Il fut un temps où le développement de jeux vidéo se résumait à une poignée de passionnés enfermés dans un garage, portés par l’envie de défricher le chemin pixellisé se dressant devant eux. Aujourd’hui, en plus de structures plus modestes, ce sont des équipes de centaines de personnes qui s'affairent à concevoir pendant plusieurs années des “AAA” à destination de millions de consommateurs. Les manières de produire ont drastiquement changé au fil des décennies, et la recette d’un succès critique ne repose plus seulement sur une bonne idée astucieusement vendue. Une communication efficace entre les différents départements prévaudrait-elle sur le reste ?
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
Management fees
Ces derniers mois, nous avons vu de grosses licences connaître des déconvenues (Fallout 76), des studios talentueux descendre de leur piédestal (Bioware), et des équipes pointées du doigt à cause d’une culture d’entreprise nocive accoucher d’un des titres les mieux notés de l’histoire du jeu vidéo (Rockstar, Red Dead Redemption II). Difficile dans ces conditions de déterminer avec exactitude les secrets de production menant à des jeux d’exception. Il paraît convenu d’affirmer que derrière chaque projet adulé se cachent des artistes ayant l'envie de bien faire, investis dans leurs créations.
Ce qui ressort des divers entretiens que j’ai pu avoir avec des développeurs, c'est que si un game director a une vision qui va à l'encontre de celle de son équipe, alors cela ne peut pas fonctionner. La personnalité des décideurs est également très importante. Sont-ils avant tout à l’écoute du business ou des joueurs ? Un level designer que j'ai rencontré m’a confié qu'il y a encore quelques années, les équipes du marketing avaient le pouvoir de faire revoir des éléments importants de game design, tandis qu'aujourd'hui, il est surtout demandé de satisfaire les joueurs. Écouter sa communauté, c’est primordial, surtout à l’aube de l'avènement des jeux-service.
Le management pyramidal se retrouve communément dans le monde du jeu vidéo. Il permet à un chef de donner des directives à des leads qui s’assurent que le travail soit convenablement exécuté par leurs équipes d’artistes et de techniciens. Le management horizontal a ses défenseurs auprès de studios de taille plus modeste, mais est difficilement applicable au sein des grandes entreprises. Les allers-retours, ça demande du temps, et le temps, c’est de l’argent.
Prod gold
La vision des game designers est importante. C'est elle qui va déterminer si le projet prend une bonne direction. Peut-on cependant résumer le succès d'un jeu à ses seules mécaniques imaginées par un petit groupe de personnes ? Non, évidemment. Ôtons d'emblée une idée reçue : aussi étrange que cela puisse paraître, un game designer n'est pas forcément du côté du joueur. Il a ses propres envies, ses intimes convictions, et peut prendre des décisions impopulaires auprès de la cible qu’il tente de séduire. Est-ce blâmable lorsque l’on sait que les passionnés ont tendance à ne pas apprécier le changement ? Finalement, ce sont surtout les contraintes liées à la production (timings, roadmap) et la façon dont les équipes vont réussir à les embrasser qui définit la qualité d'une œuvre à sa sortie. Une entreprise peut avoir les meilleurs designers du monde, si ces derniers n'ont pas suffisamment de temps ou sont mal encadrés, alors le château de cartes s'effondre. "Si la prod ne dirige pas les équipes convenablement, ça devient rapidement problématique” me confie un artiste travaillant pour un développeur français. “Si les plannings entre les équipes ne sont pas échelonnés par rapport aux dépendances de chacun, alors tout arrive en même temps, les rendus tombent sans hiérarchie à la même date et tout le monde travaille dans son coin sans connaître les besoins des autres départements". Et cela mènera irrémédiablement à un report, ou à une sortie dans la douleur, avec ou sans finition.
Des game producers attentifs sont nécessaires à la bonne réalisation des projets qui termineront sur nos étagères ou dans nos disques durs. Malgré la pression que cela peut occasionner, les départements ont besoin de voir leur travail inspecté, que l’avancement soit constaté, et que des solutions soient trouvées en cas de blocage. La production doit donner des ultimatum aux équipes pour que le projet suive sa fiche de route et qu'un département ne soit pas bloqué à cause des manquements d'un autre. En outre, plus le développement d'un jeu se complique, plus les équipes éprouvent une certaine défiance les unes envers les autres afin d'éviter que de mauvaises décisions prises par le passé ne leur retombent dessus. Le rôle du (bon) producer est multiple, il doit régulièrement quitter ses tableurs pour se doter de ses meilleures aptitudes sociales afin de trouver des terrains d’entente.
Le succès d’un projet repose moins sur son game design que sur sa production. Nous avons peut-être trop tendance à réduire nos jeux vidéo à un directeur créatif et à quelques game designers. En règle générale, les game producers sont injustement oubliés. Ils sont pourtant la colonne vertébrale de titres réussis qui n'ont pas été accouchés dans la douleur. Bien entendu, le succès d’un jeu repose sur tout un tas de paramètres allant de la taille de l’équipe au leadership des dirigeants. Il y a des exceptions, et certaines sociétés réputées n’hésitent par exemple pas à multiplier les heures supplémentaires pour respecter les délais instaurés. Une culture d’entreprise saine alliée à une bonne vision de départ en plus d’une feuille de route précise sont la clé du succès. C’est peut-être ce qui fait que malgré un turn over important, certains studios réussissent mieux que d’autres à livrer des œuvres d’exception le long de leur existence.