Depuis juin 2019, des manifestations font rage à Hong Kong, en Chine. Mais en marge des scènes de rue, les activistes se sont emparés du jeu vidéo pour faire entendre leur voix, que ce soit via GTA V ou des créations originales. Quitte à embarrasser les plus grandes boutiques de vente en ligne.
Si le dernier DLC de GTA V a fait du bruit, ce n’est pas pour ses excentricités ou son nouveau casino à braquer. Mais car il permet de revêtir des vêtements noirs, un masque à gaz et un casque de sécurité jaune. Il s’agit en effet de la tenue des protestants hongkongais, qui luttent pour davantage de démocratie au sein de cette région semi-autonome depuis juin 2019. Et pour faire entendre leur voix, leur dernière trouvaille est le titre de Rockstar.
Après la mise à jour “Braquage du Diamond Casino Heist” à la mi-décembre, des internautes chinois se sont mis à reproduire les scènes de contestation directement dans GTA V. Sur le réseau social LIHKG, on peut ainsi voir un activiste virtuel en train de lancer un cocktail molotov sur une voiture de police. Et le média américain CNN rapporte d’autres scénographies du genre, où des personnages déguisés s’attaquent à des trains ou aux forces de l’ordre.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais elle est parvenue jusqu’aux oreilles des partisans du régime de Pékin, qui rejettent les idéaux des activistes pro-démocratie. Si l’on en croit le média hongkongais Abacus, les deux camps se sont livré bataille directement dans GTA Online. “Maintenant qu'ils sont venus nous provoquer, ces cafards nous disent qu'ils veulent retourner en ligne et nous battre” indique un joueur qui soutient le gouvernement chinois. “Maintenant, les choses vont brûler de plus en plus souvent dans le jeu”.
Le jeu vidéo pour sensibiliser le grand public
Ce n’est pas la première fois que les manifestations d’Hong Kong se mêlent au jeu vidéo. En novembre dernier, la démo Liberate Hong Kong, jouable à la troisième comme à la première personne en réalité virtuelle, a fait le tour des médias internationaux. Elle permet d’incarner un activiste lors d’une rencontre tendue avec les forces de l’ordre. Il faut ainsi s’accroupir pour éviter les balles, récupérer les grenades lacrymogènes et les lancer au camp adverse. Le titre est disponible gratuitement sur Itch.io, à moins de vouloir faire un don à ses créateurs. Sa bande-annonce est ci-dessous.
https://www.youtube.com/watch?v=JgrZ7Vy1eAwL’intérêt de la démo est très limité, et son but n’est d’ailleurs pas de retenir le joueur pendant des heures. Son objectif est d’interpeller, comme l’indique l’un des développeurs du jeu à TV5 Monde, qui préfère rester anonyme par peur de représailles.
Grâce à cette démo, nous voulons susciter une prise de conscience à l’échelle internationale. Nous voulons toucher ceux qui n’ont pas fait l’expérience d’être en première ligne des manifestations.
“La démo semble tellement réelle” s’est enthousiasmé Chung “Blitzchung” Ng Wai, joueur professionnel d’Hearthstone et manifestant pro-démocratie, lorsqu’il a essayé le jeu en direct sur Twitch. C’est le même Blitzchung qui, récemment, a été suspendu six mois par Blizzard pour avoir affiché son soutien aux manifestants en direct, lors d’un tournoi eSport. C’est d’ailleurs cet événement qui a poussé les créateurs de Liberate Hong Kong à développer la démo.
Pour gagner de l’argent et pas peur d’en perdre
Sensibiliser le grand public à un mouvement est une chose, mais pérenniser ce dernier en est une autre : il faut de l’argent pour cela. Ainsi, d’autres jeux vidéo inspirés des manifestations hongkongaises, comme Karma sur PC ou le jeu mobile Revolution of our Times, offrent la possibilité d’aider financièrement les activistes. En principe du moins. En effet, le premier, un visual novel qui compte l’histoire d’une dystopie, prévoyait de donner l’équivalent de six mois de recettes à Spark Alliance, un organisme qui soutient les pro-démocratie et leur famille. Mais Steam traîne des pieds pour le publier. Et l’autre, une aventure textuelle à choix multiple, a été retiré par Google de son Play Store. Avec des achats in-app, le jeu souhaitait reverser 80% de ses revenus à Spark Alliance, d’après Hong Kong Free Press. Aujourd'hui, Revolution of our Times est à nouveau disponible. Mais semble avoir été purgé de toutes démarches commerciales.
Mais pourquoi Valve et la firme de Redmond ne souhaitent-ils pas (ou plus) rendre ces jeux disponibles ? Pour Revolution of our Times, Google explique que le titre va à l’encontre de sa “politique de longue date, qui interdit aux éditeurs de capitaliser sur des événements sensibles, comme d’essayer de faire de l’argent avec des jeux sur des conflits graves en cours ou des tragédies”. Selon ses dires, le géant de la tech a pris cette décision en interne. Ce ne serait donc pas une réponse à une requête du gouvernement chinois. Le doute à de quoi planer : en octobre, Apple a retiré une application qui permettait aux manifestants hongkongais de localiser les forces de l’ordre. Peu de temps avant, un média local avait accusé la firme à la pomme de soutenir le mouvement pro-démocratie. Et il va de soi qu’il est dans l’intérêt de Google et d’Apple de ne pas froisser le régime de Pékin, car la Chine représente un marché énorme et que le pays censure régulièrement des jeux. En juin 2019, plus de 690 millions de civils chinois utilisaient des téléphones portables, et étaient donc susceptibles de jouer à des titres Android et iOS.
Les manifestants face à la frilosité des boutiques
Il semble également que ce soit l’argent qui pousse Steam à freiner la sortie de Karma sur la plateforme. Pour l’année 2018, la Chine comptait 312 millions de joueurs PC. Comme pour Google et Apple, il n’est pas dans l'intérêt de Valve de contrarier le gouvernement chinois. Surtout que la dernière affaire embarrassante entre Steam et la Chine remonte à quelques mois. En février dernier, le jeu d’horreur narratif Devotion, publié sur la boutique de Valve, s’est retrouvé au coeur d’une vive polémique. L’un des développeurs y avait en effet glissé la phrase “Xi Jinping Winnie l'Ourson imbécile”, se moquant ouvertement du président chinois. En conséquence, les joueurs locaux ont incendié le titre sur la toile, et il a même été retiré de la vente en Chine. Par la suite, le jeu a totalement disparu de Steam, et Indievent, l'éditeur chargé de distribuer Devotion sur les terres de Xi Jinping, a fermé ses portes pour avoir enfreint certaines lois du pays.
Trailer de Devotion, le jeu retiré de Steam suite à une polémique
Bref, on ne plaisante pas avec la Chine, et Steam ne le sait que trop bien. Le tout n’arrange pas les studios locaux qui souhaitent profiter de l’exposition de la plateforme pour sensibiliser / récolter de l’argent au profit des manifestants hongkongais. Dans une lettre ouverte disponible sur Itch.io, les membres de la Liberate Hong Kong Game Team, à l’origine de la démo VR évoquée plus tôt, s’indignent du temps nécessaire pour publier leur jeu chez Valve.
Normalement, le processus de publication sur Steam prend 3 à 5 jours. Ca fait maintenant un mois que nous avons soumis Liberate Hong Kong.
L’équipe chinoise note également que Karma, jeu militant d’un autre studio, a mis plus de temps qu’à l’accoutumé pour être publié sur Steam. “Nous comprenons que Steam a peur de perdre le marché chinois dans cette histoire” raconte l’un des développeurs à l’origine de la démo, au média Gizmodo. Mais pour la Liberate Hong Kong Game Team, toute cette histoire se résume à “un autre cas de violation flagrante de la liberté de parole et d’expression pour les habitants d’Hong Kong”, comme expliqué dans leur lettre ouverte.