Aussi loin que je m’en souvienne, le coeur des joueurs bat au rythme du calendrier de sorties et plus particulièrement de certains jeux qui imposent, de par leur aura et leurs qualités intrinsèques, leur tempo au reste de l’industrie. Le marché vidéoludique s’en imprègne durablement et finit par fléchir devant ces mastodontes toujours plus imposants. Les effets de mode nuisent-ils au jeu vidéo ? Intéressons-nous à ce phénomène contemporain selon trois angles d'attaque : la médiatisation, la créativité et pour finir la curiosité.
Le jeu vidéo n’a pas attendu le 21e siècle pour s’enchaîner lui-même à certains jeux qui règnent dès lors en maître, que ce fameux règne soit bref ou non. Tetris (1984), World of Warcraft (2004), League of Legends (2009) ou encore Pokémon GO (2016), certains titres focalisent toute l’attention des joueurs, des professionnels et de la presse au point d’en occulter l’existence d’une concurrence. Il s’agit là d’un effet domino difficile à quantifier, mais aux retombées bien réelles. La marée humaine à Time Square pour chasser le monstre de poche, les 25 millions de joueurs sur le FPS Free to Play de Respawn en une semaine, les +200 millions de comptes sur Fortnite Battle Royale… tout cela est la résultante d’une occupation massive et unilatérale de l’espace médiatique par ces monolithes.
La qualité des titres n’est pas à remettre en cause, bien au contraire. Si ces jeux explosent tous les records, c’est en premier lieu grâce au plaisir qui s’en dégage une fois le contrôleur en mains. Néanmoins, la saturation de l’espace médiatique est symptomatique d’un mal moderne qui s’intensifie depuis plusieurs années. Le 10e Art est désormais un addict de la “Hype”. Autrefois sporadiques, ces effets de mode ne disparaissent aujourd’hui que pour laisser leur place à un autre toujours plus vorace. Pokémon GO en 2016, PlayerUnknown's Battlegrounds en 2017, Fortnite en 2018, Apex Legends en 2019… les joueurs ainsi que les médias vivent au rythme d’une poignée de titres et entretiennent le phénomène en soufflant sur les braises quotidiennement quitte à passer sous silence certains jeux prometteurs faute de temps.
Et les conséquences ne se font pas attendre auprès des professionnels qui surfent sur ces vagues “éphémères” et exploitent les filons. En effet, le jeu vidéo est une industrie avant d’être un loisir. La majorité des éditeurs et des studios de développement enrichissent leur catalogue avec un projet répondant aux prérequis du phénomène en cours. La déferlante de Battle Royale est à l’image d’un média qui bat le fer tant qu’il est chaud. Pas moins de 9 jeux furent ainsi présentés lors de l’E3 2018. Et cette stratégie de “copycat” ne date pas d’hier. Les sorties de Resident Evil 4 et Call of Duty 4 : Modern Warfare respectivement en 2005 et 2007 témoignent de ce mimétisme industriel. Combien d’ersatz du FPS d’Activision et du TPS de Capcom sont apparus sur le marché du jeu vidéo par la suite ? Qu’ils soient excellents ou non n’est pas la question.
L’opportunisme prend alors le pas sur la créativité. Tel est le mal nécessaire pour dégager rapidement des bénéfices à injecter dans d’autres oeuvres plus personnelles. Cependant, les graines fertiles de l'originalité se font rares sur un marché parfois frileux et consensuel, les acteurs historiques en tête. Cette vision, un brin romanesque et alarmiste j’en conviens, pointe du doigt le “moutonisme” dont l’être humain est capable. L’effet de mode n’existe que par et pour ceux qui l’alimentent jour après jour et se détourner de ce dernier pour s’enticher d’un autre ne résout pas le problème car cela uniformise les joueurs. Et je me refuse à vivre dans une version vidéoludique du film Bienvenue à Gattaca.
L’attention des joueurs se concentrent sur une poignée de jeux, voire un seul et unique jeu, sans réellement mettre leur curiosité à l’épreuve. Le curieux devient une espèce en voie de disparition avec pour conséquence directe l’échec de bon nombre de titres au demeurant excellents. Sur les millions de nouvelles recrues se donnant la réplique sur Fortnite, combien d’entre eux deviendront à terme des joueurs accomplis ? La console Wii de Nintendo était parvenue à convertir son audience, là où certains produits à la mode ne s'embarrassent pas de telles considérations. Le joueur de < Insérer le nom du jeu à la mode > n’a pas pour ambition d’explorer le jeu vidéo dans son ensemble. Et je ne lui jette aucunement la pierre. Chacun est libre de vivre SA passion comme il l’entend. Je regrette simplement un effet de bord qui pour ma part me fait froid dans le dos… l’uniformisation et le conformisme.