Demain soir, Microsoft dévoilera l’avenir de son segment gaming. Le groupe américain est en effet contraint de prendre la parole afin d’apporter des explications officielles sur la stratégie d’Xbox, alors que de nombreuses rumeurs évoquent la sortie de nombreux jeux first-party sur PS5 et Nintendo Switch.
Cet article étant un billet d’opinion, il est par nature 100 % subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
Sommaire
- Le jour où tout a basculé
- Le gaming à la loupe
- À sens unique
- Toujours plus haut, plus fort, plus vite
- Personne ne veut d'un monde où la console Xbox compte pour du beurre, même pas toi
Le jour où tout a basculé
Que vous aimiez les consoles de Microsoft ou que vous les détestiez, le rendez-vous de jeudi prochain sera à ne pas rater. La firme de Redmond y envoie ses trois généraux – Phil Spencer (PDG de Microsoft Gaming), Sarah Bond (présidente d’Xbox) et Matt Booty (président des studios et du contenu des jeux) – pour mouiller le treillis sur un terrain miné, celui de la stratégie de la marque qui peine toujours à creuser un sillon capable de protéger le groupe des attaques adverses. Depuis que la société derrière Windows a commencé à perdre la bataille de la huitième génération, la plus importante selon Phil Spencer, celle où tout le monde a construit sa bibliothèque numérique de jeux, la marque Xbox a opéré des changements drastiques dans sa politique.
Je retiendrai deux événements majeurs : l’arrivée du Xbox Play Anywhere en 2016, engendrant une sortie simultanée PC/Xbox de la plupart des jeux first-party, et la création l’année suivante du Game Pass, un service – devenu célèbre – qui permet aux abonnés d'accéder à un catalogue de jeux en illimité pour quelques euros par mois, dont les titres first-pary en day one. Ces deux décisions fortes, voire disruptives, avaient une double mission : remettre le PC dans l’équation gaming du créateur de Windows, et inciter les joueurs à épouser le 100 % numérique chez Microsoft plutôt que chez un concurrent. À l'époque, la survie de la marque en dépendait.
Voir Xbox Game Pass sur Microsoft
Le gaming à la loupe
Souhaitant accélérer le taux d’adoption de son Game Pass grâce à du contenu d’envergure régulier, le mastodonte américain a dépensé sans compter. D’abord en créant The Initiative et en rachetant Compulsion Games, Playground Games, Ninja Theory et Undead Labs en 2018, puis en sécurisant les services de Double Fine et de InXile en 2019. Tel un ogre vert, le groupe a ensuite gobé Bethesda en 2021 contre 8 milliards de dollars, ainsi que le géant de l’édition Activision Blizzard King en 2023 pour la rondelette somme de 69 milliards de dollars. L’appétit de Satya Nadella, le PDG de Microsoft, paraît insatiable et rien ne semble pouvoir résister à ses envies de grandeur, pas même les régulateurs du marché. Néanmoins, ces investissements font que le gaming est plus scruté par le groupe, surtout maintenant que le chiffre d’affaires de ce segment dépasse celui de Windows.
À sens unique
Je dois l’admettre, j’ai pensé à un moment que les rachats de Bethesda et surtout d’Activision Blizzard mettraient Xbox à l’abri de n’importe quelle rumeur évoquant une sortie du marché, ou un abandon des consoles, et que Microsoft profiterait de cette puissance de frappe pour faire de sa console de salon un hardware de plus en plus irrésistible, quand bien même la pente à gravir serait raide. Il n’y a pas si longtemps, notre cher 87 énumérait les nombreux atouts des exclusivités. Au risque de débiter des évidences, une saine concurrence entre les trois constructeurs est bénéfique pour tout le monde. Si Microsoft est le seul constructeur à porter plusieurs de ses softs sur PS5 et Switch, cela ne ferait qu’exposer une relation à sens unique qui n’aurait rien de saine, puisqu’elle accentuerait le déséquilibre déjà constaté. Bien que nous n’ayons pas encore le fin mot de l’histoire – l’aurons-nous vraiment jeudi ? – l’avenir d’Xbox semble être l’ouverture. Avec les bonnes et les mauvaises conséquences que cela pourrait engendrer.
En l'état, Phil Spencer et ses équipes doivent assurer des revenus réguliers avec les modèles en place tout en lançant plusieurs lignes en espérant qu'il y en ait au moins une qui morde, dans un marché imprévisible. La compagnie américaine tente de faire bouger certaines lignes afin de revenir dans la course à sa manière. Comme le souligne Derek Strickland de TweakTown, le problème dans la stratégie actuelle de Spencer, c'est que la marque continue à promouvoir un avenir qui n'existe pas encore et qu'elle ne peut pas prédire. En d'autres termes, il est très difficile de savoir, même pour Microsoft aujourd'hui, si porter des jeux first-party sur d'autres machines provoquera bien l'effet escompté. En 2020, j'écrivais que les exclusivités étaient primordiales dans le succés des constructeurs. Mon avis n'a pas évolué en 2024, bien que les œuvres les plus populaires soient multiplateforme.
Toujours plus haut, plus fort, plus vite
Nous avons régulièrement entendu les responsables de la marque déclarer qu’ils voulaient sortir des jeux sur “consoles”, PC, mobile et Cloud. Je supposais que le mot “consoles” qualifiait uniquement les machines Xbox. Peut-être à tort. Satya Nadella, le PDG de Microsoft, a récemment déclaré vouloir être un bon éditeur sur “les machines Sony, Nintendo, PC et Xbox” maintenant que le rachat d’Activision est validé. Durant le procès contre la FTC, il avait d’ailleurs expliqué que “si ça ne tenait qu’à lui", “il aimerait se débarrasser de toutes les exclusivités des consoles”, avant de préciser que c’est Sony qui les obligeait à agir ainsi. “Ce n'est pas à moi de choisir, surtout en tant qu'acteur à faible part du marché dans le monde des consoles, alors que l'acteur dominant a défini la concurrence du secteur à l'aide d'exclusivités” ajoutait-il, avant de conclure : “C'est le monde dans lequel nous vivons, et je n’aime pas ce monde”. Ses mots résonnent plus fort aujourd’hui.
Dès 2020, Phil Spencer disait vouloir lutter contre des géants tels que Google plutôt que de se battre contre Sony ou Nintendo. Aujourd’hui, l’actuel leader du marché n’est autre que le mastodonte chinois Tencent. L’été dernier, nous découvrions que Satya Nadella voulait que Microsoft devienne “le leader de l'industrie en matière de chiffre d'affaires généré en 2030”. A-t-il déterminé que cette ambition ne pourrait être atteinte qu’en se servant des parcs de consoles de Sony et de Nintendo, à une époque où le Cloud gaming semble avoir du mal à décoller et où nous attendons depuis deux ans les chiffres actualisés des abonnés aux Game Pass ?
Personne ne veut d'un monde où la console Xbox compte pour du beurre, même pas toi
Sortir plus d’exclusivités Xbox sur d’autres plateformes augmentera les bénéfices de la société américaine à court terme, sans que l’on ne sache vraiment ce que cela apportera sur le long terme. Pourquoi acheter une console dont les jeux sortent partout ailleurs ? Cette question pourrait faire beaucoup de mal aux consoles Xbox à l'avenir en cas d'un virage plus multiplateforme. Ce qui je crains, c’est que l’arrivée de plus de titres first-party sur les machines de Sony et de Nintendo puisse entraîner la disparition des consoles Xbox, quoi que la firme de Redmond nous dise pour nous rassurer.
Vendues à perte, les Xbox ne sont pas profitables, et elles semblent surtout intéressantes aujourd’hui pour Microsoft car elles restent un point d’entrée privilégié pour les abonnés au Game Pass. Ceci étant dit, les ventes qui ralentissent dangereusement, comme noté dans les rapports trimestriels, m'inquiètent. Avec les morts d'HoloLens, Microsoft Band, Mixer, Zune, Surface Duo/Neo ou encore des Windows Phone, la société américaine a la triste réputation de tuer des produits dans lesquels elle a investi des millions, voire des milliards. À vrai dire, les consoles Xbox font presque figure d'exception dans tous les hardwares de la marque disparus au combat.
Si, Microsoft se retire, à terme, du marché des consoles, celles et ceux qui ont investi des centaines (ou milliers) d’euros dans leur librairie numérique de jeux risquent de perdre l’accès à ces titres. De plus, Sony se retrouverait alors l’unique représentant du marché des consoles de salon “premium”, ce qui serait bon pour personne, ni pour les développeurs, ni pour les fans historiques de la marque japonaise. Le constructeur pourrait augmenter ses prix et muscler ses négociations sans craindre une fuite chez le concurrent direct, tout en évitant de prendre des risques créatifs. Je comprends que le parc installé de PS5 doit être trop important pour que la firme de Redmond, à la recherche de meilleurs bénéfices suite à son chèque de 69 milliards de dollars, décide de l’ignorer… mais il serait regrettable de prendre des décisions pouvant endommager la marque durablement sans laisser le rachat d’Activision porter ses fruits. Non ?
Ce qui est dommage, à mon sens, c’est que cette politique de “grande ouverture” pourrait arriver à un moment où Sony a de nouveau des choses à prouver, la marque japonaise ayant du mal à présenter des first-party d’envergure depuis qu’elle a prévu des investissements conséquents dans les jeux service. Stratégiquement, je trouverais regrettable que Microsoft puisse devenir un des meilleurs soutiens de Sony en 2024/2025 si la politique d’abandon de certaines exclusivités est confirmée. Satya Nadella avait exhorté le tribunal à laisser Microsoft devenir un un vrai concurrent de Sony en autorisant l'acquisition d'Activision. C'était il y a quelques mois seulement...
Spencer l’avait assuré ici et là, les exclusivités sont la clé du succès d’une console. Le jeudi 15 février à 21 heures, nous verrons si le PDG de Microsoft Gaming nous vendra du “Xbox Everywhere” à toutes les sauces ou s’il trouvera un moyen de rassurer les possesseurs d’Xbox. “Quand tout le monde joue, tout le monde gagne” répète depuis plusieurs années la marque au gros “X” dans ses publications. De mon point de vue, si Microsoft lâche du lest sur ses exclusivités, le gagnant à court terme sera sûrement le constructeur américain, mais les joueurs de tous bords seront finalement les grands perdants. Les joueurs Xbox, tout d’abord, si la console devient insignifiante. Les joueurs PlayStation, ensuite, si Sony se sent trop en confiance.