Open Word, notre tribune dédiée aux talents de la création, est de retour. Ce mois-ci, Aurore Palisson, scénariste chez Sweet Arsenic, développe ce que beaucoup de joueuses et joueurs passés de l'autre côté de l'écran connaissent : la déformation professionnelle. Et elle le vit manifestement plutôt bien.
- Résilience, son premier projet
Une journée tout à fait normale. Le déménagement d'une amie, une dizaine de copain·ine·s, un programmeur IA et moi. Puis les pizzas et une pause bien méritée. La discussion part sur les derniers jeux vidéo et un "de toute façon en bossant dans les jeux vidéo, vous passez votre temps à jouer !" arrive. Pour nous deux, la réponse est unanime et spontanée "quand on bosse dans le jeu vidéo, on ne joue plus, on teste".
C'est un phénomène qui rentre dans la catégorie des déformations professionnelles. Un changement de regard qui accompagne la métamorphose du·de la joueur·euse passionné·e en professionnel·le.
En tant que scénariste, l'immersion dans une histoire devient de plus en plus dure. Exemple du dernier volet d'une licence dont je suis une très grande fan depuis le premier épisode : j'arrive sur une des cinématiques de fin riche en émotion. Presque immédiatement, mon cerveau s'active. Pourquoi cette scène est forte en émotions ? Quels sont les ingrédients qui me font ressentir de la tristesse et de la fierté en même temps ? Quels rouages, dispersés au cours du jeu, forment le mécanisme qui a commencé à me prendre aux tripes ? Là où il y a à peine trois ou quatre ans, je me serais simplement laissée emporter par la scène, aujourd'hui je la dissèque dans ma tête.
Pour en rajouter, comme j'interagis avec d'autres professions de l'industrie, les exemples se multiplient. Le défaut d'une animation m'obnubile et m'empêche d'admirer le reste. Une série d'énigmes devient un cas d'école de comment expliquer les mécanismes aux joueur·euse·s tout en augmentant la difficulté. Les pubs pour les bonus des free-to-play, au lieu d'être une nuisance, deviennent des échantillons de titres disponibles.
Chaque expérience vidéo-ludique, et de façon plus générale les livres, les films ou les séries télé, sont des opportunités d'apprendre et de réfléchir. D'obtenir des éléments de réponses. Comment raconter une histoire sans dialogue ? Quels éléments narratifs sont utilisés pour le cliffhanger d'un chapitre d'un jeu épisodique ? Comment traiter un sujet de société sans tomber dans le militantisme ? Comment sortir des sentiers battus des gameplays traditionnels ?
Si un jeu était un spectacle de marionnettes, je serais concentrée sur les ficelles, leurs points d'attache et leur ballet. Ces ficelles qui, avant, m'étaient invisibles. Mais comment regretter ? J'ai une déformation professionnelle sur le jeu vidéo ! Je suis passée de l'autre côté de l'écran. Et ça, ça me fait rêver.
Si vous avez participé à la création d'un ou plusieurs jeux, si des sujets vous tiennent à coeur, si vous voulez partager vos réflexions et donner de la visibilité à votre univers, n'hésitez pas à nous contacter par message privé pour faire partie des auteurs de notre nouvelle tribune Open Word.
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