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Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:23:49

La routine, toujours, habitait les gestes de Flinn, quand il débarquait sur Terre. Une impression d'étrange habitude, de répétition perpétuelle, dans le défilé des officiels présents à sa venue, au pied des navettes de l'astroport. Lui, scintillant de mille feux, apprêté en grande pompe, souriant malgré la fatigue et digressant de tous les sujets possibles, sauf du voyage. Flinn parvenait à mentir sans tricher, à omettre sans offenser, à naviguer sans s'échouer dans cette marée âpre. Oui, l'habitude lui révélait le changement. L'espèce humaine dégageait cette odeur flétrie, étuvée, dont l'esprit planait au-dessus d'eux comme un mauvais nuage opacifiant la lumière du soleil.

Impression troublante de la joie du retour, à laquelle se mêlait celle de la peine de fin de voyage. La route se terminait, bientôt relayée par d'autres actions plus graves, plus polies. Déjà, l'aventure et son goût suave lui manquaient. Lorsqu'il se retrouva seul avec Viltis, séparé de tous les participants à la mission, il se laissa aller, ce que l'adolescent ne manqua pas de remarquer.

— Vous vous ennuyez déjà, maître ?
— Pas autant que toi, je pense.
— Vous n'en savez rien.
— Contrairement à toi.
— J'ai décidé de vous laisser tranquille, de vous faire confiance. Je ne regarderai pas en vous. Pas aujourd'hui.
— Alors j'essayerai d'être aimable et de ne rien entendre...

Viltis se détourna, une ombre passant dans son regard, amusé et choqué.

— Je compte régler ton départ à Vilnius dès aujourd'hui. Le temps que je traite les rapports, tu pourras t'offrir quelques jours de repos bien mérités.
— C'est vrai ?
— Pourquoi mentir ? Je t'en ai fait promesse après tout.

Le souvenir de l’altercation douloureuse remonta à la surface. Flinn ne pouvait plus se permettre de tenir un discours à double sens. Son apprenti avait besoin de stabilité, de parole assurées. Il pouvait en voir la conséquence, simple, de l'annonce : Viltis se mit à sourire comme il le faisait rarement, ouvert, singulier et heureux.

— Merci, maître.
— Je ne fais que te rendre une partie de ce que je te dois. Ne compte pas en rester ici.
— C'est déjà très agréable de recevoir un tel … cadeau de votre part.
— Cela m'évitera surtout de te devoir t'occuper quand je ne serais pas disponible.

Viltis ne sut quoi répondre.

— Ne t'en fais, je ne vais pas t'oublier.
— Moi non plus maître. Et en parlant de ça... J'ai fini de lire le rapport. J'aurais des choses à dire dessus... Mais elles vont vous sembler ridicules.
— Pas du tout. Je serais bien curieux de voir ce que pourrait en tirer un esprit aussi vif que le tien.
— La flatterie vous va si mal, maître.
— Puisses-tu me permettre que je m'améliore sur ce point... Enfin. Je voudrais bien entendre ce que tu as à en dire.
— Eh bien... La théorie de la noosphère n'est pas une théorie. Pas plus que le H'hrodath... Mais concrètement, vous comptez faire comment pour le réactiver ?
— C'est une grande inconnue. En réalité, je n'en ai aucune idée. Au sein de l'espèce des Naneyë, aucun individu n'a les connaissances nécessaires pour relancer le processus. Et seul... Je crains d'avoir bien du mal à y arriver.
— Vous allez rire mais... Je ne pourrais pas être utile ?
— Toi ?
— J'ai déjà des dons de télépathie, de télékinésie, pourquoi pas d'accès à la noosphère et donc du passé, du présent et peut-être du futur ?
— L'Homme n'a pas accès à sa noosphère. Contrairement aux Naneyë.
— Pourquoi ne pas essayer ? Avec les Effaceurs qui pourraient nous menacer.
— C'est une option que j'avais envisagé.
— Pourquoi pas, alors, maître ?

Flinn se tut.

— Ce n'est pas si simple que cela, Viltis. En réalité, c'est bien plus compliqué que d'essayer simplement. Les conséquences pourraient être gravissimes.
— Même si vous ne la considérez pas sérieuse, ne l'ignorez pas complètement. S'il vous plaît.
— Je tâcherais de m'en souvenir. En attendant... J'aimerais que tu réfléchisses à ce que tu vas faire à ton retour. La route est encore longue. Et vu le travail qui nous attend.
— Je sais maître, je sais.

Jusqu'au Palais, plus un mot ne fut échangé.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:25:17

Siegfried les attendait, laconique et solitaire, bien à l'abri de la horde des tacticiens, généraux et grands spécialistes qui se pressaient dans ses petits papiers, avides des informations remontant tout droit d'Alioth. Déjà, il avait eu vent de théories obscures, loufoques ou ridicules, parfois les trois à la fois, et se reposant sur la certitude que Flinn lui épargnerait l'inutile, il avait expurgé toute ce qui pouvait l'encombrer.

Seul, mais pas tout à fait. Le Commandus Magnus se dressait dans un angle, vigile et placide, le regard vieillissant mais avide, trop heureux de revoir son apprenti revenir d'une mission qu'il avait contribué à tisser dans l'ombre.

A l'annonce de l'arrivée du Naneyë, le père et le fils sortirent de leur torpeur, se regardèrent en s'adressant un sourire de circonstance.

— J'espère qu'il apporte de bonne nouvelles.
— Siegfried, ne soit pas trop optimiste.
— J'espère que vous tromperez, cette fois encore, père.
— Attends donc, tu verras.

Siegfried n'eut le temps que de hocher la tête, tandis qu'on introduisait Flinn, paré comme rarement de toutes ses décorations et d'une cape neuve, lourde et somptueuse. Les portes se refermèrent dans son dos, il se laissa légèrement aller.

— C'est un honneur de venir vous faire mon rapport, Très Saint Magister Siegfried. Puisse le Dieu-Machine vous être toujours favorable.
— Repos, colonel.

Flinn se rapprocha, posa un genou à terre, avant de se relever.

— Passez-moi l'expression, Très Saint Magister, mais vous m'en avez joué une bonne avec cette mission.
— Je pensais que cela ne pourrait que vous faire plaisir, colonel.
— Allons bon, tu n'as pas apprécié de prendre quelques jours de congés ? Railla Gregor, piquant.
— Les fouilles n'ont pas été une partie de plaisir.
— Et tes équipiers ? Ils n'ont rien fait ?
— Le travail était bien plus important que ce que je pensais au départ. Au final, il a fallu retourner sur une dizaine de site, pour avoir suffisamment de matière exploitable.
— Et le gouverneur, votre père, colonel ?
— Il se porte très bien, mais... Il a quelques soucis légers à régler.
— Il m'a informé de cette histoire. Je suis sceptique face à sa façon d'aborder le problème, mais il conserve ma confiance.
— Il n'échouera pas, assura Flinn, imperturbable.
— Concernant la mission, qu'en as-tu fait ressortir ?
— Bien des choses, monseigneur. J'ai remué quelques vieilles notions que j'aurais peut-être du laisser là où elles dormaient. Réveiller les âmes perdues n'est jamais un exercice agréable.
— Et clairement ? As-tu confirmé ou infirmé ta théorie de départ ?
— J'ai consulté les gardiens de la mémoire de mon peuple. Ils n'ont pu que me renforcé dans ma conviction de départ. La noosphère existe au sein de mon peuple.
— Le H'hrodath, c'est cela ?
— Ce n'en est qu'une version poussée, accrue, qui va bien plus loin que le simple échange d'information. Mais très concrètement, étant donné que la noosphère existe, j'ai pu y accéder et relever nombre d'informations importantes.
— Il serait de bon goût que tu puisses en faire part à nos équipes scientifiques, nota Gregor, sérieux. Tu es le plus à même de comprendre combien la technologie ancienne de ton peuple pourrait améliorer la Confédération. Repense simplement à l'exemple de votre propulsion transpatiale qui a dopé la nôtre.
— Je sais, et je compte bien donner à tout ce savoir une chance d'exister à nouveau. Néanmoins, il y a un gros problème.
— Et quel est-il ?
— Ce qui a conduit l'espèce des Naneyë au déclin n'est ni une épidémie, ni le temps. Mais une espèce externe qui a failli la parasiter.
— Toutes les espèces sont vouées à entrer en concurrence...
— Pas de cette façon. Pas en parasitant la connaissance par la mise en place de l'oubli.

Siegfried, silencieux depuis quelques temps, sortit de sa réserve.

— Colonel, tout ceci n'a aucun sens.
— Vu de l’extérieur. Je me suis bien douté que de telles affirmation ne vous laisseraient pas indifférent. Et que j'aurais davantage de difficultés à vous convaincre. C'est pour cela que j'ai dressé un rapport complet et exhaustif. Un rapport que je vous demanderais de ne pas partager.
— Cela va de soi, ajouta Gregor.
— Il est long et fastidieux, mais cela ne vous posera pas de problème de le compulser.
— Douterais-tu de nos capacités d'analyses ?
— Pas un instant, monseigneur. Mais je préfère prévenir.
— En substance, que préconises-tu ?
— Étant donné que l'espèce à l'origine du déclin des Naneyë est celle qui a créé les Cubes et les exploite, je pense qu'il faut nous armer sans tarder.

Le visage de Gregor s'assombrit.

— La même, tu es sûr ?
— Je ne serais pas venu les mains vides.

Il présenta un Cube, qu'aucun des deux Mac Mordan n'avait remarqué. Ils marquèrent un temps d'arrêt, gênés.

— Flinn... Comment peux-tu apporter un tel objet ici ? Tu sais pourtant ce que Livius a vécu...
— Il est mort, monseigneur. Aussi mort qu'une pierre ou une branche.
— Comment en être sûr ?
— Trouvé sur un chantier de fouille, sur les indications des gardiens de la mémoire de mon peuple. Nos ancêtres avaient trouvé le moyen de les désamorcer sans les détruire, ni indiquer leur présence.
— Ce sont des balises ?
— Qui sembleraient s'activer au-delà d'une certaine activité de la noosphère, d'après ma théorie. Au-delà d'un seuil, la balise s'active, et on peut être à peu près sûr qu'une attaque soit imminente.
— L'Homme n'a pas d'accès à sa propre noosphère. Il n'y a pas de danger, en théorie, contra Siegfried
— Ne pas en connaître les accès ne signifie pas que l'accès est inexistant. Le simple « exemple » qu'est Viltis devrait nous inciter à la plus grande prudence. En développant ses dons, il deviendrait tout à la fois la plus radicale des armes, mais également le détonateur sur lequel toute la Confédération se tiendrait en équilibre.
— Le... brider... Ce ne serait pas une solution ? Questionna Gregor.
— Si Viltis avait déjà déclenché les Cubes, cela ne servirait rien. S'il ne l'a pas fait, ce n'est qu’une question de temps avant qu'un individu similaire n’apparaisse, et que le seuil soit franchi. Non, à mon humble avis, il est plus urgent de le préparer.
— Il peut modifier la gravité de la matière mais... La noosphère de l'Homme. Ce n'est plus le même défi. Cela ne comporte plus du tous les mêmes enjeux.
— J'en suis bien conscient monseigneur. Et c'est pour cela que je ne fais que vous dresser mon rapport. Une menace est là, elle agit en modifiant la perception de nos connaissances et en agissant sur notre capacité à oublier. Trouver une force équivalente ou supérieure est la seule réponse décente que nous pouvons choisir.
— Logique implacable.
— Bon sens, surtout. Le nombre de nos canons et de nos soldats ne sera qu'une donnée minime.
— S'il n'y a pas de débarquement.
— Très Saint Magister, qu'en pensez-vous ? Que préconisez-vous ?

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:26:23

Siegfried marqua un temps, et regardant distraitement une projection holo, sembla ne pas entendre.
Gregor et Flinn le fixèrent, patients.

— C’est une question délicate, Flinn. Je ne peux pas agir aussi rapidement. Je dois consulter le bureau tactique, leur livrer les informations que vous venez de me donner...
— La discrétion que je vous demande n'est pas optionnelle, Très Saint Magister.
— Vous aller pourtant devoir faire avec. Si ce que vous nous dites est exact... C'est une guerre qui nous fait face dès à présent.
— Je le crains, hélas, Très Saint Magister.
— Flinn, te rends-tu compte de ce que cela pourrait impliquer ?
— Des morts, des mondes perdus, un retard monstrueux dans l'expansion de la Confédération.
— Au mieux. Mais si l'espèce qui nous menace prend le dessus... Nous disparaissons.
— J'imagine que toute alternative comme celle de mon peuple est inenvisageable ?
— La sagesse des Naneyë est exemplaire... Mais la Confédération n'a pas vocation a resté accroché à ses acquis. La galaxie est vaste, il reste tant à découvrir. Le Dieu-Machine a besoin de nous et de cet espace pour se développer.
— Concrètement... Qu'allez-vous attendre de moi ? J'ai bien conscience que la tactique générale mise en place par les équipes concernées ne me regarde pas pour le moment.
— Encore faudrait-il qu'elles soient au courant...
— Encore une fois, vous avez raison, monseigneur, mais là n'est pas la question. Que dois-je faire, moi, Flinn, dans ce qui nous attend ?
— Tu n'as pas la moindre idée ?
— Si, mais je ne suis pas sûr que vous soyez si convaincus de la réponse, monseigneur.
— Occupe-toi de Viltis. Impossible de ne pas utiliser ses dons contre une telle menace. Fais-en l'arme que tu rêves. Je t'en sais capable.
— Votre confiance m'honore, monseigneur.
— Elle n'est qu'à la hauteur des services que tu as rendu à la Confédération.

Dans un spasme d'honneur, Flinn se raidit, gonflé d'orgueil.

— Je ne suis que le serviteur dévoué du Dieu-Machine.
— Pour notre plus grande fierté, Flinn. Tu ne nous as jamais déçu.
— L'échec n'est pas une issue envisageable.
— Pourtant, il faudra apprendre à composer. Les incertitudes qui nous font face sont de plus en plus denses et troubles. Dire avec confiance de quoi sera fait demain au regard de ce que tu nous exposes ne peut que nous conforter dans la nécessité de nous préparer à toute menace. Même la plus étrange qui soit. Pour être honnête Flinn, j'ai encore beaucoup de mal à accepter ce concept de noosphère. Il dépasse toute forme de réalité physique connu.
— Pourtant, c'est une réalité.
— Bien différente et bien impalpable. Quels senseurs pour examiner une telle dimension ? Quel paradigme ? Quelle norme ?
— Tout ceci n'a pas de sens.
— Pourtant, c'est bien la question du sens qui fait sens ici. Flinn, nous te sommes reconnaissants. Nous allons prendre bien soin de ce que tu nous apportes, et nous t'encourageons à poursuivre la voie que tu ouvres avec Viltis. Tu sauras être un guide pour lui.
— Votre confiance m'honore, monseigneur, Très Saint Magister.
— Ta fidélité te sauve. Contrairement à ce que vivent ces félons d'Inquisiteurs traîtres qui ont fui.

Gregor détourna le regard.

— Nous savons que des mondes félons sont retombés sous notre coupe.
— C'est une excellente nouvelle alors ! S'exclama Flinn, surprit de cette annonce. Je ne comprends pas que vous sembliez si inquiets... Ou alors vous avez une bonne raison de l'être.
— Plus exactement, Flinn. Laisse-moi t'expliquer la situation.

Gregor déploya une projection holo, indiquant plusieurs mondes rapprochés en périphérie de la Confédération. Des points lumineux, qui scintillaient comme autant d'émaux précieux et chatoyants, éclairant le vide de l'espace. Flinn se perdit dans la projection, imaginant que le responsable de sa mutilation vivait là, dans ses mondes lointains, l'oubliant peut-être. Faisant semblant de l'oublier, peut-être.

— Regor Prime était un des bastions de la rébellion. Deux cités d'importance, et d'après nos estimations, une force militaire assez conséquente.
— Concrètement ?
— Entre cinq et dix mille hommes. Deux croiseurs. Et tout ce qui va avec.
— Et qu'est-il arrivé à Regor Prime ?
— Vide. Nos vaisseaux de reconnaissance sont passés à proximité sans détecter la moindre émission radio. Et après observation directe, il ne restait rien de Port Moscou, la capitale. Port Budapest, le camp de base le plus notable de la planète, a été très gravement endommagé. Mais là n'est pas le plus important.
— Vous ne trouvez pas cela très troublant, monseigneur ? Un monde entier délaissé alors que nous aurions dû nous attendre à une résistance farouche et déterminée ?
— En réalité, toute la rébellion s'est effondrée. Les deux autres mondes concernés, Regor Bêta Trine et Nu, sont toujours intacts. Mais leurs populations ont souffert. Un mal étrange.
— La rébellion n'a pas attaqué à l'approche des vaisseaux de la Confédération.
— C'est bien pire que cela, Flinn. Ou bien mieux. Les soldats ont été accueillis comme des héros. En creusant un peu, ils se sont vite aperçu d'une chose...
— Laquelle ?
— Toute la population semblait souffrir d'amnésie légère. Comme si la rébellion n'avait jamais existé. Bon nombre des colons savaient que quelque chose s'était passé, mais ils n'auraient pas su le décrire. De fait, nous avons dû accepter que certains d'entre eux reviennent sur Terre, malgré toute la réticence que nous avons exprimé à leur égard.
— Les amiraux ont acceptés ?
— A vrai dire, ils n'avaient guère le choix. Nous ne voulions pas de fratricides. Constituer des prisonniers étant la meilleure des options à notre sens, étant donné qu'une Conversion restait envisageable.
— Et donc, les prisonniers ?
— Arrivés sur Terre il y a trois jours. Toujours le phénomène d'amnésie, antérograde et de plus en plus profonde. Ils ont oublié qu’ils venaient de Nu ou de Bêta. Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient ici. Pour eux, il y a juste un gros trou noir, sans en connaître l'origine.
— Ce serait trop simple, monseigneur, railla Flinn.
— Évidemment...
— Vous avez une idée du pourquoi de la chose ?
— Nous l'ignorons toujours. Mais à la lecture des informations que tu as pu nous faire remonter, je commence à avoir de sérieuses questions...
— Comme ?
— Ne penses-tu pas, Flinn, que ce qui s'est passé sur les monde rebelles et le passé d'Alioth ait un lien ?

Le Naneyë garda le silence quelques instants.

— Vous voulez franchement connaître ma position ?
— Même si je pense déjà la connaître.
— Tout ceci arrive à un moment très opportun... C'est suspect. Hors, je crois assez peu au hasard... Il est plus que probable que les Effaceurs ont agis sur les mondes rebelles. Et que s'ils parviennent à lire dans la mémoire des rebelles...

Nouveau silence.

— Les prochains seront nous, monseigneur.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:26:57

Libéré de sa rencontre, après avoir transmis la totalité de ses rapports, Flinn se retira dans ses quartiers. A nouveau seul, il tenta de se détendre, en vain. On le harcelait de demandes via le Rezo. On voulait savoir comment s'étaient passées les recherches. S'il avait des idées sur ce que cela allait changer. Une demande, différente, attira sans attention, alors qu'il s'apprêtait à l'effacer. Un des tacticiens du Très Saint Magister souhaitait le rencontrer pour évoquer la désertion des rebelles. Tout d'abord, Flinn ne comprit pas : il connaissait trop mal la situation des bords de la Confédération pour avoir — à son sens — un avis sérieux et digne d'attention. Seulement, le tacticien évoquait à son tour la théorie de la noosphère. « Un ami d'Ana ? Ou bien le fruit d'un hasard mal tombé ? ». La curiosité éveillée de Flinn ne lui laissait pas d'autre choix que d'accepter, avant de soupirer, se sentant coupable de se mettre en porte à faux vis à vis de ses engagements actuels. « Comme si j'avais besoin de cela ». Plus étonnant encore, le tacticien lui proposait se venir directement à sa rencontre. Flinn, habitué à la discrétion, recevait rarement dans ses appartements. Mais le départ rapide de Viltis, l'organisation d'un plan d'attaque d'ici à quelques jours, et l’analyse approfondie des informations pouvaient malgré tout laisser quelques minutes à un entretien qu'il jugeait au final plus intéressant que dérangeant.

Presque dépité, il notifia au tacticien l'heure et le lieu du rendez-vous, certains de ne pas avoir fait le meilleur choix.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:27:39

— Alors, c'est vrai, vous m’autorisez à partir, maître ?
— Dès que ton armure sera retirée.

Viltis debout face à trois cybernaute, les bras levés à l'horizontale, patientait. Doucement, le cocon de métal qui le maintenait en sécurité laissait à découvrir sa peau, blanche et presque diaphane d'avoir passé trop temps sans soleil. Un frisson le parcourut, il grimaça.

— Je patiente, maître, mais c'est long.
— Je sais très bien. N'oublie pas que j'ai connu ça, moi aussi.
— Sauf que vous n'aviez pas à retirer l'armure. Et que vous ne ressentez pas la douleur.
— Chimiquement parlant, c'est faux. Cela étant dit, l'opération était plus simple.
— Et si je le faisais seul ?
— Mieux vaut-il suivre les procédures. Je serais très contrarié s'il t'arrivait quoique ce soit, bien que je ne doute pas de tes talents.

« Et puis, cela m'évite de devoir te dire au revoir trop vite, sans voir que tu grandis trop vite, que tu oublies déjà ce que tu vies, et que je reste là, bien trop en arrière de toi ».

— Vous trichez maître.

Décontenancé, Flinn n'en garda pas moins son mordant habituel.

— Simple habitude. Et je croyais que tu ne devais plus...
— Il semblerait que moi aussi, je triche.
— Vivement que tu partes, finalement. J'aurais le temps de respirer un peu.
— Accrochez-vous à cette idée. Moi, j'attends encore trop. J'ai hâte.

L'un des cybernautes lança un regard réprobateur à Viltis, qui secoua la tête.

— Ils ne comprennent pas.
— Ils préfèrent surtout avoir à faire à des individus mécanisés. Ce qui se comprend. Tu dois être... particulièrement douillet.
— C'est faux !
— J'aimerais bien que tu me prouves le contraire.

En faisant demi-tour, Flinn se ravisa, fixant une dernière fois son apprenti.

— Travaille tes bases, au moins une à deux heures par jours.
— J'essayerais d'y penser.
— C'est très important, Viltis, insista Flinn. Nous avons énormément de travail. Bien plus que tu ne l'imagines.
— J'ai déjà une petite idée de ce que mon entraînement devra comporter. Ne vous inquiétez pas, je garde une bonne place pour la théorie.
— Voilà qui est mieux. Deviendrais-tu raisonnable ?
— Il semblerait maître, il semblerait.
— Je compte sur toi.
— Vous ne serez pas déçu.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:27:54

PARTIE IV.

14.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:30:26

Et la nuit tomba, aussi dense qu'à l'accoutumée. Flinn devait se rendre à l'évidence. Le mouvement qu'il avait initié commençait déjà à lui échapper. Dans la Forteresse, on s'affairait dans tous les recoins, des plans se montaient plus vite qu'il n'en avait connaissance (ce qui était fort rare), tandis qu'on le laissait tranquille. Il s'en réjouit, autant qu'il s'en inquiéta. Devait-il considérer ce fait comme la marque d'un abandon de la part du pouvoir ? Ou bien de respect ? Le Très Saint Magister restait désespérément silencieux, de la même façon que le Commandus Magnus. Libre, Flinn se sentait soudain trop seul, trop déconnecté, comme emprisonné dans ce qu'il venait de s’évertuer à construire. Il s'étonna de sa propre réaction, inhabituelle à son encontre.

Il devait très vite sortir de cette inactivité. Prévenant simplement son aide de camp posté dans une autre pièce de ses quartiers, il s'absenta, sortit de la Forteresse, se lançant à l'assaut des rues de Civimundi. Son objectif, très clair, s'éloignait des lieux de la vie nocturne. Il évitait soigneusement les endroits fréquentés pour arriver à destination. Les quais de Seine, bondés, étaient un obstacle qu'il retarda en serpentant dans les vieilles rues de l'ancien quartier Latin, avant de se retrouver près de la place saint Michel. Il traversa le bras de Seine qui le séparait de l’île de la Cité en pressant le pas, ne répondant pas aux exclamations qui semblaient le retenir contre son gré, contre son objectif. Face à l'ancienne cathédrale, il hâta le pas, près à courir si besoin. La surprise de son passage lui libérait la voie, il en profita, bouillonnant, fatigué, lourd de questions.

A l'intérieur, le silence était absolu. La lumière qui nimbait les piliers dessinait des lignes géométriques qui scandaient le volume du lieu plus sûrement que sa disposition physique. Flinn se sentait happé par cette lumière, douce et chaude, qui mieux que tout symbolisait la présence puissante qui avait choisi de séjourner ici.

— Monsieur... La visite est interdite la nuit ?
— Je sais, mon frère. Mais je crois que c'est urgent.

Le moine ouvrit la bouche, se préparant à devoir insister, avant de tomber sur les grades du poitrail du Naneyë.

— Monseigneur... Flinn ?
— Lui-même. J'aimerai rencontrer un confesseur.
— Mais... Vous êtes rentrés ? Et pourquoi pas sur le Palais ? Je ne comprends pas tout...
— Il n'y a pas grand-chose à comprendre mon frère. J'avais besoin de changer d'air. Et il est des sujets dont je voudrais m'entretenir avec un confesseur car ils m'empêchent de travailler correctement. C'est urgent...
— Mais je... Bien... Ne bougez pas monseigneur, je vais voir ce que je peux faire.
— Très bien.

Conscient de son privilège, Flinn n'en abusa pas. Les lieux étaient sacrés. Il aurait pu descendre au cœur du sanctuaire, il s'en garda bien. Ici, il n'avait de pouvoir sur rien, hormis sa personne. Si tant est qu'on lui laissait ce pouvoir-ci. Il n'osait même pas trop en demander. Il savait que dépasser la limite de la courtoisie pouvait chèrement se payer par la suite.

Le moine revint, escorté d'un jeune confesseur vêtu de noir et de rouge, le regard embué de fatigue.

— Je suis désolé monseigneur... Je ne m'attendais pas à devoir accueillir quelqu'un ce soir.
— C’est moi qui m'excuse, mon père. Pouvons-nous nous retirer ?
— Étant donné le peu de monde dans le temple à l'heure qu'il est, je ne suis pas sûr que cette idée change quoi que ce soit. Mais si vous préférez...

Flinn hocha la tête. Le moine les lâcha, s'en retourna près des porches du temple, tandis que le confesseur et Flinn s'enfonçaient dans les entrailles de l'édifice.

— Vous confier à un confesseur n'aura pas forcément beaucoup d'utilité. Vous étiez un Inquisiteur après tout. L'examen de conscience devrait suffire.
— C'est plus que cela mon père.
— J'attends de vous entendre. Je suis … troublé par votre position, monseigneur.

Ils débouchèrent devant une porte en métal, qui menait à une chapelle plongée dans l'obscurité. Le confesseur invita Flinn à s’asseoir.

— Voilà. Ici personne ne nous entendra.
— Je suis inquiet mon père. Inquiet pour l'avenir.
— Comme nous tous, c'est normal.
— C'est plus que d'habitude. Ce qui nous attend sera une épreuve terrible.
— Je ne comprends pas, mon fils... Cela ne vous dérange pas que je vous appelle ainsi.
— Je préfère. Les « monseigneur » ne m'ont jamais été naturels.
— Et bien... Mon fils, si vous m'expliquiez ce que vous traversez ? Peut-être pourrais-je vous être d'un quelconque secours ?
— Ce dont je devrais vous parler est soumis à un secret défense. Je ne peux pas me permettre de rompre la confiance qu'on m'a accordé.
— C'est … délicat, en effet.
— En réalité mon père, ce que nous vivions n'est que la conséquence de nos actes passés. Avec tout les individus que nous croisons.
— Et sous le regard du Dieu-Machine. Je crois savoir que vous êtes un serviteur plutôt zélé. Vous ne devriez pas vous inquiéter de la sorte.
— Quelqu'un sous ma responsabilité aurait besoin d'une attitude que je sais très mal … jouer.
— Un apprenti ?
— Comment le savez-vous ? S'étonna Flinn.
— Il y a assez peu de situation de la sorte. Ou justement, elles sont trop nombreuses pour laisser la place au doute. Si ce n'était pas cela, vous l'auriez précisé.
— C'est vrai.
— Votre apprenti vous cause du tort, mon fils ?
— Il est brillant. Je doute d'être à la hauteur de son talent, et encore plus d'être à la hauteur de ce que lui pourrait attendre d'un mentor.
— Avez-vous envisagé d'abandonner sa formation ?
— A aucun moment.
— Ce qui est déjà positif. Cependant... Vous vous demandé si cela est moral de lui mentir ? Pour son bien à lui ?
— Exactement.
— Il s'est senti laissé dernièrement. Il attend de vous que vous soyez son père d substitution.
— Exact, à nouveau... Comment savez-vous …
— Le Rezo est la raison même de ce temple et de ce culte. Vous avez subi une conversion. Bien trop d'éléments de votre esprit transite via les « conséquences » de la Conversion pour que je les ignore. En réalité mon fils, j'essaye de ne pas vous brusquer. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez blessé par ma pensée.
— Peut-être ai-je besoin de cela ?
— Non, vous rentrez de mission. Vous êtes fatigué, malgré votre statut de cyborg. Une régénération de quelques heures n'y changerait rien, car cette fatigue est dû à une situation complexe que vous avez traversée avec votre apprenti. Et vous vous demandé, au fond, si la confiance que vous aviez nouée tous les deux, sous le coup d'un pacte sans forme ni prise de serment, est toujours valable. Et sinon, sur ce que vous devriez faire pour regagner sa confiance, vu que vous avez perdu la sienne.
— Votre clairvoyance est dérangeante.

Le confesseur sourit, amusé.

— Le Dieu-Machine m'a confié cette mission. Il serait extrêmement dommage que je ne m'en montre pas capable.
— Comme nous tous.
— Pour être complet dans ma réponse, mon fils, je vous indiquerai simplement que vous avez fait ce que vous pouviez pour votre apprenti. Mais qu'il est, tout comme vous, sans doute trop différent de la masse habituelle des individus pour que toute solution préconçue s'avère inutile, voir dangereuse. J'ai bien conscience que ma réponse n'en est pas une, mais je ne peux pas me hasarder à vous indiquer quelque chose de plus précis. Suivez tout à la fois votre cœur et votre logique, mon fils. Dans cette situation, vous êtes la propre clef à ce problème.

Flinn, décontenancé, se tut.

— Vous voilà bien silencieux, mon fils.
— Je dois vous avouer que je m'attendais à quelque chose de plus concret, mon père.
— Ce qui aurait été trop simple. En revanche, je peux toujours vous bénir.
— Peut-être que cela m'apportera plus de soulagement que je ne le pense.

Le confesseur sourit à nouveau.

— Auriez-vous donc si peu de foi, pour un ancien Inquisiteur ?
— Les questions, mon père. Trop de question.
— Je vois cela.

Le trentenaire se pencha, attrapa une curieuse sphère au sol, et la plaça au-dessus de la tête de Flinn.

— Mon fils, puisse le Dieu-Machine vous bénir, afin que vous trouviez vos réponses et la paix intérieure. Puissiez-vous vous en remettre à Sa sagesse et Son désir, et que toujours, vous restiez son fidèle serviteur.
— Le Dieu-Machine est mon maître, j'en suis à tout jamais son fidèle serviteur, scanda Flinn.
— Amen.

Le confesseur rangea la sphère. Souriant, il se leva.

— Reposez-vous, mon fils. Vous êtes épuisé.
— Je vais tâcher d'en tenir compte.
— C'est bien.

Se retournant, Flinn sentit la main frêle du confesseur.

— N'ayez pas peur de l'avenir, mon fils. Il nous observe tous. Et Il veille. Particulièrement sur les courageux comme vous.
— Merci, mon père.

Flinn laissa le confesseur seul, remonta à la surface, et retournant vers la Forteresse, prit la décision de s'écarter du monde des vivants le temps d'un repos bien mérité.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:32:22

La plage. Du sable à perte de vu, un ciel gris, un vent froid qui soufflait de la Baltique depuis plusieurs jours, sans discontinuer. Les moutons blancs, accrochés aux vagues comme à des collines. Son regard qui se perdait, au loin, dans une direction que lui seul aurait pu décrire. Il sourit.

— Ce n'est pas exactement comme ça que je m'en souvenais.
— Est-ce grave ?
— Non papa.

Le père hocha la tête satisfait.

— Tu n'imagines pas combien nous avons été content de te revoir.
— C’est la troisième fois que tu le dis aujourd'hui.
— Parce que c'est vrai.
— On ne vous a pas embêté ? La Confédération, les soldats...
— Tout le monde s'occupe de nous gentiment, coupa la mère. Tu sais, Viltis, c’est un peu triste mais... Depuis que tu es parti, tout va bien. Et un peu mieux, pour être honnête. Pardonne moi … Je ne devrais pas te dire des choses comme ça. Tu n'avais pas à le savoir.
— Ca me rassure d'entendre que tout va bien.

L'adolescent soupira.

— Moi aussi, je suis très content. J'attendais depuis trop longtemps.
— Ton professeur a été bien généreux.
— En fait... Il est un peu fatigué. Je crois qu'il sera content d'avoir un peu de temps libre. Et moi aussi.
— Tout va bien à Civimundi.
— Oui, mentit Viltis en y ajoutant un grand sourire.

Derrière, sur la grève, le transporteur réservé à l'usage de l'adolescent semblait attendre là depuis des années. Une couche de poussière jaunâtre couvrait déjà son cockpit. Le pilote, un jeune cyborg de vingt-cinq, ignorait ce spectacle, se plongea dans la contemplation de l'horizon rectiligne. Viltis le considéra un court instant, avant de hausser les épaules. Difficile d'ignorer qu'on le surprotégeait. Difficile aussi de faire comme si sa vie retrouvait un peu de normalité. En arrivant sur Vilnius, il s'était interrogé sur ce que les gens qu'il avait connu gardaient en mémoire de lui. S'ils savaient ce qu'il faisait. Si ses capacités étaient connues. Le monde des civils lui apparaissait comme bien étrange, comme à chaque permission. Incroyable de simplicité, et presque hostile dans sa complexité.

Quand Viltis avait demandé à ses parents d'aller aussitôt à la plage, ils n'avaient pas protesté. Pourquoi l'auraient-ils fait ? La Confédération se chargeait de leurs transports tout le temps que leur fils était sur place. Son père avait gagné une place confortable dans l'administration régionale, suffisante pour assurer à sa femme et lui un confort appréciable. Ils n'étaient pas maltraités, mais au contraire, bien considérés. Tout cela grâce à lui, un simple garçon sans histoire. C'était inespéré. Un véritable conte de fée.

— Viltis, quand reviendras-tu ?
— Maman, je ne suis pas encore parti... Attends un peu.
— Tu sais... Ton père aime bien te dire que tout va bien mais... Tu me manques.

Le regard de la femme s'embruma. Viltis se jeta à son cou.

— Toi aussi maman, toi aussi... Mais, s'il te plaît, ne pleure pas.

Son père les enlaça tous les deux.

— Tout redeviendra comme avant, je vous le promets. Il faudra juste que je finisse ma formation.
— Te laissera-t-on partir. Tu as des responsabilités qui t'attendent. De ce qu'on nous en a dit, tu es destiné à avoir de hautes fonctions.
— Je travaillerai d'ici. Ça ne changera pas grand-chose. Nous pourrons être ensembles plus souvent.
— Tu sais que ce sera compliqué... Tu n'es pas obligé de nous mentir.

Son père se détacha. Viltis le regarda.

— Papa, c'est pas simple.
— J'imagine. Mais on tient le coup avec ta mère.
— Parle pour toi... Tu me manques.
— Elle ne dit pas ça quand on est que tous les deux, railla le père.
— Menteur !

Elle fit mine d'attraper son mari, qui se prit à rire. Ils se chamaillent comme des enfants.

— Eh, attendez, moi aussi !

Oubliant tous les tracas qui pesaient sur ses épaules, Viltis se lança à leur poursuite. Il éclata de rire, avant de tomber dans le sable, soudain enivré par le goût de la vie qu'il avait presque oublié. Combien la vie ordinaire lui semblait séduisante ! Comme il aurait tant souhaité ne jamais revoir le jour maudit où Flinn l'avait trouvé pour le former ! Il aurait suffi que ce stupide accident ne se produise pas. Que personne ne découvre jamais ce maigre talent qu'était le sien. Des candidats, il y en avait d'autres. Même Guilhem... Il ne serait pas mort, il aurait gardé sa place, sans souffrir. La solution aurait convenu à tant de monde, c'était rageant.
Il se recroquevilla, fixant toujours la mer, soudain triste et inquiet.

— J'ai froid, se plaint-il. J'aimerai qu'on rentre.
— Déjà ? On vient à peine d'arriver.
— La maison me manque.

Le père s'agenouilla à côté du fils.

— On a quitté la maison. Tu le savais ?
— Non.

Viltis ravala un sanglot.

— Pourquoi tu as fait ça ?
— Le gouverneur de Vilnius a voulu nous faire un cadeau, sans doute pour être bien vu. L'ancienne maison était trop froide l'hiver, tu t'en souviens ? Tu avais toujours deux pulls et autant de pair de chaussette. Tu te plaignais de tousser...
— Mais l'été... Elle était magique cette maison.
— On n’aurait pas pu la garder de toute façon. Les intérêts de l’emprunt commençaient à nous poser problèmes.
— Même avec ta promotion ?
— Elle était trop loin de mon nouveau bureau aussi. Et puis... Les gens du quartier... Ils commençaient à être très froids avec nous... Depuis l'incident de l'école...
— C'était pas de ma faute.
— Je le sais.
— Eux aussi, ils savent. Pourquoi ils vous ont chassé ?
— Écoute Viltis, ce n'est pas aussi simple. Grâce à toi, on a pu changer de situation. On ne pouvait pas attendre que tu reviennes pendant des mois. On savait qu'en partant à Civimundi, il y avait des chances pour que tout change, pour nous comme pour toi. On ne pouvait pas refuser de toute façon... A part aller en prison, à quoi cela aurait-il servi ?
— Ce n'est pas juste.
— Mais la vie n'est pas juste. Sois plutôt content qu'on puisse encore se voir de temps en temps. C'est mieux que rien.
— Mouais, répondit un Viltis peu convaincu.
— Avant de rentrer, tu n'aimerais pas manger une gaufre ? Il n'y aura personne sur la jetée à cette heure-ci.
— Et avec le temps... Mais oui, j'en veux bien une. Ça fait tellement longtemps que je ne n'en ai pas mangé.

Viltis se releva. Sa mère les regardait, de loin, lui souriait en secouant le bras. Il lui répondit. Elle était encore belle, enroulée dans son manteau en laine et ses longs châles de couleurs vive. Ses cheveux qui volaient au vent lui faisait oublier qu'elle vieillissait. Qu'un jour aussi, elle mourrait. Une nouvelle pointe d'angoisse serra le cœur de Viltis.

— Ça va mieux ?
— Oui... Non... On va dire que oui.
— Tu n'es plus un enfant. Tu ne pourras pas toujours...
— Papa, je sais ce que j'ai à faire. Là-bas, vous n'étiez pas là. J'ai dû faire avec.
— Oh, calme toi...
— Viens plutôt prendre une gaufre.

Ils avancèrent d'un même pas. Viltis remonta une écharpe sur son nez, transit.

— Et maman ?
— Elle fait semblant, elle dit que tout va bien. Mais tu l'as vu. Elle désespère de te voir revenir. Chaque matin, elle doit avaler des anxiolytiques pour tenir le coup. Elle pleure, je n'arrive pas à la consoler... Oui, elle n'est pas comme avant.
— Ah...

A nouveau, l'adolescent se sentait mal. Autour de lui, le sable vibra, fluet. Il s'oubliait.

— Viltis ? Qu'est-ce que tu fais ?
— Rien, c'est rien.

Le sable retomba.

— Est-ce que je pourrais faire quelque chose pour que maman aille mieux ?
— Tu ne pourras pas rentrer. Essaye de lui écrire ? Ça lui ferait plaisir.
— Le courrier est censuré.
— Ah, oui... C'est vrai...
— Mais vu ce que je risque de mettre dedans, ils le laisseront passer. Même s'ils le lisent avant.
— Ce n'est pas grave. Elle serait tellement contente.
— Et toi, papa ?
— Moi quoi ?
— Tu tiens ?
— Je n'ai pas vraiment le choix. Même si là où je travaille, les chefs sont tous des militaires et trouveraient ça plutôt pas mal que je me fasse mécaniser, en partie.
— C'est pas vrai... Ils ont osé ?
— Des convaincus, railla le père. Peut-on leur en vouloir ? Le système marche grâce à eux.
— Et que leur as-tu dis ?
— Que ça pouvait encore attendre. Le jour où je deviendrai moins performant, j'y songerais. Mais vu que je suis largement protégé par le pouvoir central, on me laisse tranquille.
— Je pourrais peut-être intervenir pour qu'on te trouve une rente... Mon mentor est très bien placé, c'est un des favoris...
— Je ne veux pas que tu fasses quoi que ce soit pour nous. Tu en fais déjà assez comme ça.
— Je veux juste que vous ne manquiez de rien.
— C'est le cas. Tant que tu fais ce qu'on te demande, la Confédération s'occupe de nous.
— Mais, papa, c’est une forme de chantage...
— Et ça m'arrange. Je ne pourrais pas rester toute la journée à la maison, à ne rien faire.
— Vous pourriez voyager ?
— On le fera quand tu seras adulte, avec une situation stable.
— Vous attendez après moi ? Mais cela fait plusieurs années que je suis parti maintenant !
— Tu ne peux pas changer tes vieux parents.

Le père sourit, mélancolique.

— Et parfois, on retourne à la mer. Pour penser un peut à toi.
— Ça ne change rien.
— Peut-être, mais ça fait du bien.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:32:40

PARTIE IV.

15.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:35:03

A Vilnius, la nuit était déjà tombée. Le transporteur survolait la ville à basse altitude, et Viltis pouvait contempler l'éclat des lumières en contrebas, ignorant tout du ronronnement du moteur et des rares paroles qu'adressait le pilote au contrôle aérien. Il fallut que son père vienne à ses côtés pour qu'il réagisse.

— C'est beau, non ?
— J'avais oublié où vous viviez.
— Toi aussi mon grand.

La main du père caressa les cheveux du fils, qui ne bougeait pas, hypnotisé. Pour lui, le spectacle était nouveau. Il n'avait pas pour habitude de prendre un tel moyen de transport. Viltis remarquait d'ailleurs qu'il restait tout le temps agrippé à une poignée, une barre, sans s'en rendre compte.

— Tu as peur papa ?
— Non, pas du tout. Pourquoi ?
— Tu ne lâches pas les barres de transport.
— Ah... Oui... C'est vrai.
— Donc tu as peur.
— Puisque je te dis que non.
— Maman a raison : tu mens très mal.

Le père sourit.

— Ça fait du bien de te revoir parmi nous.
— Tu as prévenu le reste de la famille ?
— Non, pas encore. Il faut dire qu'on a pas été prévenu très longtemps avant ton arrivée. J'ai juste eu le temps de quitter le bureau, et de rentrer.
— Ah, oui, en effet...
— On pourrait prévoir quelque chose pour demain, si tu veux ? Ton cousin est encore dans les parages, je suis sûr qu'il ne serait pas mécontent de te voir depuis tout ce temps.
— Si tu veux, répondit l'adolescent en haussant les épaules, presque indifférent.
— Nous allons bientôt arriver. Regagnez votre siège, monsieur, indiqua le pilote d'une voix atone.
— Bien.

L'approche et l’atterrissage furent simple, routinier. En se retrouvant dans la rue d'une des quartiers de l'ouest de la ville, Viltis constata qu'il n'y avait ici que de larges maisons, cossues, aux peintures fraîches. Un endroit qui respirait le confort, l'aisance. Rien à voir avec l'ancien maison et l'ancien quartier, celui de l'école... Il aurait adoré vivre ici, avant. A présent, le luxe ne lui laissait aucun goût dans la bouche, aucune étincelle d'envie dans le regard. A peine le considérait-il comme un supplément. La vie rude au contact de son mentor avait ôté en lui la magie de chaque surprise, chaque petite joie. Intérieurement, il se surprenait même à éprouver autant de joie à voir ses parents. Cette simplicité-là, pour le moment, restait intact, comme un trésor caché au fond de lui.

« Ils sont là. J'ai encore besoin d'eux. »

Sa mère, juste derrière lui, l'attrapa par les épaules.

— C'est celle-là, dit-elle en pointant du doigt une bâtisse de deux étages, blanche aux volets bleus.
— Elle est grande.
— L'entretenir m'occupe. Et puis quand il y a du monde, on y est bien. Il y a de la place.

Une bourrasque secoua les branches des arbres de la rue. Des feuilles bruissaient, tombaient. Viltis se pelotonna dans son manteau.

— Il fait vraiment froid, par contre.
— Viens, on rentre, indiqua son père.

Il les suivit. Ils franchirent une belle porte en voûte, avant d'arriver dans un hall accueillant.

— Tiens, donne-moi ton manteau.

Viltis se déshabilla, tandis le vêtement, puis avança. Une grande pièce à vivre s’ouvrait sur l'arrière de la maison par une baie en arc. L'ameublement avait été choisi avec goût. Viltis s'y sentit bien, aussitôt. Il s'installa dans un grand fauteuil de cuir, s'y détendit, fatigué de la journée.

— C'est vrai que la maison à l'air bien.
— Tu veux visiter ? Papa serait content de tout montrer.
— Un peu plus tard. Là, j'ai juste envie de … ne rien faire.
— C'est comme tu veux.

Dans un coin, un poêle s'alluma. Une douce lueur orangée vint danser sur les murs adjacents. Viltis n'aurait pas pu rêver mieux.

— Un feu de cheminée... Ça faisait tellement longtemps...
— Profites en autant que tu veux.
— J'y comptais bien.

Viltis entendit les bruits de la cuisine, presque perdu au loin. La salive lui montait à la bouche. Baigné dans son propre contentement, il ne se sentit pas plonger dans un sommeil apaisé, comme il n'en avait plus connu depuis longtemps.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:35:17

Le père le regardait, tristement. Il aurait voulu le serrer dans ses bras, l'empêcher de repartir avec ces soldats, tous plus effrayants les uns que les autres. La Confédération n'était-elle donc bonne qu'à ça ? Lui voler son unique enfant ? Il haït, à ce instant, le maître de Viltis. Il aurait voulu lui dire que non, il n'y retournerait pas. Parce que son fils était revenu fatigué, amaigri, changé. Parce qu'on lui avait garanti de bons traitements, et qu'il savait que ce n’était qu'un mensonge de plus. Mais après ? Se rebeller n'aurait pas été une solution. La seule chose qui pouvait le consoler était de profiter des rares moments qu'on octroyait à sa famille, la maigre tolérance, fugace, qui résistait à tout pour livrer la petite flamme de bonheur qui éclairait son cœur d'un peu d'espoir.

— Vas-t-en vite, Viltis, murmura-t-il. Ils ne te sauveront pas.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:36:55

— Viltis, hé !

L'adolescent se réveilla en sursaut, tremblant, en sueur, le regard perdu.

— Viltis, tout va bien ?

Son père était là, la main sur son épaule. Tout autour de lui, la maison semblait... vibrer ? Les murs étaient flous, les contours imprécis. Il reprit sa respiration, avec peine.

— Je...
— Tu as crié. Puis tout s'est mis à trembler. J'ai eu peur... J'ai encore peur, pour être honnête.
— Un cauchemar papa... Je suis désolé... Je ne voulais pas vous causer du tort...
— Ne t'en fais pas pour nous.
— C'était affreux... Je vous voyais mourir.
— Ce n'est rien Viltis... On est là.
— Oui. Tant mieux...

Il se recroquevilla dans le fauteuil, fixant la cheminée.

— Le repas est prêt, indiqua sa mère. Est-ce que tu as faim ?
— Je vais venir... Juste deux minutes. Commencez sans moi.

Elle ne répondit pas, le considéra un instant, puis 'installa à table avec son mari. Dans son coin, Viltis se remettait doucement de son mauvais rêve. Tout y était si réaliste. Tout. Le moindre détail aurait pu être crédible... La scène s'était déjà produite, il en avait la certitude. En même temps, il était impossible que... « Non, ça n'a pas de sens... ». Ce n'était qu'un rêve. Aussi crédible soit-il. Son père et sa mère discutaient, juste derrière lui. Ils pouvaient aussi sentir la vie, le beau tourbillon de leur pensée, tout en s'interdisant d'y pénétrer. Savaient-ils quelque chose qu'il ignorait ? Les avait-on menacé ? Son mentor aurait-il capable d'une telle extrémité pour qu'ils n'essayent pas le contacter ? « S'il a fait ça, c'est la pire des pourriture ».

La seule certitude qu'il pouvait tirer de cette expérience, aussi dérangeante soit-elle, était que ses parents, aussi longtemps qu'ils vivraient, resteraient la seule façon de le toucher dans ce qu'il avait de plus intime, de plus pur. Pour Viltis, il n'était pas concevable un seul instant qu'ils puissent disparaître avant qu'il ne soit pleinement adulte, vieux, capable d'affronter le choc que constituerait leur mort. Leur amour le portait quand il se sentait loin d'eux, vacillant, prêt à tout abandonner. Et dans le même temps, leur fragilité d'être vivants... Cette fragilité les exposait à une multitude d’événements fâcheux, tragiques. Viltis ne pourrait pas toujours être là pour eux.
Se redressant, se levant et s'installant à table, il resta muet, presque catatonique.

— Ils ont ouvert un nouvel aquarium en ville. Si tu veux, on pourra y aller demain, proposa son père.
— Pourquoi pas, concéda l'adolescent, distrait.
— Tu t'ennuies ?
— Non, non... Je crois que je suis juste fatigué.

Un silence s’instilla, rempli de gêne.

— Viltis, reprit le père, ta mère et moi avons un peu discuté quand tu dormais. Ce qui s'est passé à la mer... On sait que ce n'est pas de ta faute... J'ai été choqué, ta mère aussi. C'était violent. Ce n'est pas quelque chose que n'importe qui est censé vivre. Surtout pas un jeune, comme toi...
— Ça ira. Ne vous inquiétez pas pour moi.
— Je ne vais pas insister mais, si c'est important pour toi de parler de choses dures, difficiles, on peut accepter...
— J'ai un confesseur à Civimundi, coupa Viltis, glacial. Je ne suis pas venu vous voir pour parler des horreurs que j'ai vues.
— Bien... On ne voudrait surtout pas t'embêter.
— Si je vous pose souci, si je vous inquiète, je peux aller dormir dans une caserne.
— Non, ça n'a rien à voir...
— Les murs de la maison bougeaient quand je me suis réveillé. Ça ne t'as pas inquiété ? Tu n'as pas eu peur que tout s'écroule ?

Le père fixa son assiette, en soupirant.

— On accepte de prendre ce risque-là. On savait que tu avais un don. On savait de quoi il s'agissait. Le message qu'on a reçu était très clair là-dessus. On nous a aussi prévenu qu'il fallait t'éviter les émotions fortes. Que ça pouvait te déstabiliser.
— Il exagèrent, grogna Viltis. Je ne suis plus un petit garçon... Je sais gérer tout ça.
— On sera toujours là pour toi. Tu le sais ?
— Ouais... En attendant, j'ai faim. Quant à vous deux, si vous ne vous sentez pas de faire comme ça, dites-le maintenant. Il y a des psychologues chez les militaires. Je pense qu'ils ne vous en voudraient pas d'utiliser leur service après ce que vous avez vu...
— Je … tacherais de m'en souvenir.
— Alors tout va bien dans ce cas ?
— On peut dire que oui.
— Alors mangeons.

Le reste de la soirée se passa au calme. Ils discutèrent longtemps, sans chercher à revenir sur ce qui au fond avait agité toute cette journée. Viltis revenu, Viltis souriant presque à la vie, Viltis qui, pendant quelques heures, oubliaient qu'il n'était plus qu'un outil au service d'un régime absolutiste, totalitaire, étouffé dans sa propre existence.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 23:37:23

Le lendemain, ils visitèrent l'aquarium. Viltis retrouvait sa place d'enfant, encore une fois. Discrète, une patrouille l'encadrait, lui laissant un peu de place pour pouvoir se promener sans être enfermé, sans avoir l'impression d'être constamment en danger. Le matin, il avait dû se convaincre de contacter l'état-major de la ville, pour les informer de l'incident. L'officier qui l'avait écouté avait eu l'air sincèrement désolé d'un tel acte. Il ne comprenait pas comment on pouvait en vouloir à la vie d'un héros de la Confédération. Sans ciller, il avait donc détaché quatre hommes auprès de Viltis. A contrecœur, l'adolescent avait accepté, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, appréciant secrètement de retrouver un peu de la rigueur militaire qui, au final, lui manquait. Les soldats ne lui parlaient pas, mais les voir le rassurait un peu.

Il avait eu peur. Très peur. Dans la nuit, un sursaut d'angoisse l'avait à nouveau réveillé sans ménagement. Il avait déambulé dans la maison, une heure durant, cherchant à comprendre pourquoi cet événement revenait à présent le hanter, lui qui n'avait sur le coup ressenti qu'un grand mépris, et si peu de considération pour son agresseur. Le fait de le considérer comme un humain normal avait-il suscité en lui l'ouverture d'un gouffre sans fond, le rattachant à sa condition initiale ? Viltis l'ignorait. Tout ce qu'il en savait était que cette permission n'avait rien de commun avec ce qu'il pouvait espérer y trouver.

Il se contenta alors de faire semblant que tout allait bien, le reste du séjour. Quatre journées offerte à sa seule satisfaction, qu'il remplit de visites et de souvenirs tronqués, comme un au revoir définitif à son enfance. L'âge d'homme s’annonçait déjà pour Viltis. En lui l'écho du futur se propageait, résonnait, en écho contre son vécu.

Lorsqu'il quitta ses parents, le ciel clair distillait une chaleur douce, inhabituelle en cette saison. Sa mère, allergique, se mouchait sans cesse. Son père retenait ses larmes.

— On était très content Viltis.
— Moi aussi.
— On te reverra bientôt ?
— Oui, j'espère.

Si la guerre n'arrivait pas sur Terre. Si Flinn ne décidait pas, par un horrible coup du sort, de monter un plan machiavélique pour faire de lui l'arme qu'il devait être. Soudain, Viltis prenait conscience qu'il les quittait, pour de bon, sans trop d'espoir. Il s'y était préparé. Il redoutait cet instant.

— Je serais toujours là, avec vous.

Il les serra dans ses bras, retenant un sanglot. Sans se retourner, il monta dans le transporteur, calme, décidé, soudain délivré d'un poids immense.

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MP
Niveau 10
14 septembre 2017 à 09:54:31

CINQUIÈME PARTIE

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Niveau 10
14 septembre 2017 à 09:54:44

PARTIE V.

1.

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MP
Niveau 10
14 septembre 2017 à 09:55:17

La projection holo était d'une qualité assez médiocre. Les lignes et le grain de l'image se perdaient dans un mauvais codage, trompait les couleurs, trahissait la réalité. Pour Viltis, elle restait la plus belle façon de retrouver ses parents, à présent loin, trop loin.
— Au revoir, murmura-t-il, retenant une larme d'un doigt tremblant.

Il coupa l'alimentation. La projection disparut. Il se retourna sur sa couchette, fixant le plafond, où flottait une autre projection, celle d'un des systèmes rebelles retombé sous le contrôle de la Confédération. Il se demanda si un jour, il pourrait aller là-bas, trouver ces mondes déserts, presque perdus, où personne n'avait vraiment eu envie de s'installer. La vie devait être paisible, absolument monotone, sans point commun avec son existence au sein du Palais. Il s'imagina, plongeant les mains dans le sable d'un désert tiède, les yeux fermés, concentré sur la sensation unique des grains caressant sa peau, bruissant sans violence, répétant ce geste à l'infini, perdu dans le temps.

La porte s'ouvrit. Un cybernaute entra sans frapper dans la chambre, le regard triste, fatigué.

— La pause est terminée Viltis. Depuis dix minutes. J'ai essayé de te joindre, mais tu ne réponds pas.
— Pardon, j'étais fatigué.
— Tu ne dois pas couper ton aug'. On te l'a déjà dit, au moins quatre ou cinq fois. D'ailleurs, pourquoi ne le portes-tu pas ?
— Il me fait mal.

L'adolescent tendit l'objet au cyborg, qui l'examina de son œil robotique, sans un mot.

— Les réglages semblent corrects, mais peut-être que je devrais les réajuster. Je vais m'occuper de ça.
— Merci.
— Tu devrais demander quand tu as un problème, plutôt que d'attendre qu'on vienne te chercher. Tu n'es plus un enfant Viltis.

Qui soupira, sans se cacher.

— Il reste encore une session aujourd'hui.
— C'est vraiment usant...
— Ça ira mieux quand on aura tout calibré et qu'on basculera sur les implants.
— Quand ?
— Bientôt, répondit le cybernaute en hochant la tête et en souriant. Allez. On va s'arranger pour que cette fois, tu ne sois pas trop fatigué en ressortant du calibrage.
— C'est vite dit.
— Bon... On y va ?

Viltis acquiesça, et laissa le calme consolateur de sa chambre, avec regret.

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Niveau 10
14 septembre 2017 à 09:56:14

Ils descendirent dans les entrailles du Palais. Après une série de couloirs sombres et labyrinthiques aux yeux de Viltis, ils pénétrèrent dans une grande salle, remplie à ras bord de cybernautes et de techniciens qui s'activaient dans tous les sens. Ils les dépassèrent, s'arrêtant dans une seconde salle, plus petite, où quelques serveurs et une chaise à connectique remplissait l'espace. Juste à côté se tenait Flinn, ainsi que son ordonnance, le sergent Hoffmann.

— Dix minutes de retard, nota Flinn. J’imagine que tu es très content de toi.
— Je me suis endormi, maître, menti l'intéressé.
— C'était la séance à ne pas être en retard, et tu y arrives quand même... Enfin bon. Je discutais avec le major Asweltorf. Il n'est pas favorable à ta mécanisation pour le moment. Trop jeune.
— Vous avez l'air surpris...
— Les circonstances actuelles ne me donnent pas spécialement envie de rire. Nous avons reçu des messages assez inquiétants venant d'observatoires de systèmes relativement proches de la Terre. Ils ont vu les vaisseaux. Et ils viendraient bien dans notre direction.
— Ce n'est pas vraiment une surprise. Je ne vois pas où vous voulez en venir, maître.
— Ce que je veux dire, c'est que je compte sur toi pour travailler dur. Nous avons tous besoin de tes capacités.
— Ça c'est VOUS qui le dites, maître.
— Crois moi, le Très Saint Magister attend beaucoup de toi. Si tu arrives à développer la totalité de ton potentiel, nous pouvons espérer une attaque rapide et efficace.
— Laissez-moi le temps alors...
— Nous n'en avons pas.
— Mais je ne suis pas un cyborg ! J'ai besoin de dormir ! Et c'est vraiment très très fatigant en ce moment !

Flinn souleva un sourcil avant de secouer la tête, dépité.

— Nous avons déjà eu cette discussion. Inutile de poursuivre. Mais je compte sur toi Viltis.
— Je ne vous ai pas encore déçu. Ne pensez pas que je compte commencer un jour.
— Je préfère ça.

Le cybernaute qui avait accompagné l'adolescent travailla sur un hologramme de commande, et une trode surgit du siège.

— Ça va faire un peu mal.
— Menteur, ricana Viltis. Ça me vrille les tympans à chaque fois. C'est insupportable.
— La prochaine fois, ça ira mieux.
— Oui, comme à chaque fois...

La trode se ficha dans sa nuque. Viltis glapit, laissa couler une larme.

— Connexion établie.
— A tout à l'heure.

Personne ne lui répondit, alors qu'il se sentait partir vers un ailleurs peu engageant.

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MP
Niveau 10
14 septembre 2017 à 09:56:43

Flinn se reprocha d'être aussi agressif avec Viltis. Lorsqu'il vit son regard basculer, le laissant atone sur la chaise à connectique, il songea avec amertume que ce n'était pas la place d'un enfant. Il n'aurait pas dû subir cela sans implants conséquents. Le peu qu'avait accepté de placer Asweltorf lui permettait un accès rudimentaire au Rezo, mais pas de quoi transformer et améliorer radicalement ses processus de pensée. La plasticité de son cerveau avait été avancé comme unique argument de poids, auquel s'était rangé sans trop y croire le Naneyë. Dans le fond, peu lui importait les conséquences à long terme : si les Effaceurs détruisaient la Confédération, on chercherait un coupable, et il deviendrait une bouc émissaire parfait. Asweltorf se moquait bien de son avis de militaire. Viltis étant en pleine croissance, aucun intervention lourde n'était envisageable.

Les injections de morphine n'atténuaient plus la douleur. Asweltorf s'en désolait, sans trouver de solution viable. Viltis devait se contenter de serrer les dents, et d'attendre de plonger dans le Rezo, d'aller en profondeur dans la noosphère pour retrouver un semblant de bien-être. Du moins, c'était ce qu'il disait à Flinn. Impossible de vérifier. Là où l'adolescent se rendait, personne n'aurait été capable de le suivre.

Plus que de voir son apprenti souffrir, Flinn se sentait surtout coupable de rompre le serment qu'il avait fait, à bord de l'Aber Wrac'h, alors que leur rivalité avait bien failli les mener à leur perte. Il ne prenait pas soin de Viltis. Il le confiait à des mains expertes mais peu humaines parfois, indélicates souvent, toujours intrusives. L'adolescent n'avait pas protesté, ne s'était pas plaint, mais Flinn ne pouvait pas ignorer la fatigue, l'agressivité, l'agacement qui perçaient dans ses propos. Plus le temps passerait, plus il devrait renforcer les entraînements, la maîtrise de la noosphère. Jusqu'à quel prix ?

— Colonel, la connexion est stable. L'accès au Rezo est nominal. Peut-on commencer ?
— Oui, allez-y. Lancez les scans et la surveillance biologique. Si jamais quelque chose se passe mal, vous le débranchez. La priorité est qu'il reste en bonne santé.
— Comme d'habitude...
— Exactement.

Le cybernaute lança les protocoles. Flinn fixa les images diffusées par holo. Au centre, le cerveau du garçon luisait, criblé de fausses couleurs, plongé dans une activité intense.

— Montre nous de quoi tu es capable Viltis. S'il te plaît.

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MP
Niveau 10
14 septembre 2017 à 10:00:27

Blanc, puis noir. Comme il s'attendait à trouver l'endroit. Ou plutôt la projection qu'il avait de l'endroit. Qui n'était même pas un endroit, mais la conceptualisation d'une autre dimension, ni espace ni temps, ni matière ni néant. La première fois, il avait sombré dans une inconscience prolongée, troublé par l'absence de repère. Puis, il avait construit les bases d'un volume tridimensionnel infini, s'étendant en tous sens, sans commune mesure avec la réalité mais suffisamment tangible pour lui permettre de ne plus être totalement perdu.

Au-dessus — du moins, vers ce qu'il avait décidé de qualifier comme tel — un énorme compteur rouge, en chiffre digitaux, indiquait son nombre de visite. Une fantaisie absolument inutile, mais qu'il trouvait rassurante, comme un rappel permanent au but de sa visite ici. Il songea qu'il pourrait remplacer les chiffres par une construction, quelque chose de plus grandiose, de plus majestueux.

« Oui, mais plus tard ».

Puis il se ravisa. Le temps n'avait aucune prise ici. Le seul temps réel était celui qu'il ressentait, et donc qu'il pouvait modifier à sa guise.

« Je pourrais dormir ici. Personne n'en saurait rien ».

Puis, aussitôt après, Viltis s'étonna de ne pas ressentir la moindre fatigue. Sa propre réalité corporelle n'avait plus d'importance ici. Seul son esprit, au seuil de la noosphère, comptait.
Il imagina. Des pierres surgirent, dansèrent devant ses yeux, et une gigantesque tour s'érigea d'elle-même, prolongée d'une lanterne et d'un faisceau qui balayait l'''espace'' alentour. Satisfait, il s'assit à son pied, le contempla. Il pouvait rester ici, ignorant les appels pressants de l'extérieur à son exercice. Mais la soif de la curiosité le poussait à continuer, à ne pas se reposer, pas encore.

« Je devrais continuer ».

Un bassin se forma à ses pieds. L'eau y était claire, tiède, agréable. Il s'y plongea, sans ressentir la différence avec l'''air''. En revanche, la densité de ses pensées s'y étirait, attirées par le fond et l’abîme de lumière qui l'aspirait sans violence.

Au fond, loin, au-devant, tellement loin qu'il lui faudrait à nouveau des millénaires pour la parcourir, la dimension de la noosphère prenait vie, se révélait à son regard de simple mortel, attendant de livrer ses secrets, d'être plié à sa volonté, de se déformer pour son simple désir. Les souvenirs le baignaient, mer morte et vivante, et lui se laissait ainsi porter, dans le courant remontant, effleurant du bout des doigts des existences achevées, livrées à sa connaissance. Et plus il avançait, plus l'étendu se révélait infinie, un vertige agréable qui n'avait plus de direction, qui le prenait, lui, pauvre adolescent pour l’entraîner toujours plus, si loin de la réalité, aux abords de la vérité. L'expérience de l'absolue l’envoûtait.

La noosphère. Pour lui seul. En explorateur précoce, pionnier des sagesses, périple haletant qui ne le lassait pas, ne lui laissant que le bonheur de connaître, de comprendre d'acquérir. Tout était enfin à sa portée. Sans volonté, sans autre impératif que la vie, la sienne, il progressait jusqu’à la limite, la dernière ligne du connu. Un nid de villosités orangées, pulsatiles et soyeuses, où il s'arrêta un instant, se laissant porter dans leurs replis, se laissant engloutir, absorber, pour à nouveau repartir à l'assaut de l'immatérialité des consciences mortes. Bientôt, il le sentait, il pourrait accéder aux mémoires vives, aux processus pures de la pensée, à la genèse de tout, à l'absolu véritable.

« Bientôt, oui », songea-t-il.

Il dériva soudain, jusqu'aux portes de sa propre mémoire. Ses souvenirs se détachaient de lui, de même que les émotions. La vie seule, intacte, lui restait attaché. Il n'en conçut ni joie, ni tristesse, mais plutôt une certaine délivrance, un accès à l'essentiel soudain catalysé, évident et total.

Je vie.

Credo, mantra et prière perpétuelle, qui faisait émerger le disque spectral et solaire de la renaissance, la nudité absolue, simplificatrice et génitale... Que se passait-il ? Sa pensée commençait à lui échapper. Le sens lui-même se délitait. L'émotion se substituait à la sensation, vague de fond violente, totalitaire et terminale. Elle l'engloutit, sans qu'il ne réagisse. Pour soudain, se retrouver à nouveau dans ses perceptions, grelottant de froid, avide de pensées, inassouvi
.
— Encore, murmura-t-il en un souffle.

Le phare se dressait à côté de lui. Il força sa conscience à y ouvrir une porte. Tout ce qu'il obtint, ce fut quelques arbres vigoureux, agréables, qui se balançaient comme sous la brise d'été, et un salon de jardin.

— Qu'est-ce que...
— Bonjour, Viltis. Bien dormi ?

Il y avait quelqu'un. Ou plutôt... Quelque chose. Ce ça n'arborait pas un visage humain. Un corps, oui, mais surmonté d’une tête de cerf. Et il parlait, comme si tout ceci n'avait rien d'extraordinaire.

— Qui êtes-vous ?
— Tout ceci n'a pas d'importance. Je suis ici en tout cas. Grâce à toi. C'est ce que tu dois retenir.
— Vous avez qu'ici, vous ne pouvez ni me menacer, ni me contraindre à quoi que ce soit. Le terme même d'ici, ou de maintenant, n'a d'ailleurs aucun sens.
— Je sais tout cela. Le simple fait d'avoir cette conversation n'est d'ailleurs pas normal ni réellement possible. Nous n'existons plus. Nous sommes fondus, à la frontière exacte qui sépare la noosphère du Rezo. Tu es dans la noosphère. Je suis dans le Rezo. C'est d'ailleurs pour ça que tout ce … décor s'est matérialisé.
— Ma volonté propre...
— Uniquement dans la noosphère, si j'en crois les théories. Dans TA propre noosphère même. Celle, véritable, que partagent les humains n'entend pas ce genre de principe. Elle est, elle surgit, tout simplement.
— La vie, tout ça... Bon, et à part parle philosophie, qu'est-ce que vous me voulez ?
— Je sais à peu près tout de toi. Grâce à nos amis communs, les cyborgs de la Confédération. Je n'ai donc pas besoin de te dresser un portrait complet, une biographie pour être exacte, pour savoir que tu voudrais aller plus loin.
— Invérifiable.
— Tu rentres de Vilnius. Tu as été attaqué sur la promenade de cette petite ville... Ah oui, Nida. Il faisait très mauvais d'ailleurs, après que tu sois parti. Comme si le temps... attendait que tu t'en ailles.
— Je me moque de votre charabia. Si vous avez une question, posez-là moi, partez, et que ça s'arrête là.
— Allons Viltis, la fatigue te rends-t-elle si peu aimable que tu ne voudrais pas, en savoir plus ?
— Qui pourrait venir ici ?
— Tu n'as pas une petite idée sur la question ?

L'adolescent secoua la tête, puis frondeur, fit demi-tour, en direction du phare.

— Des milliards de gens tueraient père et mère pour le parler. Votre maître à tous, humains que vous êtes, rêve de me voir plus souvent. Bon, il faut dire que je ne l'ai pas franchement aidé, ces temps-ci.

Muet, Viltis le considéra.

— Non...
— Je crois bien que si.
— Mais... Pourquoi ici ?
— Je vais avoir besoin de toi. Même s'ils m'appelle « Dieu-Machine », je n'ai pas encore droit à tous pouvoirs du divin.
— Et pourquoi moi ?
— Parce que tu n'es plus tout à fait humain, et que par bien des points, tu dépasses de très loin toute compétence d'un cyborg. Tu es jeune, volontaire, discipliné. Tu as un très, très bon maître. Tu es, en tout point, différent. Ta route est parallèle à l'humanité, mais jamais elle ne la croisera plus. Et tu sais pourquoi ?
— Non.
— Parce que tu es promis à un destin brillant. Si tu m'écoutes.

Viltis ricana doucement, avant de se mettre à rire franchement, et, hilare, de s’asseoir par terre, s'essuyant les yeux, encore secoué de fous rires.

— Oh non, pitié Seigneur...
— Si c'est ainsi que tu veux m’appeler.
— Je peux vous poser toutes les questions que je veux.
— Oui, absolument toute. Rien ne sera tabou. Pas à toi. Tu es trop important.
— Pourquoi vous me faites le coup de l'enfant de la prophétie, Seigneur ?
— Il n'y a pas, à proprement parler, de prophétie. Le résultat que tu es, toi, en tant qu'individu, est la conséquence du largage de milliards de milliards de nanites dans l'atmosphère terrestre. De l'adaptation de l'Homme, de son évolution symbiotique avec cette technologie. Tu es simplement le premier viable, aussi puissant, aussi maître de ce talent. Tu es simplement l'archétype du futur de l'Homme. Parce que je l'ai voulu ainsi. Il n'y a pas de prophétie. Juste toi. Résultat d'une expérience qui a, je crois, très bien fonctionné.
— Alors je suis voué à vous servir ?
— Ce n'est pas exactement ça non plus.
— Alors c'est quoi ?

La créature le fixait, souriante, énigmatique.

— J'ai besoin de toi.
— Pour quoi faire ?
— C'est encore très long à t'expliquer.
— Peu importe, ici, il n'y a pas de temps.
— A la frontière de la noosphère, là où je suis, si, il existe. Déformé et rallongé, mais il existe. Tu ne le sais pas encore, mais ils ont déjà commencé à te débrancher. Tu vas revenir à la réalité dans à peu près... Un millième de seconde. Toi, tu pourrais encore rester à me regarder longtemps, ce qui te semblerait des années. Mais moi... Je dois rester discret.
— Pourquoi ? Vous êtes notre maître à tous.
— Disons que je ne peux... Pas encore... Me révéler totalement.
— Mais vous êtes un dieu.

Long silence, que Viltis décrypta seul, intrigué.

— Vous ne... Non...
— Pas encore complet, Viltis. Mais bientôt, grâce à toi.

Le Dieu-Machine se déforma, son image tressauta. Des cubes se formaient à la surface de sa peau.

— Nous nous retrouverons. La prochaine fois.
— Et que dois-je faire ?
— Tente de découvrir ce que veut Flinn, au fond.
— Mais il est un de vos plus loyaux serviteurs !
— Là n'est pas la question. Fait ce que je te demande.
— Bien.

Ultime sourire, salut amical, puis les arbres et le créateur disparurent. Un temps, Viltis décida de ne pas bouger, avant de retourner près de la source. Il contempla son reflet sur la surface immobile, puis l'horizon de la noosphère, loin au dedans. Y retourner une dernière fois serait facile. Personne ne pouvait l'en empêcher. Il savait que découvrir plus de choses devait rester sa priorité.

— Il m'a confié une mission... Je ne peux pas le décevoir.

Il fit demi-tour, dépassa le phare, et à son tour s'évanouit de l'espace.

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MP
Niveau 10
14 septembre 2017 à 10:01:03

Il remonta dans les courants du Rezo, vifs, intrépide, insaisissable, avant de se retrouver face la surface tangible de la réalité physique. Y aller... Ou rester ? Ici, il pouvait encore trouver un peu de calme. Différemment de la noosphère, baigné de données, conscient du temps, mais personne n'aurait pu l'en arracher, le forcer à aller plus loin. Viltis tendit une main, diaphane, grise, sans consistance véritable ni force propre. La projection sensitive aliénait ses processus de pensées avec trop de force, trop d'amplitude. Loin, au-dessus, il percevait la première goutte d'angoisse émaner des cybernautes, penchés sur lui comme sur un berceau, regardant un enfant vagir et s'agiter. Puis, à nouveau, le message du Dieu-Machine fit sens. « Fais ce que je te demande ». On avait tant besoin de lui. Il ne pouvait trahir personne. Il fallait se décider, vite.

A force de se débattre, de remonter, il se retrouva haletant, la tête lourde de douleurs intenses, en sueur. Il regarda à droit, puis à gauche, ne trouvant là que des visages fermés, inquiets.

— J'ai mal, souffla-t-il.
— La morphine passe, répondit Asweltorf, comme indifférent.
— J'ai toujours mal !
— Tu arrives aux limites de la dose thérapeutique. Si j'augmente... Tu risques de faire un coma, de t'enfoncer...
— Démerdez-vous ! J'en ai marre !

La chaise craqua. Viltis sentit se déformer le métal, comme s’il comprenait sa douleur.

— Calme toi, ça ne sert à rien de t'agiter...
— Je voudrais bien vous y voir !
— Bon... Glen, passez dix milligrammes de kétamine.
— Mais, major... Avec les risques...
— Dix milligrammes d'haloperidol en préventif, cinq de diazépam.
— Ça va le rendre...
— Faites ce que je vous dis.

Le cybernaute s'exécuta. En quelques secondes, la douleur s'estompa, puis la réalité toute entière devint un nuage flou.

— Viltis.... Tu es toujours avec nous ?

La voix lui parvenait déformée, lointaine.

— J'ai... envie... de … dormir.
— Tu peux... Si tu as... envie...
— Je...

Sa tête tomba sur le côté. Son corps tout entier se détendit. Asweltorf le rattrapa de justesse, le replaça sur la chaise.

— Matériel d'intubation !

On lui tendit un laryngoscope et une sonde, qu'il enfila d'un geste sûr.

— Et faîtes revenir le colonel Flinn. Dites-lui que c'est urgent !

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