Autrefois moqué à cause d’une économie de moyens perceptible à l’écran, le Nintendo Direct s’est petit à petit imposé comme un rendez-vous immanquable pour ceux qui s’intéressent de près ou de loin aux productions de la firme de Kyoto. Huit ans après son inauguration, le format qui met en scène les directeurs les plus hauts placés de la compagnie japonaise continue d’apporter son lot d’informations et de surprises directement aux joueurs. Peu cher à produire, efficace dans son approche, le Nintendo Direct se voit aujourd’hui copié par les autres constructeurs, au point où l'on pourrait s'imaginer la disparition des emblématiques conférences pré-E3.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
La grand-messe du petit Direct
Le 21 octobre 2011 aux Etats-Unis, Reggie Fils-Aimé, alors directeur de Nintendo of America, mouille la chemise (littéralement) en animant le premier Nintendo Direct de la marque. Du côté du Japon, c’est Satoru Iwata, PDG de Nintendo, qui donne de sa personne. Les yeux sont rivés sur le prompteur, les corps sont un peu raides, mais l’idée est bien là : la compagnie compte mettre en scène ses VIP pour dérouler régulièrement sa communication. Ce rendez-vous inédit adressé aux fans est l’occasion pour le constructeur de faire un point sur ses prochaines sorties en plus d’annoncer de nouveaux projets. Au début, les conférences pré-E3 et les Nintendo Direct cohabitent. Mais le 5 juin 2012, les parents de Mario organisent leur dernier press briefing diffusé en direct. La présentation ratée de la Wii U passe mal, et la compagnie qui a déjà vécu des E3 compliqués avec, entre autres, du motion gaming délicat à présenter sur scène, jette définitivement l’éponge.
À partir de juin 2012, la firme de Kyoto communique donc exclusivement via son nouveau format vidéo qu’elle tourne à destination du Japon, de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Australie et de la Corée du Sud. La même année, une dizaine de Nintendo Direct est diffusée en Europe, un chiffre qui n’a presque pas bougé au fil des années et qui prouve l’omniprésence du groupe tout au long de l’année. Ce qui change néanmoins, c’est le contenu, parfois dédié à un seul jeu ou à une console particulière. Entre les spectacles de marionnettes à l’effigie des grosses pontes et les vidéos aux frontières de l’institutionnel, les Nintendo Direct se sont cherchés et ont multiplié les tons comme les intervenants. Le fait de placer les têtes pensantes de Nintendo au centre du dispositif illustre parfaitement le fait que la société souhaite, par ce format, s’adresser directement à ses clients, sans autre intermédiaire. Les Inside Xbox apparus en 2018 ne sont pas animés par Phil Spencer, et les State of Play de Sony utilisent une simple voix off, qui n’est pas celle de Shawn Layden. Nintendo joue, littéralement, la transparence. À l’occasion du Nintendo Direct spécial E3 2019, c’est d’ailleurs le fraîchement nommé président de Nintendo of America, Doug Bowser, qui a repris le flambeau de Reggie Fils-Aimé. Tout le monde se plie à l’exercice du Nintendo Direct.
économie de moyens, maximisation des profits
Le format des Nintendo Direct permet de délivrer une information maîtrisée par la société, dont le contenu ne peut être brouillé par une bafouille, un oubli, ou par une mauvaise traduction, les épisodes étant sous-titrés en français sur la chaîne de Nintendo France. Il fait la part belle aux bandes-annonces mais aussi aux prises de parole des studios de développement. Enregistrer un événement comporte bien évidemment plusieurs avantages pour les grands groupes. Il y a tout d’abord l’assurance de ne subir aucun imprévu technique. Les Nintendo Direct, Inside Xbox et autres State of Play ont surtout l’énorme avantage d’être moins coûteux que des conférences réunissant des milliers de journalistes. Tourner puis monter un Nintendo Direct coûte moins cher que de louer une salle pouvant accueillir les professionnels du milieu, avec tout le matériel (éclairage, son, captation) que cela sous-entend. Microsoft a d’ailleurs abandonné sa conférence gamescom au profit d’un Inside Xbox, depuis 2016.
Les Nintendo Direct E3 peuvent être, parfois, visionnés par la presse quelques heures avant leur diffusion afin d’aider les professionnels à mieux préparer leurs contenus. C’est ce qui s’est par exemple passé à l’E3 2019, où certains journalistes ont pu découvrir avant tout le monde le contenu de l’événement enregistré. Néanmoins, une “petite” information n’était pas présente lors de ce visionnage en avant-première : The Legend of Zelda : Breath of the Wild 2 n’était pas annoncé à la fin de la vidéo. Nintendo a souhaité surprendre tout le monde avec son ultime surprise, presse comprise.
Le public exige d’une conférence constructeur qu’elle soit rythmée et bourrée d’annonces. Cette recherche parfois insensée de l’enchaînement rapide vers de nouvelles surprises a diminué la présence des développeurs sur scène, et a quasiment supprimé les passages purement orientés business. À quoi bon continuer de tenir des présentations onéreuses en direct quand une simple vidéo pourrait au final correspondre aux attentes du grand public, à qui l’E3 est de plus en plus destiné ? Lorsque l’on observe les derniers press briefings E3 de Sony, on se dit qu’une grande vidéo aurait finalement eu le même impact. En 2016, les jeux s’enchaînent dans un Shrine Auditorium aux allures de ciné-concert, et le seul invité sur scène du côté des développeurs n’est autre que Hideo Kojima (Death Stranding). Des développeurs qui ne seront plus représentés en 2017, tandis que les apparitions de Shawn Layden passent de 6 minutes en 2016 à 4 minutes en 2017. Pour sa conférence E3 2018, Sony a tenté une présentation qui est restée difficilement compréhensible pour les spectateurs, mais qui a au moins eu le mérite d’être totalement pensée pour le public sur place.
S’il y a bien une chose que le monde du jeu vidéo a exposé de nombreuses fois, c’est que rien n’est définitivement gravé dans le marbre. Sony a montré que la marque PlayStation était capable d’ignorer un E3, et Nintendo a prouvé qu’il était possible de se passer définitivement des conférences en direct. À une époque de réduction des coûts où la communication directe d’une information vers un public visé, sans relai intermédiaire, est plus que jamais d’actualité, la disparition des traditionnels press briefings des géants de l’industrie est dans l’air du temps.