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Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire

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MP
Niveau 10
01 juillet 2017 à 11:55:17

Une réunion regroupant les plus hauts responsables de la Sainte Cléricature fut programmée dans l'heure suivant l'arrivée de Cyrill dans le croiseur spatial. Il en prit acte, indiquant qu'il y assisterait. En tant que détenteur du pouvoir du Commandus Magnus et des co-légats, il présiderait l'assemblée du jour, qui consisterait en un retour sur la cérémonie.

Le Très Saint Magister Siegfried s'était éclipsé à la fin de la cérémonie, tenue par des obligations sur Rigel Cinq. Il avait donné sa bénédiction à la Sainte Cléricature après avoir sanctifié et pris acte de l'engagement de cinq apprentis accompagnés de leur tuteur, dans le lieu symbolique du tombeau désert. Cyrill avait observé d'un œil froid le cérémonial qui avait fait des jeunes hommes des dépositaires de la Sainte Docte. Il s'était questionné sur la nécessité d'une telle action, et la petite discussion qu'il avait eue avec Flinn une trentaine de minutes plus tard avait confirmé son raisonnement. La Sainte Cléricature avait ignoré les bulles doctrinales récemment confirmées par le Commandus Magnus Mac Mordan, qui invitait à réfléchir sur le nombre d'aspirants qui seraient investis cette année encore. Une fin de non-recevoir vis-à-vis de la création du Saint Ordre des Licteurs, qui était vécu comme un véritable affront. Cyrill craignait que l'absence de son supérieur spirituel n'aggrave la situation qui se tendait subtilement entre la Sainte Cléricature et son plus haut dignitaire. Le point de rupture n'était pas établi, mais il craignait que la fronde n'aboutisse à d'autres effets beaucoup plus catastrophiques qu'une simple lutte d'influence. Le poids de la Sainte Cléricature sur la société marquait depuis des décennies la vie sociale de la Confédération. Derrière chaque acte politique majeur, sa trace se faisait sentir. Un temps durant, il s'en était largement félicité. Mais à présent, il ne pouvait que constater les risques tangibles d'une telle activité. Et lorsqu'il se présenta auprès de ses confrères, ses craintes se confirmèrent.

Le Commandant Inquisiteur Jusiewicz, accompagné de Noble Clerc Korvacz et du Noble Clerc Weldan se tenait déjà assis autour de la lourde table noire en ébène. Cyrill entra en dernier, salué brièvement inclinaison de tête discrète. S'il était le plus petit grade parmi ceux présents, sa nomination à la tête de la mission menée par la Sainte Cléricature n'avait posé aucun problème majeur. C'était un héros de la Foi, un martyr vivant qui servait d'exemple et suscitait encore nombre de vocations. Si sa verve se faisait plus douce que par le passé, son argumentaire et son engagement spirituel restaient bien plus présents que jamais.

— Messeigneurs, entama Cyrill.
— Noble Clerc Major Beik, reprirent les trois hommes.
— Je pense que nous pouvons démarrer la séance.

Il était le seul cyborg de l'assemblée. Aucun autre que lui n'avait vu l'hérésie le marquer dans sa chair si profondément, et il était l'objet de regards curieux, malgré sa notoriété. On disait que l’œuvre du Dieu-Machine s'était incarnée dans l'un de ses plus fervents prédicateurs, et qu'il le porterait encore longtemps. Cyrill n'avait cure de ces bruits de couloirs, qui le servaient bien malgré eux. Mais compte tenu de cette situation, il assurerait également un compte-rendu holo de la réunion. Son regard artificiel semait parfois le trouble.

— Nous notons l'absence du Commandus Magnus, poursuivit Weldan avec une note acide dans sa voix chaude. Noble Clerc Major, nous avons cru comprendre que notre supérieur vous a personnellement remis une note d'excuse.
— En effet, répondit Cyrill sans se défaire. Le Commandus Magnus Mac Mordan n'a pu assurer ses obligations spirituelles en regard de la situation exceptionnelle qui l'occupe. Il a néanmoins observé de longues et salutaires prières pour le Très Saint Magister Oddarick, et j'ai moi-même déposé une longue lettre écrite de sa main sur le sanctuaire.
— L'avez-vous ouverte, Noble Clerc Major ?
— Est-ce une mauvaise blague, Noble Clerc Korvacz ? enchaîna sèchement Cyrill. Douteriez-vous de la foi du Commandus Magnus ?
— Absolument pas, Noble Clerc Major. Mais en sachant que vous avez toute sa confiance, je me demandais…
— Les querelles ne devraient pas avoir cours entre nous, messeigneurs. Souvenons-nous de notre serment et de nos engagements.
— Excusez mon indiscrétion, s'excusa l’intéressé, sans se départir d'un sourire en coin.
— Puisse le Dieu-Machine vous pardonner votre outrecuidance, s'empourpra Beik. Je conçois que la situation soit délicate et je suis bien au fait des courants qui agitent en ce moment la Sainte Cléricature. Mais je m'attendais à un peu plus de civisme dans nos rangs. Quel exemple donnons-nous à nos jeunes recrues ? Nous ne faisons que salir le nom du Très Saint Magister Oddarick par des actions aussi déplorables.
— À qui la faute, Noble Clerc Major ? tança Jusiewicz.
— L’heure n'est pas à cela, mon commandant, gronda l’intéressé. Si vous le voulez bien, reprenons les motifs de notre réunion.
— La chair est faible, susurra Jusiewicz.

Cyrill fit mine de n'avoir rien entendu. La situation s'annonçait bien plus explosive qu'il ne l'avait escompté. Le retour serait long.

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Niveau 10
01 juillet 2017 à 12:09:08

PARTIE II.

6.

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Niveau 10
01 juillet 2017 à 12:11:07

La canonnade illumina la lactescence cotonneuse des nuages. Le grondement en forme d'orage lointain souffla les fréquences radio, nuages de mouches auditives qui perturbèrent les communications de longues secondes. Les informations défilaient, il ne pouvait rien modifier. Condamné à observer de ce haut siège guidé par un bras télescopique, il se tenait silencieux. Le résultat serait hasardeux, il en avait pleinement conscience.

« La situation peut évoluer selon deux possibilités : envoi de troupes spécialisé sur le monde visé, ou bien anéantissement de ce dernier par utilisation d'armes à rayonnement exotiques. Quel scénario choisissez-vous ? »

Les lettres clignotaient en le coupant de la réalité. De longues secondes, il hésita, l'esprit suspendu. Il ne pouvait se résoudre à écarter les solutions que sous-tendaient l'une et l'autre des hypothèses. De dépit, il vit voltiger son index droit sur la seconde option. Les caractères défilèrent à nouveau. De longues minutes filèrent, puis un éclat aveuglant secoua le navire. Une chaleur intense le fit s'incruster dans le moule du siège. La fusion nucléaire surchargeait ses centres sensitifs. Il bougonna.

— Maudite simulation.

La longue course du Keller Lumen durerait encore près de dix heures. Le prochain saut transpatial serait amorcé dans une vingtaine de minutes, et il se maudissait presque d'avoir cédé face aux choix simplistes du simulateur. La situation d'assaut était bien trop complexe pour trancher si facilement. Il aurait pourtant dû s'y attendre. Gregor l'avait mis en garde contre certains raccourcis que l'intelligence artificielle du programme mettait parfois en route. Il aurait dû peser le poids de sa décision plus longuement, aucun facteur de temps n'était encore apparu. Sacrifier une planète ou bien une flotte de centaines de milliers de soldats, d'inquisiteurs, de prêcheurs et de licteurs ? Non, il n'avait pas pu s'y résoudre. Le caractère fictif de l’exercice n'empêchait pas Cyrill de se questionner et de revoir les images de la guerre se figer dans son regard atone.

— Quelle planète ?

La voix de Flinn le surprit. Il avait oublié qu'il se tenait à quelques de mètres, installé lui aussi dans un siège à connectique, compulsant le rapport sur le cas du serviteur aux propos intriguant. L'enquête s'était refermée sans trouver d'autre raison qu'une défaillance dans le programme d'échange de ce dernier. Un cybernaute avait corrigé l'erreur en un tour de main, concluant quelques jours de recherches vaines. Cyrill songea qu'Aodh aurait pu en faire autant. Le second fils de Gregor excellait dans l'Art Mécanique, et n'oubliait pas d'officier avec brio auprès de son père et de son frère lorsqu’il se dégageait de ses engagements de conseiller taciturne. Aodh aurait eu le verbe haut pour plaisanter sur la situation, avant de replonger dans le silence des mots qu'il semblait tant apprécier.

— La situation flotte-planète H-12, Flinn.
— Ah, celle-ci.

Il marqua une pause, avant d'ajouter, les sourcils froncés :

— Je n'ai jamais aimé cette situation.
— Alors nous sommes deux, compléta Cyrill.
— Deux choix si je me souviens bien.
— C'est exact Flinn. Deux choix, comme s'il suffisait de dire blanc ou noir.
— Et aucun n'est le bon. Retentez-le, Major, et vous verrez par vous-même.

Cela amusa Cyrill.

— Il n'y a donc pas de fin ?
— La subtilité est ailleurs, répondit Flinn, un sourire en coin.

Cyrill s'apprêtait à se plonger à nouveau dans la simulation lorsqu'un message urgent atterrit sur son terminal com. Sa bouche se fronça, et ses optiques se parèrent de teintes pourpres.

— Un problème, Major ? Questionna Flinn.
— De Choire, répondit sèchement le vieil inquisiteur. L'amiral en second est furieux.
— Et pourquoi donc ?
— Cet imbécile a insulté un officier, et ils sont en train de se battre.

Flinn jura.

— Je savais qu'il ne tiendrait pas sa langue. Laissez-moi faire major, et tout rentrera dans l'ordre.
— Septième pont, section vingt. Tu as quinze minutes Flinn, après quoi je m'en mêlerais.

Flinn se releva, inclina légèrement la tête, et se dirigea d'un pas lourd vers la porte.

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MP
Niveau 10
01 juillet 2017 à 12:17:01

Le Major Beik ne comptait pas attendre que les informations tombent d'elle-même auprès de lui. Il savait que Flinn resterait un certain temps auprès de Guilhem. Il aurait voulu s'entretenir avec lui pour lui donner quelques conseils, mais il lui faudrait encore patienter, hélas. Le jeune homme s'était montré d'une impétuosité à peine imaginable, mais cela ne surprit pas pour autant Cyrill. Il avait déjà clairement affiché cette propension à la violence par le passé. Il aurait été surprenant que ce genre d'esclandre ne se produise jamais durant son noviciat. Secrètement, Cyrill avait espéré que le jeune homme trouve une forme de sagesse qui lui fasse passer le goût pour ce genre de conduite violente et provocatrice. Espérer n'avait visiblement suffi. Et les conséquences l'ennuyaient profondément.

Tout en s'asseyant dans un confortable fauteuil, installé face à une baie longiligne qui offrait un spectacle saisissant sur le ballet des étoiles, Cyrill soupira. Il lui faudrait agir en conséquence. Jouer sur la corde raide qui se tendait sous ses pieds, tandis que les corps armés présents sur le vaisseau tenteraient sans doute toutes les manœuvres pour faire tomber la tête de Guilhem de Choire. Le voir mourir n'aurait été qu'un faible prix pour une histoire d'honneur. Et sans l'intervention de Flinn… Il préféra ne pas y songer. Il laissa une rêverie sourde s'emparer de son attention, le laissant revenir avec quelques heures d'avance sur Terre. Gregor aurait peut-être été moins en peine de statuer sur une situation similaire. Guilhem représentait la pire insubordination imaginable pour lui. Un fils d'officier, mauvais, fourbe, conscient de son statut, qui connaissait sa valeur et son influence. Gregor aurait suivi la même voie que les militaires. La mort constituait une sentence appréciable en comparaison de certaines sanctions. Un sourire cynique illumina le visage de Cyrill. La décision juste ne serait pas équitable. Guilhem ne pourrait pas mourir, mais il lui faudrait un châtiment à la hauteur de ce qu'il représentait. Il faudrait laver l'affront de l'officier et dégager la Sainte Cléricature du comportement d'un de ses agents.

Une conversion.

L'idée ne répugna pas le vieil homme, et s'il s'en étonna, il n'en demeura pas moins impassible. Plus il y réfléchissait, plus il pensait que c'était la seule solution viable pour toutes les parties. La Sainte Cléricature se dégagerait de toute responsabilité, et bien au contraire, ferait de cet acte un outil démonstratif de sa pugnacité. Les militaires ne pourraient pas non plus crier à l'indulgence, et trouveraient une satisfaction certaine à voir un noviciaire inquisiteur devenir une loque asservie par une rationalité proche de l'abrutissement. Guilhem vivrait, et son père n'aurait aucune possibilité de reprocher à Cyrill ou bien à Flinn de l'avoir mis sous la tutelle directe du Dieu-Machine. Oui, l'idée semblait absolument parfaite.

Le Major Beik se détendit très légèrement.

Ce fut à cet instant que le vaisseau effectua l'ultime saut transpatial le ramenant vers la Terre.
Ce fut également à cet instant que Flinn vint à sa rencontre. Et sa mine n'indiquait rien de très réjouissant.

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MP
Niveau 10
01 juillet 2017 à 12:18:59

— Je n'ai pas l'impression que tout aille très bien, commença Cyrill.

Le Naneyë était vêtu comme à son habitude. Une seule cape passée sur son armure, le tout maintenu par une fibule frappée des armes de la Confédération. Mais son regard s'échappait à droite et à gauche. Il semblait dérangé.

— En effet, répondit Flinn.
— Que s'est-il vraiment passé ?

Flinn soupira.

— Guilhem a provoqué en duel un officier. Un fils de la maison des Houlmes
— Poursuis, je t'en prie.
— J'ai réussi à les séparer, mais l'officier risquerait bien de faire remonter la provocation de Guilhem à son père. Et le général des Houlmes risque de ne pas voir d'un très bon œil que l'apprenti d'une faction progressiste de l'Inquisition vienne à se mélanger à sa progéniture. Ce qui risque de compliquer un peu plus le travail du Commandus Magnus concernant les négociations.
— Nous n'avions pas vraiment besoin de cela en ce moment...
— J'ai averti Guilhem qu'il serait convoqué face à l'instance disciplinaire de la Sainte Cléricature. Et qu'il présenterait seul sa défense.
— As-tu évoqué les éventuelles sanctions ?
— Non. En revanche, je l'ai placé de force en stase.
— Voilà une très bonne chose, commenta Cyrill, qui s'était légèrement détendue. La peur le rendra plus prudent. Au bord du gouffre, peut-être va-t-il s'assagir.
— Je l'espère aussi.
— Dis-moi, Flinn, tu ne t'es pas attardé sur les modalités qui t'ont permis de récupérer Guilhem en un seul morceau…

Le xéno inclina la tête, serra les dents. Quelque chose dans le ton de Cyrill était rassurant, mais repenser à l’humiliation publique ne le réjouissait pas. Il expira doucement, se releva, fixa le regard de son ancien mentor, sans trembler.

— J'ai dû faire amende honorable auprès de l'officier qu'avait provoqué Guilhem.

Cyrill fit la moue, et reprit.

— Je comprends mieux pourquoi tu ne voulais pas en parler. Ce n'était pas l'exercice le plus agréable que tu ais eu à pratiquer.
— Je m'en serais bien passé, effectivement.

Cyrill repensa à ce que cette situation devait représenter pour Flinn. Lui qui avait été éloigné de son monde natal, forcé par la décision de son père de servir la Confédération. Flinn les avait tous haïs au début. Et puis, le temps avait eu cet effet apaisant sur cette triste expérience de vie. Flinn avait pleinement intégré la Sainte Cléricature, oubliant cet épisode. Une simple révérence avait déchiré la cicatrice. Cyrill se demanda ce qu'il faudrait faire pour que Flinn s'en remette réellement. Quelques enjeux flous se dessinaient en arrière-plan.
Le major ne les trouvait que peu rassurants.

— Je m'arrangerais pour que l'officier te rencontre, si tu n'y es pas opposé, et que vous puissiez discuter un peu de ce cas.
— Jolie manœuvre politicienne, ricana Flinn.
— Il y a un peu de cela, c'est vrai. Le Saint Ordre des Licteurs sera bientôt effectif. Mais je voudrais vraiment que cet épisode ne te bloque pas pour que tu continues ton service.

Flinn sourit.

— Je peux m’asseoir ?

Cyrill l'invita d'un geste de la main à venir s'installer dans un autre fauteuil, légèrement décalé par rapport au canapé celui qu'il occupait. Il prit conscience que son subalterne se tenait très près de la porte situe à plus de cinq mètres, et que cela ne l'avait pas choqué jusqu'à présent. Flinn, qui semblait à la fois fatigué et vide, plongé dans une torpeur qui lui voûtait sensiblement le dos. Cette histoire d'honneur avait vraiment fait quelques dommages collatéraux. « Il faudra régler ça avant même d'arriver », avait-il pensé.

— Vous avez déjà réfléchi à la situation, n'est-ce pas ?

Cyrill sourit.

— Je ne peux rien te cacher.
— Le contraire serait plus étonnant…
— Oui, j'ai réfléchi à la situation de Guilhem. Le tuer n'avancera personne, pas plus que le dédouaner de ses responsabilités. Je n'ai aucun doute sur la sévérité que les militaires mettront dans la peine qu'ils prononceront. La Sainte Cléricature devra suivre le même ordre d'idée.

Flinn hocha la tête.

— As-tu réellement compris ce que cela signifie, Flinn ?
— Ce serait un véritable gâchis, Cyrill. Il a un potentiellement notable.
— Qu'il ne maîtrise pas. Sans son altercation, je n'aurais eu qu'à douter de lui. Maintenant, qui peut décemment lui faire confiance ?
— C'est cruel…
— Il l'a bien cherché. Il n'avait qu'à être plus malin.

Flinn ouvrit la bouche, puis se ressaisit. Quoiqu’il puisse en penser, il savait qu'il se rangerait derrière l'avis du major Beik.

— Quelque chose à ajouter, Flinn ?
— Laissez-lui quelques jours supplémentaires. Nous ne prenons aucun risque.
— Qu'il en fasse bon usage.
— Merci.

Après s'être levé, Flinn s'inclina. Alors qu'il se dirigeait la porte des quartiers du vieil Inquisiteur, il se demanda ce qu'il l'avait poussé à prendre la défense d'un jeune homme impétueux, arrogant, et qu'il avait menacé quelques heures auparavant. La logique de son acte lui échappait. Il préféra occulter cette idée, et retourner voir Guilhem. Il ne tarderait plus à se réveiller. Il serait plus sage qu'il soit là lorsque cela arriverait.

— Flinn, attends un peu.
— Que se passe-t-il ?

L’opalescence des yeux de Cyrill vira vers des teintes incendiaires.

— Nouveau message du commandement. J'ai rendez-vous avec l'amiral en second pour connaître le verdict et la peine attribuée à Guilhem.
— Maintenant ?
— Visiblement.
— Dois-je vous accompagner ?
— Ce ne sera pas nécessaire. Je m'en débrouillerais seul.
— Dans ce cas…

Flinn s'éclipsa pour de bon. À son tour, le major Beik se leva. Il espérait que l'affaire soit réglée rapidement. Quelque chose lui disait que l'amiral le souhaitait aussi.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 12:54:18

PARTIE II.

7.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 12:58:10

Le lieu de réunion désigné pour le jugement n'était rien de moins que le grand mess des officiers. Nichées sous une coupole ouverte sur l'espace, d'interminables tables alignaient leur horizontalité vers l'estrade accueillant les plus gradés du vaisseau. Les murs blancs se perdaient sous la masse de décrets d'applications, de prière, d'ordre de mission et de promotion divers. L'aspect hétéroclite de ceux-ci contrastait fortement avec la rectitude et la beauté des lignes de la pièce.

Cyrill resta de longues secondes sur le seuil des deux battants de la porte, s'émerveillant en silence de ce qu'il contemplait. Il y pénétrait pour la première fois. Malgré les invitations répétées du haut commandement, il ne s'était jamais mêlé aux cérémonies organisées entre ses murs. Il préférait sa relative solitude, ne supportant longtemps que la seule présence de Flinn et quelques autres collaborateurs. Il savait que cette attitude lui serait reprochée un jour ou l'autre. Il préférait ne pas s'attarder sur ce genre de futilité. « La nature humaine est ainsi faite », lançait-il en guise de réponse face à cette incompréhension. Flinn lui répondait alors qu'il ne les comprenait pas, ces humains-là. Le silence s'installait alors, comme à cet instant. Un silence glacé de solitude. Il était arrivé trop rapidement.

Le bruit de bottes dans son dos l'incita à se retourner. La silhouette longiligne de Lazaro Fuenter, amiral en second du Keller Lumen, se détachait avec netteté sur le fond clair du couloir d'accès. Cyrill le détailla en un instant. Il possédait cet attrait raide et beau qui caractérisait certaines lignées d'officiers. Un air noble qui imprimait sa marque dans son attitude, contrebalançant le nez écrasé, le front précocement ridé, un œil réduit à une simple fente coloré d'un brun puissant. Sa barbe foncée dénotait avec les taches de rousseur qui couvraient les parties visibles de son visage. Une curiosité que nota pour lui-même Flinn. Lazaro Fuenter ne dégageait rien d'exceptionnel, hormis les détails de son faciès. Une armure protocolaire le protégeait, son œil et son bras droit remplacé par des attributs cybernétiques plus en lien avec sa haute naissance que son poste actuel. Un parvenu certes, mais intéressant, qui avait su se faire entendre et diriger avec une intelligence certaine ses troupes. Il n'était pas le personnage le plus puissant du vaisseau, mais il inspirait malgré tout autant de respect que de confiance.

— Major Beik ? Demanda l'officier.

Dans un premier temps, Cyrill demeura silencieux, perdu dans ses pensées. L'amiral Fuenter semblait âgé de quarante-sept ans, selon son dossier. Il le trouvait plus vieux, presque usé. L'amabilité de son ton ne le troublait pas. Une personnalité peu amène se dissimulait derrière, comme une évidence. Cyrill y aurait mis sa main à couper, s'il n'avait pas eu d'implants à la place. Il inspira longuement, se redressa légèrement, sourit. Il remarqua que son interlocuteur était escorté de deux autres individus. Un soldat d'élite à sa gauche, dissimulé derrière une armure intégrale, visière rabaissée, qu'il négligea très rapidement. L'autre en revanche, sur sa droite, n'avait rien d'un militaire. Avec sa longue robe cérémonielle, sa pèlerine cobalt et son air revêche, il dénotait. « Un administratif », pensa-t-il. Un clerc judiciaire qui ferait sans doute office de témoin pour l'entrevue. La procédure légale… Quelque chose le dérangeait dans son comportement. Ce regard vif et percutant ? Cet air et cette similarité avec Guilhem ? Cyrill ne sut trouver dans l'instant ce qui le gênait temps. Il décida de passer outre.

— Lui-même. Amiral Fuenter ?

Le quadragénaire hocha la tête en guise de réponse.

— Je vous ai fait mandaté de façon assez cavalière, commença-t-il en guise d'excuses. Le temps pressait un peu, et je…
— Ne vous justifiez pas, amiral. Je vous comprends parfaitement. Je souhaitais également que cette affaire soit conclue de façon brève. Avant notre retour sur Terre.

Fuenter fut surpris par la coupure que lui avait imposée le Noble Clerc. Il s'attendait également à plus de formes et de politesse. Cela l'arrangeait bien. Faire traîner le jugement hors du vaisseau et des lois spéciales en vigueur lors des voyages interstellaires lui prendrait un temps et une énergie qu'il souhaitait investir ailleurs. Le Major Beik et lui seraient donc rapidement fixés.

— Installons-nous, Major.

Ils se dirigèrent vers l'estrade, et s'assirent au coin de la longue table, nue et froide.

— Si vous êtes prêt, Major, je vous propose que nous passions aux faits. Agent Nerbahl ?

Le jeune s'avança et s'inclina lorsque son regard croisa celui de Cyrill. Il sortit d'une poche dissimulée devant sa robe un projecteur holo de la taille d'une pomme, assortie d'une connectique monofilaire. L'amiral s'en saisit, et fit jouer le cordon vers un des ports qui courrait sur son avant-bras droit. Aussitôt, un flot de données brutes et quelques photos surgirent dans une sphère projective à la netteté toute relative.

— Le capitaine Elie de Houlmes et le noviciaire clérical Guilhem de Choire, respectivement rattachés à la septième phalange du Keller Lumen et à la section chargée des affaires courantes relatives à la Question, ont été pris en flagrant délit de duel dans une des cantines du vaisseau. Selon les témoignages recueillis sur place par nos agents en charge des affaires de violence, le noviciaire aurait suspecté le capitaine de conduite et de comportement déviants vis-à-vis de la Loi Mécanique. Se sentant insulté, le capitaine aurait usé de son droit coutumier à restaurer son honneur en combattant le noviciaire. Les deux parties n'ont pas été blessées grâce à l'intervention d'un de vos hommes, et à titre préventif, vous auriez placé le noviciaire de Choire en détention dans vos quartiers.

Cyrill hocha la tête. Fuenter poursuivit.

— Nous avons reçu la plainte du capitaine des Houlmes au motif d'outrage à un officier, provocation, insultes à un membre d'une famille décorée par le Très Saint Magister. Aucune blessure n'a été constatée, mais le capitaine ne souhaite pas reprendre son service tant qu'un incident de ce type pourrait se reproduire avec un homme de la Sainte Cléricature. Aussi, au vu de la situation, le cas a été scrupuleusement étudié par mes soins, afin de rendre un jugement impartial, équitable et en adéquation avec le préjudice subi pour les deux parties. Étant donné le caractère et les statuts particuliers auxquels sont soumis les agents de la Sainte Cléricature, mais également le caractère à particularité des apprentis de ladite institution, la Sainte Armée, lésée en la personne du capitaine des Houlmes et représentée par moi-même, réclame à l'encontre du noviciaire De Choire une exclusion des flottes spatiales confédérée d'une durée d'un an, ainsi que des excuses publiques, assorti d'un acte de pénitence que nous vous laisserons établir vous-même.

Cyrill trouva la dernière sanction établie par le commandement militaire d'un sadisme raffiné, presque élégant. Il ne s'opposait pas à ce genre de pratique. Bien au contraire. Il voyait en celle-ci une occasion de donner une véritable leçon d'humilité à l'encontre de Guilhem.

— Amiral, répondit-il, permettez-moi de m'en remettre à la rapidité et la justesse des éléments que vous avez
pu recueillir. Permettez-moi également de m'aligner sur les sanctions que vous avez décidées, à juste titre, dans un grand souci d'équité et d'impartialité. Sachez que je me conforme à ceux-ci, et que je les ferais appliquer le plus rapidement possible. Je tiens donc à me joindre à votre procédure en établissant un acte de pénitence consistant en une retenue d'un an de solde du noviciaire De Choire, au bénéfice du capitaine des Houlmes. D'autre part, l'apprentissage dudit noviciaire sera suspendu durant la même période, et l'usage dudit noviciaire pourra bénéficier à la Sainte Armée, selon les disponibilités de la Sainte Cléricature.

La mâchoire de Fuenter se serra. Il déglutit, se ressaisit, tandis que Cyrill se contentait de sourire. Son interlocuteur ne s'attendait sans doute pas à tant de sévérité de la part d'un Noble Clerc vis à vis d'un de ses semblables. Habituellement, un pèlerinage était suggéré. Une aumône éventuelle. Mais une telle amende, assortie d'un gel de la période probatoire, n'était pas un geste habituel. Fuenter se demanderait sans doute pourquoi le major Beik s'était montré si dur envers son apprenti, flairant peut-être un coup tordu comme en étaient capables les inquisiteurs. Mais il n'aurait pas le temps de mettre à l'épreuve ses doutes. L'affaire devait être conclue rapidement. Et cela l'arrangeait bien, encore une fois. Comme si le Noble Clerc avait lu dans ses pensées. Il frissonna.

— L'accord de la Sainte Armée est acté pour ce jugement. Puisse le Dieu-Machine être témoin de cette justice rendue en Son nom.
— Et qu'Il protège Ses serviteurs, ajouta Cyrill.

Fuenter lui tendit une main amicale, agrémenté d'un sourire.

— Major, je ne sais pas quel est votre passif avec votre noviciaire, mais…
— Ne vous inquiétez pas, amiral. Je m'en occupe personnellement.

Cyrill se leva, salua avec raideur l'officier, et s'éloigna à grands pas du mess. Plus il se rapprochait de ses quartiers, et plus il peinait à contenir la joie perverse qui l'animait. Il ne s'était pas trompé sur le compte de Guilhem. Il allait pouvoir briser cet imbécile. « La Sainte Cléricature punit la faiblesse humaine ». Rarement avait-il été autant en accord avec cette maxime.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 13:08:07

Le Keller Lumen passa à quelques centaines de milliers de kilomètres de Neptune. L'éclat bleu et profond du corps céleste fascina Flinn, comme un rappel gigantesque à ce qui l'attendait, au bout de la route. Par réflexe, il consulta le plan de vol et constata avec amertume qu'il restait une demi-journée avant que le vaisseau ne trouve son orbite de stationnement, sur un des points de Lagrange disséminé autour de la Terre. Flinn soupira. Il avait été stupide regarder ce qu'il pressentait comme une évidence. Il ne sut expliquer son geste, pas plus que sa volonté. Désir de repos ? Nécessité d'en finir ? Répondre n'aurait été qu'une solution partielle, partiale, éphémère. Il chassa l'idée de son esprit. Une autre évidence s'imposa à lui.

Le jugement concernant Guilhem avait été rendu. Il avait quitté Cyrill trois heures auparavant, conscient que ce dernier ne chercherait pas à adoucir la peine qui devrait être prononcée. Bien au contraire. Flinn savait que le major avait été touché dans son amour propre par l'acte inconsidéré du noviciaire. Cyrill serait cruel, sans pitié. Il afficherait avec évidence la loi Mécaniste, sans distinction ni passe-droit. Guilhem serait puni. La seule inconnue restait la modalité pratique de ce châtiment. Flinn s'étonna de n'avoir encore reçu aucune information à ce sujet. La sensibilité de l'information avait dû l'en tenir écarté pour le moment.

Il soupira, s'accouda sur la main-courante qui cerclait le poste d'observation. Un silence agréable s’étalait dans la bulle de verre. Il respira profondément, ferma les yeux. Il visualisa mentalement le tracé rouge du voyage restant, jeu gravitationnel entre planètes et cométaires, vers le feu stellaire du soleil, qui luisait loin au centre du Système. Les couleurs vives de la projection de son aug' visuel l'avaient agacé quelques instants, mais étrangement, il trouvait leur existence moins violente, maintenant que le plan de vol avait été révoqué dans son esprit. Caché sous une pile de données brutes, classées et triées selon des schémas complexes. Il tendit sa conscience vers le dossier, l'ouvrit à nouveau. Les lignes et les points ondulaient très lentement. Un rythme apaisant se dégageait de ce simple plan de vol. Et à nouveau, fatigué, il soupira.

— Noble Clerc Flinn ?

L'appel l'interpella. Il reconnut la voix du cybernaute, déformé par les filtres d'envois et les distorsions dues à la standardisation des données. Une voix claire mais teintée de l'écho métallique des communicateurs vocaux. Flinn se redressa, envahi d'une intuition en demi-teinte.

— Lui-même.
— Noble Clerc, reprit le cybernaute. Le noviciaire est en train de se réveiller. Il serait bon que vous soyez présent.
— Mais … Comment ? … J'arrive.

Avec une certaine déception, Flinn lâcha sa position, et reprit le lacis des couloirs, jusqu'au poste de soin qu'il avait quitté dix minutes auparavant.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 13:09:16

Le travail des médecins et des cybernautes ne serait pas visible avant plusieurs jours. La joue gauche grossie par un hématome encore frais, la commissure des lèvres tirée par un point de suture solitaire, rien de sérieux n'affectait le physique de Guilhem. Mais pour Flinn, les images d'une scène plus sordide revenaient en boucle dans son esprit. Comme un calque mal façonné, des traces d'hémoglobines avaient séché, s'étaient foncées sur la peau d'airain L'augmentation optique gauche, lentille bombée d'un diamètre de cinq centimètres encerclé d'un anneau chromé encore odorant de divers désinfectant, aurait pu être constellée d'une série d'impacts carmin. La poitrine à demi dissimulée par un plastron articulé semblait laisser s'échapper une odeur écœurante de brûlé et de kératine carbonisée, œuvre des bistouris cautérisant et des clamps autogérés. Le pied droit emmailloté dans un exosquelette provisoire sortirait d'un tableau abstrait, tout de détails sordides, parés de milliers de nuances de mauves et de rouges. Pourtant, personne ne s'en souciait. Personne, à part Flinn, emprisonné dans cette vision cauchemardesque.

Guilhem tressaillit. D'un geste sûr, un des médecins désolidarisa le faisceau de câbles qui enserrait son cou. Ses deux bras, mécaniques, s'agitaient doucement de mouvements désorganisés, oniriques. Une moue contracta ses lèvres. Le cache-menton carboné qui remplaçait l'os manquant se révéla alors qu'il tournait la tête à gauche. Puis, sans prévenir, le contact visuel fut rétabli.

Flinn s'était accroupi. La première image qu'il reçut au travers de son regard neuf et totalement artificiel, ce fut le mufle noir et humide de son mentor. Il voulut cligner des yeux, mais il ne réussit qu'à modifier l’accommodation de ses implants. La bague chromée de son œil gauche coulissa en bruissant. Il ne l'entendit pas aussitôt.

— Doucement, dit Flinn.

Pendant de longues secondes, Guilhem ne se souvint plus du langage. Il ne comprit pas les sons qui agressaient ses oreilles, il oublia sa bouche et ses cordes vocales. Il négligea tout le processus psychique qui faisait naître les mots et les phonèmes, les liens complexes entre le fond des propos et la forme de ceux-ci. Un éclair illumina son esprit, balayant la sidération.

— Merci, maître, croassa-t-il.
— Je ne sais pas si je dois rire, pleurer, te plaindre ou te haïr, Guilhem. J'aimerais beaucoup que tu m'expliques comment tu as pu ..

La peur passa dans l'œil organique du jeune homme. Les muscles de son visage s'étirèrent douloureusement. Une angoisse muette s'empara de son cœur, de sa respiration. Il inspira goulûment, chercha à se relever. La poigne solide de Flinn le cloua sur place.

— Guilhem, calme-toi.

Les images lui revinrent avec une force brute, presque animale. Il revit le capitaine des Houlmes, debout face à lui, prêt à défendre son honneur. Il se vit en mauvaise posture. Il entendit à nouveau la voix du Noble Clerc qui venait s'interposer pour le récupérer. Et enfin, il se souvint de tous les détails de l'entretien fugace qu'ils avaient eu, juste avant que Flinn ne le plonge en stase. Une peur panique le dévorait de l'intérieur. Revoir le visage de son mentor en colère lui était insupportable.

— Maître, geignit-il.
— Guilhem, tout va bien se passer. Tu es physiquement hors de danger. Mais je voudrais savoir...
— Je ne voulais pas … Je ne voulais pas, répéta-t-il.

Flinn fit signe au médecin d'approcher. L'homme, trentenaire aux traits glabres, comprit aussitôt ce que souhaitait l'inquisiteur. Il ne mit que quelques secondes à retrouver le câble qu'il venait de retirer.

— Guilhem, nous allons devoir te replacer en sommeil forcé.
— Pitié, maître !
— Je reviendrais te voir.
— Ne me laissez pas, maître ! Je n'ai rien fait de mal !

Le médecin fixa Flinn. Celui-ci hocha la tête. Le médecin brancha la seringue sur une voie de perfusion, et injecta le produit. Le regard artificiel de Guilhem ne traduisit pas l'état de torpeur dans lequel il s'enfonçait, mais sa musculature se détendit soudainement, et il se mit à baver.

— Vous le laissez au frais jusqu'au retour sur Terre, conclut Flinn. Et si jamais il montre des signes de lutte, vous insistez pour qu'il ne revienne pas à lui.
— Bien, Noble Clerc. Mais, que ferons-nous une fois que…
— Ne vous inquiétez pas. Je reviendrais, et je m'en chargerais.

Les cybernautes et les médecins inclinèrent respectueusement la tête, tandis que Flinn sortait du bloc.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 13:10:13

Flinn regagna ses quartiers. Les idées se bousculaient en lui. Des sentiments contradictoires allaient et revenaient, flux et reflux d'une marée étrange. Il sentait la réalité lui échapper en partie avec le cas de Guilhem. Il le haïssait pour ce qu'il avait fait. Lui, Flinn, l'inquisiteur craint et symbole de de l'impassibilité du pouvoir et de la docte, s'était vu contraint de s'incliner face à un militaire. Un militaire aussi stupide, sinon plus, que son apprenti. Une fureur froide le démangeait. Il aurait voulu retrouver Cyrill pour connaître le verdict, et l'appliquer lui-même. Il avait le droit le plus absolu sur son noviciaire.

Mais étrangement, il ne pouvait réprimer une bouffée de pitié, un instinct paternel, pour le jeune homme blessé et meurtri. Dans une certaine mesure, Guilhem n'avait pas manqué de courage. Il avait risqué sa vie et son honneur pour défendre des idées qu'il portait. L'acte était imbécile, mais néanmoins téméraire. Il rappelait à Flinn et sans aucun doute à Cyrill ce qu'une volonté affermie pouvait réaliser. Pour cette unique raison, Flinn pouvait être fier d'avoir été son mentor. Un mentor qui devait veiller sur le corps d'un apprenti en piteux état, et qui aurait la désagréable surprise de constater qu'il n'était plus vraiment lui-même, mais pas tout à fait un autre. Flinn devrait se tenir là. Debout, immobile, mais tiraillé par cette dualité de sentiment. Il devrait le protéger, et dans le même temps, le punir.

Il marqua une pause, dans le long couloir qu'il arpentait d'un pas sec. Il constata que celui-ci se courbait vers la gauche, de façon discrète, et qu'il ne pouvait en distingué l’extrémité. L'image l'amusa. Le futur proche qu'il allait devoir rencontrer serait semblable : une logique continue, mais qui ne laissait pas se révéler la finalité de certaines actions, de certains mots, de certaines décisions. Bien qu'il eut vu Cyrill peu de temps auparavant, il estima nécessaire qu'il le rencontre à nouveau. Il n'était plus l'impressionnant être enfermé dans sa carapace de métal qui effrayait la plupart des hommes du Keller Lumen, mais le chétif xénomorphe débarqué de force sur Terre trente-cinq ans auparavant. Un enfant pris dans un corps d'adulte, et qui hésitait beaucoup trop pour être efficace. Cyrill incarnait une bouée salvatrice dans ces instants de flottement. Un accord implicite s'était établi entre eux deux. Un accord construit dans la confiance, et que Flinn souhaitait renouveler ce jour-là, face à la problématique du jeune homme qu'il devait former.

Il changea brusquement de direction, sans s'en rendre vraiment compte. Le simple fait de penser à Cyrill avait sonné comme une révélation. Il devait le voir, maintenant.

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MP
Niveau 10
02 juillet 2017 à 13:12:08

Flinn n'avait pris le soin de l'informer de sa visite que cinq petites minutes avant de franchir à nouveau les portes de ses quartiers. Cyrill, s'il était surpris, eu la politesse de ne rien en montrer. Il trouvait simplement curieux que son ancien apprenti se montre aussi peu indépendant. Même s'ils travaillaient ensemble, il était rare qu'il se croise plus de deux fois dans la même journée. Et plus rarement encore, deux fois en moins de trois heures.

Cyrill avait accepté sans broncher. Quelque chose dans la voix de Flinn dénotait d'un malaise à peine visible, un courant sombre et bourbeux qui n'aurait pas dû se trouver là. Il s'inquiétait de connaître les raisons de ce malaise, peut-être même davantage que le motif de la visite du Noble Clerc. Le ton sec et les propos directifs de Flinn le persuadaient de croire qu'il n'en avait pas conscience. Il se demandait comment il pourrait lui faire la remarque sans le blesser, lorsque son terminal com se colora d'une alerte colorée, indiquant un nouveau message. Quelques lignes grisées dans son champ de vision, qui firent perdre à Cyrill le fil de ses pensées. Ses lèvres se contractèrent en un rictus à peine visible, alors qu'il achevait juste de lire la courte missive.

— Les affaires reprennent, murmura-t-il.

Les portes de ses quartiers s'ouvrirent, laissant Flinn pénétrer dans la pièce principale. Les soupçons que formulait Cyrill quant à la perplexité de son attitude se confirmèrent. Ce n'était plus la voix, mais la mimique tendue et les traits tirés de son visage qui racontaient son mal-être. Même protégé par son armure, l'assurance qu'affichait habituellement le Noble Clerc semblait fracturée, mise à mal.

— Cyrill.
— Flinn, répondit l’intéressé.
— Cyrill, je suis très ennuyé par le cas de Guilhem. Je suis allé le voir et… je ne sais pas. Il s'est passé quelque chose d'étrange.
— Quel genre de chose ?

Le ton de la voix de Cyrill se voulait doux. Mais les sonorités modifiées par l'implant vocal en faisaient un miel acide, plein d'aigreur. Flinn ne le fixait pas droit dans les yeux, et préférait laisser dériver son regard vers le plafond.

— Il s'est réveillé seul, malgré l'intervention des cybernautes. J'ai dû le rendormir.
— Je t'en prie Flinn, continue.
— C'est très stupide de ma part, mais j'ai eu de la pitié pour Guilhem.

Si Cyrill avait encore eux des yeux vivants, il aurait haussé un sourcil.

— De la… pitié ?
— Oui, de la pitié. Je sais que c'est parfaitement ridicule et qu'il a commis une faute grave et lourde. Pire encore, qu'il m'a obligé à me salir...
— Et le mot est faible, coupa Cyrill
— Mais pour une raison que j'ignore, il a provoqué ça en moi.

Cyrill, debout depuis un certain temps, s'assit tout en invitant son subordonné à en faire de même. Flinn s'exécuta.

— Est-ce la première fois que tu ressens ça pour lui ?

Flinn hocha la tête.

— Je trouve ça étrange, vraiment. Surtout que ce n'est pas le premier étudiant que tu formes. Et encore moins le premier qui ait commis une erreur majeure durant son noviciat.
— Et c'est bien pour cette raison que je devais vous voir.
— Tu as bien fait, Flinn.

Dans la conscience du major, les composants du discours de Flinn s’emboîtaient comme des briques logiques. Les suppositions se construisaient rapidement, malgré l'absence de certains éléments tangibles. Si Guilhem possédait le don qu'il croyait déceler, il deviendrait aussi indispensable que redoutable. Mais il fallait que Cyrill soit en capacité d'observer certaines preuves. Et cette mise à l'épreuve impliquait de ne pas mettre à mal son subalterne. Flinn était trop extraordinaire pour qu'il prenne le risque de le blesser un peu plus. La situation au sein de la Sainte Cléricature se révélait suffisamment tendue pour qu'une affaire, comme celle qui éclaterait si le cas de Guilhem était rendu publique, ne déstabilise le fragile édifice des contrariétés et des espoirs de chacun des ses serviteurs.
Cyrill allait devoir manœuvrer avec tact.

— Cyrill ?

Cyrill sortit de sa torpeur. Il avait dû rester concentré de longues minutes.

— Excuse-moi Flinn, je réfléchissais.
— Et ?
— Je voudrais que tu me donnes les holos de son altercation. J'envoie un message à l'amiral en second pour qu'il te les prépare.
— Vous voulez enquêter sur Guilhem maintenant ?
— Nous n'aurons pas le temps en arrivant sur Terre. Nous avions déjà beaucoup de travail prévu, mais j'ai reçu un message du Commandus Magnus. Il souhaite que nous le rencontrions dès la première heure. C'est une urgence.
— Gregor est…
— Rien de grave, tempéra Cyrill en souriant. L'habituel sujet de la fondation du Saint Ordre. Mais il a dû se passer un événement pendant que nous étions absents. Il n'était pas si pressé lorsque nous l'avons quitté… C'est donc pour ça que je veux régler cette histoire avec Guilhem.
— Je suis désolé. Si j'avais su, je ne vous aurais pas importuné avec cette…
— Bien au contraire, Flinn. Tu as fait ton devoir en venant me parler de tes doutes à propos de ton apprenti. C’est un acte courageux, et sois assuré que je ne t'en tiendrais pas rigueur de manière négative.

Flinn inclina discrètement la tête.

— Cyrill, je ne saurais…
— Ne dis rien, Flinn. Je n'ai pas été meilleur que toi en d'autres temps. J'ai aussi eu de graves problèmes avec certains de mes étudiants. Et je pense que tu sais de qui je parle.

Flinn acquiesça. Le cas d'un certain Enéus, trente ans auparavant, faisait écho dans sa mémoire. Le jeune homme n'avait pas plus de vingt ans lorsqu'il avait fait circuler en dehors de la Sainte Cléricature plusieurs informations délicates. Le jeune homme avait été condamné à être converti, mais l'opération s'était déroulée dans les pires conditions possibles. Il n'en était resté qu'un cadavre affreusement mutilé, une chair vide et traîtresse, qui avaient sonné comme un avertissement puissant pour tous les aspirants inquisiteurs.
Flinn souhaitait que le cas de Guilhem ne se conclue pas de la même façon, sordide et humiliante.

— Sois rapide, Flinn, reprit Cyrill. Nous avons peu de temps pour nous occuper de ça.

— Je serais bref.

Il se leva, salua d'un geste fugace le Noble Clerc, et sortit de la pièce. À nouveau seul, Cyrill se replongea dans ses pensées. Guilhem et sa colère. Guilhem et ses mots. Ses attitudes. Ses regards, ses sous-entendus. « Ce gamin est diabolique », pensa-t-il. Un diable d'intelligence et une promesse d'efficacité, si Flinn et lui réussissaient à le rendre plus souple. Un esprit vif, un courage des actes.

Un manipulateur.

L'évidence surprit Cyrill, à nouveau. Peut-être que Guilhem n'en avait pas pleinement conscience, mais il semblait être le pire manipulateur formé par la Sainte Cléricature. Outre le registre habituel propre à la corporation des Nobles Clercs, Cyrill trouvait étrange et presque soumise l'attitude des personnes qu'il côtoyait. Voilà pourquoi il le trouvait si mauvais, si haïssable. Il n'éprouvait de sensibilité à ce trait de manipulation qu'au travers d'une manière défensive. Il s'en protégeait aussi sur une modalité sourde, à peine perceptible. Voilà aussi ce qui faisait de Guilhem un être si redoutable, si efficace. Il avait un don, étrange et inquiétant, mais utile. Cyrill savait que les holos ne feraient que lui confirmer cette hypothèse. Et que cela conforterait son opinion et sa méfiance vis-à-vis de l'apprenti de Flinn.

Il bascula la tête en arrière, s'extirpa un instant du flot de ses pensées.

Qu'allait-il pouvoir décemment proposer à Guilhem, lorsqu'il serait réveillé ? Il ne pouvait plus simplement le condamner à devenir un serviteur éternel du Dieu-Machine, ôté de lui-même, sans conscience propre. Voilà que cette conscience-ci se révélait être une force et une richesse appétissante, un atout majeur pour la Sainte Cléricature, et plus sûrement encore pour les conflits internes qui se déroulaient dans les couloirs sombres et les arrière-cours du pouvoir. Lâché dans un tel milieu… Cyrill n'osa imaginer ce que pouvait entraîner un tel acte, avec un homme d'une si grande valeur. Il lui faudrait probablement reprendre pour lui-même la formation de Guilhem. Flinn était compétent, mais fragilisé par son attitude. Il ne pourrait plus avoir de réelle influence sur son apprenti en tant que mentor. Tout ce qu'il risquait d'y gagner pouvait être une confrontation stérile et une incompréhension mutuelle profonde. Cyrill pouvait guider Guilhem. Il s'en sentait encore capable. Cela constituerait un bon défi pour un homme vieillissant, qu'on disait sur le départ. « Une excellente occasion de faire taire certaines langues », songea-t-il. Une très belle façon de redorer son blason déjà lourd de victoire, et de se réapproprier cette fierté qui l'avait pétri tout au long de sa vie.
Maintenant, il savait quoi faire. Reprendre la main en matant Guilhem constituait une option non négociable.

La seule difficulté serait de convaincre Flinn, sans mettre à mal son amour-propre. Un autre entretien en perspective, une autre raison de travailler son tact et sa diplomatie. Il ne se concevait pas politicien, mais à cet instant, il trouva qu'il ressemblait beaucoup à un autre personnage qu'il appréciait beaucoup. Si Gregor était là, à ces côtés, il aurait sans doute eu le bon mot pour qualifier la situation. Cela le fit sourire.

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MP
Niveau 10
03 juillet 2017 à 09:45:49

PARTIE II.

8.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
03 juillet 2017 à 09:47:05

La lumière des néons percuta l'acier poli et chromé des attaches de la cape. Le vent, chargé des relents du printemps, agitait le tissu avec une certaine poésie. Les bruits encore sourds de l’astroport montaient en basses le long des murs, se répercutaient dans le couloir, faisant vibrer le sol d'une onde délicate, étrange. L'ambiance dans le dédale du bâtiment d'accueil n'avait rien de la légèreté du climat. Les bottes et les armes, les chants de prières et les murmures hachés, les bips de terminaux com et les bruissements des implants cybernétiques, tout cet ensemble de détail formait un tableau fascinant et austère. Et à la tête de ce tableau, un homme avançait seul, meneur d'une troupe hétéroclite, façonnée à l'image de sa fonction.

Gregor Mac Mordan, Commandus Magnus, Commandant factuel des Saintes Armées, Sage Guide de la Sainte Cléricature et Grand Ordonnateur des Saints Cultes, avait revêtu les plus beaux et les plus lourds attributs de sa fonction. Son corps de cyborg largement mécanisé était captif d'une armure fermée, dorée à l'or fin, où sa tête s'échappait comme un artefact précieux. Une cape de pourpre ceignait son cou, elle-même barré de nombreuses fourragères, médailles et décorations militaires. Fixé sur son poitrail articulé, l'orbe stylisé, qu'il avait fait adopter en lieu et place de son homologue de taille démesurée, tintait et s'agitait au rythme de ses mouvements. Un holster battait contre sa hanche, soigneusement retenu par un savant assemblage de cordon d'argent, protégeant le manche usé d'un sabre ionique qui avait servi à plus d'une occasion.

L’apparat de ses habits dessinait un écho noble et puissant à ce que son visage dégageait. La tête se tenait haute. L’œil gauche réduit à un simple trait où l'on pouvait deviner une pupille bleue. Le nez mutin s'était raidi et entouré d'un réseau de ride labyrinthique. La bouche se figeait dans une attitude d'attente où se dissimulait une note d'agacement. Les composantes organiques de son faciès harmonieux cohabitaient avec les implants désormais anciens et soigneusement entretenus. L’œil droit, quelques vis externes qui figuraient d'étranges verrues mécaniques, ainsi qu'une partie de son crâne, le rangeaient définitivement dans cette catégorie d'homme obéissant au culte du Dieu-Machine. Et plus qu'un serviteur, Gregor Mac Mordan en était le digne représentant.

Il vira de bord dans un couloir perpendiculaire. La cohorte d’individus qui le suivaient s’y engouffra au même rythme, flux étrange semblable et différent à la fois de son maître. À la suite immédiate du Commandus Magnus venaient deux techno-moine, dissimulées sous de lourdes bures sanglantes, capuchon abaissé et laissant voir les têtes partiellement mécanisées de deux jeunes hommes au regard glacé, stoïques, visiblement concentrés. Avec une dextérité et une déférence notable, ils portaient les longs plis de la traîne de la cape de celui qu'ils suivaient dignement. Quelques pas plus loin, deux Nobles Clercs, mains et bras repliés dans le dos, avançaient tête baissée. Leurs tenues n'offraient plus qu'une simplicité étrange, un pantalon et une veste noire brodée de fils rouges, tandis que de lourds capuchons les rendaient plus discrets encore. Seuls le ton et les syllabes fortement appuyées de leur prière les rendaient identifiables. Louant le Dieu-Machine et ses serviteurs, maudissant les hérétiques et les félons, ils représentaient l'âme profonde et pieuse de la Confédération. À la grande différence des techno-moines qui se réfugiaient souvent loin de la société et de ses tentations abjectes, les Nobles Clercs réalisaient des missions au grand jour. Leur efficacité faisait trembler les moins convaincus des citoyens et des Hommes. Les Nobles Clercs connaissaient leur influence sur le monde pragmatique, et ils ne comptaient pas perdre celle-ci.

Plus loin dans le cortège, deux officiers avançaient aussi. Des armures de combats sobres et efficaces emprisonnaient leurs corps, de lourds servomoteurs les animaient en bruissant et en sifflant à chacun de leurs mouvements. Pas de vêtements, de cape ou de parures. La seule concession faite à la simplicité se résumait à des épaulières larges et gravées de leurs rangs, de leurs récompenses et du sceau caractéristique de la Confédération. Deux cyborgs encore, aux crânes rasés, aux yeux droits substitués par des implants lorsqu'ils avaient fait vœux d'allégeance au Culte et à ses représentants. Ils étaient la fierté et la quintessence de la Sainte Armée. À leur manière, ils portaient le nom du Dieu-Machine loin de la Terre.

Une foule hétéroclite de serviteurs sans fonctions définies fermaient la marche. Une vingtaine d'hommes dont certains conservaient le regard vide et froid des Convertis, anciens traîtres ramenés à la raison, et dont la conscience félonne avait fait place à une reprogrammation qui détruisait leurs affects et leurs souvenirs. De simples automates humains, qui accomplissaient souvent les tâches les plus délaissées, les plus ingrates. Une caste à la fois source de fascination et de dégoût, symbole de l'impartialité et de la rigueur de la justice opérée par la Confédération.

Le couloir déboucha sur une vaste salle d'embarquement. Sous le dôme de béton, l'écho des pas résonna plus fortement. Les agents de l'astroport s’écartèrent docilement face au cortège, la plupart baissèrent par respect la tête devant le Commandus Magnus et sa suite.

Gregor laissa son regard dériver vers les ouvertures vitrées qui donnaient sur la piste. Aucune navette n'avait encore atterri, mais il percevait clairement le grondement caractéristique des engins en approche finale. Un bruit lugubre, sombre, identifiable entre tous. Il ne cessa d'avancer qu'une fois face à la porte que menait au tarmac.

— Arrivée de la navette de reconnaissance ?

Un aide de camp surgit de la cohorte. Un individu d'une trentaine d'années, qui salua poliment Gregor, avant
de répondre.

— H moins trois minutes, monseigneur.
— C'est bien. Nous patienterons ici.
— Comme vous voudrez, monseigneur.

Des ordres fusèrent dans toutes les directions. Les militaires se déployèrent dans la salle, des serviteurs les épaulant, tandis que la garde rapprochée du commandant se remettait en ordre. Les deux techno-moines laissèrent filer la traîne de la cape au sol, posèrent un genou à terre, et entamèrent une série de prières silencieuses. Les Nobles Clercs redressèrent la tête, abaissèrent leurs capuchons, s'approchèrent de Gregor.

— La cérémonie ?
— Elle sera prête pour l'arrivée du Major Beik, monseigneur, assura l'un des deux inquisiteurs.
— Assurez-vous qu'elle se déroule au mieux. Que Notre Seigneur veille sur son âme.

Ils acquiescèrent en silence. Gregor se retourna à nouveau vers la porte. Là, dans les nuages, il pouvait clairement percevoir les jets orangés des réacteurs qui pénétraient les basses couches de l'atmosphère. Il songea que son attente allait enfin trouver une conclusion. Même si Cyrill n'appréciait pas.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
03 juillet 2017 à 09:49:30

Cyrill s'assit, imité aussitôt par Flinn. Gregor resta debout, et fit quelques pas autour de la table ronde qui trônait au centre de la pièce, cernée d'une dizaine de fauteuils aux formes simples et rectangulaires. Un projecteur holo diffusait une clarté orangée et abstraite vers le plafond en coupole. Pas de décoration, pas de fioritures. Une sécurité sobre mais efficace garantissait la confidentialité : il n'y avait aucune issue, exception faite de la porte par laquelle ils étaient rentrés.

— Et si nous passions directement au vif du sujet ? lança Cyrill.
— Je suis désolé pour toute cette mise en scène, commença Gregor. La situation avec la Sainte Cléricature exige que je sois le plus irréprochable possible.
— Je comprends…
— J'aurais voulu plus de simplicité, insista Gregor.
— Je le sais. Et je ne t'en veux pas. C'est pour cela que nous devons entrer dans le cœur des problèmes.
— Des problèmes ?
— Nous avons aussi eu notre lot de contrariété à bord, ajouta Flinn. Mais je pense que votre situation est bien plus délicate à gérer.
— Pas tant que ça. Après tout, je ne suis que sur un siège éjectable, railla Gregor.
— Une position appréciable, ironisa Cyrill.
— Tu m'ôtes les mots de la bouche.

Gregor se figea. Lentement, il détourna son regard vers le projecteur. Il s'avança, se saisit de l'appareil, et introduit sa pince dans une fente spécifique. La lumière chargée d'informations s'éteignit aussitôt.

— Nous serons concentrés sans cela, justifia-t-il.
— Toujours aussi observateur, commenta Flinn.
— Je vieillis, mais j'essaye de ne pas trop m'encroûter. Les bonnes habitudes m'aident bien dans ce combat-là. Elles sont comme vous : de solides alliés.
— Trop aimable, ricana Cyrill. Nous pouvons reprendre ?

Gregor acquiesça.

— Par où dois-je commencer ?
— Peut-être par nous dire à quoi ressemble la sainte Cléricature ici. Car dans le vaisseau, personne n'a spécialement appris ton absence. Et quelques bruits de couloirs passablement gênants ont commencé à circuler …
— Doucement, doucement. Raconte-moi d'abord comment s'est déroulée la cérémonie.

Cyrill se lança dans un récit court et précis qui laissa à Gregor le goût amer d'un échec relatif.

— Les fourbes, susurra-t-il.
— Tous ne pensent pas ainsi, mais il est certain que cet incident ne va pas venir consolider cette place qui est la tienne. Je ne sais pas si on peut parler de mauvaise nouvelle ou de coup dur pour ton image, mais je pense qu'il serait peut-être convenable d'agir rapidement avant d'être dépassé.

Gregor soupira.

— Si c'était aussi simple.
— Malheureusement, je ne suis pas persuadé que l'inaction soit une solution envisageable... Gregor, Il faut absolument que tu mettes un terme aux allégations qui courent à ton sujet.
— Cela ne changera rien. Les Inquisiteurs refusent toute idée de changement dans la nature même de ce qu'est la Confédération, et s'il faut que je paye le prix des changements choisis par Siegfried, alors, je le ferais.
— Tu as conscience qu'il s'agit là d'une décision sans retour possible, Gregor ?

Un silence passa.

— Je le sais.

Cyrill n'ajouta pas un mot.

— Je le sais, et je devrais m'en accommoder. Mais je sais que tu ne m'abandonneras pas en cours de route.

L’Inquisiteur lança un sourire triste à son supérieur, avant de sortir, accompagné de Flinn.

Pseudo supprimé
Niveau 6
03 juillet 2017 à 12:10:17

J'ai lu le premier chapitre : je trouve ça franchement très agréable à lire, et les description que tu y fais sont très bien développées je trouve, et surtout, sonnent "naturelles".
Je tâcherai de lire la suite au plus vite [[sticker:p/1kki]]

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
03 juillet 2017 à 17:30:14

Merci beaucoup pour ta lecture et ton avis. Simple petite question : tu as commencé par Vertige Stellaire ?

Pseudo supprimé
Niveau 6
03 juillet 2017 à 20:14:51

J'ai lu le premier post oui [[sticker:p/1kkn]]

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:36:24

C'est très bien et très sympathique que tu commences par Vertige Stellaire... Le seul hic, c'est qu'en fait, c'est le troisième (et dernier) tome d'une saga qui commence par Alter Ego (lien disponible) dans ma CDV. Le risque, c'est que sans lire ce qu'il y a avant, tu risque de très vite te retrouver paumé.

Désolé :hap: ...

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:40:46

PARTIE II.

9.

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
04 juillet 2017 à 10:41:38

Ebrahim Entor venait encore le hanter.

La vision de l'inquisiteur se superposa, l'espace d'un instant, aux circonvolutions maniérées du gros nuage d'orage qui surplombait le Palais. Un éclair déchira les ténèbres, suivit d'un grondement lent et paresseux, laissant planer une atmosphère lourde, inquiète. Gregor s'accrocha à ce visage gras, carré, et à la lueur qu'il avait arrachée à ce regard impétueux. Il l'avait vidé de sa substance, transformé en un quelconque objet, un fantôme de chair qui s'était libéré des contraintes du pouvoir. Ironiquement, il songea qu'il lui avait peut-être même fait un présent bien doux. Un cadeau aussi empoisonné que le coup de maître qu'avait joué l'Inquisiteur contre lui. Avec aigreur, le cyborg reprit la ligne mince et désagréable des dernières heures.
La disparition d'Entor n'avait pas manqué de susciter un certain émoi parmi les diverses communautés de la Confédération. Les armées s'étaient satisfaites d'un tel rappel à l'ordre, mais la Sainte Cléricature y avait perdu son unité de façade. Gregor était un parjure pour certain, un homme pragmatique pour d'autres. La situation tendait à lui échapper davantage avec le temps qui passait, et les quelques rumeurs qui avaient commencé à perler dans les couloirs de sa sombre citadelle. Coup du destin, il en avait ressenti une lourde fatigue, et s'était surpris à penser se reposer quelques heures. Depuis des semaines, il n'avait pas fermé l'œil. Il n'en avait plus vraiment besoin, et son attention était réclamée sur tant de dossiers différents qu'il avait accepté ce fardeau avec une certaine nonchalance. Jusqu'à ce soir. Jusqu'à ce qu’Entor le pousse à commettre une lourde faute dans sa stratégie.

Até avait fait préparer son lit, trop heureuse de voir son mari en revenir à des considérations du quotidien, un quotidien qu'il négligeait avec tant d'habitude qu'elle acceptait cet état de fait sans se plaindre. Avec un plaisir certain, il pensa au sourire qu'avait dû afficher sa femme en le sachant trop malmené pour échapper à ses tendances naturelles. A son tour, il sourit, conscient qu'elle lui avait préparé cette soirée dans un calme serein, un havre qui ressemblait à un foyer, dans un tête-à-tête presque parfait. Il avait accepté de déléguer ou repousser ses affaires, pour mieux s'octroyer cette pause salvatrice. Et tandis que l'orage montait dans le ciel clair de Civimundi, dans la lumière déclinante du jour, elle l'attendait, couchée, délicatement vêtue de tissus rares et coûteux, de soies et de dentelles ouvragées pour raviver la flamme de sa virilité éteinte depuis des décennies dans son corps. Un jeu de dupe qui ne satisfaisait qu'une certaine image de convenance, un amusement presque cynique contre la société civile qui pouvait encore jouir des privilèges de l'acte d'amour dont il était privé.

— Il se fait tard, mon époux, murmura-t-elle du fond de la chambre.

Il détourna son regard des cieux, croisa l'épaisseur translucide de voilage virevoltant se cognant contre la lueur tamisée d'un éclairage d'ambiance et de quelques bougies odoriférantes, et contempla le présent qu'elle lui faisait. Il hocha la tête, l'esprit à présent vide, et se força à la rejoindre. Il se glissa dans les draps doux et soyeux, laissant Até glisser sur sa peau d'airain des doigts délicats, racés, se lovant dans les interstices, les creux et les pleins de son corps de géant.

— Até, glissa-t-il en un souffle rauque.
— Dort, mon aimé.

Il lui adressa un sourire tendre, amoureux. Il se surprit à l’éprouver ainsi, à n'avoir jamais vraiment perdu le chemin de son cœur. Comme au premier jour de leur rencontre, elle révélait en lui ce qu'il avait de plus beau, de plus humain et de plus noble.

— Dort mon aimé, tu en as tant besoin, répéta-t-elle.

Malhabile, Gregor laissa son œil organique se fermer, débrancha le circuit sensitif de son implant oculaire, et se laissa bercer par cette voix rassurante qui prenait soin de lui.

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