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Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:01:16

Flinn les avaient quittés sans un mot. Maverish s'était présenté à la porte extérieure du transporteur, l’avait froidement fixé, puis, d’une voix convaincue, lui avait dit :

— Les détails, colonel. Il me faut tous les détails. Je pense que vous comprenez.

L'officier avait acquiescé, puis avait tourné les talons.

A présent, cela faisait cinq bonnes minutes qu'il marchait, dans une steppe jaune et grise, poussiéreuse, où se levait dans une lointaine chaîne de montagne quelques nuages lourds de pluie. Flinn espéra échapper au déluge avant son retour, mais il savait pertinemment que la planète n'attendrait pas son avis pour détremper sa carcasse. Dans un sens, cela l'amusa presque de ne porter d'attention qu'à ce genre de détail, de ne pas s'inquiéter de ce qu'il trouverait au bout du chemin plat et rectiligne qui fendait la plaine, dévoilant le paysage de ses souvenirs, de sa jeunesse. « Combien de mystères, combien de connaissances resteront à jamais cachés ? Combien seront perdus ? ». Puis, juste après, de secouer la tête en songeant : « Non. Il y a le H'hrodath. Et les Sages. Ils ne peuvent pas laisser se perdre un tel trésor ».

Le chemin tourna, auprès d'un arbre nain et rachitique. Ses feuilles bruissaient faiblement, secouées par une rafale. Flinn s'y arrêta un instant, examina le paysage. A trois cent mètres, un amas rocheux surmonté d'une maigre construction de pierre semblait l'attendre. Il hésita, un court instant. « Ils ne voudront pas de moi. Ils savent, eux ». Il avança, moins assuré à mesure que la distance se réduisait. Devant les roches, qu'il fixa à nouveau, il remarqua un escalier usé qui s'enfonçait dans une cave humide et mal éclairé. Il le suivit, se trouva face une porte qu'il ouvrit. Deux Naneyë se tenaient là, impassibles.

— Je suis venu rencontrer les Sages, déclara Flinn.

L'un des deux gardiens grogna, renifla l'air, puis passa une autre porte. Au bout de quelques minutes, il revint, affichant la même mine désagréable.

— Ils vous attendaient, Flinn.
— Merci.

Les gardiens le laissèrent passer, non sans lui faire comprendre qu'il n'était pas le bienvenu pour eux. Flinn sentit et vit dans leurs esprits la haine et la colère, tout autant que la retenue dont ils faisaient preuve à son égard. Il décida de ne pas traîner, avec eux ou avec les Sages. Plus vite il sortirait, mieux il s'en porterait.

La dernière pièce, un dôme de roche nu qui s'élargissait après un couloir étroit, ressemblait davantage à un tombeau abandonné qu'à un la demeure qui auraient convenu à des individus censés conserver la connaissance de toute une espèce. Avec vivacité, Flinn se souvint alors que les Sages vivaient dans la cité, lorsqu'il était enfant. « Ils sont partis après que père soit revenu … ». Le gouverneur ne les avait pas chassés. Ils avaient simplement refusé de rester dans un lieu qui n'était plus vierge des influences extérieures.

Le confort était rudimentaire. Flinn distinguait quatre couches disposés contre un mur, une table, quelques ouvrages, un trou à feu qui fumait plus qu'il n'éclairait le lieu. Les Sages s'y étaient regroupés. Ils le fixaient. Il leva une main, qu'il espéra amicale.

— Je suis Flinn, commença-t-il. Je viens car j'ai des questions à vous poser.
— Nous savons tous qui tu es, aboya aussitôt un des Sages, un homme entre deux âges, indéfinissable, et dont le regard figea Flinn sur place. Tu es le fils de ce fou d'Inuë, qui a tout sacrifié pour que nous vivions. Et tu as suivi son chemin.
— Laisse le, Alooé, tempéra un autre Sage. Tu sais pourquoi il vient.

Le premier Sage hocha la tête, puis se leva, alla à la rencontre de Flinn, et lui prit les mains.

— Tu as bien du courage, petit. Tu es un héros parmi les peuples, pour nous comme pour ceux de la Terre. Tu as dépassé la frontière de la race. Tu as rouvert la Voie.
— De ça aussi, il faut que je vous parle.
— Helio l'a senti, répondit Alooé en désignant un troisième Sage, qui leva une main. Il est le dernier parmi nous à savoir retrouver le sentier qui mène à la Voie.
— Où est la Clef ? questionna le dernier Sage.
— La clef ? Vous voulez dire … Viltis ?
— Ah, alors il a un nom ? Et que signifie son nom ?
— Espoir, dans sa langue natale.

Le sage ricana.

— Ils auraient mieux fait de l’appeler Dernier. Après lui ne viendra rien de bon.
— Si je suis là, c'est grâce à lui. Il m'a sauvé la vie.
— Et il t'a sans doute plongé dans quelque chose qui va te dépasser, et de très loin. Flinn, l'enfant est un prodige que seule la nature même de notre Univers aurait dû dévoiler à l'Homme d'ici à plusieurs dizaines de générations. Car l'Homme n'est pas prêt à cela. Il court un danger en gardant le garçon.
— Le garçon vit, il n'est pas question de le tuer. Et je ne suis pas venu pour le garçon.
— Non, tu n'es pas venu pour le garçon, mais pour quelque chose qui vous concerne, le garçon et toi, corrigea Alooé. Et je vois que tu as apporté cet objet. Qu'en sais-tu ?
— Trop peu de choses. Mon équipe en connaît bien plus que moi à son sujet.
— Des humains, se plaint Helio. Comment peux-tu rester avec les humains ? Ils n'étaient que des sauvages lorsque nous avons découvert leur planète. Nous avons laissé des indices, ils ont trop tardé à venir.
— Mais ils sont là, tempéra Flinn. Ils sont courageux, intelligents. Plus que nous, maintenant.
— Nous le serions bien plus, sans ce que l'Univers a porté auprès de nous. L'Histoire, la légende.
— Ce n'est pas une légende, n'est-ce pas ? Une légende ne se produit pas. Elle découle de ce qui s'est produit.

Un lourd silence retomba, les Sages se regroupèrent autour du feu.

— Comment notre peuple est mort ? questionna Flinn, grave.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
— Bien sûr que oui, sinon, je ne poserai pas la question.
— Comme la légende le dit, Flinn. Parce que la race venue du fond des âges est tombée sur nous comme une mauvaise maladie, elle a décimé nos rangs et nos connaissances, nous a contraint à nous cacher en oubliant que nous étions de fiers conquérants.
— Est-ce que l'on sait à quoi ils ressemblaient ?
— Non, mais nous pourrions.
— Comment ?
— A travers la Voie.
— Le H'hrodath ?
— Il n'existe plus.
— Vous mentez.
— Il n'existe plus, Flinn. Il s'est perdu il y a plusieurs millénaires.
— Et ce que je vie ? Comment l’appelez-vous ?
— La Voie. Ce n'est pas le H'hrodath. Il n'y a plus de H'hrodath car la connaissance de sa maîtrise s'est éteinte avec ses derniers pratiquants. Lire dans l'esprit des vivants est la Voie. Il n'en a jamais été autrement.
— Pourquoi parle-t-on de H'hrodath, dans ce cas ?
— Abus de langage, volonté de garder ancrée en nous ce que nous savions. Et ce que nous avons perdus. Il ne reste que la trace du souvenir de cette maîtrise, pas la maîtrise elle-même.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:04:11

— Le H'hrodath permettait de remonter dans le temps par la Voie, si j'essaye de vous suivre ?
— Oui.
— Et allait-il dans les deux directions du temps ?
— Le temps n'a de sens que dans l'espace.
— Pouvait-on voir le futur ?
— Non, puisque la Voie et le H'hrodath ne sont ni le temps, ni l'espace. Ils ne sont que de l'information.
— Le H'hrodath permet de voir l'information, qu'elle soit vivante où morte, n'est-ce pas ? Qu'elle ait existé où qu'elle puisse advenir ?
— Oui.
— Dans ce sens-là … Ceux qui pratiquaient le H'hrodath … Ont-ils pu voir ce qui auraient pu survenir ?
— C'est pour cela que la gloire de notre peuple s'est éteinte. Parce qu'ils ont vu.
— La fin ?
— Non, le visage de nos bourreaux. Ils ont vu la mort et la disparition sanglante des Naneyë. La mort de notre civilisation, de notre monde. Ils ne pouvaient supporter cette image. Ils sont devenus aveugles, sourds et muets.
— Ils n'ont donc jamais dit qui étaient ceux qui ont failli nous détruire ?
— Ils ne pouvaient pas, ils n'avaient pas de noms.
— Ils ont pourtant laissé des indices, n'est-ce pas ?
— Comme celui que tu as apporté avec toi ?
— C'est un artefact xéno. On en a découvert sur plusieurs mondes. On ignore à quoi ils servent.
— Ce n'est pas étonnant, ricana Helio. Ils existent pour que l'ignorance progressent.
— C'est une mauvaise blague, répondit sombrement Flinn.
— Le peuple venu du fond des temps et de l'espace avait, semble-t-il, un solide sens de l'humour.
— Comment savaient-vous cela ?
— Certaines choses passent, entre nous, de générations en générations. La plus importante est celle-ci : « n'ignore jamais ce qui veut l'être, et qui cherche à porter l'ignorance ».
— C'est un simple proverbe.
— Un acte de foi et une volonté de survivre à tout, surtout à l'oubli. C'est le grand mal de notre race.
— Comment pouvez-vous savoir si c'est bien cela qui nous relie au peuple ancien qui nous a détruit ?
— A failli, corrigea Alooé. La vie persiste. Elle ne peut jamais disparaître totalement. Même réduite à son expression la plus simple, le mystère de sa subsistance demeure intact. Seul le dispensable est emporté dans le vent de l'Histoire.
— Cela ne me dit pas comment vous, vous savez, alors que cette … chose dites-vous, apporte l'ignorance.
— La Voie, répondit Helio. Je n'ai pas eu grand-chose à faire pour comprendre ce qu'il y avait à comprendre sur cet objet. Si personne ne sait ce qu'il en est, c'est parce qu'on ne souhaite pas le savoir. Ce qui est normal, vu qu'il porte le germe de cette épidémie qu'est l'ignorance en lui.
— Cet objet efface la mémoire des peuples qu'il rencontre ?
— Oui, et non. Il modifie la Voie. La Voie de chaque peuple, du notre comme de celui des humains. La race venue du fond des âges et de l'espace ne cherche que cela. Dominer les Voies, rencontrer ce qui est l’origine en supprimant le superflu.
Je sentis Helio sourire en lui. Une pluie d'image me recouvrit. Des récits du passé, des bribes du présent. En un instant, je connue l'immense mélancolie qui étreignait toute la Voie de mon peuple. Les larmes me montèrent aux yeux, malgré les contrôles cybernétiques.
— Le superflu est l'âme de ce qui est. Le superflu est ce qui ne peut être reconstruit. En le supprimant, on supprime toute trace d'un peuple. Ne reste que la vie. La Voie, elle, s'éteint toujours.
— Peut-être vais-je être impertinent, mais pourquoi les humains ne connaissent pas tout cela de la Voie ? Ils font des recherches dessus. Il y a une collaboration entre les humains et les Naneyë pour développer un savoir neuf, bâti sur les connaissances anciennes de nos peuples … Mais pourquoi pas d'échanges sur la Voie ? Moi-même, j'ignorais tout cela.
— Non, Flinn, tu le savais. Mais tu n'as pas encore trouvé le chemin qui mène à cette partie de la Voie.
— Il fallait que je vous rencontre pour cela.

Helio acquiesça.

— Tu ne pratiques pas le H'hrodath. La connaissance ne pouvait pas encore s’affranchir du temps et de l'espace. Mais en venant ici, et bien que tu ne sois plus qu'un Naneyë perverti par la technologie de l'Homme, la Voie résiste en toi car elle sait qui elle appelle. Elle a besoin de toi, comme tout notre peuple.
— C'est pour cela que vous avez accepté que je vienne ? Parce que vous saviez ce qui allait se passer ?
— Non, mais parce que tu es un des rares Naneyë à avoir eu accès à la Voie. La Voie s'éteint. Et si nous continuons, elle se refermera d'ici quelques générations.
— Il faut préserver le savoir.
— Tu le transmettras, Flinn. Tu auras des fils et des filles.

L’officier éclata de rire.

— Je ne peux plus me reproduire !
— Ne soit pas sot. Tu sais très bien que les Hommes auront gardé de toi un peu de ta semence. Ils savent comment engendrer la vie en se passant d'elle. Tu auras des fils et des filles, et ce don, tu le transmettras, car la Voie sait qu'elle doit sa survie à ceux qui la connaissent.
— Mais … Les Cubes ?
— Nous faisons confiance en tes connaissances et en tes capacités, Flinn. Tu n'es plus un Naneyë, mais tu n'es pas un Homme. Ton esprit s'est libéré des contraintes de l'attachement. Seul le garçon te relie encore à ce monde.
— Il n'est pas prêt.
— Détrompe toi, il attend ce moment depuis bien trop longtemps. Vous avez tardé. Lorsqu'il sera mûr et en pleine possession de la Clef, il pourra ouvrir toutes les Voies. La race venue du fond des temps et de l'espace ne pourra pas le manquer, car il sera un véritable phare. Et alors, lorsqu'il sera prêt, eux aussi le seront.
— Que dois-je faire ?
— Réfléchir, assimiler les connaissances. Regarder le passé tel que nous l'avons eu en héritage, et apprendre à faire avec ce garçon qui n'est ni humain, ni Naneyë.
— Et les Cubes ? Répéta Flinn.
— Ils rejoindront l'oubli parce qu'ils sont l'oubli. Contemple l’abîme tel qu'il se présente à nous. Un vide rempli de superficiel.

Ma vue se brouilla. Je posais un genou à terre. Des milliards d'étoiles arrosèrent l'espace. Des cartes et des routes perdues se révélèrent. Le souvenir d'une bataille gigantesque, boucherie dont ne subsistait que l'écho des cris des morts et le froid mordant la chair. L'écho, toujours, du silence et de l'oubli. La Clef, tel qu'ils l'imaginaient. Les germes. Le peuple venu du fond des âges et de l'espace, masse de vaisseaux sphériques, planétoïdes, dont jamais le visage ne devait être révélé. Flinn dériva, des éternités, au milieu de cette connaissance. Il aurait voulu fuir, il ne le pouvait pas.

— Bientôt, Flinn, tout ceci sera tient. Notre aide s'arrête ici. Nous ne pouvons t'apporter davantage.
— Mais … Si j'échoue ? Si je ne parviens à faire ce que je suis censé faire ?
— Qu'il en soit ainsi. La Voie s'éteindra. Celle des Naneyë. Des Hommes. De l'Univers. Tout disparaîtra sans disparaître.

Flinn retrouva la réalité.

— Pourrais-je revenir ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Ne pourrons jamais être plus clairs. Plus tu reviendras, plus les connaissances perdront leur éclat. Nous ne pouvons plus échanger.
— Comment saurais-je si j'ai réussi ?
— Va, Flinn, conclut Hélio. Je partage avec toi la vision de la Voie. Tu ne resteras jamais seul.

Les Sages se turent. Ils fixèrent le feu, placide, comme si la scène n'avait jamais eu lieu. Un des gardiens surgit du couloir, toisa Flinn.

— Si vous voulez bien me suivre.

Avant que l'officier ne proteste, une solide main l'avait empoigné et le forçait vers la sortie.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:10:17

PARTIE IV.

3.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:11:56

Maverish s'était assis sur la rampe, et avait sorti un minuscule projecteur holo, où il faisait défiler diverses simulations. La dernière en date concernait une reproduction grossière d'Alioth, marqué de quelques points rouges. Des lieux de fouilles. Il avait zoomé à plusieurs endroits, notant quelques notes dans un fichier vierge. Et lorsque le colonel Flinn revint, il se redressa, surprit.

— Colonel ?
— Nous allons avoir beaucoup de travail, Evan. Vous vous sentez d'attaque ?
— Je ne comprends pas … Oui, je suis prêt mais …

Il talonna Flinn, se rapprocha de lui.

— L'entrevue s'est si mal passée ?
— Je vous demande pardon, cybernaute ?
— L'entrevue avec les Sages... Vous revenez bien vite, vous avez l'air de mauvaise humeur.
— Ce n'est rien. Je suis fatigué.
— Je ne suis pas sûr que la fatigue ait grand-chose à voir, colonel...
— Ecoutez Evan, j'entends que vous vous inquiétez à mon propos, mais tout va bien. Les informations que j'avais à recueillir sont en ma possession. J'ai pu appuyer certaines de mes propres théories. Il faut que j'y vois un peu plus clair. Nous nous verrons tous ce soir, au camp de base, une fois que j'aurais fait un peu de tri.
— Camp de base ?
— Le site de fouille De la péninsule de Oul. Codé Gamma-2157. J'imagine que cela vous évoque quelques choses ?
— Euh … Oui, bien sûr... On a retrouvé des traces de l'époque...
— Peu importe ce qu'on y a trouvé avant. Il reste un détail. Un très gros détail. Nous allons devoir retourner le site, si besoin est.
— Mais, colonel... Nous n'avons pas les moyens techniques...
— La question des moyens n'est pas la vôtre. Tout ce que je vous demande, c'est d'un, de me laisser tranquille, de deux, de vous assurer que vous êtes bien prêt pour ce soir. Evan, nous allons avoir beaucoup de travail dans les semaines à venir.

Evan choisit le silence. Il hocha la tête, discret.

— Je préfère ça, grogna Flinn.
— Juste une dernière chose, colonel.
— Quoi encore ?
— Le Cube... Pourriez-vous le remettre, s'il vous plaît ? Je pense que nous en aurons besoin.

Flinn regarda le cube, puis Evan.

— Oui... Bien sûr. Je ne comptais pas l'emporter avec moi.
— Je vous remercie colonel... Soyez tranquille, je ne viendrais plus vous importuner.

Evan se sangla à quelques distances du colonel, tandis que le transporteur commençait à gronder doucement, se dirigeant vers les coordonnées qu'avait transmis Flinn au pilote.

Des coordonnées qu'il avait obtenu d'une façon bien étrange à son goût. Une série de chiffre et de lettres dans la langue Naneyë, et qui l'avaient obsédé jusqu'à ce qu'il saisisse ce qu'ils pouvaient signifier. Tout en lui semblait se mettre à résonner, à luire d'un éclat différent. Quelque chose dans sa perception, au-delà de ce que lui apportait le monde physique, avait changé. Cela lui était pénible à vivre. Rester au contact des autres, parler, agir selon un code lourd et lent... Cela n'avait plus aucun sens.
Il voyait les idées. Il sentait les émotions. Il entendait le futur proche. Comme si parler de la Voie l'avait emmené plus loin dans son accès à la noosphère. Insidieusement, les Sages avaient semé les graines d'une connaissance qu'il savait lourde, très lourde pour un seul individu. Les traces du passé, les solutions envisagés face à un ennemi fui plusieurs milliers d'années avant et refaisant très probablement surface, le fil de l'Histoire appuyait sur son esprit, aiguillait sa pensée.

Evan aurait souhaité en parler. Ana aussi. Ana qui l'aurait questionné sans cesse, jusqu'à ce qu'il explique tout. Elle l'aurait plaint. Il l'aurait rassuré, en vain. Viltis aurait regardé la scène, sans dire un mot. Viltis, qui prenait une place à part. Viltis, qui soudain, n'était plus l'enfant chétif, mais le presque adulte, presque à terme. Presque trop tard. Viltis qui entrevoyait ce qu'était sa nature. L'étendue de son pouvoir. Viltis qui se révélerait. Le piétinerait. Le ferait disparaître.

Non.

Il pencha la tête en avant, saturé d'idées.

— Maître ?
— Tout va bien, tout va bien...
— Je suis là, maître.
— Je sais Viltis. Mais ne t'inquiète pas pour moi.

Il se redressa.

— Je dois juste manquer de repos.

Viltis le dévisagea.

— Oui... Du repos sans doute, maître...

« Tu mens, Viltis. Et tu mens très mal. Je ne sais pas où tu veux en venir, mais je n'aime pas ça du tout ».

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Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:14:28

La nuit n'était pas encore tombée, mais le jour déclinait déjà. Les nuages avaient reflué, loin, derrière les montagnes, et un soleil livide avait décidé de se montrer. Sur le site de fouille, il disputait la partie à un vent glacial, violent, qui obligeait l'équipage à rester dans les abris mobiles dressés à la hâte par la garde personnelle du gouverneur. Les bâches claquaient, et à l'intérieur, tous semblaient assez peu rassuré, à l'exception de Flinn. Imperturbable, silencieux, il compulsait des données dans le coin qu'il s'était arrogé.

Viltis était resté à ses côtés. Flinn avait refusé qu'il sorte accompagner Evan, le seul qui avait osé rester à l'extérieur pour découvrir le site des fouilles. L'adolescent avait tenté, en vain, d'insister. Il n'avait reçu qu'une réponse glaciale, cinglante, qui le forçait à ne plus dire mot, tandis que son mentor continuait de travailler sur les données qu'il venait de recevoir.

Ana se hasarda à revenir près de Flinn. Elle portait un projecteur avec elle, de la même facture que celui d'Evan. Elle hésita, un instant.

— Colonel ?
— mmm... Oui ? Qu'est-ce qu'il y a, Ana ?
— Nous vous attendons, colonel. Vos ordres... Je crois que tout le monde est prêt à travailler.
— Evan est revenu ?
— Pas encore... Mais j'imagine qu'il ne devrait pas tarder.
— Nous l'attendrons.
— Colonel, je comprends que cela puisse vous sembler trivial...
— Nous l'attendrons, répéta Flinn. Il doit me rapporter quelque chose de capital pour la suite des opérations.
— Il n'y a que du sable dehors et des roches dehors, colonel. Le site... Tout ce qu'il y avait d'intéressant a été rapatrié sur Terre il y a des années.
— Ah, vous croyez ? Questionna Flinn en lançant à la femme un sourire mauvais. Nous verrons ce que l'aedificator Maverish en pensera... Je ne suis pas sûr qu'il montre autant de certitudes que vous.
— Colonel, tout le monde attend.
— Et moi, j’attends Evan.
— Cela fait des jours qu'ils s'ennuient. On leur avait promis de la nouveauté, une mission suffisamment importante pour que le Très Saint Magister en personne s'en mêle. Hors, il ne se passe rien. Et votre … communication n'est pas des plus efficaces. Colonel, certains dans l'équipe commencent à trouver le temps très long et vos méthodes franchement désagréables et inappropriées à une mission scientifique.
— Qui a dit que cette mission était scientifique ?
— Nous faisons de la recherche.
— Prospection, corrigea Flinn. Nous savons très bien ce que nous cherchons.
— Vous sans doute, mais eux l'ignore.
— C'est bien pour cela que je vous ai convoqué ce soir. Pour mettre les choses au clair.
— Mais...
— Écoutez Ana, je suppose que le gros des troupes vous envoie ici parce qu'ils estiment que notre relative proximité pourrait faire pencher la balance en leur faveur, je me trompe ?

Elle secoua la tête.

— Dites-leur que le seul chef à bord, tant que je serai vivant, ce sera moi. Et que le premier imbécile qui s'avise de contester ou de s'amuser à semer le désordre finira gentiment le reste de l'expédition dans un cachot et sous bonne escorte. Ce qui, j'en conviens, ferait franchement désordre dans le rapport d'activités que nos chers « confrères » pourraient dresser sur cette expédition. Il serait dommage que leurs avancements se retrouvent retardés pour acte de mutinerie à l'encontre d'un officier militaire.
— Colonel... Je ne peux pas leur dire ça.
— Non effectivement.
— Alors quoi ?
— Mot pour mot : le premier qui bouge son cul passe par-dessus bord.
— Mot pour mot ?
— Mot pour mot, confirma Flinn.
— Bien.

Désarçonné, Ana se retira, laissant à nouveau Flinn.

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MP
Niveau 10
12 septembre 2017 à 23:17:03

Evan mit une trentaine de minutes à revenir. Comme Flinn le lui avait demandé, il s'était dirigé rapidement vers un ensemble de coordonnées très précis, à l'est du champ de fouille, sur un plateau calcaire artificiel à première vue désert et vide. Il avait emporté un peu d'eau avec lui, et, l'ayant versé dans un retrait du plateau, l'avait laissé couler jusqu'à un mur recouvert de poussière. Il avait creusé, quelques minutes, avant de mettre la main sur un Cube. Inquiet, surpris et heureux à la fois, il l'avait emporté sans se soucier des précautions standards. Le colonel lui avait assuré qu'il ne risquerait rien, que l'objet serait totalement inerte. Ce que constata Evan en le balayant longuement d'une série de rayonnements à spectre large. Le Cube était totalement mort. Pour Evan, cela ne pouvait pas être possible. Les Cubes avaient leurs sources d’énergies propre, dont le fonctionnement lui échappait encore en totalité. Les Cubes ne réagissaient à aucune stimulation. Ils étaient stables. Ils ne mourraient pas.

Celui-ci ne contenait plus que du métal, de la silice, et une myriade d'éléments inconnus.

Evan retourna rapidement vers le camp de base. La luminosité retombait progressivement sur le site. Le ciel s'animait d'ocres et de roses dansants dans de fins nuages d'altitudes, qui arrachèrent à Evan un instant d'attention. « Aucun sens » songea-t-il, en pénétrant dans l'abri provisoire, et en se dirigeant sans hésiter un seul instant vers la plus grande des tentes. Il se sentit mal à l'aise lorsque dix paires d'yeux le dévisagèrent, assis autour de plusieurs projecteurs holos installés à même le sol. Il reconnaissait le colonel, Viltis, Ana, mais les autres... Ils ne les avaient que vaguement croisé pendant le voyage. Il réalisait que la mission ne faisait pas que concerner son petit monde d'exoarchéologie. Cette idée le perturba. Il se trouvait vide, lorsqu'il s'installa dans le dernier siège libre, juste à côté du colonel.

— Nous vous attendions, aedificator. Je vois que vous n'êtes pas revenu les mains vides.
— Grâce à vous, colonel.

Flinn sourit, et s'empara du Cube posé aux pieds d'Evan.

— Du très bon travail, aedificator. Soyez sûr que je saurais m'en souvenir.
— Merci, colonel, murmura-t-il.
— Maintenant que nous sommes tous là, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.

Ana fit passer à Evan un badge, qu'il crocheta sur sa poitrine. Il remarqua alors que chacun en avait fait de même, à l'exception du colonel. L'emplacement rutilait déjà de cinq lignes rouge sang.

— Pourquoi nous avoir fait venir ? Questionna un homme d'une quarantaine d'année, tenue décontracté mais élégante, un stylo posé sur son oreille gauche.
— Professeur Mac Mullan, exolinguiste, c'est ça ?
— Tout à fait colonel, mais cela ne répond pas à ma question. Question que tout le monde se pose d'ailleurs.

Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée.

— Vous vous doutez bien que je ne prendrai pas des individus qui seraient inutile à une telle mission, professeur.
— Mission qui consiste en quoi ? Nous n’avons qu'une très vague idée.
— Je vais être direct, professeur. Jusqu'à cet après-midi, je ne savais pas exactement ce que nous cherchions.
— Ah, vraiment ? Et avez-vous une réponse plus claire à nous apporter ?
— Naturellement.

La lumière déclina dans la tente. Les projecteurs s'enclenchèrent. De très nombreuses planètes apparurent, marquées d'un point rouge ou vert. Certaines appartenaient à la Confédération, d'autres s'en écartaient, parfois de plusieurs centaines d'années-lumière.

— Tous ces mondes cachent où cachaient un Cube. Comme vous le voyez, cela représente, cela mes estimations, environ deux cent objets célestes. Les trois quarts sont habitables. La moitié est située hors de la Confédération. Et une bonne dizaine sont actuellement occupées en permanence par l'Homme.
— Et les mondes hors Confédération ?
— Ils ont été occupés. A une époque très ancienne. Par la civilisation Naneyë.
— Vous en êtes sûr ?
— Aussi sûr qu'il est permis de l'être. Autrement dit, je ne pense pas raconter d'ânerie.
— Confirmer vos hypothèses prendrait des décennies, voir des siècles. Nous ne savons pas où...
— Chacun de ces Cubes a laissé une signature énergétique précise, identifiable, construite à partir d'une même base. Prenez un vaisseau, lancez le signal adéquat, vous retrouvez votre Cube en quelques heures.
— Et pourquoi faire ?
— Les laisser pour le moment.
— Mais cela n'a aucun sens.
— Les Cubes sont des armes. Non létales pour un individu, absolument mortelles pour une civilisation. Elles ne tuent pas, elles propagent une étrange épidémie.
— Une maladie ?
— La pire de toute professeur. L'oubli.

Plusieurs scientifiques se mirent à parler. Flinn fit signe de silence.

— S'il vous plaît, du calme...
— Une arme ? L'oubli ? Les Cubes effacent la mémoire ?
— Comment le savoir, puisqu'ils provoquent l'amnésie ? Demanda un autre équipier.
— Nous avons la chance de conserver une trace de ce qui a provoqué la chute de la Civilisation Naneyë, il y a environ dix mille ans. Pas d'informations formelles, mais de sérieux doutes. Par bonheur, la crainte de voir les Cubes tout effacer a permis que la méfiance conserve la prudence, et voilà comme je vous transmets l'information.
— Pourquoi ne pas les détruire ? Interrogea Mac Mullan.
— Nous ne savons pas ce que contiennent ces petits cadeaux. Bombe ? Matériel fusible ? Générateur de trou noir ? On peut tout imaginer. La civilisation qui a conçu ces horreurs était très avancé.
— Ou une balise ? Suggéra Evan. Les Cubes émettent à une fréquence propre. Leurs signatures ne sont que ça : des ondes. Tenter de les détruire reviendrait probablement à les « activer », d'une façon où d'une autre.
— Et les expédier au cœur d'un soleil ? Ou très loin de la Confédération ?
— Cela aurait peu de sens. Si les Cubes sont des balises — comme je le pense également — elles transmettraient aussitôt des coordonnées.
— Pourtant, colonel … Vous tenez un Cube … Il ne semble actif...
— Non, il ne l'est plus. Depuis très longtemps.
— Vous disiez pourtant...
— Que les Cubes ont leurs propres sources d'énergies ? Oui, c'est exact. Mais celui-ci a été volontairement éteint il y a très longtemps. Mon espoir actuel est le suivant : puisqu'il est inerte, peut-être parviendra-t-on à le démonter sans déclencher quoi que ce soit de catastrophique. Peut-être sera-t-on en mesure de découvrir leur fonctionnement ? Cela nous permettrait de les désactiver définitivement.
— Et s'il ne s'agit pas d'armes ? Proposa Ana.
— Il serait quand même bien étrange que de tels objets n'aient pas vocation à renforcer les intérêts — civils ou militaires — de la civilisation qui les a ainsi semés un peu partout autour de nous. D'autant que tout laisse à penser que pratiquement tous les mondes habitables en sont porteurs.
— Mais dans ce cas, pourquoi n'avons-nous pas subit d'attaques ?
— Parce qu'ils attendent le bon moment, tout simplement. Celui où nous serions suffisamment faibles pour ne plus résister. Et comme les Cubes n'ont pas changé d'état ou d'émission sur Terre -sauf pendant notre absence, ce qui serait un comble de malchance — tout laisse à croire que nous pouvons encore jouer d'un peu de temps.
— Tout ceci est très bien Colonel, mais concrètement, que faisons-nous là-dedans ?
— Exolinguiste, c'est ça, Mac Mullan ?
— Oui, colonel.
— Et nous avons des exoarchélogues, des tacticiens civils, un historien, plusieurs cybernautes. Une équipe complète pour décrypter la masse de donnée que je viens de partager sur le Rezo local. J'ai préparé pour chacun d'entre vous un dossier détaillé sur ce qu'il devra accomplir pendant que nous écumerons tous les sites de fouilles possiblement utile à ces recherches.
— Combien y-en-a-t-il ?
— Une dizaine. Ce qui nous laisse une bonne quinzaine de jours de travail devant nous.
— Et vous, colonel ?
— J'assurerai la logistique et la synthèse des travaux. Je pourrais continuer à travailler moi-même sur le décryptage de certaines données dans ma langue natale.
— Je suppose que vous comptez également que nous ne traînions pas.
— Non, Mac Mullan, il serait préférable que tout le monde se mettre au travail à partir de maintenant. Nous en sommes pas en vacances.

Flinn se leva, suivi de Viltis. L'assemblée grogna, mais en fit de même. Avant qu'Ana ne s'en aille dans le quartier affecté aux scientifiques, Flinn la rattrapa et l'invita à le suivre.

— A propos de quoi ?
— La noosphère. Je pense que ce à quoi j'ai été confronté avec les Sages va beaucoup vous intéresser. Et j'espère que vous pourrez m'aider à décrypter certaines données.

Elle le dévisagea, mal à l'aise.

— Je n'ai travaillé que sur des théories jusqu'à présent.
— Il va être temps de passer à l'échelon supérieur.
— Bien.

Flinn se tourna vers Viltis.

— Va avec Evan. Je lui ai transmis l'ordre de t'enseigner quelques techniques concernant la fouille. Tes talents vont nous aider dans les jours à venir.
— Très bien, maître. Mais où dois-je dormir ensuite ?
— Reste avec lui jusqu'à demain.

Intrigué et suspicieux, Viltis s'éloigna, laissant Ana et Flinn seuls.

— Vous ne comptez pas m'invitez à dormir avec vous, colonel ?
— Je ne dors pas Ana. Je n'ai pas plus besoin de m'allonger, où de vous proposer une invitation déguisée à … Comment appelez-vous cela ? Ah, oui … « Une partie de jambe en l'air ». Uniquement les données Ana. C'est vital, vous comprenez ?
— Bien sûr, colonel.
— Alors au travail. Nous n'avons pas une minute à perdre.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:09:12

PARTIE IV.

4.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:11:22

Il se détendait. Complètement.
Le système de pressurisation se désactiva, sifflant dans le cockpit un air sec et chaud, légèrement poussiéreux.

— Filtres ioniques défectueux, siffla une voix dans les hauts parleurs. Une inspection des systèmes vitaux du pôle de vie est vivement recommandée.
— Merci, j'avais remarqué, grogna Cyrill.

Il entreprit de compléter la check-list avant de descendre. D'une certaine façon, cela retarderait le moment crucial où il devrait sortir de ce siège, de ce vaisseau, où il venait de passer plusieurs semaines. Il n'avait pas spécialement envie de voir autre chose que des objets inertes, entendre une autre voix que celle de l'intelligence d'assistance, de voir un autre horizon que le motif fractal des étoiles brillant partout, crevant le vide de l'espace, masquant sa destination jusqu'au dernier jour. A présent que le vaisseau avait atterri sur Regor Prime, il n'avait plus envie de rien. Que la paix se glisse en lui sans un bruit, sans une ombre, et qu'elle le détende. Complètement.

— Contrôle spatial de Port Moscou à cargo U-2063-5050B. Nous vous accordons le droit de débarquer.

Puis, une seconde voix, amicale, rajouta aussitôt :

— Bienvenue chez vous, Major Beik.
— Merci, souffla Cyrill, épuisé.

Il coupa le contact visuel quelques instants. L'air continuait à pénétrer dans son cargo. La tempête, le vent, les herbes sèches, le sable et la roche abrasée. Un relent d'ozone, de béton brûlant, de vapeur de divers produits combustibles. La note particulière au nez de l'acier surchauffé d'un réacteur en phase de refroidissement. Puis le craquement et le glissement du harnais de sécurité qui s'échappait, rapide, contre son torse et ses épaules. Il ralluma le contact. Rien n'avait changé. Tout était à la place assignait, rien n'avait bougé. Une idée bouscula le calme précaire qu'il avait retrouvé.

— Ouverture de la chambre de confinement. Déverrouillage du coffre.
— Amorçage vocal ?
— Confirmé. Cyrill Beik, Major Inquisiteur, au service du Dieu-Machine.
— Accès déverrouillé, poursuivit la voix de l'assistance.

Le Cube surgit du plancher par une trappe discrète. Cyrill se leva, s'en empara avec précaution, puis se dirigea vers le sas.

— Mise en sommeil du vaisseau. Mise en veille du système cockpit, régime moteur à l'arrêt.

L'éclairage diminua.

— Maintenant, on dirait que je ne peux plus faire machine arrière, murmura le fugitif.

Un transporteur fumant l'attendait à l'extérieur. A son pied, deux officier coincés dans leurs capes l'attendait. Cyrill se mit au garde à vous, les salua avec raideur.

— C'est un honneur de vous savoir parmi nous, major Beik. Je suis le commandant Orvat. Et voici le capitaine De Rivierà.
— J'apprécie l'attention, mais était-il utile de venir à deux pour me recevoir ? Je ne connais pas la planète, certes... Cependant, n'avez-vous pas plus urgent à faire ?

Un silence gêné ferma la bouche d'Orvat en même temps qu'il éteignit son sourire.

— Major, si vous permettez... Nous avons reçu un message de la Terre. Nous n'attendons plus que quelques fugitifs.
— Pas de bataillon ?
— Non, des éléments isolés. Il semblerait que notre filière d'extraction ait été démantelé suite à votre... coup d'éclat.
— C'est regrettable, nota Cyrill. Enfin, peut-être pouvons-nous compter sur les autres mondes rebelles. Combien sont-ils.
— Trois, major.
— Seulement ? Sur la dizaine que nous comptions reprendre ?
— Huit ont finalement choisi de se rallier au pouvoir central de la Confédération.
— Les traîtres ! Comment ont-ils osé...
— Proche du centre de la Confédération. Le Commandus Magnus...
— J'aurais dû me douter que la bande des Mac Mordan mettrait son nez plus sérieusement que Gregor ne l'avait dit. Il les a menacés, n'est-ce pas ? La destruction ou la capitulation ?

Orvat hocha la tête.

— La position des trois — pardon, quatre — derniers mondes en notre possession a-t-elle été dévoilée ?
— Je l'ignore, Major. Mais je pense que quelqu’un aurait sans doute plus de réponses à vous apporter. Après tout, je ne suis que votre aide de camp sur Regor Prime.
— Un aide bien affable, commandant.
— Le directoire de la Sainte Cléricature attendait votre venue depuis plusieurs jours.
— J'ai eu quelques contretemps.
— Nous avions bien reçu votre message. Nous sommes d'ailleurs désolés qu'un tel événement … fâcheux vous ait privé d'une aide indispensable.
— Le major de Choire aura rempli sa mission avec conviction. Nous vengerons sa mort.

Cyrill marqua un temps de pause, puis reprit :

— J'imagine que votre mission est de me conduire auprès du directoire, puis d'attendre sagement que j'en sorte.
— Oui, major.

Cyrill sourit.

— J'aime beaucoup la discipline, capitaine. Je pense que vous le remarquerez très rapidement.
— Votre réputation vous précède, major, s'amusa Orvat.
— J'aimerai seulement être à la hauteur de la tâche qui m'attend. Qui nous attend tous.
— Si vous voulez bien monter à bord, major.
— Bien sûr.

Orvat précéda Flinn, suivit de De Rivierà. Le sas du transporteur se referma, tandis qu'il s'élevait dans l'air orangé qui nappait Port Moscou d'un linceul couleur de sang.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:13:51

— Cela s'est si mal passé, major ?
— Capitaine, je pense que vous n'êtes pas payé pour ce genre de réflexion.
— En réalité major, je ne suis pas payé du tout, grinça Orvat.

Cyrill se tut, se sentant coupable d'avoir été si peu délicat. Son aide n'y était pour rien. La situation lui apparaissait comme catastrophique, et ce, en dépit de la longue expérience de Klim. « Oui, mais Klim n'est qu'un tacticien. Il ne connaît sans doute rien du terrain. Et par bonheur, il reste peut-être quinze jour pour organiser la défense de Regor. Je suis injuste ».

— Je suis désolé capitaine... Je ne sais pas ce qui m'a pris.
— Où devant nous aller ? Demanda Orvat d'un ton glacial.
— Port Budapest. Disposons-nous d'un transporteur ?
— Oui, un des rares qui ne soit pas affecté au transport de troupes.
— Pas de véhicule terrestres ?
— Les pistes sont planes, mais les tempêtes qui balayent le désert les faucheraient trop facilement.
— Bien. Utilisons le transporteur dans ce cas.
— Nous n’attendions plus que vous, major.
— Merci.

Ils sortirent sur la place, où l'engin patientait. Cyrill y monta, silencieux, et s'assit sur la banquette sommaire de la soute. Silencieux, il réfléchissait à ce qu'avait pu lui dire le général. « C'est mauvais, très mauvais ». Cela dépassait de loin les prévisions les plus pessimistes qu'il avait dressé avant de fuir la Terre. Il avait fallu qu'il cache sa surprise par un coup d'éclat. « Ça, ou pleurer ». Cependant deux options restaient, à ses yeux, tout à fait claires : la capitulation, de même que la négociation, n’étaient pas envisageable. Seul le combat où la fuite en avant, loin de la Confédération et des systèmes connus. Ces solutions impliquaient un grand nombre de pertes. « Quel casse-tête... Si Guilhem avait laissé Flinn. Si Flinn était mort. Si le garçon n'avait pas sauvé Flinn... Ou peut-être le garçon ? ». Viltis. Son simple nom remplit Cyrill de dégoût.

— Qui devons-nous rencontrer major ?
— Le chef de la base.
— Vous voulez parlez du colonel Lee ?
— Si c'est lui, qu'il en soit ainsi...

Orvat se dirigea vers le cockpit, il brancha un amplificateur radio sur lui. Cyrill sentit les ondes partir du vaisseau. Le Rezo local fonctionnait, ce qui n'était pas une mauvaise nouvelle. Mais le calme qui y planait lui rappelait douloureusement combien la Terre lui manquerait. Combien la présence du Dieu-Machine et le vide qui persistait à présent ne pouvait être remplacé.

Un message venait d'arriver à son adresse. Le colonel Lee l'informait qu'il le recevrait dès son arrivée. Il lui présenterait ses bilans, et les propres travaux de recherche tactique menées par l'équipe de Port Budapest. Sa bouche se tordit en une moue peu convaincue. « Deux équipes tactiques... C'est mauvais ».

— Capitaine, connaissez-vous les hommes qui vivent à Port Budapest.

Orvat attendit, quelques secondes.

— Non, major. Je ne suis ici que depuis quelques semaines. A Port Budapest, il y a surtout des soldats du rang. Et quelques officiers un peu … différents.
— Pas d'Inquisiteurs ?
— Tous sur Port Moscou. Le directoire souhaite qu'ils restent à disposition.
— Que savez-vous de Port Budapest ?

A nouveau, le capitaine soupira.

— C'est compliqué, major. La plupart des soldats... Ils ne sont pas vraiment convaincus de ce qui va se passer. Oh, bien sûr, ils sont fidèles au Dieu-Machine... Mais ils hésitent. Pour être franc, je ne suis pas sûr, si bataille il y a, qu'ils ne se rendent pas.
— Vous voulez dire... Qu'on les a emmenés de force ?
— Oui... Non... C'est compliqué, major.
— Parlez-moi franchement capitaine. Est-ce que les soldats de Port Budapest ont eu la main forcée ?
— En quoi serait-ce important ?
— Vous tenez vraiment à le savoir ?
— Évidemment.

Cyrill se leva, et commença à marcher dans la soute.

— Ce n'est pas une guerre à laquelle nous allons devoir faire face. C'est à la victoire d'une idéologie. D'un paradigme. D'une civilisation. D'un côté, ce que nous défendons. De l'autre, ce que la Terre défend, elle aussi. Ce n'est pas une guerre, car les deux belligérants seront d'anciens frères, d'anciens camarades. Ce sera une lutte à mort. Une extermination pure et simple.
— Mais... Les Conversions...
— Cela ira beaucoup plus loin que ça. C'est un choc des idéaux.
— Ca n'a pas de sens.
— Bien au contraire capitaine. Je suis même surpris que vous puissiez en douter. C'est pour cela que je veux savoir si les Hommes de Port Budapest sont tous volontaires.
— Si ce n'était pas le cas ? Si on les avait « incités » ?
— Par le biais du Rezo ? Au moyen de Conversions partielle ? C'est simple : l'effet ne sera que temporaire. Et quand ils se rendront compte qu'ils ont été bernés, devinez ce que nous aurons sur les bras ?
— Une mutinerie.
— Pire que ça. Une rébellion. Vous savez combien de soldats complètement volontaires sont dans les rangs ?
— Non, je l'ignore.

Cyrill se planta devant Orvat.

— J'espère que le colonel Lee le sait, lui.
— Peut-être que la rébellion n'aura pas le temps de se mettre en place... Si nous sommes rapides...
— En étant si faiblement armés qu'une dizaine de croiseur rayeraient cette planète de la carte en quelques minutes ? Mieux encore, en reprenant le contrôle de mondes tombés sous la traîtrise ? Et qui assurerait la sécurisation de ces lieux ? Des soldats rebelles ? Impossibles, capitaine.
— Je n'avais pas vu le problème sous cet angle, admit l'officier.
— Vous n'avez pas vu le problème, tout simplement. Vous, l'état-major, l'ensemble des officiers de Regor. Aussi courageux que vous puissiez être.
— Je n'y suis pour rien...
— Vous savez très bien qui j'appelle « vous », capitaine. Bien sûr que je ne vous incrimine pas personnellement... A moins que vous ayez pris part à ces missions de « prêche » ?
— Je ne suis pas Inquisiteur, major. Je n'ai pas cet honneur.
— Cela vous sauvera, du moins je l'espère.
— Je ne comprends pas...
— Attendez la bataille, Orvat. Attendez, et vous verrez.

Cyrill se rassit. Le transporteur poursuivit sa route.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:14:15

PARTIE IV.

5.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:15:16

Une détonation retentit. De sa place, Cyrill pouvait entendre les alarmes se déclencher les unes après les autres dans le cockpit.

— Qu'est-ce que...

Une seconde détonation, à bâbord, qui fit tanguer le transporteur. Orvat se cramponna à son siège, le regard vide, les mâchoires serrées.

— Accrochez-vous ! hurla le pilote.

La troisième explosion vrilla la structure. Une énorme brèche s'ouvrit derrière Orvat. L'Homme bascula. Cyrill le retint, le remonta, tandis que sous leur pied, le sol commençait à se rapprocher.

— Merde !
— Cramponnez-vous à moi, capitaine !

Cyrill sauta. Orvat hurla. Le sol, distant d'une bonne centaine de mètres, semblait vouloir les avaler. L'espace d'un instant, Orvat eut la certitude qu'il allait mourir. Cette pensée l'aurait presque soulagé, si la violente poussée des propulseurs que déploya l'Inquisiteur ne ralentit pas si fortement leur chute que son souffle se coupa.

Ils atterrirent. Rudement. Les deux hommes roulèrent au sol, répandant un sable rouge et brûlant autour d'eux. En boule, Orvat serra les dents, les yeux humides, tandis que la poigne du major l'abandonnait à son sort. Il roula, de longues secondes, sur le flanc mou d'une dune. Puis il y eut le choc.

Le transporteur s'écrasa à quelques centaines de mètres. L'explosion fut violente, envoyant des morceaux d'acier étoiler le désert immaculé et vierge. Une vague de chaleur passa sur lui. Il resta ainsi, dix secondes, vingt secondes, une minute.

— Orvat ! Debout !

Cyrill se présenta devant lui, nullement choqué. Il avait sorti un sabre ionique, et un canon d'épaule dardait sa gueule mortelle à droite et à gauche.

— Tout va bien ?
— Ou, je crois, major, répondit le capitaine en se redressant. Que s'est-il passé ? Je ne c...
— Une attaque, Orvat. Et nous avons bien failli y rester.
— Le pilote ?
— Mort. L'explosion ne lui aura laissé aucune chance.
— Comment pouvez-vous en être si sûr ?
— Son signal... Plus rien.

Orvat baissa la tête. Il regarda ses mains. Il se surprit à être encore en vie.

— Où sommes-nous ?
— Trois kilomètres de l'astroport de Port Budapest. Vous avez des cartes précises du désert ? Nous allons en avoir besoin pour rejoindre la base.
— Major, vous ne croyez pas que... C'est risqué ?
— Je vois que vous réagissez vite, capitaine. C'est bien, si nous voulons survivre. Je crois hélas, que cela ne suffira pas.
— Comment ?
— L'attaque... Si je ne me trompe pas, deux solutions : la Terre a été plus rapide que je le croyais. Ou bien la rébellion.
— C'est impossible ? Les Conversions...
— Nous sommes loin de tout Rezo viable. Pas de processus de mise à jour. Pas de contrôle en boucle, ni de récurrences régulière.
La levée du contrôle est bien plus rapide dans ces conditions. Capitaine, vous êtes là depuis peu, c'est vrai, mais plus longtemps que moi. Vous n'avez pas une petite idée du nombre potentiel d'ennemis ?
— Je réfléchis major...
— Soyez rapide, nous n'avons pas le luxe du temps.
— Je n'en sais rien. Je n'arrive pas...
— Ce n'est pas grave. Je partirai du principe que tout soldat que nous croiserons et qui ne sera pas franchement favorable à nous voir sera un ennemi. Cela vous convient-il ?
— Oui, major.
— Avez-vous une arme, capitaine ?

Orvat toucha le holster qui battait à sa ceinture. Il l'ouvrit, se saisit du pistolet à impulsion qui y trônait, déverrouilla la sécurité et brancha le contrôle tactique au creux de sa main. Sa vision changea légèrement.

— Ça ira, major.
— Il faudra bien. En route.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:16:31

Port Budapest avait souffert. Le quadrillage parfait des rues et des bâtiments temporaires laissait échapper feux et fumées sombres, tandis que des impacts et des cratères dessinaient des motifs complexes et mystérieux au sol. Sordides, des cadavres s’étalaient çà et là. Une vision d'horreur, pour Cyrill et Orvat, au sommet d'un promontoire rocheux, à demi cachés dans de hautes herbes desséchées.

— Quelle boucherie, se désola Cyrill. Voilà où nous en arrivons... Où est le camp ?
— Là, indiqua le capitaine en pointant son doigt vers une série de baraquement, à l'écart de l'astroport et de la ville, sur une péninsule blanche qui s’avançait dans les eaux calme de la mer.
— Il a l'air d'avoir tenu. J'imagine que le gros bâtiment mobile au centre est le commandement...
— Oui, major.
— D'ici... Trois kilomètres. Une partie de plaisir, si on excepte le fait que les rues sont impraticables, et que nous pouvons nous faire tirer comme des lapins dans cette plaine...
— Pourquoi rejoindre le commandement ?
— Vous comptez déserter Orvat ?
— Absolument pas, se rembrunit l'officier.
— Réfléchissez, vous savez si bien le faire... S'il reste des officiers vivants, il y a fort à parier qu'ils auront quelques renseignements utiles. A commencer par les relais de transmissions. Si la radio marchait toujours, la mettre hors d'état pour éviter tout risque de communication entre la rébellion et la Terre sera primordiale. Ensuite, parce que je suppose que certains documents d'importance ont dû rester ici. Des documents un peu trop utiles pour nos ennemis...
— Comment savez-vous que les rebelles...
— Pas de vaisseaux. Tout ce que je vois, c'est un armement sol-sol réduit.
— Les cratères ?
— Des mortiers classiques... Capitaine, avez-vous déjà vu une arme dans votre vie ? Je suis surpris de votre ignorance...
— Eh bien, pour tout vous avouer major.
— De la bleusaille, rumina Cyrill. J'aurais dû m'en douter. Bon, il vous reste au moins votre entraînement... Orvat, il va falloir tuer pour arriver jusqu'au camp. Est-ce que vous comprenez bien ce que cela suppose ?
— De tirer, j’imagine...
— Et de regarder des hommes mourir, au passage... Alors laissez vos états d'âmes là où ils doivent être, suivez-moi, et contentez-vous de défendre votre peau.
— Vous ne voulez pas attendre la nuit pour infiltrer ?
— Attendre la nuit est un luxe que nous ne pouvons-nous permettre.

Cyrill passa devant, dévala un raidillon qui serpentait dans la roche. Orvat se sentait tout autant fugitif que cible facile. Il avait l'impression d'être une cible mouvante, qu'une balle allait le clouer à la paroi qui lui faisait dos d'un instant à l'autre. Cyrill ne lui en laissait pas le temps.

Pas un projectile ne siffla autour d'eux. Au loin, seul le grondement des mortiers et les cris de soldats résonnaient. Bientôt, ils furent au bord de Port Budapest. Les bâtiments centraux se dressaient à quelques centaines de mètres, noircis, le plastique des vitres ayant fondu et les parois de certaines pièces avait été disloqués comme de vulgaires jouets.

Un soldat hurla. A gauche de Cyrill. Il se redressa de toute sa longueur, et son fusil cracha un feu étincelant. L'ennemi tomba un instant plus tard, raide, face contre terre.

— Soyez prudent, murmura Cyrill.
— Vous avez de bons réflexes, major...
— Si vous aviez eu la bonne idée de vous faire mécaniser avant de partir, capitaine, cela nous aurait permis d'être plus efficace.

Orvat se sentit stupide. Il n'avait subi que quelques modifications mineures. Il aurait dû être mécanisé, mais sa fuite ne lui en avait pas laissé le temps. Il espérait pouvoir rattraper cette erreur, et survivre assez longtemps pour le faire.

— Contactez le commandement, suggéra Cyrill. Qu'ils nous attendent.
— Sur canal crypté ?
— Non, en hurlant bien fort et en vous mettant une pancarte lumineuse au-dessus de la tête... Bon sang Orvat, soyez plus malin ! Je comprends que vous ayez peur, mais quand même...

En réalité, le capitaine était terrifié. Il sentait l'urine couler contre ses jambes, et bien qu'il n'ait pas encore eu le plaisir de voir un ennemi de trop près, il souhaitait que tout cela se termine vite. Lorsqu'ils avaient contacté Port Moscou, l'état-major avait assuré qu'ils enverraient des renforts. Oui, mais lesquels ? Les forces disponibles sur place avoisinaient les deux milles hommes, dont seul un bon tiers était constitué de soldats du rang à même d’intervenir sur le terrain. Orvat ne croyait pas vraiment à l’hypothèse d'un secours rapide et efficace. Les officiers attendraient d'y voir plus clair pour agir. Même en ayant le major Beik à ses côtés.
Il se concentra. Le contact avec le commandement de Port Budapest fut laborieux, mais il parvint à trouver une liaison suffisamment stable pour faire passer son message. Il n'attendit pas la réponse. Un autre luxe qu'il ne pouvait se payer.

— C'est fait, annonça-t-il, sombre.
— C'est bien Orvat. Vous progressez.
— Il faut toujours que l'on fonce, je suppose ?
— Pourquoi vous plaindre ? Vous êtes toujours vivant, non ?
— Le camp a l'air en piteux état.
— La ville aussi. Remarquez quand même le calme...
— Ils les ont massacrés, nota Orvat en désignant une habitation.

Un homme était étalé face au ciel, le regard vitreux, la bouche ouverte, une large plaie au flanc.

— Même pas un soldat. Un civil.
— C'est regrettable, mais c'est la guerre...
— C'est tout ce que cela vous fait, major ?
— Nous aurons tout le temps de pleurer les morts quand nous serons plus tranquilles. A moins que nous mourrions nous même, ce qui réglerait la question.
— Autant ne pas traîner ici.
— Pas de tireurs solitaires ici, fit remarquer Cyrill. Tout se passe sur la base.
— Distance au portail ?
— Un kilomètre deux cent. Ici, en ville, très peu d'hommes. Ça ne nous dispense pas d'être prudents...

Quelqu'un cria. Cyrill se retourna vivement. A nouveau, son fusil s'anima.

— La preuve...
— Major, concrètement...
— On ne moisit pas ici. J'aimerai autant passer du temps avec le colonel Lee, s'il est toujours en vie.
— Puisse le Dieu-Machine vous entendre.

Cyrill sourit.

— Je pense qu'il a d'autres priorités en ce moment.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:17:12

À la sortie de Port Budapest, une fusillade faillit les cueillir par surprise. Cyrill plongea contre un mur, une balle ricocha dans un angle, il grimaça.

— C'était juste.
— Merde, major.
— Je n'aime pas ce mot...

Un autre projectile ripa, de la poussière fuma.

— … Mais l'idée y est, capitaine.
— Et on fait quoi ?

Cyrill hésita un instant. La lueur qui s'échappait de ses yeux robotiques vira au rouge.

— Mmm... Cinq ennemis, armement standard. Laissez-moi faire.
— Major, vous êtes fou !
— Je n'ai pas dit que j'allais faire n'importe quoi, mais... Laissez-moi faire.

Orvat vit le vieil homme se mettre à découvert. Quelqu'un cria. Il détourna le regard. Une balle siffla, encore, puis le canon de l'arme de Cyrill répliqua, mortel. Cinq projectiles partirent, tandis que le fusil tournoyait, infernal. Un instant, guère plus, et le silence retomba, à peine entamé par quelques râles d'agonies.

— Je vous avais bien dit que je pouvais gérer la situation.
— Vous êtes incroyable major. Vraiment, je...
— Bougez-vous, Orvat. Nous avons d'autres chats à fouetter.

Ils coururent vers le camp, séparé de la sortie de ville par un bon kilomètre. Au loin, les bruits de la fusillade semblaient décroître. Pour Cyrill, cela ne changeait rien : il fallait à tout prix retrouver le colonel, retirer certaines informations, et aviser ensuite. Impossible de tenter quoi que ce soit d'autre avant.

— Ça se calme, glissa le capitaine, essoufflé, entre deux foulées. Attendez major, je n'en peux plus...
— Plus vite Orvat, on n’aura peut-être pas d'autre occasion.
— Passez devant. je vous rejoindrai.
— Vous mentez mal.
— Je ne … peux plus...
— Vous allez pourtant accélérer la cadence.
— Attention !

Un soldat qu'aucun d'eux n'avait vu se rua sur Cyrill. Orvat visa, tira, et l'homme tomba.

— Vous apprenez vite, capitaine.
— Je prendrai ça pour un compliment.
— Mais vous êtes toujours aussi lent pour la pratique.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:19:01

Le sas les écrasait dans un volume ridicule, angoissant. Une mince rai de lumière rouge trahissait leur présence dans le noir. Cyrill avait réédité la manœuvre de la première porte, sans succès. Depuis quelques minutes, ils attendaient, trop conscient de ce qui les attendait derrière.

— J'espère qu'ils discutent simplement de notre cas, qu'ils examinent nos identités, murmura Orvat.
— Inutile de parler si bas, ils savent que nous sommes là.
— Oui, c'est stupide, excusez-moi, major...
— Ne vous excusez donc pas. Pour le moment, vous survivez, et plutôt bien. C'est une bonne qualité pour un officier en ce moment.

La boutade arracha un sourire à Orvat. Au même instant, le second battant du sans se déverrouilla. Une lumière crue aveugla Orvat, tandis que Cyrill ne bougeait pas d'un pouce. Le cliquetis de plusieurs fusils s'armant fut la seule réponse à la question du capitaine. Non, visiblement, on ne les attendait pas.

— Ne bougez pas, où nous faisons feu.
— Nous ne comptions pas faire autrement... Je suppose que vous êtes le colonel Lee.
— Et vous ?
— Major Cyrill Beik. Mon colonel, je suis ravi de vous rencontrer. Autant dire que ce n'est pas la joie dehors.

Le colonel hésita. Un éclat sombre passa dans son œil droit, tandis qu'il portait une main à sa barbe, noire comme la nuit. Il fit un signe de la main, les armes se baissèrent.

— Nous n'attendions pas de renforts, major... C'est un honneur de voir une légende vivante nous rejoindre dans ce trou à rat qu'est devenu Port Budapest. Je comptais vous accueillir avec plus de pompes, au rang qui vous revient de droit. Mais quand l'émeute a commencé, excusez-moi mais, vous n'étiez plus ma priorité.
— C'est bien légitime, mon colonel.
— Pourquoi ne pas être resté à Port Moscou ?
— Nous sommes partis trop tard... Nous n'avons pas pris connaissance de la situation ici. Notre transporteur a été touché, et nous étions trop loin pour retourner à Port Moscou.
— Je crains, hélas, ne pas être trop utile.
— Oh, bien au contraire mon colonel. Je comptais vous rencontrer pour quelques raisons bien précises. Je ne compte pas repartir les mains vides.
— Vous avez vu ce qu'il se passe dehors ? Vous comptez repartir ?
— Il le faudra bien. Nous devons dresser la défense contre la Terre. Je devrai repartir, ou au moins faire passer les informations que vous détenez.
— Le QG est à l'abandon. Je suis vraiment désolé, major, mais je ne crois pas vous être d'un grand secours.
— Vous venez de nous sauver d'une mort certaine à Port Budapest. Je préfère encore troquer une certitude contre une hypothèse dans ces cas-là... Mon colonel, je ne suis pas venu ici pour mourir, je m'en sortirai. Vous aussi, ayez confiance.
— Sans renfort, nous sommes condamnés.
— Il ne reste plus qu'à espérer qu'il n'y ait pas tant de rebelles dans nos rangs.
— Hélas, major, la situation n'est pas partie pour être des plus simples.
— Combien sont-ils ?

Lee hésita.

— Il y a cinq milles hommes dans notre camp. Nous avons la confirmation écrite de deux milles hommes comme volontaires ayant renoncé à servir la Terre...
— Et les autres ?

Un nouveau silence, gêné, plomba l'atmosphère.

— Combien ?
— Ils étaient tous volontaires...
— C'est faux, vous le savez, vous avez les chiffres. Écoutez, mon colonel, nous ne sommes pas là pour nous lancer des fleurs, ni pour jeter qui que ce soit au cachot. J'ai besoin de savoir, cela va sans doute nous permettre de mettre sur pied une défense viable, et de juguler cette rébellion. Combien d'Hommes ont été partiellement convertis avant de quitter la Terre pour embrasser notre cause ?
— Trois mille.
— Tous soldats et sous-officiers du rang ?
— Oui.

Cyrill secoua la tête.

— Leur avez-vous fourni le même armement qu'aux volontaires ?
— Les armes étaient disposés dans une armurerie bien protégée.
— Je ne parle pas de ça. J'imagine qu'un bon paquet ont aussi été partiellement mécanisé. Ils ont un armement embarqué...
— Du standard, précisa Lee.
— Fusil d'épaule, c'est tout ?
— Oui.
— De quoi faire des dégâts, mais rien de bien exceptionnel... Bien. Peut-être que nos volontaires auront le cran d'en venir à bout, mais si la rébellion a organisé à minima son passage à l'acte, je crains que cela ne soit pas aussi simple. Mon colonel, Concernant l’arsenal spatial... Des croiseurs sont-ils détachés au commandement de Port Budapest ?
— Non.
— Ce qui fait au moins une bonne nouvelle. Personne ne pourra fuir.
— Il reste les transporteurs et les convoyeurs spatiaux.
— Pas de quoi embarquer trois milles hommes en un seul voyage ?
— Sept convoyeur de deux cents unités. Et dix transporteur.
— C'est ennuyeux... S'ils décidaient de partir sur Port Moscou... Avez-vous un contact avec l'état-major ?
— Toutes nos radios sont coupés. On a bien pris soin de nous isoler.
— C'était la solution la plus simple.
— Major, que pensez-vous faire ?
— Je ne suis pas tacticien, mon colonel. Habituellement, j'avais plus de politique que de guerre à gérer. Mais en réfléchissant un peu, nous pourrons peut-être trouver une solution.
— J'espère que vous avez raison, major. Et que suggérez-vous ?
— A la faveur de la nuit, nous pourrons plus facilement sortir de ce guêpier.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:19:31

PARTIE IV.

6.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:28:40

Dans les rues, pas une âme vivante ne se manifestait. Les chars avancèrent jusqu'au bâtiment du directoire sans être arrêté un seul instant. Ce n'était ni normal, ni rassurant. Pourtant, à Port Moscou, tout semblait intact, si on exceptait le sable qui avait sculpté de larges moraines oranges, accrochées aux murs et aux reliefs du terrain. Les portes et les fenêtres se distinguaient parfois à peine, à demi ensevelis. Les antennes vacillaient sous le coup d'un vent résiduel. Au loin, la tour de l'astroport et les abris paraissaient intact, créant un contrepoint troublant à la situation.

— Les rebelles ne sont pas arrivés ici, commenta Cyrill.
— Peut-être que la tempête ne les aura pas épargnés, suggéra un officier.
— Téméraires, mais pas stupides. Ils ne se seraient pas risqués sur un terrain inconnu avec une variable aussi dangereuse qu'une tempête de sable. Non, ils ont dû rester en arrière. Cela nous laisse une marge de manœuvre étroite — mais possible — pour tenter quelque chose.
— L'état-major doit être averti.
— Je ne comptais pas faire autrement, ajouta Cyrill, un sourire grinçant aux lèvres. Réduits à dix officiers, je ne sais pas ce que nous pourrions faire contre plusieurs milliers de rebelles.
— Vous pensez que nous pouvons l'emporter, major ?
— L'avenir nous le dira.

Les chars s’immobilisèrent au pied du directoire. Avec timidité, les portes du hall s'ouvrirent, laissant pénétrer un peu de sables et les rescapés de Port Budapest avec la même indolence. A l'intérieur, les personnels en faction les dévisagèrent, intrigués et choqués à la fois, tandis qu'on les annonçait en les faisant patienter dans un salon annexe. Des serviteurs surgirent d’une porte dérobée, proposèrent nourritures et boissons, que certains officiers acceptèrent sans rechigner. Même Cyrill accepta un peu d'eau, pour se rincer la bouche et le visage.

— Peut-être qu'on finira par nous reconnaître comme des héros ? s'amusa Orvat en se penchant à l'oreille de Cyrill.
— Vous rêvez, capitaine. Nous n'avons fait que notre devoir, et encore. Avec le peu d'informations que j'ai pu récupérer sur Lee, j'espère avoir de quoi aider à dresser une contre-attaque digne de ce nom. Si la rébellion prend Port Moscou, considérez que notre glorieuse tentative de reprendre la main sur la décadence de la Terre aura définitivement échoué. Donc non, nous ne sommes pas des héros. A peine les mauvais augures annonçant des jours bien sombres.

— Mais sans vous, major... Personne n'aurait tenu, ni survécu.

Cyrill aurait bien voulu répondre que oui, cette fois, Orvat avait raison. Que l'incompétence des officiers était une catastrophe, qu'en dehors des convictions, aucun n'était soldat et combattant dans l'âme, qu'aucun ne méritait sa place aujourd'hui. Que le massacre inutile dont ils avaient été témoins et victimes était un véritable gâchis. Mais il n'en avait pas la force. Il se contenta de hocher la tête, avant d'ajouter.

— Merci, capitaine. Cela me touche...
— Je suis sincère major.
— Je n'en doute pas un seul instant.

Un nouvel officier entra. Un lieutenant, à en juger par ses galons. Il demanda à Cyrill de bien vouloir le suivre. Les autres officiers attendirent, en alerte. Déçus, également. Le vieil homme se garda bien de les rassurer : si Lee avait pu si facilement se glisser parmi eux et dessiner une traîtrise d'une telle ampleur, mieux valait-il considérer la possibilité qu'un autre félon se cache encore.
Cyrill fut escorté par le lieutenant jusqu'à la salle du directoire. Vide, à part la présence imposante de Klim, qui regardait vers le jardin envahi de sable.

— Laissez-nous, lieutenant.
— Bien, mon général.

La porte se referma, lourde, comme une pierre. Un silence étouffant se prolongea. Cyrill, pas plus que Klim, ne bougèrent.

— Je ne sais pas quoi dire, finit par avouer le général, au bout de longues minutes.
— Il n'y a rien à dire, mon général. Ce qui s'est passé à Port Budapest est un désastre. Le pire qui soit.
— Tous ces hommes...
— Un massacre, mon général. Les pertes seront sans doute très conséquentes.
— Par bonheur, vous êtes vivants, major.
— Mais bien trop d'hommes de valeur ne reviendront pas. Nos rangs sont décimés, mon colonel.
— Est-ce là la seule bonne nouvelle que vous puissiez m'apporter, major Beik ?
— Je ne fais que mon devoir. Il y a eu incompétence et trahison, répliqua Cyrill, tranchant.
— Je n'en suis que trop conscient. Croyez-le ou non, je suis effondré autant que surpris, major.
— Qui ne le serait pas ? Nos forces vives, au mieux, ont perdu un tiers de leurs effectifs sur Regor. Plus sûrement une bonne moitié, et peut-être davantage. Il y a eu trahison... Trahison, mon général. De la part d'un officier en qui vous aviez placé votre confiance. Non, je ne suis pas optimiste. Je crois même que c'est la première fois que j'envisage l'avenir si sombrement.
— Nous pourrions évacuer, lança Klim, distrait et hagard.
— Pour contaminer les derniers bastions à l'écart de cela ? Et puis, qui nous dit que les autres mondes ne sont pas eux aussi infectés par cette vermine ?
— J'ai la foi, Cyrill.
— La foi ne suffira pas à nous sauver cette fois. Il n'y aura pas d'arrière garde, de renforts, de soutien inopiné. Nous sommes seuls, face à nos choix.
— Comment Lee... C'était un garçon de bonne famille, vous savez, major ?
— J'ai dû l'exécuter comme un chien. Il n'était que cela d'ailleurs : un chien d'hérétique, qui ne méritait qu'une exécution.
— Par le Dieu-Machine... Je ne comprends pas.
— Il n'y a rien à comprendre, mon général. Réunissez votre directoire, mobilisez les troupes de Port Moscou, et organisez l'assaut. C'est notre seul salut.
— Le combat sera effroyable...
— Peut-être préférez-vous faire raser ce nid de rebelle ? Les croiseurs pourraient y parvenir sans difficultés.
— S'il reste des survivants... Nous en pouvons pas nous permettre de les abandonner.
— Faites comme bon vous semble, mon général. Vous êtes le seul détenteur du pouvoir, et je ne me permettrai pas de voler votre dû. J'ai confiance en vous... Ou plutôt, j'avais confiance en vous. Maintenant, je doute. Permettez-moi de me retirer, faites-moi venir si vous en éprouvez le besoin.
— Bien sûr major.

Avant de sortir, Cyrill déposa un minuscule implant qu'il avait sorti de son crâne.

— Je vous laisse ceci, mon général. Les données du traître Lee. Il y a quelques codes à déchiffrer, je pense que nos cybernautes sont en mesure d'y parvenir sans délai. S’il y a eu contact avec la Terre, nous devons absolument le savoir.
— La Terre, prononça Klim, la voie lointaine.
— Je rester à votre entière disposition, mon général.

Cyrill fit claquer ses bottes, laissant un sable rouge derrière lui. On lui ouvrit la porte, il retourna au salon, où Orvat l'attendait.

— Conduisez moi à mes quartiers, capitaine. J'ai besoin de calme.

Orvat n'eut pas le courage d'ajouter un mot. Accablé, effondré, il s'exécuta, vide.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:28:59

PARTIE IV.

7.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:30:04

La contre-offensive dessinée le lendemain se transforma en défense désespérée autour de Port Moscou au bout de deux jours. Le constat était sans appel : les loyalistes de Port Budapest avait été massacrés, jusqu'au dernier. Un peu moins de mille cinq cents soldats furieux et revanchards avait alors pris la route de la capitale de Regor, galvanisés comme jamais. Des transporteurs se heurtèrent à une défense précaire, sommaire, qui céda rapidement, non sans emporter des centaines d'hommes dans une mort atroce. Alors les convoyeurs entrèrent en scène, se posant sans encombre sur l'astroport. Les croiseurs furent trop lents, tous vides, ne purent que regarder le spectacle de leurs orbites respectives.

Lorsque la défense ploya, Cyrill était toujours retranché dans ses quartiers, entouré d'Orvat et de quelques fidèles qui avaient décidé de se joindre à lui, de lui témoigner un respect profond. L'aura de Klim s'entachait progressivement, laissant derrière lui mécontentement, rumeur, haine et colère. Cyrill lui-même avait entendu parler d'espoirs de coup d'état pour régler le « problème Klim ». Le général, submergé par l'incompréhension, tétanisé par sa propre peur, ne tentait plus rien d'efficace. Le directoire l'avait— disait-on — poussé dans ses retranchements. Mais à l'image des habitations, des bâtiments et des équipements qui étaient détruits à mesure que la ligne de front se resserrait vers le directoire, Klim abdiquait, doucement. Au même rythme, l'influence officieuse de Cyrill, elle, grandissait.

Quand la situation fut sur le point de basculer en défaveur des Inquisiteurs, Cyrill décida de sortir de sa réserve. A l'extérieur, les combats faisaient rages, mais il s’en moquait. Le nombre des belligérants déclinaient dans chaque camp, à mesure que le temps passait. La veille, on estimait avec sérieux qu'il ne pouvait rester guère plus de cinq cents rebelles, six à sept cent loyalistes. Le rythme des destructions s'en ressentait de plus en plus. Les bombardements se faisaient plus rare, moins meurtriers. Les civils qui restaient en ville se terraient dans des abris dont les loyalistes les délogeaient, quand ils les trouvaient. Un climat hostile, défavorable, qui n'empêcha pas Cyrill de se rendre au directoire à pied, hors des boyaux, bravant la guerre.

Il marchait en tête d'une cohorte d'une centaines d'officiers. Lorsqu'ils avaient appris sa décision, ils l'avaient suivi, poussés par une force qui leur échappait. Cyrill, le pied sûr, le regard net, s'était félicité de cet état de fait. Certains étaient prêts à mourir les armes à la main, radicaux, obstinés, tout comme lui. Il n'était pas stupide : cette masse cachait sans doute un bon nombre des incompétents à l'origine du désastre de Regor. Il serait toujours temps de purger la lie plus tard. Pour l'heure, porté par les murmures d'approbation, couvrant la rumeur des combats quelques centaines de mètres en aval de l'artère principal, Cyrill avançait, imperturbable. Au directoire, on lui ouvrit les portes, comme il s'y attendait. On l'annonça, il sourit.

— Que le directoire sache que je viens en paix, annonça-t-il, calme.

La canonnade, au loin, rendait la scène surréaliste, héroïque. « Que je les gouverne tous, que je gagne cette petite guerre, et ils mangeront dans mes mains ». Klim annonça qu'il le recevrait, lorsque la réunion serait terminée. Chose que refusa Cyrill.

— La guerre nous emportera tous si nous ne réagissons pas maintenant.
— Le général insiste, répondit, gêné son aide de camp.
— Moi aussi.

La foule hua Klim. Cyrill se dirigea vers la salle de réunion, conscient que sa décision sauverait Regor ou la condamnerait sans demi-tour possible. En poussant la porte, une clameur avide s'empara de ses hommes, qui se répandirent dans la salle. Des officiers supérieurs se levèrent, se mirent au garde à vous, d'autres s'insurgèrent face à Cyrill. Seul Klim ne réagissait pas.

— Mon général, je suis venu vous signifier la fin de votre mandat en tant que président du directoire régent de Regor.
— Vous ne pouvez, protesta le vieil homme, abattu.
— La loi n'est plus de notre côté depuis longtemps. Cependant, la rébellion menace toujours Port Moscou. Plus que jamais. Les combats sont dans nos rues. Si nous ne faisons rien, avant demain, tout sera joué. Ne resteront que des officiers face à des soldats aguerris, enragés. Et ils auront raison de nous tuer, si nous nous montrons si peu capables.
— Le directoire remplit sa mission.
— La défense est pathétique. Aucun d'entre vous ne semble à même de se souvenir de ses heures de cours à l'Académie.
— Major, votre aide nous serait plus précieuse en conseiller qu'en fauteur de troubles.
— J'en ai bien conscience, mais je crains que nous n'ayons guère plus de choix. Les faits parlent contre vous, messieurs. J'aimerai autant que ce différend se règle de la façon la plus courtoise possible...

Son fusil d'épaule surgit, braqué sur Klim, toute sécurité retirée.

— Ne m'obligez pas à user de la force, mon général. Je serais le premier désolé de devoir tuer un officier de votre envergure.

Klim demeura figé, ahuri, la bouche entrouverte.

— Vous... Vous en pouvez … pas...
— Il semblerait que si. Soyez courageux, mon général : choisissez la voix de la raison.
— Mais... mais...
— Dernière sommation, égraina Cyrill, glacial.

Le temps suspendit sa course. Dans la salle, tous attendaient que le duel se règle, d'une façon ou d'une autre. Avec une lenteur inhumaine, Klim s'écarta de sa chaise, se dirigea vers Cyrill.

— Je démissionne de mon poste de président du directoire, répondit-il, d'une voix atone. Je nomme le major Inquisiteur Cyrill Beik à ma suite.

L'arme se rétracta. Cyrill posa une main amicale sur l'épaule de Klim.

— Vous avez choisi le bon camp, mon général. Pour cela, je vous en serai éternellement reconnaissant.

Klim poursuivit son chemin, la tête légèrement courbée.

— Dans ce directoire, quelqu'un souhaite-t-il déposer sa démission ?

Aucun des officiers ne broncha. Tous se rassirent.

— Parfait. Nous allons donc pouvoir travailler à remettre un peu d'ordre.

La salle se vida, avec le plus grand naturel. Un vent d'espoir se remit à souffler dans les regards. Cyrill, plus conscient que jamais de la situation, pria secrètement le Dieu-Machine de lui accorder la rigueur et la lucidité nécessaire pour régler la guerre.

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Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:30:33

A la tombée de la nuit, un feu bouillonnant surgit des étoiles rasa Port Moscou. Les constructions, abîmées, s'écrasèrent sans grâce. Le directoire, vulgaire boite en carton, explosa, soufflé. Les rues se recouvrirent d'une fine couche de sable vitrifié. Un silence de tombeau retomba en même temps que la poussière, tandis que le rouleau des vibrations s'en allait, au loin.

L'astroport tint bon. La tour vibra sur ses fondations, les hangars se déformèrent, mais rien ne s'écroula. Les vaisseaux protégés ne subirent aucun dégât.

La foule restreinte des rebelles, qui avait reçu le message de réédition quelques minutes auparavant, ne s'était pas méfié. Victorieuse, assouvi du sang des ennemis vaincus, elle s'était rué dans les rues, remontant jusqu'au directoire, où elle avait trouvé porte ouverte. Le bâtiment, vidé, n'était plus qu'une coquille vide, où les traces de présence humaine traduisaient une fuite hâtive. Les sous-officiers, en tête, avaient alors comprit quel piège se refermait sur eux. Cyborg ou non, gavé par l'ivresse du combat, ils s'étaient défait du manteau de rationalité froide et mécanique qui les recouvraient, le piétinant avec joie. Une joie qu'il ne savourèrent qu'un instant, avant que la mort ciblée par les croiseurs en orbite ne vienne les cueillir comme des fruits mûrs.

Dans les bunkers, la foule des fidèles avait tenu bon. Tous regretteraient la ville, la possibilité d'une civilisation construite ici, sur Regor, comme la nouvelle capitale d'un empire au service fidèle du Dieu-Machine. Lorsque les alarmes hurlèrent à nouveau, libérant la masse des civils et des militaires, rien n’avait résisté à l'extérieur. Seule la tour solitaire de l'astroport, veillait, comme le mat d'un navire qui venait de s'écraser sur les rochers.

Cyrill, en bon despote tout juste investi, regarda loin l'horizon, puis, laconique, déclara :

— Ils ont voulu la paix. Tous ce qu'ils ont trouvé, c'est la guerre.

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MP
Niveau 10
13 septembre 2017 à 22:32:00

Aucune lune n'orbitait autour de Regor, qui elle-même n'était le satellite d'aucun corps céleste, mis à part son étoile. La nuit, noire, rayonnait des milliards de soleils qui luisaient, débarrassés de toute pollutions lumineuse. Ce soir, il n'y aurait pas de tempête. Un soir parfait pour mourir.

— Combien de femmes ?
— Parmi les rescapés... Cinquante, major.
— Général Reig, faites-les déplacer vers l'astroport. Qu'on leur réserve une place pour le prochain convoyeur. Elles ne resteront pas ici.
— Mais... Les autres civils ?

Cyrill laissa passer un temps. Une bourrasque souleva sa cape, avec douceur. Au loin, un météore stria les cieux.

— Ce terme est obsolète.
— Les hommes et les enfants... Il y en a quand même plus de deux cents.
— Les enfants de moins de quinze ans suivront les femmes. Les autres... Ils resteront, où ils mourront.
— Vous voulez les enrôler de force ?
— Il y a eu trop de perte, général. Ce ne serait que justice si le monde civil donnait son sang.
— Mais... major... Les civils ont subi bien plus de pertes que nous.
— Oui, et alors ?
— La population de Regor avant l'attaque était de vingt mille habitants. Tous étaient volontaires pour quitter la Terre... Enfin presque.
— La guerre aura nettoyé la lie.

Reig ne sut quoi répondre. Il avait bien entendu les rumeurs concernant le major Beik, sa rugosité, son esprit glacial. Il trouva, à cet instant, la réalité bien pire.

— Vous ne pouvez pas dire cela, major... Il y a eu des morts. Cela vous laisse-t-il de marbre ?
— Si je ne deviens pas le monstre auquel vous pensez, général, considérez dès à présent que Regor est un monde perdu.
— Nous ne pourrons pas reconstruire les deux villes. L'astroport suffira à peine à nous héberger quelques temps... Il nous faut l'aide des autres mondes libres.
— La fuite. Quelle idée... audacieuse, railla Cyrill.
— La planète est condamnée !
— Et j'entends bien la sauver ! Répliqua avec fougue Cyrill.

Une nouvelle bourrasque. Du sable vint s'échouer aux pieds des deux hommes. Reig soupira.

— Faites comme bon vous semble, major. Je n'ai pas ce pouvoir. Et je n'en veux pas.
— Quel courage, quelle audace, répliqua Cyrill, mesquin.
— Soyez radical, major. Tout ce que vous gagnerez, c'est la disparition de votre rêve. De notre rêve à tous.

Le général tourna le dos au major, qui s'empressa de lui lancer.

— C'est ça ! Fuyez, abdiquez, comme ce cher Magister Siegfried a abdiqué devant Gregor Mac Mordan ! Allez leur dire, à tous ces survivants, combien leur sacrifice ne sert à rien ! Qu'ils ont eu tort de croire !
— Vous êtes complètement malade, major !
— Malade d'être libre, de voir la possibilité d'un avenir se dessiner enfin. Oui, mon général, malade à en crever ! Et vous tous, vous devriez l'être autant que moi !

Il se rua vers une dune, tandis que derrière, des protestations s'élevaient. La nuit tourbillonnait autour, tout en l'avalant et en le recrachant, ivre de chagrin.

— Pourquoi ? Cria Cyrill.

Sa course l’entraînait vers le désert. Des alarmes clignotèrent dans son champ de vision. Les stimulants et les neuro-régulateurs venaient de tomber sous le seuil de sécurité. Son cerveau risquait un grave déficit en sérotonine. Comme un tissu qu'on déchire, sa sérénité se délitait violemment.

— Pourquoi ?!

Il ne prit pas en compte les alertes. A bord des croiseurs, les cybernautes auraient tout ce qui lui était nécessaire. Les croiseurs... Ils lui apparaissaient comme la seule solution, il ne voulait pas en entendre parler. Il gouttait au pouvoir, enfin ! Il n'était plus dans l'ombre de Gregor, il n'avait plus à tenir sa haine comme un lion enragé tenu au bout d’une chaîne vissée au mur de la raison. Non. Il refusait toute idée d'abandon.

— Ils verront... Ils verront que j'avais raison... Que j'ai fait le bon choix.
— Major !

On hurlait dans son dos. Il courrait, encore, toujours. Les pas se rapprochaient. Cela n'avait plus d'importance.

— Il a menti ! Lança-t-il d'une voix étranglée, tandis qu'un flot de larmes surgissait dans son esprit. Ses yeux, robotiques, restaient secs, désespérés. Il nous a abandonné !
— Attrapez le ! Ordonna la voix.
— Gregor Mac Mordan doit être exécuté. Il a vendu la Confédération. Il nous a vendu, NOUS ! Et que faisons-nous ? Nous nous entre-tuons. Pour son bon plaisir !

Deux soldats le plaquèrent, ce qui ne l'empêcha pas de se débattre. Fermement, ils cramponnèrent ses bras et ses jambes, le plaquèrent dans le sable. Et il vociféra de plus belle.

— Quand le Dieu-Machine regardera son œuvre, il aura honte de notre lâcheté ! La guerre est à nos portes, mes frères ! A nos portes ! Et nous n'avons fait que nous entre-tuer, pourquoi ?! Cela n'a aucun sens ! Notre vie n'a plus aucun sens ! Le Dieu-Machine nous a vu, il nous a abandonné, car nous ne sommes plus dignes d'être à son service... Voilà tout ce que ça évoque pour vous ! Jetez vos habits, coupez vos cheveux, recouvrez vos visages de cendre et pleurez ! PLEUREZ ! La honte est sur nous, mes frères !
— Faites le taire, il délire.
— Nous aurons notre vengeance, ici ou ailleurs ! Mais ici, le sort nous a donné la plus grande épreuve qui soit. Ne refusons pas notre responsabilité ! Ne fuyons pas face à l'adversaire, qui attend, tapis. Il sait que nous ne ploierons pas, mais il essaye. Du courage, mes frères !

Une pince se glissa conter sa nuque. Cyrill sentit une trode se ficher contre lui. Noir. Les étoiles disparurent, les visages enfiévrés qui le maintenaient aussi. Ne restait plus que les messages d'alarmes, écarlates.

— Essayez de m'arrêter, et vous le regretterez !
— Nous faisons ça pour votre bien, major. Vos régulateurs sont en train de lâcher. La tension des dernières semaines et les combats ont dû déstabiliser une … fragilité de vos systèmes.
— Je ne peux pas faillir ! Je suis un serviteur du Dieu-Machine ! Mon corps est mon arme, et il ne peut jamais être pris au dépourvu !
— Lieutenant, qu'attendez-vous pour contrôler les circuits vocaux ! S'emporta une troisième voix.
— Le pare-feu est trop solide. Impossible.
— Rendez le sourd.

Ce furent les derniers mots qu'il entendit. Il pouvait sentir la pression sur ses bras, ses jambes, son torse. Il lutta, une dernière fois, et cette tension, à son tour, disparut. La coupure avec le monde physique vrillait son crâne, rendant la douleur psychique insupportable. Les implants ne pouvaient pas grand-chose contre cet état, il le savait.

Les messages d'alertes se multiplièrent. Son système de défense cybernétique et ses protections informatiques venaient de céder, pris d'assaut par au moins quatre consciences. Une force plus invisible et plus puissante venait enserrer son esprit, toujours ivre.

Comprenant que cette fois, il ne pourrait plus gagner, Cyrill s'abandonna à la peur et à la défaite. Il se sentit tomber en arrière, retenu par ses mains qu'il ne pouvait que sentir sur son âme. Des mains de fers. Brûlantes.

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