tu disais vouloir te diriger vers l’exoarchéologie. Un domaine très éloigné de la programmation lourde et de la gestion des interfaçages du Rezo.
— C’est bien pour cela que le major Petrus m’a recommandé auprès du major Antelli, ajouta Evan.
— Je ne le savais pas.

Oleg Kraft marqua une pause, puis reprit.

— Cela explique pleinement ton départ je suppose.
— Je vois mal comment le formuler de meilleure façon.

Un silence passa. Le custodes Kraft soupira.

— Je me souviens très bien des dernières semaines que j’avais passées en ta compagnie. Tu étais insupportable. Tu n’arrêtais pas de parler de cette théorie des espèces ancienne, de la légende d’Alioth et de tout un tas d’obscures idées qui avaient toutes un rapport avec ces maudits cubes qu’ils avaient trouvé dans le système de Rigel. Et le pire, c’est que tu ne voulais pas faire autre chose. Tu traînais des pieds pour faire la moindre tâche technique. Une véritable tête de mule. Oh, personne n’avait à se plaindre de ton travail. Tu prenais beaucoup plus de temps que nécessaire pour effectuer la moindre vérification, visser le moindre boulon ou souder le moindre composant électronique, mais ton travail était propre.

— J’apprécie la remarque.
— Plaisir d’offrir, joie de recevoir, répliqua avec bonhomie Oleg Kraft.
— Au moins, vous n’avez pas perdu votre sens de l’humour.
— Les autres apprentis que j’avais eus sous mes ordres se contentaient de ne rien dire et d’appliquer les ordres. C’était plus calme… Mais parfois, je regrette un peu tout ce que tu pouvais raconter. Au moins, avec toi, la moindre petite histoire semblait sortir d’un récit épique… Mais parler du passé, cela ne me donne pas réponse, Evan.
— Ah oui, pardon, major… Je digresse. Pour en revenir à mes missions, j’ai dû me forcer à partir pour attraper de bonnes occasions. Le major Antelli a beau être très content de ce que je fais pour lui, il a lourdement insisté pour que j’aille en personne sur le terrain.
— Étonnant, n’est-ce pas ?
— Je suis surtout l’un des seuls en mesure d’aller confronter ses hypothèses sur le terrain. Il n’arrive pas à débusquer d’autres aedificators, malgré tous ses efforts.
— Evan, soit heureux que ce soit le major qui te force la main.
— Et pourquoi ?
— J’aurais été là, je t’aurais embarqué de force d’un des vaisseaux de reconnaissances. Et sans aucuns regrets. Je n’aime pas jouer au vieux sage qui énonce sa morale comme une vérité absolue, mais pense à tous les jeunes hommes qui rêveraient d’être à ta place. C’est un honneur complet de servir le Dieu-Machine sous la bannière des cybernautes.
— Il m’a fallu beaucoup de temps pour en prendre conscience, custodes.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:34:38

Oleg Kraft sourit. Il arborait une expression paternelle qui contrastait avec sa bonhomie habituelle.

— L’important, c’est que tu ais compris tout cela, Evan. En tout cas, je suis ravi d’avoir de tes nouvelles et de constater que tu te portes à merveilles. Même si le prétexte de tout ça est un banal spectromètre un peu récalcitrant.
— Alors, comment dois-je faire ?
— Je t’envoie une procédure standardisée. Tu essayerais les protocoles B et E en priorités. S’il ne marche pas, ne te complique pas et contact directement un des spécialistes du labo d’Antelli. Ils te trouveront bien une solution…
— J’espère quand même que vos explications suffiront.
— Je le souhaite aussi. Surtout que tu as peu de temps, visiblement.
— En parlant de temps…
— File, Evan. Tu dois encore crouler sous le travail.
— C’était très aimable à vous de prendre le temps de me répondre.
— Ce fut un plaisir, Evan. Bon courage pour ta mission.
— Que le Dieu-Machine vous ait en sa Sainte Garde, major.

La communication fut rompue. Quelques instants plus tard, Evan recevait une liste de procédures plus ennuyeuses les unes que les autres. Il exécuta les ordres du major Oleg Kraft, et, au bout de quelques minutes, son problème ne fut plus qu’un mauvais souvenir.

Quelqu’un frappa à la porte de son atelier. Evan ne répondit pas. De longues secondes s’écoulèrent avant que l’individu ne retente, et qu’enfin, le cybernaute se décide à manifester sa présence. Lorsqu’il se décida à aller ouvrir la porte, il fut surpris d’y trouver le major Antelli.

— Major ? Mais… Que faites-vous ici ?
— Il fallait que je vous voie.
— Avec tout le respect que je vous dois, major, n’y a-t-il pas d’autres détails…
— Ils souffriront d’attendre quelques minutes. Je peux m’asseoir ?

D’un geste respectueux, Evan invita son supérieur à s’installer. Le major Antelli inspecta la pièce d’un coup d’œil circulaire, avant de poser à nouveau ses yeux sur l’aedificator Evan Maverish. Le jeune homme venait juste de prendre vingt-cinq ans. Il officiait sous ses ordres depuis bientôt six mois, et Antelli n’avait pas à s’en plaindre. Il avait eu certains échos quant aux « réticences » du jeune cybernaute vis-à-vis de du dogme officiel et de la nécessité de l’implantation de tous les cybernautes. « Une tête de mule », lui avait indiqué le major Petrus. Antelli avait pu vérifier ce trait de caractère par lui-même. Mais cet entêtement avait valu à Evan des prises de positions courageuses, qui avait amené le jeune aedificator à défendre bec et ongle ses idées. C’était là une qualité qu’appréciait Antelli.

Evan le fixa à son tour. Son regard hybride — un œil naturel et l’autre robotique — le détaillait sans hâte. Une profondeur étrange habitait ce regard, et Antelli ne s’y plongeait pas avec délice. Le cybernaute n’avait rien de la carrure majestueuse de certains des serviteurs les plus fanatiques de la Confédération, et sans cet implant oculaire et les deux bras cybernétiques qui avaient remplacés ceux de chair et de sang, il paraissait presque terne. Un physique fade, froid, presque fuyant, une silhouette aussi effacé qu’un visage inexpressif, sans particularité aucune. Seul son nez légèrement épaté y créait un peu de relief. Un sourcil se fronça tandis que son propriétaire semblait plongé dans une intense réflexion.

— Je ne comprends vraiment pas, major.
— Le lieutenant-colonel Flinn m’a contacté. Une simple mesure de courtoisie, étant donné que je ne me joindrais pas à l’expédition. Mais cela a été l’occasion de récupérer quelques informations très intéressantes.
— Vous voulez dire l’inquisiteur Flinn ?
— La Sainte Cléricature a été dissoute voilà quelques jours. Les derniers membres ont été transféré dans le Saint Ordre des Licteurs. Mais là n’est pas le plus important.
— Veuillez pardonner mon impatience, major… Le … lieutenant-colonel Flinn est une légende vivante.

Tandis qu’il parlait, Evan s’agitait sur sa chaise.

— Une légende vivante, reprit Antelli. Un héros, oui !
— Aurais-je l’honneur de le rencontrer ?
— Vous allez même faire mieux que ça. Vous allez servir sous ses ordres.
— Sous ses ordres… directes ?
— Rien de moins. Le lieutenant-colonel Flinn sera accompagné d’un de ses hommes de main, le licteur de Choire, et surtout de cet enfant dont tout le monde dit le plus grand bien.
— Celui qui a ce don ?
— Une cause inexpliquée, et non pas un don, corrigea Antelli. Ce serait une occasion en or pour vous d’approcher ce garçon. Vous pourriez peut-être en apprendre davantage.
— Je croyais que le major Asweltorf assurait déjà toutes les recherches à son sujet…
— Asweltorf a beau être compétent, c’est un individu détestable.
— Avec tout le respect que je vous dois, major, il a pourtant été choisi par le Très Saint Magister…
— Un rustre, rumina Antelli. Un cybernaute de la pire espèce, un parvenu même. Si le Très Saint Magister Kris ne l’avait pris en pitié, il serait encore à croupir dans le minable atelier de Stockholm où on l’a retrouvé. Tout ce qu’il a obtenu du pouvoir, que ce soit son laboratoire ou ses hommes, il ne le doit qu’à de basses manœuvres politiques. Il nous salit, nous, les véritables serviteurs du culte. Là où il s’amuse à réparer — et de manière imparfaite ai-je entendu dire— les corps, nous travaillons à découvrir les lois qui régissent cet univers. Il se contente de maintenir ce qui est, tandis que nous, nous nous acharnons à trouver ce qui demain peut-être changera la face de la Confédération.

Le major se leva.

— Asweltorf a travaillé sur le cas du garçon, Viltis si je me souviens bien. Il a même publié des rapports qui lui ont valu plusieurs citations méritoires et de nombreux crédits pour ses laboratoires. Mais en y regardant de plus près, tous ses rapports semblent comporter certains flous. Des flous d’autant plus curieux qu’il y a eu beaucoup de moyens techniques mis en œuvre autour du garçon.

Le major baissa d’un ton, et se pencha vers son subalterne.

— Je soupçonne Asweltorf de ne pas jouer franc jeu. Les intrications politiques qui le maintiennent dans sa position de favori entrent en conflit avec la clarté et la rigueur scientifique. Et c’est pour cela que je vous demande de vous lier avec ce garçon. Idéalement, si vous pouviez même prélever un peu de son ADN…

Evan blêmit.

— Mais… Major… N’est-ce pas…
— Illégal ? Oh, non, Evan ! Je ne vous demande pas de faire quelque chose hors du cadre des Saintes Doctes. J’aurai surtout besoin de vérifier quelques hypothèses scientifiques, et pour cela, il me faudrait ce que je vous demande. Vous n’avez même pas besoin d’informer le lieutenant-colonel Flinn de ce que vous ferez. C’est tellement ridicule que j’ai presque honte de vous demander pareille mission.

Un sourire illumina le visage d’Antelli. Mais Evan n’était pas dupe. Le major poursuivit.

— Je ne demande pas grand-chose à mon dernier protégé, n’est-ce pas ?
— Non… Bien sûr que non Major.
— J’aime les individus qui savent se montrer reconnaissant. Je n’oublierais pas votre loyauté, Evan, soyez en certain.

L’aedificator inclina légèrement la tête

— Bien. Alors l’affaire est entendue ! Je vois que vous avez été rapide à préparer vos affaires. C’est bien. Je vais faire venir une équipe de serviteur, afin qu’ils les transfèrent vers l’astroport. Quant à vous, vous allez prendre un transporteur et vous irez rencontrer le lieutenant-colonel Flinn, afin de finaliser votre mode d’approche.
— Très bien, major.
— Que le Dieu-Machine veille sur vous.

Et ils se séparèrent.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:35:47

Evan arpentait les couloirs qui le mèneraient vers le disque plat et lisse de l’astroport. Le laboratoire d’Antelli occupait une tour décrépie de l’ancien quartier de la Défense. La vieille esplanade bétonnée faisant un parfait site d’atterrissage pour tous les transports aériens terrestres, nombres d’institutions civiles et scientifiques s’étaient regroupés ici. Evan avait été fascine lorsqu’il avait posé ses pieds au milieu des verticales rigides, dans les jeux d’ombre et de lumière perpétuels. Ce jour-là, seul le doute l’habitait.

Antelli venait encore une fois de glisser plus d’informations qu’il n’aurait voulu en faire passer. Une corde raide s’étalait sous les pieds du major, et il jouait un jeu dangereux. Evan avait eu vent de certaines vues d’esprit de son supérieur. Il était de notoriété publique que le scientifique avait eu de très fortes affinités avec la Sainte Cléricature, auprès de laquelle il avait de très bons contacts. L’organe dissout, Antelli se retrouvait sans appui, et pire encore, surveillé. Il avait même eu droit à quelques interrogatoires en bonne et due forme. Sans les cubes — dont la découverte avait coïncidé avec ces épisodes — il serait partir croupir dans une cellule miteuse, et sans doute d’autres traitements bien plus désagréables lui aurait été infligés. Les cubes xénos avaient sauvé sa vie, et en avait fait un personnage incontournable depuis que le colonel Mac Mordan avait livré de précieuses informations sur leur nature. Même avec un blason redoré, Antelli haïssait le pouvoir central. Trop d’honneur, trop de souvenirs désagréable, trop d’humiliations, et Antelli s’était transformé en un monstre de logique froide. Même fidèle, Evan s’en méfiait. Les phrases policées du major cachaient un langage bien plus clair.

« Nous avons le moyen de faire tomber la major Asweltorf, et par la même, de démontrer la corruption qui dévore le sommet de la nation. Le Dieu-Machine a été bafoué parce que la Sainte Cléricature a disparu. Rapporte le sang du garçon et je t’épargnerai. Dans le cas contraire, ne compte pas vivre libre trop longtemps ». Il n’y avait pas d’autres interprétations possibles. Antelli était tout sauf un généticien. Il ne souhaitait pas vérifier les calculs du laboratoire de son rival. Non. Il voulait simplement le faire chuter.

Evan secoua la tête. Un serviteur le fixa, il ne put retenir un sourire condescendant. Lui, l’aedificator, avait prêté serment d’allégeance à la Confédération et au Dieu-Machine. Il avait donné sa vie pour la mettre au service de tous ceux qui servaient les principes de la Sainte Docte. Il n’oubliait pas combien cet engagement pesait chaque jour ses épaules tout en le rendant meilleur, plus fort, plus convaincu. Il était fidèle au système. Il n’y voyait que la conséquence logique du progrès. Evan n’avait pas regretté la dissolution d’un appareil obscure qui semblait davantage servir l’intérêt de ses chefs que celui du peuple des fidèles. La Sainte Cléricature était condamnée. Les dommages collatéraux furent regrettables, les quelques Conversions de tristes souvenirs, mais il fallait en passer par là pour que le futur advienne sur la Confédération. Et le temps avait prouvé que les Licteurs assurait la même tâche avec plus d’ardeur et d’efficacité encore. « Jusqu’au jour où, eux aussi, ils seront trop influents… ». Evan s’amusa de ce que le pouvoir créait d’instabilité perpétuelle. Un mouvement, une dynamique absolue, qui semblait créer une constante pour les hautes sphères de la Confédération.

Il ne pouvait pas cautionner le Major Antelli. Mais il lui devait une fidélité bien concrète pour son poste.

La situation était peu confortable, mais Evan savait qu’il devrait composer avec. Il pouvait encore se permettre le luxe de ne pas trancher, de ne pas choisir entre la place d’aedificator en passe de faire d’intéressantes découvertes et celle de citoyen et de serviteur du Dieu-Machine. « L’idéal aurait été de prévenir le lieutenant-colonel Flinn. Lui, au moins, aurait su quoi faire ». Evan se rappela qu’il ne serait pas le seul agent du major Antelli à bord. Une équipe d’auditus et de custodes, forte d’une dizaine d’hommes, allait l’assister. Parmi eux se trouvaient quelques un des plus proches fidèles d’Antelli. Des hommes qui travaillaient à ses côtés depuis dix, peut-être quinze ans. Evan comprit qu’il faudrait être fin. Il leur laissait le bénéfice du doute pour le moment… « Mais je ne dormirais que d’un œil maintenant ».

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:38:40

Flinn et Viltis s'étaient installés dans une salle d'attente anonyme, et, à l'exception d'eux, déserte. Ils attendaient depuis une dizaine de minutes, lorsque la silhouette d'un individu encore jeune et timide passa l'encadrement de la gigantesque porte fermant la pièce.
Evan, encore distant d'une bonne dizaine de mètres, s'avançait à leur rencontre. Nul sourire ne s’étalait sur son visage, seulement l'expression d'un homme soucieux de reconnaître ses interlocuteurs. Son regard allait et venait, il scrutait avec une certaine angoisse chacun des individus présents. Lorsqu'enfin, il repéra le couple improbable de l'adolescent frêle et de son protecteur aux proportions gargantuesque, ses épaules s'affaissèrent légèrement. Il se planta devant ses interlocuteurs avec une certaine discrétion, et tendit une main amicale.

— Evan Maversih, cybernaute aedificator.

D'un geste qu'il voulait le plus neutre possible, Flinn secoua la main du nouveau venu.

— Flinn, lieutenant-colonel au service du Saint Ordre des Licteurs, répondit-il d'une voix tiède.
Evan se tourna vers Viltis, lui sourit.
— Et je suppose que tu es ce fameux garçon dont tout le monde a tant parlé, n'est-ce pas ?

L’intéressé hocha la tête.

— Viltis, c'est ça ?
— C'est exact, monsieur...
— Ne m'appelle pas monsieur, s'amusa Evan. Je sais que les grades gonflent souvent l'âge, mais je ne suis pas un vieillard, rassure-moi ...

Viltis nota la remarque, mais il se souvint aussitôt que Flinn le reprenait trop souvent pour ses manquements au protocole de bienséance. Il allait devoir danser d'un pied et de l'autre pour se plier à ces règles qu'il considérait si peu, et le souhait du cybernaute, qu'il dévisageait depuis quelques minutes.

— Inutile de faire traîner notre entrevue, poursuivit Flinn. Installons-nous dans le bureau.

Le cybernaute acquiesça, et le suivit sans un mot. Viltis ferma la marche et la porte du bureau, s'installa sans hâte sur une des nombreuses chaises au style rigide de la pièce. Une impression de rigueur le saisit.

— J'espère, cybernaute Maverish, que vous aurez bien comprit la teneur du message que je vous ai fait passer. Je n'aime pas abuser de méthode si cavalière en temps normal, mais il semble que ce soit justement le temps qui nous fasse défaut.

Evan sourit tout en baissant les yeux, ce qui conféra à son visage un aspect énigmatique, presque cynique.

— J'aurais été stupide de ne pas voir où vous souhaitiez en venir, colonel Flinn, répliqua le jeune homme.
— Voilà qui va simplifier les choses, commenta le Naneyë.
— Ah, et pourquoi donc, colonel ?
— Je n'aurais pas aimer avoir à me servir de la notification officielle du Très Saint Magister...

Evan afficha une moue incertaine, partagé entre respect et désapprobation. Une notification officielle était un privilège rare, un privilège qui s'expliquait sans doute possible par la nature de leur mission. "Il s'est produit quelque chose de grave pour que les hautes autorités se décident à mettre en place de tels procédures" songea le cybernaute. Jusqu'alors, il se lamentait presque du faible crédit apporté aux recherches concernant les artefacts. Les lignes bougeaient, Evan souhaitait simplement qu'elles ne se transforment pas en un labyrinthe inextricable.

— Vous avez emporté avec vous quelques informations utiles ?
— Comme vous me l'aviez demandé, colonel.
— J'apprécie cette perspicacité.

La remarque amusa Evan.

— C'est de ne pas prévoir une telle éventualité qui aurait été anormal, colonel. Je ne sais pas ce qui vous a été communiqué à propos des artefacts, mais je suppose que vos notions sur le sujet restent quelque peu ... lacunaires.
— Hélas, vous avez raison, cybernaute.

Flinn tenta de trouver une position confortable malgré l'étroitesse de son assise, tandis qu'Evan sortait de l'une des poches de la cape qui le couvrait un disque de verre. Il inséra l'objet dans un projecteur, une myriade de données brutes s’étala sur l'un des murs de la pièce, tandis que de nombreux schémas voletaient dans l'air conditionné. Le jeune homme pointa d'un doigt sûr un objet brillant, reproduit avec soin, dont chaque détail semblait souligné par un savant assemblage de fausses couleurs.

— Ceci est un modèle standard d'artefact, déclara Evan. Tout le monde semble avoir pris l'habitude de les appeler des cubes. C'est une synecdoque parfaitement logique, qui simplifie et fait disparaître une partie du problème de ses objets. Malheureusement, cette simplification ne laisse pas supposer la complexité de ces ouvrages.
— Nous savons qu'ils sont artificiels, intervint Flinn. Cela ne fait aucun doute.
— Le cube est un solide naturel courant, que l'on retrouve notamment au niveau des structures cristallines. En revanche, à l'échelle des artefacts, il devient bien plus rare. Tellement rare qu'il est admis que l'immense masse des cubes parfaits — tel que celui qu'affiche le projecteur — ne sont le fait que d'une civilisation possédant un minimum de savoir en géométrie. Une espèce intelligente en sera donc à l'origine, ce qui tend à prouver l'aspect artificiel du cube, ne serait-ce que par son apparence globale.
— Pardonnez-moi d'être abrupt, cybernaute, mais nous savons tout cela.

Evan hocha la tête, mais sa position ne bougea pas d'un iota.

— Je comprends très bien, colonel. Cependant, revenir sur ces prérequis me permet de bien vous faire comprendre l'aspect énigmatique des artefacts. Outre leur aspect, ces objets possèdent en eux des qualités que nous n'avons retrouvées nulle part ailleurs.
— Dégagement de chaleur et rayonnement à faible longueur d'onde ? demanda Flinn.
— Exactement. Certes, tout ceci s'effectuait dans des proportions relativement modeste. Il n'en reste pas moins qu'une telle observation signe une radioactivité réelle. Tout nous porte à supposer que cet ensemble de phénomènes que nous observons est la conséquence d'une fusion nucléaire à très petite échelle.
— De la fusion nucléaire ? Dans un aussi petit espace ?
— La fission serait trop gourmande en matière première. Rappelez-vous que les cubes ont été trouvé à des profondeurs significative, suggérant qu'ils séjournaient en terre depuis quelques dizaines voire centaines de milliers d'années. Sur une telle période, la stabilité d'un processus de fusion se justifie si de tels objets doivent faire usage de mécanisme mécanique ou, plus sûrement, électronique.
— L'activité radioactive supposée...
— Effective, colonel, corrigea le cybernaute. Elle a pu être mesurée sur Terre.
— L'activité radioactive effective seule peut-elle nous orienter à penser que l'objet est le fruit d'une civilisation visiblement très avancée ?
— Cela suffirait, en effet.
— Dans ce cas, à quoi serviraient les gravures étudiées sur les cubes ?

Evan haussa les épaules.

— Encore des hypothèses, colonel. Explications sur le fonctionnement des artefacts ? Mises en gardes ? Textes sacrées ? Ou, plus simplement, art abstrait ?
— Il doit bien y avoir certaines pistes que vous considérez comme plus plausibles, non ?
— En effet. Les notions d'art et de spiritualité lié à un objet aussi complexe seraient une véritable gageure. La construction et le maintien des artefacts sur une telle temporalité ne justifieraient pas — à l'échelle d'une logique économique viable — leur existence. Reste l'aspect scientifique. Archives ? Expérience ? Balise ? La liste des applications possibles est longue. Personne ne s'avancerait à annoncer une réponse définitive... Mais pour ma part, je suis convaincu que les artefacts sont le résultat d'une expérience en dormance.

Bien que Flinn hocha la tête, il admit difficilement le propos du cybernaute. Le résultat d'une expérience ? Et quel genre d'expérience ?

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:41:02

— Ce sont des pistes intéressantes, reprit le lieutenant-colonel.
— J'ai largement simplifié les notions dont je vous fais part.
— Bien évidemment.

La projection s'évanouit. Evan, dont le regard n'avait cessé de se promener sur les détails techniques de son sujet d'études, se posa avec franchise sur le visage du Naneyë.

— Colonel, reprit-il, je préfère que nous jouions cartes sur table.
— Je ne comprends pas, répondit Flinn en haussant un sourcil.
— Il s'est produit avec les artefacts un événement que j'ignore. Un événement qui motive toute cette expédition.

Evan détailla Viltis, qui se tassa sur sa chaise.

— La présence du garçon me laisse à penser qu'il n'est plus possible de manipuler les artefacts de manière directe.

Le cybernaute se tût. La joute de leur regard s'éternisa de longues secondes. L'un assis et l'autre debout, aucun ne voulait céder la moindre part de son territoire de pouvoir. Tous deux étaient trop conscient des enjeux qui se précisaient derrière l'ombre des artefacts et de leur part inconnue. Chacun attendait de l'autre un rôle dans lequel il ne se glissait pas. Tous deux, enfin, souhaitait ne pas perdre la face. La politesse constituait un masque habile qui ne glissait pas de leurs visages. Le temps arbitrait, impavide, jusqu'à ce que la faille apparaisse d'un côté, et que la retraite du perdant ne soit plus une option discutable.

Flinn soupira, baissa les yeux.

— Tout ce qui vous serra révélé sera soumis à une stricte clause de confidentialité, cybernaute. Que la moindre information sorte de cette pièce sans mon consentement, et je vous promets que vos études et vos projets seront d'agréables souvenirs.
Silencieux, Evan secoua la tête. Il avait gagné.
— Le colonel Mac Mordan a été confronté à un incident grave lors de la récupération de deux artefacts dans le système de Delta Pegasi. J'ignore les détails de ces derniers, mais je suis certain d'une chose : les artefacts ont littéralement fait fondre l'abri où ils reposaient.

Evan blêmit.

— Faire ... fondre un abri ?
— Les parois se sont affaissés comme une mauvaise guimauve. Le point de fusion des matériaux de l'abri approchant celui de certains métaux, je vous laisse imaginer le dégagement de chaleur nécessaire à un tel "exploit"...

Des chiffres se bousculèrent dans l'esprit du cybernaute. Il n'osa imaginer la quantité d'énergie mise en jeu à l’intérieur des artefacts.

— Où sont-ils à l'heure actuelle ?
— En route vers la Terre. Le message du Colonel Mac Mordan ayant subi les contraintes temporelles liés au voyage transpatial, il n'a été connu des autorités que plusieurs jours après son émission.
— Ils n'ont pas été observé ?
— Aucun, répéta Flinn. Personne sur place n'était en mesure d'effectuer des analyses approfondies.

Réponse logique, songea Evan. Avant cet incident, les cubes ne constituaient pas de réelle menace. Ceux entreposés à quelques distances de Civimundi l'étaient sans soins particuliers. Brusquement, le cybernaute s'inquiéta.

— Qu'en est-il des artefacts déjà arrivés sur Terre ?
— Ils sont en cours de transfert vers des zones de stockages spatiaux.
— Pourquoi ne pas les avoir mis sous apesanteur artificielle ?
— Le risque d'une rupture d'alimentation énergétique serait trop grand et les conséquences seraient trop imprévisibles pour qu'une telle mesure soit envisagée.

"Décidément, ils ont tout prévu", nota le cybernaute. En revanche, il fut surpris qu'à aucun moment, le laboratoire n'ait été sollicité pour de telles questions. Cherchait-on à les évincer du projet ? Plus secrètement encore, le major Antelli s'était-il retrouvé sur une liste de traître potentiel ? La réponse du lieutenant-colonel soulevait beaucoup trop de question au goût du jeune homme. Avant de sombrer dans le bain de ses propres doutes, il se raccrocha à une réalité pragmatique, bien concrète.

— Si tout a été fait pour sécuriser les artefacts, pourquoi avoir besoin de moi, colonel ?

Flinn haussa un sourcil.

— Vous ne voyez vraiment pas ?
— Vous informer sur la nature des artefacts ? demanda Evan.
— Un joli prétexte pour vous avoir avec nous, concéda le Naneyë.

La réponse acheva de déstabiliser le cybernaute.

— Un... Un prétexte ?
— Il serait idiot de croire que nous ne savions rien du petit manège d'Antelli. Il a retenu avec tellement peu d'élégance toute ces informations que nous avons dû biaiser. Oh, bien sûr, je ne me suis pas occupé en personne de rendre son petit stratagème inopérant. Mais vous m'avez bien aidé, cybernaute Maverish.

Evan serra les poings.

— Inutile de vous énerver, poursuivit Flinn. Je sais que vous avez l'impression d'avoir été manipulé. Et très honnêtement, c'est le cas. Mais si j'étais vous, je verrais davantage cette situation comme une occasion de pouvoir confronter vos hypothèses de recherche à la réalité du terrain.
— Le Major Antelli m'envoyait en mission, répliqua d'un ton acide le jeune homme.
— Et, à votre avis, était-ce en toute innocence ?
— Ces missions ont été couronnés de succès.
— Succès pour qui ? Et pour quoi ?

A nouveau, Evan se sentit piégé.

— Il va sans dire, cybernaute, que votre pleine et entière coopération sera pour vous source de privilèges. Le Saint Ordre récompense la loyauté et la fidélité de ses agents.

La remarque fit ricaner Evan.

— Étrange notion de la loyauté que celle d'un indicateur, non ?
— La fin justifie les moyens, tempéra Flinn. Et très honnêtement, le peu d'effort que je vous demande ne devrait pas vous mettre dans un tel état.

"Il a encore raison". Il songea que le major avait largement sous-estimé ceux qu'il souhaitait berner. Avec un certain soulagement, Evan constata qu'il était sans doute plus agréable de se tenir de ce côté du pouvoir. Il avait conscience de trahir une partie de ses idéaux, probablement de sacrifier également le confort illusoire du laboratoire qu'il occupait. Mais il sentait également qu'Antelli n'avait pas tout dit, qu'il fallait mieux subir la certitude d'un pouvoir franc que les doutes ombrageux d'une hypothétique forme de résistance, et d'archaïsme. Le lieutenant-colonel Flinn avait réveillé la fibre progressiste qui sommeillait en lui. Une qualité qu'il avait oubliée sous la férule du major Antelli.

— Et je n'ai pas vraiment mon mot à dire, de toute façon ...
— Vous baissez enfin votre garde, cybernaute ? Voilà un bon choix, ironisa le Naneyë. Alors peut-être pourrons-nous travailler ensemble.
— Il semble que cela soit la seule action possible, colonel.
— Une sage décision, conclut Flinn.

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:41:43

PARTIE III.

6.

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:45:42

Lorsque l'agent de contrôle lui rendit son badge, Flinn ne manqua pas de remarquer la petite étincelle qui luisait dans son regard, à la lueur de l'éclairage blafard du hall d'accueil. Il faisait nuit, mais les puissants projecteurs délivraient une lumière blanche, aseptisé. L'agent maintenait ses yeux à demi clos, gêné par l'éclat éblouissant, ne laissant paraître que deux fentes noires.

— Tout est en ordre, monseigneur.
— Merci, répondit Flinn en récupérant la carte magnétique.

Une nouvelle fois, l'agent le dévisagea, et le Naneyë comprit qu'une certaine admiration avait encouragé ce geste. Il sourit, presque sans volonté, automatisme ciselé par des années de pratiques. Il s'amusa de constater que même ici, parmi les militaires, on ne cessait de le reconnaître. Nul besoin des mots : à présent, il savait lire sur les visages des humains. De la jalousie à l'envie, en passant par la peur et à la colère, chaque trait, chaque ébauche de mouvement de la bouche, des pommettes, du front lui dévoilait sa vérité. Les sentiments n'étaient pas falsifiables. Même pour le plus manipulateur, le plus menteur des hommes, il restait ce soupçon de nervosité, d'agitation qui frémissait loin sous la surface, comme les plis et les replis de l'eau agité par le jet d'une pierre.

Flinn regarda Guilhem. Il ne souriait pas. Il ne prenait même pas la peine d'apparaître aimable. Simplement concentré et crispé, il se tenait droit et digne, vêtu d'une simple cape grise qu'il avait déposé sans soin sur ses épaules. L'espace d'un instant, il aurait voulu interpeller son ancien disciple, pouvoir lui demander ce qui le troublait, mais cela lui apparut impossible. Guilhem aurait à son tour endossé l'image poli et policée d'un homme de société, affable, qui aurait tenté de détourner le sujet de ses craintes et de ses préoccupations. Il ne s'était jamais livré à Flinn. Et après tant d'années sans voir son ancien mentor, il était certain qu'il ne dirait aucun propos dont la densité et la profondeur dépasserait celle d'une flaque d'eau.

« Heureusement, il me reste Viltis », songea-t-il. Le garçon le suivait de près. Lui aussi, engoncé comme ses aînés dans une armure rutilante. Mais, contrairement à eux, il semblait encore prisonnier d'une certaine naïveté, dans son attitude, ses traits encore juvéniles, son regard curieux et ouvert à tout. Flinn se plaignait régulièrement de son attitude déplacée, sans retenue, trop humaine. Viltis était étranger à l’éthique et à l'étiquette. Cruel comme un enfant pouvait l'être, sans arrière-pensée, sans jugement, simple acteur de ses actions. Il s'opposait, par son caractère, à toute l'intelligence et à la réflexion profonde de Guilhem. Et pour cet aspect, il demeurait un parfait outil : manipulable, souple, exigeant, sans souci de plaire. Flinn entendait conserver le plus longtemps possible cette plasticité, pour le constituer en faire-valoir. Les capacités de Viltis restaient des atouts de choix pour lui ouvrir un accès privilégié aux plus hautes instances du pouvoir.

— La navette décollera dans combien de temps ? Demanda Guilhem.
— Une heure, tout au plus, assura Flinn. Pourquoi cette question ? Tu ne peux pas consulter le Rezo ? Les informations doivent normalement circuler... J'ai fait le nécessaire pour t’accréditer en tant que membre de plein droit dans mon escouade.
— Moi non plus, je ne comprends pas, mentit Guilhem. Peut-être un mauvais réglage...

Flinn le dévisagea sans aménité.

— Jouons carte sur table. Tu me caches quelque chose.
— Moi ?
— Oui, toi, Guilhem. Et j'aimerai bien régler ce problème avant que nous ne quittions la Terre. Nous allons devoir travailler ensemble quelques temps. Peut-être plusieurs mois. Alors, si tu as quelques griefs à formuler, c'est le moment.

Guilhem fit mine de soupirer.

— Vous voulez vraiment tout savoir ?
— Naturellement.
— Dans ce cas, suivez-moi.
— Il n'y a personne qui puisse...
— Suivez-moi, coupa Guilhem. Les actes valent souvent mieux que les paroles. Voilà un de vos enseignements que j'ai bien retenus.
— Viltis...
— Viens avec nous. Inutile de nous séparer.
— Ah, car maintenant, tu le considères comme un individu de plein droit ? Ricana Flinn. Que se passe-t-il, Guilhem ? Tu prépares une révolution ?

Le jeune homme choisit de garder le silence. Il aurait rêvé de répondre vertement à son ancien mentor. Ce n'était pas le moment. Pas encore.

Sans ajouter un mot de plus, il se dirigea vers l'extérieur du bâtiment d’accueil du spatioport. Il enfila une allée qui longeait plusieurs hangars grimés de rouilles. Du sable crissait sous ses pas, tandis que sa longue foulée l'emmenait vers une construction rectangulaire, peinte en blanc et rouge, aux fenêtres quelconques. Aucun panneau n'annonçait sa fonction. Flinn fronça un sourcil, suspicieux.

— Il ne reste plus qu'une heure avant le départ, Guilhem.
— Nous aurons largement le temps.

L'adjudant s'engouffra à l'intérieur, sans attendre son ancien mentor. Flinn lui emboîta le pas. Un frisson lui parcourut l'échine, sous sa lourde carapace, lorsque la porte claqua derrière lui. Il sentit Viltis se serrer contre lui, lorsqu'il constata que cinq longs fusils d'assaut pointaient leurs gueules macabres vers son visage.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:48:44

— Baissez vos armes, elles ne vous serviront à rien. Il vous tuerait avant que vous n'ayez bougé le petit doigt.

Les soldats obéirent. La voix reprit.

— Maintenant, laissez-nous. Contentez-vous de surveiller le périmètre extérieur.
— Mais, major...
— Pas de discussion.
— Bien, major.

Dans la pièce, il ne resta plus que Flinn, Viltis à ses côtés, Guilhem les regardant d'un coin, et la figure austère du colonel Cyrill Beik, assis face à eux, les mains croisées.

— Flinn.
— Mon colonel.
— Je constate que l'adjudant De Choire a pu te guider sans difficultés jusqu'ici. C'est une très bonne chose.
— Si seulement j'avais su...
— Qu'il travaillait avec moi depuis son retour sur Terre ? Non, cela n'en aurait que gâché la surprise de cette rencontre.
— C'est le garçon qui vous intéresse ?
— Viltis ne me concerne pas. Il ne m'intéresse pas non plus. Avec tout le respect que je lui dois, il n'a pas plus de valeur qu'une bête de foire.

Viltis lança un regard plein de haine vers le vieil homme, qui ne lui rendit qu'un sourire mielleux, sardonique.

— Alors pourquoi cette mascarade, mon colonel ?
— Gregor nous a tous aimablement roulé dans la farine. Il devait abandonner son titre de Commandus Magnus, lorsque la transition serait terminée. Il n'a rien fait dans ce sens. Aussi, avant de voir la vérité triompher, je préfère m'enfuir et le laisse dépérir dans son mensonge. Contrairement à lui, je ne me salirai pas les mains davantage.

— Et je suppose que vous espériez que je vienne, n'est-ce pas ?
— Tu es trop honnête et trop brillant pour rester ici, dans le mensonge. Regarde Guilhem. Il a accepté les pires horreurs au nom des manœuvres politiques de Gregor. Il a décidé de ne plus tremper dedans. Ce qui tombait très bien, j'en conviens...
— Et si jamais je refusais ?
— Ce serait une perte terrible pour la Sainte Cléricature. Devoir tuer un élément aussi noble, aussi droit et aussi désintéressé que toi me hanterait pour le reste de mes jours... J'y arriverai sans trop de difficultés techniques. Oh, je sais que tu ne te laisseras pas faire, et, personnellement, je ne pourrais pas m'en charger. Mais Guilhem, lui dont les talents de bretteurs me surpassent allègrement, s'en occupera le cas échéant.

Un frisson se glissa sur l'échine de Flinn. Beik avait débité son discours avec la plus grande simplicité. Et, comme d'entendu, il ne bluffait pas. L'officier voyait se refermer sur lui un étau invincible, et il devait agir au plus vite.

— Mon colonel, votre petite trahison...
— Ce n'est pas une trahison dans l'idée.
— Mais dans la forme, si. Votre petite trahison, je la connais depuis un certain temps.
— Ah, vraiment ?
— Un message du comité de Vilnius. Il y a quatre ans.
— Quand tu as récupéré Viltis.
— Le Major Eivit l'avait rédigé en personne. Inutile de vous dire ce qui est advenu de lui, vous le savez déjà.

Guilhem lança un regard mauvais vers son ancien mentor. Flinn ne broncha pas, et reprit.

— Depuis combien de temps avez-vous décidé de destituer le Commandus Magnus ? Je ne suis pas sûr que le seul suicide assisté de Feu le Très Saint Magister Oddarick en soi la seule cause, n'est-ce pas ? Gregor Mac Mordan vous a toujours damé le pion. Quand il a succédé à Keller. Quand il a imposé sa lignée à la tête de la Confédération. Ce n'était que de la logique, une logique politique et ignoble certes, mais de la simple logique. Il a « assoupli » ses principes pour gagner ce jeu de dame, et vous, vous avez dû vous contenter des miettes.
— Je suis né et j'ai grandi avec des principes qu'il ne connaît même pas, gronda Beik. Il n'était qu'un converti. Un de plus. Peut-être est-il né de Marcus Standberg, peut-être avait-il la même ascendance que feu Oddarick et Kristian. Mais il a sali le nom de la Confédération. Sa foi est impure.
— Il a quand même été nommé Noble Clerc. Il a nettoyé la Confédération de tous les nids de dissidence.
— Pour mieux endormir le peuple et les élites.
— Cyrill, regardez la vérité en face. Vous jalousez et vous enviez son œuvre.

Beik se contenta d'afficher une grimace amère.

— Son seul défaut est d'avoir été un rebelle.
— Vous ne pouviez pas le supporter.
— Il n'aurait jamais dû accéder à ce rang-là. Nous avons nous-même donné les clefs de notre perte à cet... homme-là.
— Vous le fuyez avant qu'il ne vous détruise.
— Il ne sait pas ce qu'est la Vraie Foi.
— Prouvez le.
— Le Dieu-Machine n'est pas l'idéal qu'il poursuit.
— C'est impossible de le démontrer. Dans un sens comme dans un autre. Nous spéculons. VOUS spéculez, mon colonel. La seule conclusion à en tirer, c'est que vous êtes fait du même bois que lui. Mais que contrairement à lui, vous n'avez pas été choisi par le Dieu-Machine pour gouverner le monde des Hommes. Que l'évolution de la société vous dépasse. Que vous ne pouvez que remettre en cause un modèle que vous ne comprenez pas. Mais, au lieu de partir seul et de vous retirer loin de cette agitation, vous préférez emmener avec vous la fine fleur des intégristes — dont vous faites partie, malgré tous les beaux discours flatteurs et progressistes que l'on a pu mettre à votre crédit — et vous espérez recréer un nouvel ordre inquisitorial, sur un autre monde, pour accomplir vos rêves de dévotions et de militarisme ? Et vous pensez, de manière parfaitement sérieuse, que je vais suivre, perdre tout le confort que j'ai accumulé pendant ces années, pour un but que moi-même je ne poursuis pas de la même façon ?
— Alors... Toi aussi, tu le défends, murmura Beik, défait.
— Je comprends sa façon d'agir. Je ne la cautionne pas, mais je ne peux que la comprendre. Il a pris des décisions douloureuses...
— Et je l'ai soutenu. Au-delà de tout ce que tu peux imaginer.
— Vous l'avez couvert quand il portait Socrate en lui. Vous auriez dû le dénoncer. Vous ne l'avez pas fait, par amour et par esprit de dette. Après tout, il vous a sauvé la vie, n'est-ce pas ?
— Comment sais-tu...
— Un magicien ne révèle pas ses secrets, mon colonel. Un politicien non plus.
— Alors tu suis ses pas ?
— Il était mon maître. Vous ne pouvez pas imaginer les liens qui nous unissent. C'est lui qui m'a apporté un modèle à suivre. Un modèle pragmatique.
— Mais sans vergogne. Sans foi. Moi qui te pensais si pieux, Flinn...
— Une vertu que je ne possède pas à votre niveau. Ni à celui de Guilhem. Et j'en suis bien navré.
— Pas autant que moi, je le crains.
— J'ai choisi mon camp. Depuis longtemps, mon colonel.
— Cesse d'user de ce titre ridicule...
— Si même cela n'a plus de valeur à vos yeux, mon colonel, effectivement, il vous convient de partir d'ici.

Un lourd silence figea la scène. Bras croisés, le colonel Beik attendit de longues secondes. Il fixa d'un regard pesant Guilhem, qui hocha la tête, et fit un pas en avant.

— Si je ne peux pas t'avoir par les arguments rhétoriques, Flinn, je crains de devoir employer des méthodes plus... coercitives. Adjudant ?
— Oui, mon colonel ? Questionna Guilhem.
— Adjudant, abattez l'enfant.
— Avec plaisir, mon colonel.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:54:17

— Baissez vos armes, elles ne vous serviront à rien. Il vous tuerait avant que vous n'ayez bougé le petit doigt.

Les soldats obéirent. La voix reprit.

— Maintenant, laissez-nous. Contentez-vous de surveiller le périmètre extérieur.
— Mais, major...
— Pas de discussion.
— Bien, major.

Dans la pièce, il ne resta plus que Flinn, Viltis à ses côtés, Guilhem les regardant d'un coin, et la figure austère du colonel Cyrill Beik, assis face à eux, les mains croisées.

— Flinn.
— Mon colonel.
— Je constate que l'adjudant De Choire a pu te guider sans difficultés jusqu'ici. C'est une très bonne chose.
— Si seulement j'avais su...
— Qu'il travaillait avec moi depuis son retour sur Terre ? Non, cela n'en aurait que gâché la surprise de cette rencontre.
— C'est le garçon qui vous intéresse ?
— Viltis ne me concerne pas. Il ne m'intéresse pas non plus. Avec tout le respect que je lui dois, il n'a pas plus de valeur qu'une bête de foire.

Viltis lança un regard plein de haine vers le vieil homme, qui ne lui rendit qu'un sourire mielleux, sardonique.

— Alors pourquoi cette mascarade, mon colonel ?
— Gregor nous a tous aimablement roulé dans la farine. Il devait abandonner son titre de Commandus Magnus, lorsque la transition serait terminée. Il n'a rien fait dans ce sens. Aussi, avant de voir la vérité triompher, je préfère m'enfuir et le laisse dépérir dans son mensonge. Contrairement à lui, je ne me salirai pas les mains davantage.
— Et je suppose que vous espériez que je vienne, n'est-ce pas ?
— Tu es trop honnête et trop brillant pour rester ici, dans le mensonge. Regarde Guilhem. Il a accepté les pires horreurs au nom des manœuvres politiques de Gregor. Il a décidé de ne plus tremper dedans. Ce qui tombait très bien, j'en conviens...
— Et si jamais je refusais ?
— Ce serait une perte terrible pour la Sainte Cléricature. Devoir tuer un élément aussi noble, aussi droit et aussi désintéressé que toi me hanterait pour le reste de mes jours... J'y arriverai sans trop de difficultés techniques. Oh, je sais que tu ne te laisseras pas faire, et, personnellement, je ne pourrais pas m'en charger. Mais Guilhem, lui dont les talents de bretteurs me surpassent allègrement, s'en occupera le cas échéant.

Un frisson se glissa sur l'échine de Flinn. Beik avait débité son discours avec la plus grande simplicité. Et, comme d'entendu, il ne bluffait pas. L'officier voyait se refermer sur lui un étau invincible, et il devait agir au plus vite.

— Mon colonel, votre petite trahison...
— Ce n'est pas une trahison dans l'idée.
— Mais dans la forme, si. Votre petite trahison, je la connais depuis un certain temps.
— Ah, vraiment ?
— Un message du comité de Vilnius. Il y a quatre ans.
— Quand tu as récupéré Viltis.
— Le Major Eivit l'avait rédigé en personne. Inutile de vous dire ce qui est advenu de lui, vous le savez déjà.

Guilhem lança un regard mauvais vers son ancien mentor. Flinn ne broncha pas, et reprit.

— Depuis combien de temps avez-vous décidé de destituer le Commandus Magnus ? Je ne suis pas sûr que le seul suicide assisté de Feu le Très Saint Magister Oddarick en soi la seule cause, n'est-ce pas ? Gregor Mac Mordan vous a toujours damé le pion. Quand il a succédé à Keller. Quand il a imposé sa lignée à la tête de la Confédération. Ce n'était que de la logique, une logique politique et ignoble certes, mais de la simple logique. Il a « assoupli » ses principes pour gagner ce jeu de dame, et vous, vous avez dû vous contenter des miettes.
— Je suis né et j'ai grandi avec des principes qu'il ne connaît même pas, gronda Beik. Il n'était qu'un converti. Un de plus. Peut-être est-il né de Marcus Standberg, peut-être avait-il la même ascendance que feu Oddarick et Kristian. Mais il a sali le nom de la Confédération. Sa foi est impure.
— Il a quand même été nommé Noble Clerc. Il a nettoyé la Confédération de tous les nids de dissidence.
— Pour mieux endormir le peuple et les élites.
— Cyrill, regardez la vérité en face. Vous jalousez et vous enviez son œuvre.

Beik se contenta d'afficher une grimace amère.

— Son seul défaut est d'avoir été un rebelle.
— Vous ne pouviez pas le supporter.
— Il n'aurait jamais dû accéder à ce rang-là. Nous avons nous-même donné les clefs de notre perte à cet... homme-là.
— Vous le fuyez avant qu'il ne vous détruise.
— Il ne sait pas ce qu'est la Vraie Foi.
— Prouvez le.
— Le Dieu-Machine n'est pas l'idéal qu'il poursuit.
— C'est impossible de le démontrer. Dans un sens comme dans un autre. Nous spéculons. VOUS spéculez, mon colonel. La seule conclusion à en tirer, c'est que vous êtes fait du même bois que lui. Mais que contrairement à lui, vous n'avez pas été choisi par le Dieu-Machine pour gouverner le monde des Hommes. Que l'évolution de la société vous dépasse. Que vous ne pouvez que remettre en cause un modèle que vous ne comprenez pas. Mais, au lieu de partir seul et de vous retirer loin de cette agitation, vous préférez emmener avec vous la fine fleur des intégristes — dont vous faites partie, malgré tous les beaux discours flatteurs et progressistes que l'on a pu mettre à votre crédit — et vous espérez recréer un nouvel ordre inquisitorial, sur un autre monde, pour accomplir vos rêves de dévotions et de militarisme ? Et vous pensez, de manière parfaitement sérieuse, que je vais suivre, perdre tout le confort que j'ai accumulé pendant ces années, pour un but que moi-même je ne poursuis pas de la même façon ?
— Alors... Toi aussi, tu le défends, murmura Beik, défait.
— Je comprends sa façon d'agir. Je ne la cautionne pas, mais je ne peux que la comprendre. Il a pris des décisions douloureuses...
— Et je l'ai soutenu. Au-delà de tout ce que tu peux imaginer.
— Vous l'avez couvert quand il portait Socrate en lui. Vous auriez dû le dénoncer. Vous ne l'avez pas fait, par amour et par esprit de dette. Après tout, il vous a sauvé la vie, n'est-ce pas ?
— Comment sais-tu...
— Un magicien ne révèle pas ses secrets, mon colonel. Un politicien non plus.
— Alors tu suis ses pas ?
— Il était mon maître. Vous ne pouvez pas imaginer les liens qui nous unissent. C'est lui qui m'a apporté un modèle à suivre. Un modèle pragmatique.
— Mais sans vergogne. Sans foi. Moi qui te pensais si pieux, Flinn...
— Une vertu que je ne possède pas à votre niveau. Ni à celui de Guilhem. Et j'en suis bien navré.
— Pas autant que moi, je le crains.
— J'ai choisi mon camp. Depuis longtemps, mon colonel.
— Cesse d'user de ce titre ridicule...
— Si même cela n'a plus de valeur à vos yeux, mon colonel, effectivement, il vous convient de partir d'ici.

Un lourd silence figea la scène. Bras croisés, le colonel Beik attendit de longues secondes. Il fixa d'un regard pesant Guilhem, qui hocha la tête, et fit un pas en avant.

— Si je ne peux pas t'avoir par les arguments rhétoriques, Flinn, je crains de devoir employer des méthodes plus... coercitives. Adjudant ?
— Oui, mon colonel ? Questionna Guilhem.
— Adjudant, abattez l'enfant.
— Avec plaisir, mon colonel.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:55:28

Un autre pas. Flinn fit surgir dans sa main un sabre ionique. Une lueur bleuté, ténue et maladive, s'agita devant son nez.

— Ne fais pas ça, Guilhem.
— Ah oui ?
— Cela me coûterait de devoir te tuer.
— Et moi cela ne me poserait aucun problème.

Un sabre surgit à son tour dans la main droite de l'adjudant. La même lueur donnait à son visage des traits fantomatiques et irréels.

— Il est doué, Guilhem. Bien plus que tu ne peux l'imaginer.
— Et c'est pour cela que c’est une menace que je me dois d'éliminer.
— Tu es simplement jaloux.

Guilhem sourit, avant de répondre.

— Ce serait me réduire à un capricieux sans cervelle, colonel. Ce serait oublier que je peux avoir des ambitions propres. Oh, bien sûr, je ne pense pas être à même de vous pardonner.
— Tu avais une mission. Tu avais fauté.
— Une question d'honneur. Vous ne pouviez pas comprendre.
— Je t'ai défendu, et tu le sais très bien.
— Vous m'avez défendu pour mieux vous servir de moi. Vous avez fait de moi une arme, pour détruire tous ceux qui s'opposaient au pouvoir central et à ses dérives. Je n'étais pas d'accord avec cette idée de lutte fratricide, je n'avais pas mon mot à dire. Je ne l'ai fait que pour sauver ma vie mais, j'aurais toujours ce sentiment d'avoir tué des frères. Alors, n'espérez pas jouer avec moi une autre fois le couplet du « tu ne pouvais pas vivre sans moi ». Vous savez que c'est faux, colonel Flinn.
— Eh bien, je vois que le colonel Beik t'as aimablement formaté avec ses idées douteuses.
— Vous ne me connaissez pas. Vous n'avez pas idée de ce qui me tient debout sur cette Terre. Le Colonel Beik m'a offert un asile et des promesses. Vous, vous m'avez sauvé la vie, pour mieux me délaisser lorsque vous avez trouvé un nouveau jouet. Mais je me répète.
— Je te connais mieux que tu ne le penses, Guilhem... Je vois parfaitement ce qui te tient : la vengeance, le désir de reconnaissance, et un rêve de gloire. Si ce n'était ton don, Guilhem, tu ne serais qu'un jeune noble très banal.
— Tout cela restera vain, colonel. Acceptez que je vous échappe. Votre mort n'en sera que plus douce.
— Cela me donne une raison supplémentaire de penser que tu n'étais pas le bon, Guilhem. Viltis, recule-toi.

Le garçon se serra contre un mur. Flinn se mit en position de garde, et attendit.

— Je ne verserai pas le premier sang, Guilhem.
— Alors je m'en chargerai avec plaisir.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:57:14

Les deux adversaires se firent face, tournant sur la ligne d'un cercle imaginaire. Le regard fixé sur l'autre, les pieds écartés, le sabre au clair, vomissant sa lueur de mort, Flinn et Guilhem ne voulaient qu'une chose : que l'autre esquisse le premier geste, donne la première ouverture, pour l'achever d'un seul coup. Aucun d'eux ne prendrait le risque de faire durer le combat. Mater l'ennemi une seule fois, ne pas lui donner l'occasion de se relever, et enfin lui faire payer la haine accumulée par des années de malentendus.

Guilhem fendit l'air au son d'un cri de rage, son arme au-dessus de la tête. Avec une violence brute, il l’abattit sur Flinn, qui plongea sur le côté et se réceptionna sans grâce.

— Est-ce là tout ce dont vous êtes capables, colonel ? Vous vieillissez.

Flinn garda le silence, se redressa, et à nouveau se mit en position d'attente. Un sourire mauvais barrait le visage de Guilhem. Position d'attente, marche sans bruit, et encore une fois, une attaque sans discrétion, sans grâce, une violence totale qui fit vibrer l'air. Flinn se retrouva au sol, retourné comme un vulgaire sac, la gueule en sang.

— Je vous l'avais dit, colonel. Vous allez mourir.
— Attends donc que je vienne m'occuper de ton cas, Guilhem.
— Vous êtes blessé, colonel. Rendez-vous, et je saurai me montrer magnanime.

Flinn se jeta sans attendre vers son ancien apprenti, sans que l'œil ne perçoive de transition entre sa position de départ et celle d'arrivée. Son sabre ionique se planta dans le pied bionique du jeune officier, qui n'esquissa pas une grimace, mais afficha une certaine surprise. Par réflexe, Guilhem guida sans ménagement sa lame jusqu'à Flinn, mais il avait déjà disparu.

— Joli numéro, colonel.
— Arrête toi tant que tu peux, Guilhem.
— Vous ne pourrez pas fermer les yeux sur ce combat. Vous savez très bien que c'est trop tard.
— Cela t'arrange de croire ça. Crois le si tu veux. Mais quand je te ramènerai au Palais, j'espère que tu te montreras moins ingrat.
— Il n'y a aucun retour possible, colonel. Nous réglerons définitivement la question ici. Et si vous voulez gagner, vous devrez laver vos mains dans mon sang.
— Cruelle métaphore.

Guilhem revint attaquer, au plus près de Flinn. Son arme transperça le bras gauche du Naneyë, qui grimaça de douleur. Le jeune homme poussa un cri de victoire, mais ne vit pas la lame de son ennemi plonger sur sa cuisse droite. Une gerbe d'étincelle vola, et il recula, embarrassé.

— Vous voulez me blesser.
— Pour t'immobiliser.
— Il en faudra plus.

Flinn repartit à la charge. Il décida, cette fois, qu'il devrait être décisif. Guilhem avait peut-être le privilège de son corps de cyborg, sa rapidité et sa force, mais pas l'expérience du maniement fin et précis d'un sabre, modelé par des années d'exercice. Aussi, quand Flinn plongea à nouveau vers ses jambes, Guilhem esquiva, pensant éviter une attaque identique à la première. Il constata, trop tard, que ce n'était alors qu'une feinte, presque grossière, et s'en sortit de justesse. La lame frôla son pied droit, par un mouvement complexe en biseau. Il se jura de ne plus se laisser surprendre.

Une violente secousse le déséquilibra. Sa jambe droite se déroba sous lui, il s'écroula. Flinn le frôla, en plein élan. Sans que Guilhem ne comprenne ni comment, ni pourquoi, il lança un coup puissant, qui arracha au géant son bras gauche. Un sang foncé gicla sur les corps recouverts de métal. Le Naneyë se releva, tandis que le sang se tarissait, la plaie garrottée par sa propre armure. Flinn ne ressentait que l'ombre d'une douleur, une gêne curieuse et lourde, électrique qui le laissait surpris. Son apprenti lui avait tranché le bras. L'information l'inonda, fleuve en crue qui l’assomma presque. Et lorsqu'il reprit conscience de la gravité de la situation, sa propre voix lui paraissait lointaine, étrangère.

— C'est la fin, Guilhem.
— Achevez-moi, au lieu de parler, je ne me rendrai pas.

La voix de Beik surgit du néant.

— Achève-le, Flinn. Il ne pourra plus rien faire contre toi.
— Pourquoi me demander cela, colonel Beik ?
— A ton avis ?

Flinn n'avait détourné son regard qu’un instant. Il comprit son erreur. Il baissa son regard vers le sol, les yeux brûlés de larme. La douleur, cette fois, le submergea complètement. La vague charriait du fond de son âme la matière la plus noire, la plus infecte et la plus ignoble qu'il n'eut jamais goûté. Sa vision tremblait, rougie, et il sentit son corps chuter lourdement. Il tenta de ne pas voir, d'ignorer ce qui s'imposait à son esprit, en vain. Ses jambes tranchées reposaient face à lui. A terre, Flinn ne pouvait que contempler l'horreur de se savoir ridiculement raccourci, presque vaincu tandis que Guilhem, à côté de lui, tentait de se redresser.

— Erreur stupide, colonel.
— Traître, siffla Flinn.
— Vous avez perdu. Je vous avais prévenu, colonel.
— Laisse-moi donc te donner une dernière leçon.

Le sabre dans la main de Flinn se rétracta. Il fixait le plafond, le regard embué. Il essayait encore de comprendre comment la faute qu'il avait commise s'était produite. Pourquoi n'avait-il pas été plus vigilant ? Une pensée perverse le traversa. Non... « Jamais je ne permettrai de laisser Guilhem... ». La pensée s'évanouit. Il ne pouvait pas se laisser mourir pour le garçon. Même si Guilhem avait raison sur bien des points, il ne le laisserait pas vaincre. Il allait devoir le tuer, pour de bon.

— Guilhem, je me rends, prononça-t-il simplement.
— La ruse est trop grossière, colonel.
— Et que voudrais-tu que je fasse d'autre ? Je n'irai pas bien loin...

Le remarque fit sourire Guilhem. Un sourire de victoire.

— Tout à fait juste, colonel.

Guilhem se traîna comme il put jusqu'à la silhouette ridiculement raccourci de son ancien mentor. Du sang s'était répandu au sol. Une odeur poisseuse le prit à la gorge.

— Sois clément, Guilhem... Je me suis trompé sur toute la ligne.
— Trop simple, colonel. Trop vulgaire.
— Je tiens à la vie.
— Et moi je tiens à vous l'ôter.

Guilhem dressa son sabre au-dessus de sa tête. Sûr de sa victoire. Il ne vit pas la main droite du Naneyë. Il ne comprit pas que l'éclat de lumière, un instant avant de mourir, n'était que le reflet de sa propre vanité, de son audace et de son tragique oubli. Le sabre de Flinn se réactiva au moment même où il tenait comme acquise sa double victoire, celle de son émancipation et de la défaite de son ennemi.

L'éclat ionique transperça la boite crânienne du jeune officier sans la faire éclater. Un bruit terrifiant de chair brûlée résonna dans les oreilles de Flinn. Un bruit qu'il ne pourrait jamais oublier. Mais plus que le son sinistre qui signait la mort de son apprenti déchu, ce fut la disparition de l'âme, de la présence, qui le transperça aussi bien que son propre sabre. Aussi fugace qu'une bougie qui s'éteint, la présence qu'il avait ressenti la première fois dans une grotte, plongé dans un monde lointain, cette présence cessa simplement d'être au monde. Ni déchirure, ni départ. Simple absence qui pesa d'un poids insupportable sur ses épaules, l'espace d'une seconde.

Tout était terminé.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 11:59:09

Beik secoua la tête.

— Quel gâchis …

Flinn le fixa, sans un mot, les mâchoires serrées de douleur. Il sentait l'odeur du sang glisser sur son visage. Une odeur chaude et âpre, qui le répugnait et lui apportait le sentiment douloureux de finir son existence ainsi. Il sentait aussi le parfum suave et corrompu de l'intelligence. Plus il regardait Beik, plus il respirait les effluves écœurants, et plus il s'attendait à le voir sourire.
Ce qu'il ne manqua pas de faire.

— Quel gâchis, Flinn. Tuer ton propre apprenti pour des intérêts individuels.
— Il n'y a pas d’intérêts de groupe ici. Il n'y en a jamais eu, grogna le Naneyë d'une voix rauque.
— Il aurait été plus simple d'envisager l'avenir sans passer par la mort de l'un de vous deux. Il suffisait que tu acceptes, et je t'aurais fait venir avec moi. Tu n'aurais même pas eu de comptes à rendre. Ta loyauté aurait été ta plus belle assurance. Mais non. Il a fallu que tu cèdes à un petit caprice d'aristocrate. Que tu choisisses le camp du déshonneur plutôt que celui de la clairvoyance.
— Guilhem m'aurait tué bien assez tôt.
— J'en suis conscient.
— Et vous l'auriez laissé faire ?
— Impossible de le dire. Ce garçon était un être exceptionnel, un génie. Il aurait très bien pu succéder au Très Saint Magister Siegfried.
— Blasphème ! S'emporta Flinn.
— Le délire, sans doute, s'amusa Beik.
— Vous êtes une ordure, mon colonel.
— Je ne pense pas que cela ait une quelconque importance. Mais pour le simple plaisir de te prouver que je suis un homme droit et digne — contrairement à toi, Flinn — je vais t'épargner quelques souffrances inutiles. Quel dommage que personne ne puisse te venir en aide... Je suis certain que les cybernautes ferraient du très bon travail, malgré tes blessures.

Beik fit surgir son épée. Coincée dans sa main gauche, elle luisait dangereusement. L'arme au clair, Beik se rapprocha de Flinn, jusqu'à se trouver à deux mètres de sa tête.

— Guilhem était bon, mais la colère lui avait fait perdre ses moyens. Aussi, pour éviter toute mauvaise surprise, je vais terminer ce qu'il n'a pu achever.

Beik se déporta vers la droite de Flinn. Il s'empara de son bras droit et le verrouilla fermement au sol, d'un pied sûr.

— La main traîtresse ne frappera plus.

La lame s'abattit sur le dernier membre encore intact de Flinn. Le bras se détacha comme un vulgaire fruit de son arbre, et Flinn roula à terre, les yeux embrumés, transit de douleur.

— Tu aurais dû écouter les cybernautes, Flinn. Tu as refusé de devenir un serviteur de chair et d'acier. Voilà que tu en payes le lourd tribut ici même. La douleur, la mort rampante et prochaine, la déliquescence...
— Vous n'y comprenez rien, lança le Naneyë dans un souffle.
— Bien au contraire. Je vois que tu t'accroches à quelques ridicules coutumes de ton peuple. Et cela ne te sauvera pas.
— Vous n'en ferez rien, mon colonel.
— Ah oui ? Et qui m'en empêcherait ?

Viltis sortit de sa torpeur. Tremblant, il fixa le vieil homme.

— Ah, oui, l'abomination. Naturellement.
— Il vous détruira, mon colonel, reprit Flinn du même ton d'outre-tombe.
— Je serais amusé de voir ça.
— Viltis, tue-le.

Le garçon, dans son armure, apparaissait chétif et sans assurance à côté des deux militaires. Son regard se perdait au sol. Il refusait de l'accrocher à celui de Beik.

— Personne ne me tuera, Flinn. Et tu sais pourquoi ? Parce que ce garçon dont tu vantes les qualités, il ne peut avoir le goût du sang. Il ne sait pas ce qu'est une guerre, une intrigue de palais, une vengeance. Il est trop naïf, trop idiot.
— Arrogance mal placée, mon colonel.
— Qui me donnerait une leçon ?

Beik leva son épée au clair, au-dessus de sa tête.

— Flinn, par voie de fait, je te déclare traître à la nation humaine. Puisse le Dieu-Machine t'accorder son pardon.

Le sabre éclata comme une ampoule usée. Le gaz qui l'entourait se disloqua aussitôt, mais les fins morceaux de métal qui composaient son âme se dispersèrent dans la pièce. Sans plus de cruauté que le hasard ne voulut lui en donner, un éclat porté à blanc se ficha dans l’œil non protégé de Flinn. Le Naneyë hurla de douleur, tandis qu'un sang gras se répandait dans son orbite, et s'écoula en gouttant.

— Je vais vous tuer, maugréa Viltis.
— Tu n'en a pas le cœur. Et regarde donc ton maître, abomination : si tu prends le temps de me tuer, tu le condamnes à mort. Tandis qu'en me laissant partir, tu peux encore espérer appeler des secours, et le tirer de ce mauvais pas.

L'homme fixait le garçon. Il souriait. Il affichait son orgueil sans ménagement. Au fond de lui, Viltis savait qu'il avait raison. Le Naneyë gémissait de douleur, et remuait comme un vulgaire asticot. L'horrible vision de son corps mutilé le rendait malade. Il ne pouvait pas le laisser ainsi. Il devait capituler.

— Partez.
— Nous nous reverrons, Viltis. N'oublie pas ce qui est arrivé à ton maître. Voilà le sort qui t'attend.
— Partez, avant que je ne change d'avis.

Cyrill ne se fit pas prier une deuxième fois. Sans prudence, il passa la porte qui fermait la pièce, laissant Flinn et Viltis ensemble.

— Maître, murmura Viltis.

L'officier ne répondit pas. Sa langue pendait hors de ses babines. L'armure avait fait son possible pour le conserver en vie, mais sans soin, il ne tiendrait plus très longtemps. Viltis passa une main sur le front de son mentor, et en décrocha l'aug sali de sang. Il n'avait eu le droit de s'en servir qu'à de rares reprises, mais cela suffirait. Avec déplaisir, il sentit les informations arriver en lui, juste avant qu'il ne déclenche un raz-de-marée qui viendrait déferler sur sa modeste existence.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 21:55:19

PARTIE III.

7.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 22:01:02

Les mains posées devant son menton, assis face à la table de son bureau, Gregor réfléchissait. Siegfried attendait une réponse, qui ne vint pas.

— Alors ?
— Le moins que je puisse dire, c'est que la situation est à la fois simple et compliquée.
— Je n'attendais pas une réponse politique, père.
— Ce sera, hélas, la seule que je puisse te fournir ce soir
— Tu n'es pas censé être mon premier conseiller ?

La cuirasse de Gregor bruissa, tandis qu'il se relevait. Il se dirigea vers l'immense baie qui fermait son bureau, face à la beauté lugubre d'un patio remplie de végétation, et où la lune jouait sans ambition.

— C'est effectivement le rôle de ma mission.
— Alors j'attends des réponses. Et pas de langue de bois, cette fois.
— Très bien, répondit Gregor, agacé. Que veux-tu savoir ?
— Où est allé le colonel Cyrill Beik ?
— Il est entré en saut transpatial aux abords de Jupiter, bien en deçà des règles de bonnes pratiques. Nos meilleurs astrogateurs en ont déduit qu'il devait avoir à ses côtés un très bon pilote pour faire ce genre de manœuvre. Un élément qui n'a pas laissé de trace, qui plus est. Nous n'avons aucune idée de leur destination, étant donné qu'ils ont sauté hors de toute route officielle.
— Et son sort ?
— J'espère pour lui qu'il aura la bonne idée de se tenir loin de tout endroit peuplé d'autre chose que du sable et des cailloux. Il serait stupide de revenir. Il sait très bien qu'il a commis le pire... La haute-trahison. Et moi, j'ai été assez stupide et naïf de croire qu'il laisserait l'Inquisition être désossée. J'aurais dû me douter dès le début qu'il ne se laisserait pas faire...
— Qui aurait pu savoir, père ? Il a préféré suivre son engagement...
— Je lui ai sauvé la vie, pour mémoire. Je pensais que cela compterait dans la balance...
— Il était fourbe.
— Non, Siegfried, enchaîna Gregor d'un ton sec. C'est moi qui lui ai donné les armes pour qu'il me blesse. Avec toute l'histoire du Très Saint Magister Oddarick. Je n'aurais jamais dû miser sur sa confiance.
— L'erreur est humaine, père.
— Mais je ne suis plus un homme, c'est bien là tout le problème. J'ai prêté serment, je suis devenu un serviteur du Dieu-Machine. Je n'aurais pas dû me laisser abusé par mes sentiments.
— Père...
— Je ne suis pas là pour trouver des raisons à mes échecs. Mais pour comprendre ce qui s'est passé. Cyrill en fuite, je ne peux qu'espérer qu'il ne se montre plus. Et la seule chose sur laquelle nous pouvons agir, c'est sur la disparition pure et simple des derniers nids de félons.
— Leurs idées sont bien trop solides, trop ancrées, argumenta Siegfried. Ils ne capituleront pas.
— Et que suggères-tu ?
— Les laisser fuir. Leur trouver une terre d'accueil pour légaliser leur exil. Et avec de la chance, finir par remettre la main sur Cyrill et l'éliminer sans bruit.
— Un plan intéressant, commenta le vieil homme, debout et digne. Mais je ne pense pas que Cyrill se précipite dedans.
— Qui a parlé de devoir le tuer le plus rapidement possible ?
— Le peuple a besoin d'exemples, Siegfried.
— Je le sais.
— En trouvant Cyrill, nous aurions cet exemple. Et je pourrais m'arranger pour qu'il ne distille pas les informations que je lui ai transmises. Te rends-tu compte, Siegfried, de l'importance...
— Je connais l'histoire, coupa le Magister. Inutile de ressasser.
— Pourtant...
— Il s'agirait de rendre ces informations inutiles, à défaut d'être inaudibles. Si la vérité était transmise par la bouche du Palais, par la voix officielle, il n'y aurait plus de moyen de pressions.
— Mais tout le monde — et pas seulement le petit peuple — réclamerait ta déposition, Siegfried. Tu deviendrais illégitime.
— Je serais prêt à accepter, si cela pouvait sauver le système. Il suffirait que je propose une régence, et que j'installe mon aîné sur le trône.
— Il n'a que onze ans.
— Le pouvoir ne s'apprend pas sur les bancs de l'école.
— Il reste un enfant, Siegfried. Il n'aurait aucun poids, aucune légitimité.
— Et quelle autre solution, père ?
— Faire bloc. Je présenterai ma démission, tu l'accepteras, et l'honneur sera sauf.
— Mais personne ne serait assez crédule pour croire que vous disparaissiez du champ politique.
— Sauver la face, cela suffirait.
— Je ne le permettrai pas. Nous avons bien trop besoin de vous.
— Il faudra t'y faire, Très Saint Magister.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 22:02:06

Gregor eut un sourire féroce.

— Je ne plaisantais pas, père !
— Mais moi non plus, Siegfried. Accorder au peuple l'illusion d'un pouvoir qu'il n'a pas l'amadouerait et le rangerait à notre cause.
— Et comment ?
— Il reste toujours ce projet de lois réformatrices qui traînent dans les cartons de tes conseillers, n'est-ce pas ? Je pense qu'il serait très judicieux de faire acter celles-ci en même temps que d'annoncer la « vérité ». Naturellement, il ne conviendrait pas de rentrer dans les détails mais... Simplement de dire que le Très Saint Magister Oddarick a été démis de ses fonctions par le Dieu-Machine en personne et que j'ai été nommé par lui-même. Personne ne viendra contester un argument d'autorité qui s'attache à la spiritualité.
— C'est … C'est presque un blasphème, hésita Siegfried.
— Tu es la loi, mon fils. Tu as le pouvoir entre tes mains. Quand comprendras-tu que tu n'as nul souci à te faire, tant que le peuple te soutient ?
— Mais, les élites, et les religieux ? Ils ne …
— … Sont pas assez stupide pour s'afficher clairement contre ton opinion. Regarde donc la mésaventure de l'Inquisition.
— Justement. Cela nous a coûté très cher. Nous avons perdu beaucoup trop de bons éléments.
— Oui, mais nous récupérerons cette mise au centuple.

A son tour, Siegfried afficha un sourire piquant.

— Allez donc dire ça à Flinn, père. Je suis sûr qu'il appréciera la boutade.
— Flinn a fait son devoir. Il s'est battu pour empêcher à un traître de...
— De quoi, père ?
— De créer de fâcheuses conséquences, poursuivit Gregor, à court d'arguments.
— Des conséquences politiques qui auraient pu être balayé d'un revers de manche.
— N'en sois pas si sûr.
— Ah oui ? Peut-être qu'il aurait été un peu trop bavard.
— Et nous aurions perdu la face.
— Mais cela reste hypothétique. En revanche, je suis sûr d'une chose : Flinn n'a pas pu empêcher le colonel Beik de s'emparer d'un artefact.

La révélation laissa Gregor silencieux de longues secondes.

— Et pourquoi ne suis-je pas au courant ?
— Nous n'avons aucune conclusion définitive dans ce sens mais, il semblerait bien qu'un Cube xéno ait été volé. Il a disparu depuis plusieurs semaines. Plusieurs enquêteurs suivent l'affaire de très près. Mais pour le moment, nous n'aboutissons nulle part. Seulement des hypothèses.
— Et que ferait un renégat avec un cube ? Nous ne connaissons pas la portée de leur pouvoir.
— S'en servir comme argument pour négocier, je suppose, ajouta Siegfried.
— Si Beik avait un cube en sa possession, Flinn ou Viltis l'aurait senti.
— Je ne le pense pas assez stupide pour le balader dans ses poches. L'objet n'est pas discret. Et Flinn avait sans doute autre chose en tête que de se lancer dans de telles préoccupations.
— Toujours est-il qu'il manque un cube. Siegfried, je vais mettre mes équipes au pied de guerre concernant cette affaire. Mais tu aurais dû m'avertir plus tôt.
— Cela n'avait pas d'importance, père.
— Oui, c'est vrai, mon fils, que la situation n'est pas assez délicate. Nous avons une élite fuyante, un cube dont on ignore les pouvoirs dans la nature, et un complot en sous-main qui n'attend certainement pas grand-chose pour éclater. Mais la situation n'est pas alarmante, en effet, grinça Gregor.
— Mais, père...
— Maintenant, écoute moi bien : Nous allons faire ce que nous avons toujours fait. Je pense, tu décides. Si cela ne te convient pas, tu n'as qu'à remettre le pouvoir à ton fils, répliqua Gregor d'un ton glacial.
— Je pourrais vous faire Convertir, père, attaqua Siegfried, sans hausser le ton. Personne n'aurait de compte à me demander. Mais vous savez que j'ai bien trop besoin de vous. Tout comme vous avez besoin d'un fils au pouvoir pour exercer votre influence. Alors, père, je ne tiendrais pas rigueur de cette énième tentative d'intimidation. Vous ne m'effrayez plus. Sachez en revanche que je prendrai acte de vos conseils. Mais n'allez pas vous figurer que cela m'impressionne.
— Ne joue pas à l'imbécile, Siegfried.
— Je ne joue pas tout court. Mes décisions, je les prends avec sérieux.
— Il ne manquerait plus que ça.
— La discussion sur le sujet est clos. Le Très Saint Magister Siegfried a parlé.

Gregor ricana, puis ajouta.

— Si tel est votre désir, Très Saint Magister.
— Je préférerais que nous parlions de Flinn et de son apprenti. Pas d'évolution ?
— Il est stable depuis deux jours. Stable, mais dans un état préoccupant. Asweltorf m'a clairement fait comprendre qu'il ne pourrait pas lancer une mécanisation dans l'état actuel des choses.
— C'est regrettable.
— Bien plus que ça, Siegfried. Sans Flinn pour l'accompagner, la mission de rapatriement des cubes s'annonce plus compliquée que prévue.
— J'ai déjà tranché sur le sujet. La mission est partie, de toute façon. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'attendre plus longtemps.
— Le pouvoir de Viltis manquera à l'équipe.
— Viltis doit rester auprès de son maître. C'est le seul à même de le comprendre vraiment. Il et encore très jeune. Et la mission, même si elle est amputée de deux précieux membre, compte bien des spécialistes. Je ne m'inquiète pas outre mesure.
— C'était quand prendre un gros risque.
— Pas aussi important que de laisser Viltis monter à bord avec la seule personne qui puisse correctement le guider. D'ailleurs, que fais le garçon de ses journées ?
— Il reste vissé à la chambre de soin de Flinn. Asweltorf discute souvent avec lui, mais il ressasse en permanence les mêmes idées. Il le décrit comme apathique. Je suppose qu'il n'a personne d'autre à qui parler.
— Et sa famille ?
— Tous les contacts ont été coupé. Par souci de sécurité.
— Peut-être aurait-il besoin de les voir ? Je ne suis pas sûr que le laisser seul soit une bonne chose.
— Asweltorf le voit tous les jours.
— Cela ne suffit pas. Je suppose que dans les quartiers de Flinn, il ne voit personne, à part quelques serviteurs... Il lui faudrait une présence permanente.

Siegfried détacha son regard vers son père, et le fixa avec insistance. Comprenant son intention, Gregor le regarda à son tour, et secoua un index réprobateur.

— Non. Hors de question.
— Cela ne serait qu'un temps limité. La situation du Colonel Flinn s’arrangera dans les jours à venir.
— J'ai bien trop de travail, Siegfried. Il faut que j'organise la promulgation des lois.
— Tes équipes se passeront de toi.
— Viltis peut bien aller chez une de nos ordonnances.
— Tu es le seul qu'il connaisse un peu.

Gregor secoua la tête, excédé.

— Trois jours. Pas plus.
— Je vous remercie, père. Vous faîtes là votre devoir avec un sens bien peu commun du dévouement.
— Te rends tu comptes que je ne passe pas plus de quelques heures par semaines avec ta mère, et tu me demandes ça... Siegfried, je te revaudrais ça.
— Nous apprécions votre ironie, père, mais ne soyez pas si rancunier.

Siegfried entendit son père marmonner une phrase au contenu peu agréable. Quelques insultes fleurirent en demi-mots, ce qui ne manqua pas d'amuser l'homme.

— Faites-le venir. Nous lui annoncerons en personne.
— Il est vingt-trois heures. Il doit déjà dormir.
— Oseriez-vous discuter un ordre direct du Très Saint Magister, Commandus Magnus ?

Gregor capitula. Il se dirigea vers la porte et sortit. Siegfried l'avait bien eu.

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 22:04:30

PARTIE III.

8.

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 22:08:04

Habituellement, Albert Hoffmann avait pour mission d'assurer l'entretien du vaste logement de fonction, et de coordonner tous les services dont pouvait avoir besoin le colonel Flinn. Mais ce soir là, plongé dans la pénombre chaude et agréable du grand salon, le sergent-chef disposait pour la quinzième fois un jeu de carte entre Viltis et lui. Le garçon fronça les sourcils, et soupira.

— Je ne comprends toujours pas, Al', avoua-t-il.
— Regarde bien.
— J'ai beau regarder, je ne vois rien.

Viltis soupira.

— Toujours pas ?
— Non.
— C'est pourtant simple.
— Désolé, Al', je ne vois pas. Et sans vouloir te vexer, je ne trouve pas ça très drôle.

Ses doigts cliquetèrent sur la table, tandis qu'il ramassait à nouveau les cartes.

— J'imagine que tu veux arrêter ?
— Si ça ne te gêne pas. Je suis fatigué.

Albert sourit à l'adresse de l'adolescent, qui se leva. Il se souvenait de son arrivée auprès du colonel. Il avait grandi, son visage et son corps avait changé. L'ombre de l'enfance planait encore parfois dans son regard, mais l'esquisse de l'adulte se devinait plus sûrement à chaque jour passant. L'armure qu'il portait la plupart du temps aidait ce sentiment à percer à la surface. Mais en cette soirée, simplement vêtu d'un pantalon et d'un pull du même gris pelucheux que la cape d'apparat d'Albert, Viltis n'avait rien de plus exceptionnel qu'un banal adolescent.

Quelqu'un frappa à la porte. Albert n'attendait plus de visite à une heure si tardive. Les seules directives qu'ils recevaient venaient habituellement par liaison com. Personne ne se serait risqué à venir jusqu'ici. Méfiant, il se dirigea vers le hall et activa la caméra de détection. Surpris et gêné, il reconnut une figure habituelle, se précipita pour ouvrir la porte et s'inclina dans un même mouvement face à l'arrivant.

— Veuillez m'excuser, monseigneur, mais je n'attendais pas votre venue, commença docilement Albert.
— J'aurais dû prévenir, ajouta Gregor. Le garçon est bien ici ce soir, n'est-ce pas ?
— Vous parlez de Viltis ?
— Il semblerait.
— Je vais le chercher. Il est déjà parti se coucher.
— Ne vous donnez pas cette peine, sergent. Et relevez-vous.

Albert obéit. Il précéda le Commandus Magnus dans une politesse confuse, mâchant ses mots avant de les prononcer.

— Monseigneur, est-ce que Viltis viendra avec vous ?
— Je vois que vous avez toujours l'esprit aussi vif, sergent. Je comprends bien pourquoi le colonel Beik vous apprécie en temps qu’ordonnance.

Albert aurait rougi, s'il avait pu.

— Monseigneur, vous avez des nouvelles de la santé du colonel ?
— Il s'en tirera, répondit Gregor.

Le sous-officier en conclut qu'il ne fallait pas espérer plus d'informations de ce coté-là.

— Concernant Viltis...
— Vous ferez venir le nécessaire dans mes quartiers. Il y restera jusqu'au rétablissement complet du colonel Flinn. A cette date, il retournera vivre ici.
— Bien, monseigneur. Dois-je venir avec vous pour avertir le garçon ?
— Je m'en chargerai moi-même.

Albert se retira après avoir indiqué la chambre de Viltis. Gregor frappa trois fois, sans violence, et y pénétra. Aucune ombre ne venait perturber l'éclat d'une veilleuse bleuté accrochée à sa prise. A quelques dizaines de centimètres, allongé dans un lit de métal blanc et simpliste, le garçon se redressa d'un seul tenant.

— Qui est là ?
— Un ami, Viltis.
— Comm... Commandus Magnus ?

Le garçon se ressaisit. Il sortit de son lit sans sommation, se tient bien droit, et baissa la tête.

— Je vous demande pardon, monseigneur, se reprit-il.
— Ce n'est rien. Je viens te déranger alors que tu allais te coucher.
— Cela pourra attendre, monseigneur.
— En plus de quoi, tu n'es pas rancunier. C'est très bien, Viltis.
— Servir le Dieu-Machine est ma mission.

Gregor sourit, et posa un genou à terre.

— Les guerriers ont besoin de repos, Viltis. Tu as été secoué par ce qui est arrivé au colonel Flinn.
— Tout va bien, monseigneur...
— J'ai vu le major Asweltorf.

Le regard de Viltis s'assombrit.

— Ah...
— Il m'a dit que tu venais dans la chambre voir ton maître tous les jours. Il m'a également affirmé qu'il t’expliquait souvent les mêmes choses, mais que tu posais toujours les mêmes questions. Cela m'a surpris Viltis. Désagréablement surpris.

Le garçon de répondit pas.

— Tout le monde s'est occupé du colonel depuis qu'il est blessé. Cela fait quatre jours qu'il a combattu, et je n'ai pas eu le temps de régler ta situation.
— Cela n'a pas d'importance monseigneur. Le sergent-chef Hoffmann s'occupe très bien de moi...
— Justement. C'est l'ordonnance du colonel. Pas le tien. Loin de moi l'idée que tu sois encombrant, mais il existe des protocoles très strictes dans la hiérarchie militaire, et le sergent-chef va avoir beaucoup de travail dans les jours à venir, pour le réveil de ton maître. Et c'est pour cela que je suis venu ici ce soir. Tu vas venir avec moi, je vais t'héberger pendant le temps de la convalescence du colonel.
— Moi... Chez vous, monseigneur ?
— Tu as parfaitement entendu.
— Mais, je ne vais pas vous déranger ?
— J'ai plusieurs ordonnances sous mes ordres. Il est envisageable que j'en détache une pour s'occuper de toi.

Gregor se releva, et épousseta d'un geste machinal la lourde cape qui ceignait ses épaules.

— J'imagine que tu ne vois aucune objection à partir maintenant ?
— Non, je … euh... Le temps que je m'habille, monseigneur, et que je prépare mes affaires.
— Le sergent-chef s'occupera de tes affaires. Occupes toi seulement de ta personne.
— Très bien... Monseigneur.
— Alors je t'attends dehors.

La porte se ferma sur les talons de Gregor. Seul dans la chambre, Viltis soupira. Il jugea qu'un peu trop d'imprévu venait ternir ses habitudes depuis quelques jours. « Remarque idiote », songea-t-il. « Cela fait des mois que c'est comme ça ». Sans hâte, il attrapa une combinaisons grise qui traînait au pied du lit, se changea, et prit quelques secondes de son précieux temps pour arranger ses cheveux en bataille. Une fantaisie que lui permettait son mentor, mais qu'il savait bientôt terminée. Le jour de ses quinze ans, il devrait se plier à la coupe standard des confédérés : un duvet pâle et gris sur le crâne, à peine plus de quelques millimètres sur la peau, en attendant d'éventuels implants. Lorsqu'il y pensait, cela le dérangeait. Il ne voulait pas encore perdre ses cheveux.

Il sortit, sans discrétion. Le Commandus Magnus attendait, bras croisé, le dévisageant de toute sa hauteur.

— Tu es prêt ?
— Oui, monseigneur.
— Alors rien ne nous retient ici.

Viltis emboîta le pas de son nouvel hôte. Il espérait trouver rapidement un lit, ses paupières tiraient sur ses yeux une fatigue grise et piquante.

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 22:10:11

Lorsqu'ils pénétrèrent dans les quartiers d'habitations, Gregor et Viltis marchaient depuis dix minutes. Dix minutes plombées d'un silence de tombeau, que le Commandus Magnus se garda bien de briser. Le garçon, fatigué, n'aspirait qu'à une seule chose : un lit confortable et chaud. Tout ce qu'il contemplait à cet instant se résumait à deux grandes portes en bois sombre, qui s'ouvraient sans un bruit sur un hall haut et étroit.

— Monseigneur.

Une dizaine d’individus attendaient dans la pièce. Ils s'inclinèrent respectueusement face à Gregor, qui ne se montra pas surprit.

— Liovaàn, faites préparez une chambre d'amis.
— Tout de suite, monseigneur.

L'intéressé se releva, dévoilant sa silhouette courtaude et massive en même temps que son regard d'hybride et ses galons de lieutenant. Viltis ne pipa mot, conscient de ce que lui avait dit le haut-officier quelques minutes auparavant. Il en déduit que ce serait cet être d'apparence brute et laconique qui s'occuperait de lui. « Tant qu'il ne joue pas aux cartes », pensa-t-il.

— Viltis ?
— Oui, monseigneur ?
— Le temps que l'on fasse venir tes affaires et que la chambre soit prête à t'accueillir, nous patienterons au salon.

Le garçon hocha la tête, et se lança sur les pas de son hôte. Ils enfilèrent une série de porte et de couloirs gris et luisants, avant de déboucher sur une pièce vaste et aménagé avec goût. Dans un fauteuil ouvragé, la figure délicate et simple d'une femme mûre cueillit Viltis sans le prévenir. Il la dévisagea de longues secondes, contemplant ses doigts venir se mouiller à sa langue, puis s'accrocher aux pages d'un antique volume qu'elle referma en apercevant ces deux hommes. Elle reposa son « introduction à la psychanalyse » sur une table basse disposée à coté du fauteuil, se leva, et se hâta vers le Commandus Magnus.

— Ma dame, entama Viltis en effectuant une discrète courbette.
— Monsieur... Je crains que nous n'ayons eu le plaisir d'être introduit.
— Viltis Kleig, madame, répondit-il.
— Até Mac Mordan, monsieur Kleig.

Un circuit s'activa dans son cerveau. Le nom souleva une vague de poussière en lui, et des souvenirs revinrent à sa mémoire. Des souvenirs qu'il n'avait pas vécus, mais qu'ils savaient appartenir à quelqu'un ici. Il n'avait même pas besoin de tourner la tête pour retrouver le propriétaire de ce trésor fuyant.

« Elle est sa femme. Et j'ai senti, j'ai touché, j'ai vu et j'ai entendu leur amour « , songea-t-il. Il se trouva sale, malsain, voyeur. Il ne comprenait pas comment cela était devenu possible. « Guilhem pouvait le faire. Moi pas. Je sais bouger les choses, je ne suis pas censé pouvoir entendre les pensées des autres ». Il lança son regard vers Até, puis vers Gregor. Le sourire du vieux cyborg s'effaça.

— Quelque chose ne va pas, Viltis ?
— Je suis … très fatigué, monseigneur, mentit-il.
— Tu as eu une rude journée, c'est bien normal.
— Allons bon, Gregor, monte-le donc à sa chambre. Il en tomberait presque.
— Bien, bien.

Le Commandus Magnus ouvrit la marche.

— Nous nous reverrons demain, conclut Até.

La tête de Viltis se courba légèrement, par politesse. Elle en fit de même. Devant lui dansait les vieilles images d'une politesse luisante et lassée. Elle lui montra qu'elle aussi, elle était fatiguée. Pas de la fatigue d'une lourde journée, occupée de lectures, de bouquets, de séances de thé et de bavardages ennuyeux qu'elle tenait avec d'autres femmes de son rang. Pas de la fatigue d'un cancer qui lui rongeait le bas ventre, et qu'elle savait mortelle si elle ne se décidait pas à subir un troisième traitement de rajeunissement cellulaire. Non, rien de tout cela ne jetait à Viltis son amertume, son espérance et sa tristesse. Entre les pensées anodines, il le vit. Debout, près de la porte, un sourire sur les lèvres. Il a son âge, mais ce n'est pas lui. Des cheveux blonds, coupés courts, mais pas rasés. La robe rouge des consacrés au Saint Ordre Contemplatif de la Machine. Son père le regarde aussi, lui pose une main sur l'épaule, ouvre la porte, le laisse passer, puis le suis. La porte se referme. Até a mal, froid, la tête étourdie de milles maux contradictoires. Elle ne verse pas une larme : la bienséance lui interdit.

Elle n'avait jamais pu se reposer de cette lassitude. Et il sentit qu'elle avait, elle aussi, revu cela.

— Demain, murmura-t-il.

Il n'osa plus la regarder.

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