Avant les années 2000 et même bien au-delà, le principe de précommande, dans le jeu vidéo et ailleurs, n'était clairement pas la norme. Acheter l'exemplaire d'un jeu ne pouvait se faire qu'au jour de sa sortie, parfois au prix d'une impatience excessive à faire le pied de grue devant un revendeur le Jour-J. Le paiement en ligne et le dématérialisé aidant, le procédé est aujourd'hui devenu une constante, au moins en ce qui concerne les plus grosses productions du média qui nous intéresse ici.
La pratique peut-être parfois rondement menée et même s'avérer assez avantageuse pour le joueur qui place sa confiance dans un produit avant même d'avoir posé les mains dessus. Accès une poignée de jours avant les autres, ristourne d'un certain pourcentage, obtention d'items inédits... autant des petits avantages plus connus aujourd'hui sous le nom de « bonus de précommande ». Accepter de payer pour un produit qui techniquement n'existe pas encore est une sorte d'acte de foi, un achat dicté autant par l'impatience que par l'enthousiasme ressentit à l'égard d'une licence qui trônera « day one » fièrement dans notre bibliothèque physique ou virtuelle. Cependant, la pratique devrait toutefois inviter à la méfiance.
En premier lieu, précommander un jeu revient à capitaliser sur la qualité d'un titre dont on ne sait pas s'il sera bon ou non. Aujourd'hui, le moindre trailer d'annonce est assorti d'une offre de précommande, même lorsque la diffusion de la bande-annonce est séparée de nombreux mois de la commercialisation effective, si tant est qu'elle soit déterminée, ce qui n'est pas toujours le cas. Précommander un jeu, c'est estimer que les promesses faites lors de l'annonce seront tenues. Dans une industrie qui s'est taillé la réputation de rarement faire coller l'étiquette au produit, la déception lors de la prise en main d'un jeu en dessous des qualités promises est un risque réel. De plus, nous le savons, il est rare aujourd'hui qu'un titre soit parfaitement complet ou optimisé lors de sa sortie. Les lancements médiocres ou franchement ratés ne sont certes pas la norme, mais ils sont récurrents. Tout le monde se souviendra de la sortie PC de Batman Arkham Knight, injouable, même sur les configurations musclées et ce pendant une longue période de temps. No Man's Sky, pour citer le plus évident, n'a clairement pas été à la hauteur de ses promesses. Les exemples de jeux qui peuvent être considérés comme des produits finis se raréfient et il n'est pas rare de devoir attendre une poignée de jours voire de semaines avant d'espérer obtenir une expérience satisfaisante.
Au-delà de ça, s'il était à une époque assez légitime de précommander, à l'heure de la dématérialisation, inutile de préciser que vous n'aurez aujourd'hui que très peu de chances de vous trouver face à une pénurie du jeu convoité au jour de sa sortie. Si vous êtes conservateur et êtes attaché aux versions physiques, il est évident que les revendeurs auront la plupart du temps de nombreux exemplaires en stock, exemplaires que vous pourrez même trouver dans certaines grandes surfaces si vous n'avez pas de boutique spécialisée à proximité. La précommande permet à l'éditeur de s'assurer en avance des ventes d'un jeu avant même qu'il soit sorti et ne donne, la plupart du temps, que des bonus accessoires ou dispensables.
La pratique a d'ailleurs connu des dérives. Nous nous souvenons tous des bonus de précommande de Deus Ex : Mankind Divided, qui reposaient sur un principe peu élégant : plus les précommandes étaient nombreuses, plus les bonus associés étaient importants. Heureusement rapidement supprimé, ce système témoignait de la manière dont les éditeurs comptent presque autant sur les précommandes que sur les ventes pour s'assurer du succès de leur produit. Et si une entreprise sait à l'avance que son jeu sera rentable quoiqu'il arrive, la volonté de faire tous les efforts pour sortir un titre soigné et complet sera amoindrie et souvent reportée sur les semaines suivant la mise en rayon. Cela ne tire pas l'industrie vers le haut et est sans doute pour partie responsable du triste constat que la plupart des jeux d'envergure ne peuvent être considérés comme « achevés » au jour de leur sortie. Pire encore, l'argument des menus rabais consentis aux précommandes est malmené par les exemples, qui se multiplient, de AAA voyant leur tarif divisé par deux à une poignée de semaines de leur lancement. De quoi faire grincer les dents des joueurs logiquement frustrés d'avoir fait confiance à un jeu qui s'avère décevant et qui ont payé au prix fort leur anticipation.
Par ailleurs, la précommande peut créer des différences injustes de contenu, selon que vous achetiez votre version chez un revendeur plutôt qu'un autre. Il devient alors parfois compliqué, même en cas de précommande, d'être certain d'avoir exactement la même version qu'un autre ayant jeté son dévolu sur une édition plutôt qu'une autre.
Précommander un jeu est légitime et compréhensible et même parfois avantageux, notamment lorsque dans le cadre du nouvel épisode d'une série, les segments précédents sont offerts en bonus. Mais en règle générale, la pratique n'est pas différente de n'importe quelle publicité dont le principe est de nous faire acheter un produit sans aucune connaissance de sa qualité. A l'exception que, dans la publicité généraliste, le produit vendu existe déjà. Pas d'hostilité aveugle, mais, méfiance, donc.