Si l'on se focalise sur les sorties les plus marquantes de cette année, nous pourrions facilement croire que l'innovation n'est plus ce qui dicte les lois de l'industrie du jeu vidéo. Et pourtant, la prise de risque, et l'innovation, même minime existe bel et bien si l'on prend la peine de la chercher.
Assassin's Creed, Red Dead Redemption, God of War, Marvel's Spider-Man, FIFA, Call of Duty, Battlefield, Far Cry 5... les AAA de 2018, et même ceux de l'an passé, serait-on tentés de dire, ne sont pas de nouvelles IP et, au-delà des considérations qualitatives des jeux précités, ces franchises ont aujourd'hui au moins un épisode précédent, quand ce n'est pas beaucoup plus. C'est un constat que l'on peut certes déplorer, mais finalement, l'absence de grandes prises de risques peut aussi se concevoir. Les budgets engagés par les plus gros studios de développement deviennent tout simplement pharaoniques et il est plus confortable de se concentrer sur des registres dont on est sûrs qu'ils trouveront acheteurs que d'investir une grande quantité d'argent dans un concept abscons qui pourrait s'avérer un échec public, sans doute plus important qu'un échec critique.
Malgré tout et en dépit des arguments en faveur de la sécurité, difficile de ne pas sentir parfois un sentiment de stagnation. Même lorsque l'innovation est au service d'un nouveau regard sur une franchise, comme c'était le cas avec le très bon Asssassin's Creed Origins, la routine s'installe assez vite et le degré de nouveauté prend du plomb dans l'aile, comme l'a prouvé le néanmoins réussi Assassin's Creed Odyssey. Et si les licences bien installées sont un peu frileuses en matière d'innovation, cela pourrait laisser à penser que tout a déjà été inventé et qu'à terme, nous n'aurons le droit qu'à de menues nouveautés ou éventuellement une simple amélioration ou réinterprétation de ce qui existe déjà.
Alors certes, le média prenant de l'âge, il devient compliqué de proposer un concept complètement révolutionnaire. Mais il n'est pas indispensable de chercher un bouleversement total des règles établies pour créer quelque chose d'inédit. L'audace d'un concept ou l'intelligence d'une réinterprétation peut suffire à réinventer la manière de percevoir le jeu vidéo ou un genre en particulier. Et c'est souvent du côté de la scène indépendante ou du moins vers les studios aux moyens et effectifs modestes qu'il faut se tourner. Si l'on jette un regard sur l'année qui vient de s'écouler, les titres salués pour leur originalité n'étaient pas les AAA, encensés pour d'autres raisons, leur sublimation de la technique ou de la scénarisation par exemple, mais pas celle de l'audace.
Subnautica, par exemple, n'a pas inventé le jeu de survie et a adopté des mécaniques déjà bien connues de celles et ceux amateurs du genre dont Steam, notamment, nous abreuve depuis des années. Et pourtant, il est parvenu à corriger les travers que l'on peut trouver chez de nombreux représentants du genre. Outre l'originalité du propos lui-même, un jeu de survie sous-marin, Subnautica a su se réapproprier et sublimer le jeu de survie. Un monde façonné à la main excluant la frustration de l'aléatoire, une interface exemplaire de limpidité, un scénario avec un début et une fin qui n'oublie pas pour autant les éléments de sandbox... corriger les défauts d'un genre et le reprendre à son compte permet de le réinventer, c'est en soit une preuve d'innovation. Le constat est également valable pour un Frostpunk, qui a posé un regard neuf sur le jeu de gestion, que ce soit dans le propos, sombre, ou la construction circulaire justifiée par le scénario du jeu et dont découlent des mécaniques de gameplay inédites dans ce registre. Un Double Kick Heroes a de son côté posé un regard atypique sur le jeu de rythme, en proposant une bande son Metal tendance bien dégagée derrière les oreilles, ce qui est assez rare pour être souligné, mais également en axant son gameplay sur les patterns de batterie tout en saupoudrant le tout d'élément de shoot'em up.
L'innovation peut également être visuelle, comme l'a démontré le très étonnant 11-11 : Memories Retold, qui a adopté une esthétique impressionniste terriblement originale et audacieuse, conférant à son propos un côté intemporel. Plus tranché encore, et plus parlant lorsqu'il s'agit de trouver un exemple prouvant que non, tout n'a pas encore été fait : Return of the Obra Dinn. Outre son aspect rétro soigné et l'incroyable dynamisme qui se dégage de certaines scènes pourtant figées, c'est par son approche du jeu d'enquête que le titre de Lucas Pope a impressionné plus d'un joueur.
Et en effet, l'univers indépendant subit sans doute moins de pressions et est soumis à moins d'obligations de résultat d'actionnaires, par exemple, lui autorisant une liberté de création plus exacerbée que chez les AAA. Cependant, il est regrettable que les studios de plus grande envergure, composés d'un grand nombre d'individus au vrai potentiel créatif, ne prennent pas plus de paris risqués. Espérons que l'industrie en général emboîtera le pas aux plus novateurs pour faire évoluer et aussi réinventer un média qui, par son essence même, ne devrait pas rester dans la stagnation.