À l’approche de l’E3 et de ses grandes conférences diffusées en direct, nous avons décidé de revenir sur les termes techniques qui se posent dans un coin de l’écran pendant une présentation et qui se propagent au fil des discussions. Pre-alpha, alpha, bêta (et bien d’autres) font partie d’un jargon technique que tout le monde utilise parfois à mauvais escient. Au sein de cette industrie vers laquelle tous les regards se fixent le temps de quelques rassemblements, certaines appellations doivent particulièrement attirer votre attention.
Alpha la vista
Avec les alphas et les bêtas, les expressions sont suffisamment nombreuses pour que le quidam en perde son grec. Ces termes qui désignent des étapes clés dans le développement d’un jeu vidéo ont pourtant une signification précise, même si le sens commun a tendance à le galvauder. Parmi les milestones qui jalonnent la production d’un projet et qui sont régulièrement adressées à celui qui paye, on retrouve tout d’abord l’alpha. Elle doit comporter toutes les fonctionnalités de gameplay dans un jeu jouable du début à la fin. Le projet est évidemment à ce stade bourré de bugs tout en étant graphiquement basique. La bêta, qui intervient bien plus tard dans le processus de développement, est censée représenter le jeu fini, proche du produit final. Les bugs relevés par les équipes de test, classés par ordre d'importance, doivent être corrigés pour la livraison du master. Le joueur aura vite fait de comprendre ces étapes comme étant des bornes allant du “produit encore en début de développement” à “un produit presque terminé”.
Triple E vs triple A
Un salon aussi majeur que l’E3 a vite fait de mettre les communicants sur le pouce. Il n’est effectivement pas rare de retrouver dans les multiples communiqués diffusés ou sur les différentes vidéos présentant des phases de gameplay les termes précédemment cités. Pourtant, lorsqu’un titre AAA se montre dans une version dite alpha pendant l’événement californien, il faut garder en mémoire que la scène présentée, parfois pendant une conférence, n’est généralement pas du tout en qualité alpha, mais bien proche de celle attendue pour le produit fini.
Pendant la production d’un gros titre, la scène qui sera exposée à un E3 est décidée bien en amont. Une équipe qui lui est dédiée est alors détachée du reste du studio, afin d’allouer des ressources suffisantes à cette séquence dont les médias du monde entier se repaîtront. Si le reste du jeu, non exposé, est quant à lui bien en stade pré-alpha avec des modèles en T-pose sans texture, la séquence E3 représente à ce stade ce qu’il y a de plus proche du produit fini grâce au soin tout particulier qui lui a été accordé. Un classique “work in progress” serait donc surement la notion la plus juste que devrait utiliser chaque studio lorsqu’il expose une de ses œuvres. Cela éviterait ainsi de laisser penser qu’un soft qui n’est qu’en pré-alpha est déjà magnifique et qu’il ne peut que s’améliorer, même techniquement, alors que cela ne se passe pas toujours ainsi.
Faux semblant
Ce qui est montré dans une scène E3 d’un jeu AAA n’a donc rien à voir avec l’état de développement réel du reste du titre, celui-là même qui est juré être présenté en version alpha, pré-alpha ou encore bêta. Son contenu est évidemment sujet à modification, que cela aille vers un résultat plus satisfaisant graphiquement ou au contraire vers un rendu moins flatteur pour libérer un peu d’espace mémoire lorsque toutes les intelligences artificielles sont intégrées. Par le passé, nous avons déjà noté que le problème pouvait prendre des proportions plus conséquentes lorsque des démos prennent place dans des niveaux absents du produit fini (Halo 2) ou lorsque des images de synthèse sont grimées dans le but de passer pour du temps réel (Killzone 2). Sans s’éloigner du sujet traité, il est bon de rappeler que les grands salons sont particulièrement pensés pour le spectacle, et le poids des images y est plus important (et immédiat) que celui des mots.
S’il y a bien un autre concept à mettre en perspective pendant un salon majeur, c’est bien sûr celui d’exclusivité. Si Microsoft change chaque année la manière dont il labellise ses exclusivités, temporaires ou non, Sony ne s’embête plus à préciser quoi que ce soit en préambule de ses vidéos d’annonce. Une décision surement plus sage lorsque l’on constate les évolutions rapides qui se jouent au-delà des lignes de code. Ashen, annoncée comme “console exclusive” à l’E3 2015 de Microsoft est par exemple devenu “console launch exclusive” deux ans plus tard. On se rappelle également de No Man's Sky, particulièrement mis en avant lors des événements PlayStation, qui arrivera prochainement sur Xbox One. L’histoire du jeu vidéo est évidemment faite de ces petits chamboulements qui engendrent des retournements de situation.
Qu’il s’agisse de l’état réel d’avancement d’un projet par rapport à ce qui est tangiblement montré ou des modalités d’un contrat assurant une exclusivité, les E3 réservent leurs lots de faux semblants. Le jargon étant ce qu’il est, il est aisé de se faire tromper. Cette différence qu’il y a entre le sens réel et l’utilisation commune se poursuit à d’autres niveaux, au moment où dans les chaumières les bêtas remplacent les démos et où ces dernières sont monitorées comme des bêtas. L‘ultime passage en Gold, signifiant qu’un jeu part au pressage afin d'être distribué dans les boutiques, marque désormais pour les équipes le développement de l’incontournable patch day one.
