Une occasion manquée sur Nintendo 64

Succès inattendu et inespéré sur Gameboy, Pokémon n'a jamais été pensé un seul instant en 3D. Et pour cause : on peut pratiquement dire que les Pokémon n'ont pris leurs apparences et leurs formes définitives qu'après la fin du développement du jeu Game Boy, quand Ken Sugimori, principal illustrateur de la série, a redessiné tous les Pokémon en couleur pour les adaptations en manga et en anime. Les monstres n'étaient jusqu'alors que des amas de pixels approximatifs qui correspondaient au meilleur que l'on pouvait faire sur un petit écran noir et blanc, guère plus...

En 1997, face à l'insuccès de la Nintendo 64 mais surtout à la réussite colossale de Pokémon, Nintendo commande à Game Freak et à Creatures (les deux autres sociétés détentrices des droits sur Pokémon) de produire des jeux Pokémon pour sa Nintendo 64. Un temps, l'idée de réaliser un RPG sur la console de salon est étudiée... Mais est vite écartée. Game Freak, aux prises avec le développement de ce qui s'appelle encore Pokémon 2, n'est pas en mesure de travailler sur le titre pour Nintendo 64, ni sur aucun autre. De son côté, Nintendo veut que les choses aillent vite.

La firme fera finalement développer en quelques mois Pokémon Stadium 0 (le véritable premier Pokémon Stadium, non sorti chez nous, où moins d'une cinquantaine de Pokémon étaient utilisables par les dresseurs). D'un côté, Creatures se charge de la modélisation 3D des Pokémon, de l'autre, HAL Laboratory, studio proche de Nintendo et des équipes de Game Freak (car situé dans le même immeuble !), se charge de développer le jeu à proprement parler. Satoru Iwata, l'ancien président de Nintendo, décédé en 2015, racontera avoir lui-même recodé le système de combat de Pokémon pour la Nintendo 64... Mais là encore, pas pour en faire un RPG. Pokémon Stadium sera un succès et surtout une vitrine : son principal intérêt a été de servir aux retransmissions télé des tournois nationaux qui eurent lieu dès 1998 sur TV Tokyo, les rendant beaucoup plus esthétiques que des diffusions d'écrans Game Boy !

L'occasion sera aussi manquée avec Pokémon Snap, réalisé à partir des restes d'un projet inachevé, Jack and the Beanstalk, développé de 1995 à 1998 par HAL Laboratory, qui semblait être un RPG dans la veine de EarthBound. La partie du jeu qui a été récupérée et rhabillée aux couleurs de Pokémon n'a malheureusement rien du RPG dont on rêvait, même s'il s'agit d'une des plus belles immersions dans le monde naturel des Pokémon qui nous ait été offerte.

Pokémon Colosseum : le rêve déçu

L'idée d'un véritable RPG Pokémon pour console de salon revient en 2001, année de la sortie de la Gamecube, quand Nintendo et Creatures montent de toutes pièces le studio Genius Sonority afin d'oeuvrer sur les principaux spin-offs de Pokémon. Le studio emploie des anciens de Creatures mais aussi du studio Heartbeat, qui venait alors d'achever Dragon Quest VII, un jeu solide s'il en est, quelques mois auparavant. Le studio se voit confier la réalisation du titre dont les joueurs rêvent : un jeu Pokémon en 3D comprenant et le mode Stadium qu'ils adorent, et une aventure RPG solo.

Malheureusement, avec à peine un an et demi de développement devant eux, les développeurs font des concessions, bien trop de concessions : pas de chasse et de capture de Pokémon sauvages, seulement quelques lieux à visiter, un scénario opressant à base de Pokémon manipulés pour devenir maléfiques, des graphismes ternes, un Pokédex incomplet... L'exact inverse des jeux portables qu'aimaient les joueurs, remplis de couleur, de positivité et surtout offrant une incroyable liberté. Genius Sonority n'a, il faut dire, pas été aidé par Game Freak, totalement désintéressé par le jeu et, à cette époque, convaincu que les Pokémon n'avaient de sens et d'avenir qu'en 2D, sur consoles portables. La suite de Pokémon Colosseum, Pokémon XD : Le Souffle des Ténèbres, développée dans les mêmes conditions que le premier épisode, ne fera guère meilleure impression.

Un projet totalement au point mort

L'ultime déception s'appelera Pokémon Battle Revolution sur Wii, sorti en décembre 2006 au Japon quelques jours après la console. Rachitique niveau contenu, le titre a totalement abandonné l'aspect RPG et ne tient même pas les quelques promesses qui avaient été faites quelques mois avant à l'E3. Décevant, le titre est boudé par les fans, au point de forcer les responsables de Pokémon a admettre qu'il faut enterrer cette série d'héritiers de Stadium sur consoles : ce sera bel et bien le cas.

Les consoles de salon ne recevront alors plus que des spin-off mineurs : Pokémon Rumble, destiné aux non-joueurs de RPG, PokéPark, jeu pour les très jeunes dont la promesse était belle mais extrêmement mal mise en oeuvre, et prochainement, Pokkén Tournament, qui n'a lui non plus rien à voir avec la grande aventure dont rêvaient les joueurs.

Il faut dire qu'entre temps, Game Freak a avancé de son côté sur la question de la 3D. Si Junichi Masuda, réalisateur en chef des jeux Pokémon, préfère à titre personnel la 2D, il s'est laissé convaincre par le fait que la 3D permet aux joueurs (et à leurs parents !) de mieux comprendre ce que ce sont les Pokémon, les rendant plus lisibles. La 3D s'est donc petit à petit invitée dans les jeux sur consoles portables... Jusqu'à ce que ces derniers basculent totalement en 3D à partir de Pokémon X et Pokémon Y sur Nintendo 3DS.

Désormais visuellement dans l'air du temps, les jeux Pokémon principaux n'ont dès lors plus du tout besoin d'équivalents sur consoles de salon. Le fantasme des fans s'est aussi, de son côté, fait nettement moins fort. Les réponsables de Game Freak l'assurent en tout cas, plus rien n'est prévu sur console de salon, et certainement pas de RPG. Le rêve restera donc un rêve... Reste à voir quel sera le gameplay de Pokémon GO : peut-être sera-t-il cet équivalent "réaliste" d'un jeu Pokémon principal, après 20 ans d'espoirs douchés...