À la fin des années 90, les jeux éducatifs avaient particulièrement la côte sur PC. Parmi tous ces titres à destination des enfants, il y en a qui a marqué de nombreux jeunes joueurs... mais pas pour les bonnes raisons. Retour sur un véritable "traumatisme" générationnel.
Avec le développement d'internet, des tablettes et des applications gratuites, on ne peut pas dire que les jeux éducatifs sur PC soient aussi populaires qu'ils ne l'étaient à la fin des années 90, voire au début des années 2000. Pourtant, il s'agit d'un pan de l'histoire du jeu vidéo qui a marqué toute une génération de joueurs dont je fais partie. Rien qu'à la lecture des noms d'Adibou, de Pouce-Pouce, Marine Malice ou encore Pyjama Sam, j'en ai des étoiles dans les yeux. Mais parmi tous ces titres à destination des tous petits, il y en a qui ne m'évoque vraiment pas de bons souvenirs : Forestia. Et à en croire internet, je suis loin d'être le seul dans ce cas.
Forestia, un simulateur de randonnée pour enfants
Pour replacer les choses dans leur contexte, Forestia est un point'n'click sorti en 1998 sur PC et Mac qui se présente comme un simulateur de randonnée avec une vue à la première personne. Le titre est une aventure à destination des enfants de 7 à 12 ans dans laquelle on explore la forêt de PapyChêne, un arbre qui parle, et ses amis. Si le jeune joueur peut s'y balader librement, l'expérience propose surtout plusieurs niveaux avec leurs propres petites intrigues qui consistent souvent à résoudre les problèmes des animaux et des créatures fantastiques de la forêt. Cela donne lieu à des jeux d'éveils et de mémoratisation pour familiariser les enfants aux jeux vidéo. La plupart du temps, le jeune joueur est accompagné de Sam le Lapin qui le guide à travers la forêt pour constituer un album, un herbier ainsi qu'une encyclopédie qui s'enrichissent au fil de l'aventure.
Par ses nombreuses qualités, Forestia est rapidement devenu une référence des jeux éducatifs sur PC comme a pu l'être Adibou. Il suffit de voir son score sur SensCritique de 8,1/10 pour comprendre que le titre est une vraie réussite qui a émerveillé et diverti de nombreux enfants des années 90 et 2000. Et le plus impressionnant dans tout ça, c'est que le jeu a été créé par le studio français Daddyoak alors composé de seulement quatre membres : Hervé Antony, Stéphane Pruvost, Jacques Champigny et Luc Éléouet. Face au succès de ce premier jet, trois autres jeux verront le jour par la suite : Forestia Junior, Forestia Révoltozoo et Terra Forestia: Le Mystère Pygmoli. Malgré tout, c'est le jeu original qui reste le plus marquant, aussi bien pour de bons souvenirs que pour un passage qui a terrorisé tous les enfants de l'époque.
La Montagne de Feu, un traumatisme générationnel
Pour accéder à l'une des aventures proposées par le jeu, il faut d'abord sélectionner l'objet qui lui correspond. Sur l'écran présentant ces différents éléments, une sorte de cristal rouge se demarque des autres. En cliquant dessus, le joueur se retrouve transporté dans le niveau intitulé la Montagne de Feu. Et là, c'est le drame.
Après un temps de chargement, Sam le Lapin nous invite à le rejoindre dans une tour pour observer la constellation du dragon avant d'aller se coucher. Une fois réveillé, le joueur découvre la forêt entièrement rouge tandis qu'une musique oppressante se joue, avec des bruits inquiétants d'oiseaux au loin. Alors que le dragon passe devant nous, la voix d'un animal enfermé et devenu complètement fou nous interpelle. Sur la route pour rejoindre le dragon, la forêt paraît plus terrifiante que jamais. Arrivé à une cascade, la créature ailée apparaît et nous demande avec une voix grave d'aller récupérer les cristaux des mains d'un sorcier à l'origine de ce cauchemar. En explorant, on découvre Papychêne et son ami bouleau avec les yeux fermés... voire révulsés avec l'imagination d'un enfant. Après être passé devant une loutre qui semble morte, un oiseau se transforme en esprit et attaque directement l'écran, comme un jumpscare, avant que l'on croise une version mal en point de Sam le Lapin.
Après avoir vu l'âme d'un animal se séparer de son corps, le joueur trouve le temple d'où sort le méchant sorcier, avec sa terrifiante silhouette encapuchonnée, qui s'enfuit en se transformant en corbeau, accompagné d'un bruit sourd. Pour atteindre le haut du bâtiment, on passe devant un squelette attaché par les mains à qui on peut parler. Une fois au sommet, si le joueur ne reproduit pas la bonne combinaison pour organiser les cristaux, l'image se tord, le méchant sorcier nous menace directement, saute sur l'écran sous forme d'un esprit avant qu'une roche volcanique nous tombe en pleine face. Mais en cas de réussite, on se réveille dans une forêt apaisée et Sam le Lapin nous dit que ce n'était qu'un rêve, que nous avons eu un sommeil agité et que les dragons n'existent pas... avant qu'un ne survole le ciel.
"La chose la plus effrayante de mon enfance"
Face à une séquence aussi cauchemardesque, on comprend pourquoi ce niveau a marqué tant d'enfants de l'époque. Alors que tout le jeu baigne dans une bonne ambiance joyeuse, ce basculement dans une atmosphère inquiétante est inattendu, surtout dans une expérience à destination des plus jeunes. Le sentiment de surprise renforce l'aspect marquant de ce passage qui est devenu un traumatisme pour de nombreux enfants de l'époque qui ne s'attendaient pas à ça. Dans les commentaires de la vidéo de gameplay, on observe que le champ lexical de la peur est omniprésent. "C'est la chose la plus effrayante de mon enfance, je crois", "Cette partie du jeu = le traumatisme de toute une enfance !", "Ça m'a TERRIFIÉ quand j'étais enfant", "Après 10 ans, j'ai encore peur de ce niveau.... Surtout quand on voit les animaux morts, je pleurais de terreur" : très clairement, le jeu aurait pu figurer dans l'Iceberg des traumatismes d'enfance de Feldup.
Compte tenu de tous ces retours, il y a de quoi se demander ce que fait une séquence aussi oppressante dans un jeu pour enfant. Clairement, cette aventure semble bien trop inquiétante pour un public facilement impressionnable. Pour comprendre ce que les développeurs ont voulu faire dans ce niveau, on peut lire dans les commentaires de la vidéo YouTube que l'utilisateur @TheLartek prétend avoir contacté l'un des créateurs. Voici ce que Hervé Antony lui aurait répondu :
Cette partie du jeu se déroule la nuit et dans l'univers de la nuit, nous connaissons tous les cauchemars, aussi bien les enfants et que les adultes. Durant cette partie du jeu, c'est un cauchemar, mais il n'y a pas d'animaux morts, ils sont juste pétrifiés. À la fin du niveau, le joueur se réveille et tout est redevenu normal. Certains enfants ont eu un peu peur, mais nous n'avons jamais eu de plaintes ou de problèmes, c'était juste un concept sur les cauchemars.
C'est sûr, les développeurs de Forestia ont parfaitement réussi leur objectif de retranscrire un cauchemar, car c'est ainsi que tous les jeunes joueurs de l'époque l'ont vécu. Malheureusement pour certains, la peur ressentie face à la Montagne de Feu à éclipser leurs bons souvenirs du titre, alors qu'il est l'un des meilleurs jeux éducatifs de son temps.