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News débat et opinion Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?
Profil de la_redaction,  Jeuxvideo.com
Rédaction Jeuxvideo.com

Pour conclure, (eh oui, c’est enfin terminé), s’il est vrai que des normes et valeurs intègrent notre quotidien vidéoludique (logiques capitalistes de performance, etc.), il serait assez réducteur de ne se reporter qu’à ces éléments. L’utilisateur est loin d’être passif, il n’est pas simplement soumis au poids de structures qui lui sont supérieures. Le jeu vidéo produit tout une multitude d’émotions et le joueur étant un passionné, il est certain que celui-ci aura toujours envie de donner son point de vue et de le défendre coûte que coûte (quitte à ne pas toujours être objectif). Le sujet était riche et il m’aurait été difficile de tout traiter en un seul article, mais il offre un certain angle analytique et invite à aller plus loin dans l’étude des parcours de communautés de joueurs. Amoureux de “contre-cultures”, l’histoire n’est donc pas encore terminée…

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Cet article est rédigé et proposé par Anthony, sociologue de formation.

Note d'intention

Ce présent article étudie un objet sous l’angle des sciences sociales. Il adopte une posture analytique qui ne se veut en aucun cas exhaustive, elle montre seulement un point de vue singulier avec une méthode de recueil de données particulière.

Pierre Bourdieu, l’un des plus célèbres représentants de la sociologie française, présenta la sociologie comme un sport de combat dans un documentaire éponyme. La sociologie est en effet une science de l’action, devant se battre en permanence contre des prénotions/préjugés et se renouveler continuellement si cette dernière ne veut pas apparaître comme désuète face à une société en perpétuelle mouvance. Si je vous parle de ceci en préambule, c’est tout simplement pour se demander si le jeu vidéo ne serait pas également un sport de combat. Les affrontements sont nombreux dans l’univers du jeu vidéo, les cours de récré par exemple, furent pendant de nombreuses années l’arène privilégiée des écoliers afin de définir les meilleurs jeux, mascottes et/ou consoles. Le phénomène a trouvé aujourd’hui écho au sein de forums bien plus virtuels, mais ne perd en rien de sa superbe (amoureux de la paix dans le monde, passez votre chemin).

Et si le jeu vidéo devait en partie sa popularité à ces clivages et aux diverses formes de mépris qu’ont les joueurs à l’égard de leurs homologues? C’est à la suite d’un article d’Uzbek et Rica intitulé “Le jeu vidéo est colonisé par des logiques du travail” que la question s’est posée. Si l’écrit dans sa globalité est fort intéressant, c’est une petite partie qui a piqué plus particulièrement ma curiosité. Le philosophe des techniques Mathieu Triclot discute du lien entre jeu vidéo et travail. À la suite d’une question posée par un journaliste du magazine, le philosophe vient interroger la distinction entre des jeux populaires et des jeux plus underground. En clair, du mépris que pourraient avoir certains joueurs à l’égard de fans de softs, jugés par ces mêmes personnes, de “commerciaux et peu originaux” par exemple (on retrouve souvent dans cette catégorie les FIFA et autres Call of Duty/Battlefield). Réservé et adressé préalablement à un public de niche, spécialisé et “bidouilleur”, le jeu vidéo jouit aujourd’hui d’une forte popularité, lui permettant de toucher de nouveaux publics hors de ses frontières initiales. Plus l’offre s’est étoffée, plus la concurrence s’est amplifiée et, ce ne sont pas les publicités qui vont venir nous dire le contraire, le For the players de la PS4 semble particulièrement clair et transmet une idée bien précise : si vous êtes un “vrai” joueur, vous achetez une PlayStation.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Il faut reconnaître que Sony n’est pas la première société à faire cela (Sega et Nintendo si vous m’entendez), ces publicités ont été (et sont toujours) le terreau de bien nombreux débats acharnés. J’avais déjà pu en parler dans un précédent article (autopromo in coming), mais le fan reste un passionné capable de défendre bec et ongles quelque chose qu’il estime comme précieux; la publicité vient donc seulement amplifier ce “fanatisme”. Luc Boltanski décrit d’ailleurs particulièrement bien cet état en tant que régime d’agapè. En effet dans la religion chrétienne, ce terme renvoie à une forme d’amour sans calcul. Cette agapè correspond “à une forme d’amour extrême, la passion rentre donc dans ce régime, d’un don gratuit sans attente d’un contre-don. C’est donc un régime de paix (accord entre les personnes) hors équivalence (logique du don, refus du calcul)”. Si le travail de Boltanski sur les régimes d’engagements est particulièrement intéressant à appliquer à notre sujet, c’est parce qu’il traite également des passages d’un régime de paix à celui de la violence. Ces deux régimes d’engagements sont à la fois opposés, mais également proches puisqu’ils restent tous deux instables et le passage de l’amour à la violence reste donc très facilement franchissable (dire à des fans de DC que Batman reste in fine un pauvre type sans véritable talent peut vous apporter beaucoup de haine). Si la passion permet en effet de motiver toute une foule, elle ne reste qu’un élément dans l’équation car nous (vous et moi) pouvons nous demander pourquoi la culture vidéoludique a érigé ces frasques comme un pan de sa culture. Recollons donc les morceaux ensemble.

Le jeu vidéo comme reflet d’une société ?

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Le Japon fut le berceau d’une concurrence technologique acharnée : Sony, Sega et Nintendo (pour ne citer qu’eux) se sont lancés dans une grande guerre des consoles. Je ne vais pas vous refaire l’histoire des années 1980/90 (spoiler : Sega n’en ressort pas bien), mais parler de cette époque me permet de rebondir sur celle actuelle où principalement Microsoft et Sony incarnent de nouveau cette concurrence (sans oublier le PC et Nintendo restant en embuscade). Les années 90 ont été l’occasion pour les constructeurs d’attaquer de manière plus ou moins discrète les concurrents (voir l’illustration ci-dessus) contrairement à aujourd’hui où la situation semble en apparence bien plus “pacifiée”. Si vous vous demandez pourquoi un tel changement, je vous rétorquerai qu’il n’est plus nécessaire de lever une communauté contre une autre dans des spots publicitaires, alors que ces mêmes passionnés savent très bien le faire tout seuls. Pour Roger Caillois (anthropologue du jeu), il est possible de comprendre une société à travers ses jeux. Mathieu Triclot, que j’ai déjà pu présenter plus haut, prend l’exemple du Monopoly et explique qu’il est l’image parfaite pour présenter une société capitaliste actuelle : “le jeu critiquant à première vue le capitalisme, est finalement devenu le symbole de cette accumulation, avec comme principe le fait de ruiner et d’écraser les autres”. Si le propos peut vous sembler fort, il permet néanmoins de mettre en lumière l’idée qu’un jeu (qu’il soit virtuel ou non) s’imprègne en permanence d’éléments réels. Du fait de son encastrement dans une culture, une production reste un reflet de cette dernière et véhicule des normes et valeurs, favorisant ainsi la reproduction d’une vision en particulier. Prenons l’exemple d’Animal Crossing (jeu de simulation de vie de Nintendo) se voulant plutôt “naïf” dans son apparence générale, mais reproduit tout un système économique qui émane de nos sociétés capitalistes : on vend de nombreux éléments (issus de la chasse aux insectes, la pêche, la récolte de fruits et fossiles, etc.) afin d’accumuler des “clochettes” (argent virtuel du jeu) dans le but de pouvoir se payer par exemple des meubles, des vêtements, ou bien de rembourser le crédit de sa maison (Tom Nook incarne finalement un magnat de l’immobilier). Si cette explication s’éloigne du sujet principal, c’est tout simplement pour montrer que les concepteurs d’un jeu intègrent des normes et valeurs qui leur sont familières et nous joueurs, nous apprenons à nous y adapter.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Un individu ne naît pas joueur, il le devient petit à petit, ce que nous appelons la socialisation. Se socialiser, c’est apprendre comment se comporter en société, à agir/interagir et de fait, en tant que joueur la notion de compétition est un élément à prendre en compte. Que ce soit une course à terminer ou un boss à surmonter, le jeu vidéo se constitue en partie comme un des univers dans lequel il va être nécessaire de surpasser un élément de gameplay pour gagner. Il est donc difficile de dire à certains que la compétition (et le mépris à l’égard des autres) n’existe pas puisqu’ils ont été eux-mêmes habitués à voir et entendre des discours montrant le contraire tout au long de leur socialisation (idée de performance, de puissance à acquérir, surpasser les ennemis pour gagner, etc.). Je n’ai aucune envie d’enfiler le costume noir de prédicateur, vous annonçant une guerre vidéoludique sans merci au profit d’un capitalisme dévastateur (pleins de mots qui font peur), mais il est intéressant de comprendre certains fonctionnements afin de mieux se percevoir en tant que joueur de jeux vidéo. Néanmoins, être un passionné ne veut pas pour autant dire être un suiveur, approuvant aveuglément chaque fait et geste des marques qu’il affectionne. Revenons ensemble sur ce qui nous permet à chacun de se singulariser et donc, de se distinguer: le goût pour les jeux.

Être légitime ou ne pas l’être, telle est la question...

Parler du goût des joueurs revient donc à nous pencher sur deux courants sociologiques ayant déjà traité de cette notion. Un premier est représenté par Bourdieu et sa “distinction”. Pour le sociologue, le statut social joue directement sur la construction du goût. Le fan est décrit comme celui qui “traite des objets insignifiants comme des oeuvres d’art”. Pas très sympa tout ça donc. Il existe donc pour lui une hiérarchisation des pratiques culturelles avec certaines valorisées et réservées aux classes dites “supérieures” (la peinture, l’opéra, la musique classique) et d’autres que les classes “populaires” s’arrachent (la télévision, les jeux vidéo, la musique pop, etc.). En opposition à cette première vision vient celle de Bernard Lahire et d’Eric Maigret (aucun lien avec le commissaire) qui montrent que les fans peuvent apprécier simultanément des formes légitimes et illégitimes de la Culture. De plus, ces derniers mettent en valeur cet éclectisme tout en plébiscitant des pratiques jusqu’ici jugées comme élitistes (la lecture par exemple). Enfin, ces chercheurs mettent en lumière des dimensions de genres ou de générations comme des explications tout aussi recevables que l’origine sociale.

La notion va donc continuer à faire parler d’elle et il ne faut pas oublier que le goût pour quelque chose reste également en partie une dimension subjective (non, jouer à des triple A hyper commerciaux ne fait pas de vous un être “sans goût” comme certains peuvent parfois le dire). Revenons donc ensemble sur un concept lié à la notion de “goût” : la légitimité culturelle. Le jeu vidéo reste perçu comme un loisir populaire et familial.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Bien que s’affranchissant de plus en plus de sa dimension uniquement enfantine, la pratique reste parfois méconnue et assez mal jugée : voyez par exemple les allocutions à l’Assemblée Nationale où certain(e)s de nos représentant(e)s (l’inclusion est bien volontaire) montrent un sourire narquois à chaque fois que le terme “jeu vidéo” est employé. De plus, et c’est également un fait, la recherche scientifique a encore certaines difficultés à accorder du crédit à des recherches dans le domaine du jeu vidéo, n’étant pas jugées aussi “légitimes” que d’autres pratiques culturelles (la musique rock, le théâtre, etc.), mais rassurez-vous, quelques irréductibles Gaulois font fi de tout ça et défendent leur objet de recherche culturel préféré.

Il est très intéressant de voir la manière dont une personne extérieure peut juger le jeu vidéo comme une pratique homogène. Pour certaines personnes, aimer jouer aux jeux vidéo implique d’aimer tous les genres de jeux. La communauté vidéoludique est riche et particulièrement difficile à décrire dans sa globalité tant elle est diversifiée. Philippe Le Guern qui a pu travailler sur la légitimité culturelle de l’Eurovision explique très simplement que s’il est en effet possible de mettre énormément de raisons très scientifiques derrière le goût pour quelque chose, il ne faut pas oublier qu’écouter de la musique tout comme jouer à un jeu vidéo renvoie également à des aspects bien plus subjectifs. En d’autres termes, on aime jouer à un jeu parce qu’il nous procure des émotions, des sensations et satisfait notre intérêt. S’il est toujours difficile de défendre quelque chose comme légitime plutôt qu’une autre, c’est parce qu’on a tendance à opposer un élément par un autre, hors finalement, aimer jouer à FIFA se comprend tout aussi bien que le goût pour les J-RPG ou la série des Dark Souls. On peut ne pas être d’accord avec les propos de Pierre Bourdieu expliquant que les fans élèvent “des objets insignifiants comme des oeuvres d’art”, mais finalement il n’a pas complètement tort. Certains joueurs ont tendance à hiérarchiser, classifier et prêcher la bonne parole face à des supposés blasphémateurs, mais le fait de vouloir imposer un “bon goût élitiste” à la “plèbe des non-connaisseurs” vient directement appuyer ce que Bourdieu a pu décrire ci-dessus. Vouloir différencier bon et mauvais impliquerait donc une hiérarchie qui n’existe finalement pas, mais rappelle assez bien ce que Molière critiquait dans Le Bourgeois Gentilhomme (eh oui, les joueurs de jeux vidéo connaissent Molière) : Monsieur Jourdain, petit bourgeois, veut absolument ressembler à un noble alors qu’il est loin d’en être un, rejetant de fait son statut social. Vouloir ériger de force une “élite artificielle” sur le reste du parc vidéoludique, reviendrait seulement à satisfaire une guerre de clocher somme toute classique, mais ne permettrait en aucun cas de valoriser le jeu vidéo auprès d’instances et observateurs extérieurs. Et si le jeu vidéo ne souffre finalement pas plus de ces clivages ? Il est très enrichissant de lire/voir des discussions actuelles autour de précédentes “guerres de consoles”. Les utilisateurs font souvent preuve de réflexivité dans leur manière de percevoir l’ancien conflit et se montrent bien plus sages. Ces derniers savent prendre de la hauteur et voir à froid ce qui a fonctionné et ce qui a échoué. Prendre en compte ces critiques (bien que ça fasse toujours un peu mal à son égo ne nous le cachons pas), permet de mieux comprendre les limites d’un système. Le cas de Sega qui n’a pas eu la curiosité de faire un pas en arrière afin de mieux comprendre ce que voulaient les consommateurs et les développeurs semble être pour une partie des fans, la raison pour laquelle sa chute était prévisible.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Ce qui a tué SEGA c'est son marketing et sa politique. Sincèrement, SEGA aurait tué Sony, s'ils avaient déjà été moins présomptueux sur le prix de la console à sa sortie, et s'ils avaient été plus malins en anticipant la poussée énorme de la 3D (alors qu'ils avaient déjà commencé sur la génération précédente à en faire, hyper stupide de leur part en y réfléchissant bien...). Sega avait l'avantage de pouvoir s'appuyer sur sa notoriété toujours très forte à ce moment, sur l'arcade pour appuyer tout ça, sur le Japon qui allait lui donner de gros hits, sur certains éditeurs qui allait vraiment s'investir (Capcom).

Ce qu'il faut surtout retenir pour moi de cette guerre des 32bits, c'est que ce n'est pas Sony qui a gagné la guerre, mais bien SEGA qui l'a perdu. Sony arrive et a les dents longues donc joue le coup à fond. Ils n'ont rien à perdre, puisqu'ils n'ont rien (ils attaquent et c'est normal, d'ailleurs Sega l'a bien fait en son temps...). En plus je suis certain que débutant sur le marché, une fois les premiers revers enregistrés, Sony aurait retiré assez rapidement des billes du marché (les échecs de la 3DO et Jaguar étaient encore dans les têtes et devaient faire penser que seuls SEGA et Nintendo pouvaient tenir le marché). C'est vraiment dommage car la Saturn est là console qui signe l'arrêt de mort de la Dreamcast par la suite… Utilisateur du forum sega-mag.com

Pour ma part, le constat est mitigé également ! Alors, oui, je suis pro Saturn (ma console Sega favorite) tant il y avait de jeux incroyables sortis sur ce support. Les Panzer Dragoon, Sega Rally 1er du nom, Guardian Heroes, Saturn Bomberman, les multiples jeux de baston 2D, Nights, Shining force 3. Et du côté de l'import, Radiant Silvergun, TF5,... (la liste est longue). Mais ce qui a plombé la console, tout le monde le sait, c'est l'excès de confiance de SEGA à l'époque, la difficulté à développer sur la console (un cauchemar pour de nombreux développeurs),... Cela a fait que nous n'avons pas eu énormément de titres sortis en Europe (comparé au marché japonais). Utilisateur du forum sega-mag.com

Le jeu vidéo offre la possibilité de s’immerger dans un univers (quel qu’il soit) nécessitant donc au joueur de s’impliquer dans cet environnement. Le goût est subjectif, il est d’autant plus singulier qu’il mobilise les émotions de chacun et nous le savons (vous comme moi), parler de ses passions et surtout défendre son propre point de vue lorsque celui-ci est régi par ses émotions ne nous rend jamais bien objectifs. Revenons maintenant sur la manière dont peut se construire une légitimité culturelle vidéoludique.

“Je ne suis pas anti-console, j’ai un ami qui a un ordinateur portable !”

S’intéresser au parcours d’un joueur (et de ses trajectoires culturelles) semble être un biais analytique bien plus riche à travailler dans le but de mieux comprendre les clivages qui persistent dans cet univers.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

Le joueur se construit un goût pour le jeu au cours du temps, les sphères familiales, amicales, culturelles sont à prendre en compte dans ce parcours, mais cette étude de l'appétence vidéoludique serait biaisée si l’environnement technologique n’était pas cité. Le jeu est vidéo, il est donc virtuel, et se matérialise par tout un système technique et technologique que le joueur apprend à maîtriser et avec lequel il évolue. Si cette dimension n’est pas à omettre, c’est parce que le jeu vidéo reste un amoncellement de technologies toujours plus poussées. Avant même de confronter le gameplay et la qualité “d’amusement” d’un jeu, la performance brute reste souvent un argument pouvant faire pencher la balance dans le coeur de certains joueurs: les plus anciens se rappelleront des débats acharnés entre les consoles 32 et 64 bits par exemple. Le clivage actuel entre consoles de salon et PC reste un débat sans fin que le forum “Guerre des Consoles” illustre particulièrement bien et que je vous invite à visiter si les discours philippiques ne vous font pas peur.

Eric Maigret a su mettre en lumière dans les années 90 le décalage de perceptions entre la légitimité culturelle jugée “supérieure” que défendaient les adolescents amoureux de la Bande Dessinée et du cinéma traditionnel, contre celle des adorateurs des manga et autres animes. Selon Maigret, la télévision est le royaume par excellence des jugements de valeur car elle est surtout consommée au sein de la cellule familiale et est supposée partagée par tous les membres de la société. De fait, le programme (l’anime) sera forcément moins bien vu s’il est visionnable depuis une chaîne de télévision car il devient un “produit culturel de masse”. Certes, le sujet de l’article d’aujourd’hui ne parle pas de cette opposition, mais il est possible de retrouver le même paradoxe dans le jeu vidéo : il est très souvent opposé le PC aux autres consoles qui seraient uniquement adressées aux “suiveurs, ceux qui consommeraient bêtement” et aux “enfants”. Le support devient donc un élément de déconsidération.

Je ne vois pas le rapport entre reconnaître qu'un support ne nous convient pas et être un "anti-" de ce support. Ça me paraît tout à fait cohérent que les consoles, chacune à leurs manières, comblent beaucoup de joueurs, et ce même si ce n'est pas mon cas. Ce n'est pas parce que je cherche autre chose que mon sens du goût vaut mieux que celui d'un autre.

Mais bon visiblement GDC Des Consoles”, catégorie particulière dans le forum de jeuxvideo.com ne gravite pas vraiment autour de ces concepts… il semblerait plutôt que les gens ici ont besoin de se nourrir de la haine des autres, ça non plus je ne jugerai pas… Utilisateur forum jeuxvideo.com

Ce discours explique particulièrement bien la situation du marché du jeu vidéo actuel du point de vue de certains de ses consommateurs.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

J’ai déjà pu en parler, mais la culture vidéoludique s’est construite d’abord au sein de niches, s’est ensuite répandue peu à peu au sein des familles (qui avaient suffisamment d’argent à investir dedans), et intègre aujourd’hui nos trajets quotidiens avec les smartphones. Cette évolution du support et de la manière de jouer a su cristalliser différentes catégories de joueurs plus ou moins habituées à tel ou tel support. La montée de la “culture Internet” en lien avec celle vidéoludique a permis à de nombreuses communautés de se retrouver et surtout de s’affirmer autour d’images communes en ligne (mais également hors-ligne).

Eric Maigret explique que ce rejet du manga dans les années 1990 est souvent dû à une méconnaissance du support et s’appuie sur des propriétés (des “on-dit”) supposées ou constatées (et finalement pas si loin de ce que l’on peut voir sur des forums de jeux vidéo amoureux de la poésie métaphorique fleurie). Ce qui est le plus paradoxal (et quelque peu ironique) c’est que ces défenseurs de l’époque de la Bande dessinée et du cinéma mettent en cause la “violence” trop prononcée dans les manga alors qu’eux-mêmes restent de grands admirateurs de films comme Pulp Fiction, Le silence des agneaux, ou bien Seven pour ne citer qu’eux, qui ne sont pas exempts de violence.

Je n'ai jamais lu de manga mais je connais les dessins, ils sont débiles, c'est pour les neu neu. L'esprit manga ne m'intéresse pas du tout. Entretien tiré de l’article d’Eric Maigret.

Se présenter comme un défenseur d’une culture bien affirmée, ou d’une contre-culture n’est pas quelque chose de nouveau, le cinéma en son temps avait subi par exemple les mêmes foudres de la part des puristes, amateurs de théâtre; la musique rap n’était qu’un “ramassis” d’incitations à la violence et les services de SVOD “tuent clairement et simplement le cinéma”. Si finalement les contre-cultures ont pour habitude de se faire taper dessus, est-ce que la critique n’aurait finalement pas un rôle ambivalent ?

La critique en guise de caution de légitimité.

La critique ne cherche pas seulement à dénigrer tel ou tel élément, mais contribue également à un effort de promotion culturelle. Pour reprendre Luc Boltanski et Eric Chiapello, la critique apporte “la marque d’authenticité dans un univers industriel mondialisé”. On parle de processus de “marchandéisation de la différence”, “d’endogénéisation par le capitalisme de la demande d’authenticité”.

Le jeu vidéo est-il devenu un outil de distinction ?

En d’autres termes (parce qu’ils sont compliqués ces sociologues quand même), le fait de critiquer offre un regard différent de celui que pourrait donner la publicité. Contrairement aux années 1990 où certains constructeurs comme Nintendo ou Sega déclaraient ouvertement que les consoles concurrentes étaient mauvaises et que la leur était meilleure (l’époque de la “déconnade” donc), il est aujourd’hui plus difficile de défendre ce genre d’argument publicitaire tant l’offre est dense et que le consommateur a les moyens d’être plus réflexif (il peut aller voir une pléthore de tests et avis en ligne avant de se décider à acheter ou non). La critique est donc un nouvel outil de distinction, un moyen de sortir de la mêlée en laissant les tiers (les consommateurs/utilisateurs, les journalistes/experts par exemple) comparer et mettre en valeur un produit plutôt qu’un autre. La critique est devenue un nouvel outil de promotion bien plus riche et capable d’intégrer plus facilement le quotidien des différents foyers d’utilisateurs. Mathieu Béra ajoute à juste titre que le rire est également devenu une nouvelle forme à la fois d'auto légitimation et de critique (vous ne regarderez plus vos youtubeurs préférés de la même manière). Rire de tout, capable de se moquer tout en acceptant de recevoir à son tour des railleries reste un moyen particulièrement fort de promouvoir un produit.

Le mépris est-il donc un élément constituant du jeu vidéo en lui-même? Pas complètement, du moins, il n’est pas nécessaire au jeu vidéo. Le mépris, la critique restent des éléments de légitimation d’appartenance à une communauté, à une contre-culture. Il reste, comme nous venons de l’aborder, un atout de promotion car dans un système de production de masse, la critique devient un moyen comme un autre de se démarquer des autres. Ce qui reste relativement remarquable, c’est ce passage de la publicité critique vers une critique offrant une forte visibilité. Ne pas parler d’un jeu, d’une licence, d’une console (que ce soit en bien ou en mal) desservirait davantage ces derniers plutôt que l’inverse (un silence mort n’attire jamais personne). Si les jeux d’Ubisoft, ou d’Electronic Arts sont copieusement moqués et raillés, ils restent des produits qui se vendent particulièrement bien malgré tout, ce qui montre donc que les critiques n’empêchent en rien de vendre.

Le récap

  • Du fait de son inscription dans une société (les concepteurs baignent d’une culture particulière), un jeu vidéo véhicule des normes et valeurs propres à cette dernière. Dans le cas d’une société capitaliste, des concepts comme la performance, la réussite ou la compétition sont matérialisés de différentes manières dans un jeu (ex: le Monopoly).
  • Le “bon” et le “mauvais” goût restent des concepts particulièrement subjectifs. Le fait de hiérarchiser et d’attribuer à certains jeux, supports, etc. une légitimité supérieure à d’autres revient à dénigrer toute la richesse du jeu vidéo dans sa globalité.
  • La critique reste un élément de légitimation d’appartenance à une communauté, à une contre-culture. Il devient un atout de promotion permettant de se démarquer des autres dans un système de production de masse.

Références

Bibliographie :

  • Bera, M. Critique d'art et/ou promotion culturelle ?. Réseaux, no 117,(1), 153-187. 2003.
  • Bourdieu, P. La distinction. Critique sociale du jugement. Paris: Minuit.1979.
  • Boltanski, L. L’Amour et la justice comme compétences. Métailié. 1990.
  • Boltanski, L., CHIAPELLO E. Le Nouvel esprit du capitalisme. Gallimard. 1999.
  • Caillois, R. Les jeux et les hommes. Gallimard. 1958.
  • Lahire, B. « Distinctions culturelles et lutte contre soi : Détester la part populaire de soi’ », Peuple, Populaire, Populisme, Hermès, 42, CNRS Editions. 2005.
  • Maigret, E. « Le jeu de l’âge et des générations : culture BD et esprit manga ». Réseaux. vol. 17, n° 92-93. 1999.
  • Le Guern, P. “Aimer l'eurovision, une faute de goût : Une approche sociologique du fan club français de l'eurovision”. Réseaux, 141-142,(2), 231-265. 2007.

Numérique :

  • La sociologie est un sport de combat, Pierre Carles, 2001.
  • Le jeu vidéo est colonisé par les logiques de travail, Ledit G., Usbek & Rica

Crédits

  • haogamers.com
  • Gameblog.fr / Sega
  • Nintendo-Museum.fr / Nintendo Inc.
  • 9GAG
  • Gameopat.com / Sega
  • Journal.re
Commentaires
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VItruvianMan VItruvianMan
MP
Niveau 10
le 04 nov. 2018 à 20:06

"Sociologie", "Bourdieu", "Distinction" : parfait me disais-je, les étoiles sont alignées, je vais enfin avoir une analyse des pratiques culturelles vidéoludiques à travers des catégories proprement sociologiques, dont classes sociales, mise en perspective historique.

Mais... Non, que du blabla conceptuel, argué de références savantes, énonçant des lapalissades. Où est l'enquête de terrain, où sont les données ? Ce serait une bénédiction que les gens se réclamant de la sociologie en fassent, plutôt que de gloser en oubliant le référent qu'est le concret du monde.

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Commentaire édité 04 nov. 2018, 20:07 par VItruvianMan
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