A l’heure où tous les claviers gaming se ressemblent et ne se différencient que par quelques détails esthétiques ou fonctionnels, Razer tente l’impossible avec une gestion analogique touche par touche. Un pari risqué, peut être en avance sur son temps, qui ouvre le champ des possibles à qui se donne le temps et l’énergie pour la configuration. Mais est-ce que cela fonctionne vraiment ?

Des touches analogiques sur clavier

N’y allons pas par quatre chemins et regardons de près ce que Razer nous propose de si exceptionnel avec son Huntsman V2 Analog, à savoir la gestion analogique de chaque touche, et ce que cela implique. Déjà, le terme analogique est un peu trompeur, mais c’est aussi celui qui est utilisé pour les sticks ou les gâchettes de nos manettes, qui sont tout autant qualifiés d’analogiques sans l’être. Le bon terme devrait être “à valeur progressive”, mais c’est plus long à dire et nous utiliserons donc analogique comme tout le monde. (Les puristes, on est quand même de votre côté !) Donc en clair, chaque touche peut, moyennant réglage, envoyer une valeur progressive en fonction de la profondeur d’appuizzzzzzz. Ça veut dire que chaque touche du clavier est potentiellement comparable à une gâchette de manette, que l’on peut enfoncer plus ou moins vite, plus ou moins profondément.

Et en jeu, ça se traduit potentiellement (et le mot est important) par trois modes de fonctionnement pour chaque touche. En premier, le mode normal, on/off, avec ici la possibilité de régler le point d’activation de 1,5 à 3,6 mm, en fonction des goûts et du type de frappe que vous attendez. Il est d’ailleurs possible de régler le point de relâche différemment, sur les mêmes valeurs, pour avoir par exemple une activation très haute et une relâche très basse.

Deuxièmement, il est possible d’attribuer deux fonctions à une même touche, suivant la profondeur d’appui. Vous appuyez peu, première fonction, vous appuyez plus, vous déclenchez la seconde à la place de la première. Là encore, on peut calibrer à volonté l’activation et la relâche de chacune des deux fonctions, pour rendre les choses plus naturelles sous les doigts, ou plus adaptées aux fonctions choisies. On peut imaginer en FPS avoir la position “accroupi” sur la première partie de la course, “allongé” sur la seconde partie, et “debout” quand la touche est relevée. Pourquoi pas.

Enfin, il est possible de donner à la touche une fonction progressive, avec des valeurs basses quand on appuie peu et des valeurs plus hautes quand on appuie plus. Idéal pour gérer un accélérateur, un frein ou une direction dans un jeu de course, intéressant aussi pour contrôler les déplacements d’un personnage, d’un avion ou d’un vaisseau. Bref, l’intérêt est réel dès que l’on parle d’action progressive, de vitesse, de puissance ou de direction. Et s’on imagine immédiatement intégrer ces multiples fonctions au sein de son jeu préféré.

Une technologie difficile à utiliser

Sauf qu’il y a aujourd’hui des limitations à ce système. Pour les deux premiers modes, touche simple ou double, rien de bien méchant. On peut insérer une macro, une fonction clavier, souris ou autre dans chaque slot et ça fonctionne vraiment bien. On passe un peu de temps à bien régler son clavier (et oui, plus de fonctions, plus de réglages) mais le résultat est là. Pour les valeurs progressives, c’est plus ambigu. Pour fonctionner, Razer s’appui sur de l’existant dans Windows 10, à savoir la gestion “analogique” des sticks et gachettes d’une manette Xbox One. En clair, toutes les touches progressives seront vues par Windows comme celles d’une manette, idem pour Steam, Epic, et n’importe quel jeu. Du coup, deux cas de figure se présentent à vous : le jeu gère le combo souris+clavier+manette et vous pouvez faire ce que vous voulez, ou le jeu ne permet que clavier+souris ou manette, et vous devez attribuer tous vos contrôles à cette manette virtuelle. Même ceux de votre main droite (pour les droitiers, l'inverse pour les gauchers). Et donc dire adieu à votre souris. Impossible dans la plupart des cas.

De nos expériences, ça fonctionne techniquement avec les jeux de course, de vol, ou avec quelques rares FPS ou TPS, et c’est tout. Et quand on dit rare, c’est vraiment rare. Les Call Of Duty, les Battlefield, les Counter Strike, c’est mort pour le moment. Quant aux jeux de voiture ou de vol, ils demandent à la fois un niveau de réglage important pour chaque fonction analogique, mais aussi un temps d’adaptation non négligeable pour le joueur, qui peinera à trouver les sensations d’une manette, la faute à une course de progression qui fait à peine 2 millimètres, contre dix fois plus environ pour une gâchette. Et en étant précurseur, Razer prend le risque d’être tout seul sur ce créneau, et donc de ne pas être suivi par les développeurs pour faciliter l’intégration de cette technologie, tant pour des mises à jour de jeux existants, que pour de futurs développements. Donc pour le moment, tout ça relève un peu du gadget, malgré ce que l’on imagine possible.

Mais ce n’est vraiment pas la faute de Razer, qui pour le coup a super bien adapté ses outils habituels, en l'occurrence le logiciel Synapse, pour rendre la tâche la plus accessible possible et ce malgré un niveau d’implication élevé demandé au joueur. L’interface logicielle est limpide. Tout y est bien expliqué, bien traduit en français, et ce malgré la profusion de possibilités. Simplement, au delà de la gestion des profils, de l’éclairage et de l’attribution des touches, qui restent à la fois complets et accessibles, il manque tout de même un côté Plug’nPlay, avec par exemple des presets tout prêts pour profiter des jeux du moment avec toutes ces nouvelles fonctions.

Un niveau de prestation élevé

Pour le reste, Razer nous sert ici un très beau clavier, avec un châssis en plastique dur et un plateau en aluminium noir sur lequel viennent se reposer les mécaniques-optiques linéaires et leurs chapeaux noir mat. Stable et rigide, le clavier ne bouge pas d’un iota sous la frappe des doigts. Il est aussi très sobre, très élégant, avec une finition de haut vol, sans vis apparente, et une partie multimédia en haut à droite à la fois discrète et pratique, avec 3 boutons et une molette cliquable. Tant que le clavier n’est pas trahi par l’éclairage RGB, rien ne laisse supposer de son caractère gamer. Surtout qu’il s’accompagne d’un repose poignets tout aussi classieux, avec une épaisseur raisonnable et un coussinet à même d'accueillir vos mains en position de repos. L’accessoire ne se fixe pas au clavier mais vient se placer facilement et se coller par une légère aimantation, alors que six contacteurs se mettent face à face pour que le repose poignets puisse alimenter ses propres LEDs.

La hauteur de frappe est assez élevée, même avec le repose poignets, de l’ordre de 15 millimètres au-dessus du plateau, 35 millimètres au total à l’avant et 45 millimètres à l’arrière. Pourtant, le confort est bien présent, notamment grâce à une courbe du positionnement des touches qui les rend accessibles sans effort de la première à la dernière rangée. A l‘arrière du clavier, deux pieds permettent d’augmenter l’angle du plateau, avec deux niveaux de hauteur différents. Au final, la position est assez équivalente à celle du Corsair K100 RGB que nous venons de tester, et donc dans la moyenne très haute niveau confort. Vous devriez beaucoup apprécier, tant pour la saisie de texte que pour le jeu, et surtout en profitant du réglage de hauteur du point d’activation de chaque touche. Attention néanmoins au bruit généré par certaines touches, notamment l’espace, assez sonores bien que dans la norme, et heureusement dénuées de résonance.

L’éclairage touche par touche reste sobre

Une fois allumé, le clavier ne fait pas dans la démesure colorée et garde une certaine sobriété. Les couleurs ne débordent pas beaucoup sur le plateau et illuminent même la typographie sans forte luminosité. Comme pour les Logitech G815 et G915, ou le Corsair K100, c’est tout à fait suffisant pour bien voir les couleurs dans une pièce à éclairage artificiel mais sans avoir un effet sapin de Noël trop prononcé. On regrettera simplement que les LEDs soit placées au-dessus des mécaniques, n'illuminant que la partie supérieure de la typo et laissant donc les fonctions secondaires dans la pénombre. Pour le coup, le K100 propose une solution plus efficace avec ses fonctions secondaires alignées avec les primaires.

A l’éclairage et à la couleur touche par touche s’ajoute un filet lumineux et segmenté parcourant la tranche du clavier, alors que le repose poignets prend la relève de l’effet sur sa propre tranche, pour un rendu assez réussi si vous prenez le temps de le régler correctement avec le logiciel Chroma Studio, lequel prend le relais de Synapse. Éclairage touche par touche, effets de fond avec possibilités d’ajouter d’autres effets en surcouche, réglages complets ou rapides, le logiciel s’adapte assez facilement au niveau d’implication de l’utilisateur, que ce soit pour faire du joli comme de l’utile.

Un câble en USB-C avec adaptateur fourni vers USB-1 et un autre en USB-A 3.0, le Huntsman V2 Analog a besoin des deux connexions pour assurer d’une part l’utilisation du clavier et son éclairage, et d’autre part la liaison pass-through de son port USB femelle sur lequel vous pourrez venir connecter une souris, un casque, ou un disque dur. Les câbles sont suffisamment épais pour ne pas risquer grand-chose au fil de leur vie, mais restent irrémédiablement séparés l’un de l’autre, de leur connexion moulée au châssis du clavier jusqu’à leur connectique finale, sans qu’on ne sache pourquoi Razer a fait ce choix.

Des prestations très solides, mais un prix trop élevé

Le Razer Huntsman V2 Analog est donc un clavier très bien construit, qui ne souffre d’aucun défaut particulier dans le cadre d’une utilisation classique, tant pour la bureautique que pour le gaming. Il ajoute surtout une fonction très intéressante, à savoir le paramétrage de la hauteur d’activation des mécaniques-optiques, en globalité ou touche par touche, offrant du coup un réglage précis entre réactivité et profondeur d’appui, le premier étant plus adapté aux jeux, le second à l’écriture. Quant à la possibilité de gérer les touches en analogique, elle reste balbutiante, limitée par des logiciels et des jeux qui ne prennent pas en compte cette fonction, et assez peu accessible face au temps d’investissement nécessaire dans les cas où c’est faisable. En clair, la promesse est belle, mais elle ne dépend pas seulement de Razer qui se place en précurseur mais prend le risque d’être seul sur ce créneau. Et seul le futur nous dira si cette direction est celle de l’avenir ou si elle est déjà à enterrer. En attendant, le Razer Huntsman V2 Analog souffre déjà du coût de cette technologie avec son prix de lancement autour de 270€. Un tarif un peu hors marché malgré son niveau de prestation élevé.