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Sujet : [Fic] Slavetale

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erosdog erosdog
MP
Niveau 10
25 janvier 2019 à 18:37:29

Voici le nouveau chapitre, j'espère qu'il vous plaira :)
Je vous ai gâtés : il fait 12 000 mots.
Laissez moi votre avis en commentaire, et profitez en bien o/

Chapitre 26 :

Fidget était en robe d’hôpital, assis sur une chaise en plastique dur. Il avait froid, et il se serait mis à trembler si ce n’était pour ses muscles tétanisés. Mais le lion n’y pensait même pas, il ne pensait à rien du tout, comme déconnecté de la réalité. Il ne savait pas comment il s’était retrouvé là, ni ce qui viendrait après. Tout juste ressentait-il la peur, l’appréhension, matérialisée par une boule dans son ventre.
On lui fit remplir des formulaires illisibles. Il ne parvenait à se concentrer sur les mots qui semblaient sauter dans tous les sens et se fondre sur le papier. Former une rivière d’encre chaotique, un lac en ébullition. Des gens en blouse blanche lui parlèrent aussi, mais ils n’étaient rien d’autre que des présences à la voix lointaine. Il comprenait sans entendre, percevait sans être.
Tout ce qu’il ressentait, c’était ce poids dans sa poitrine. Ce poids lourd du destin terrifiant, presque prophétique. Il n’aurait pas dû avoir peur. Quelque chose lui disait qu’il ne devait pas avoir peur. Et pourtant, sa poitrine ne se desserrait pas.
L’instant d’après, il était allongé sur une civière. Quelqu’un était là, allongé sur un autre lit à côté. Fidget tendit le bras, et une main vint attraper la sienne. Une main douce et chaude, rassurante. Une main qui sembla absorber ses soucis, une ancre à laquelle se raccrocher.
D’autres présences en blouse blanche vinrent bientôt entraver ce contact. Les formes s’agitaient autour de lui, bruyantes, confuses. Le lion sentait les courants d’air de leurs mouvements sur sa peau nue. Pourquoi devait-il porter cette tenue ridicule ? À quoi servaient ces normes d'hygiène ? Il était un monstre, il ne pouvait pas attraper une infection.
Alors ses pensées oublièrent ce qu’il se passait autour de lui. L’univers entier sembla disparaître en un clin d’œil. Et quand Fidget rouvrit les yeux, une vive lumière l’aveugla. Il sentit soudain quelque chose sur son visage. Un poids qui couvrait sa bouche et son nez et ses yeux. Une présence étrangère qui le faisait presque paniquer. Qu’était-ce ? Qu’est-ce qu’on était en train de lui faire ?
Le lion tenta de se débattre, mais ses muscles ne répondaient plus. Il sentit un liquide glacial se répandre dans ses veines alors que la panique montait en lui. Où est-ce qu’il était ? Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Fidget voulu regarder autour de lui. Son corps refusa. Il était en train de sombrer, de se séparer encore davantage de l’univers qui faisait déjà si peu de sens.
Soudain, il sentit comme un coup directement à l’intérieur de son cerveau. Comme si ses méninges du milieu avaient décidé de frapper ceux de devant. Alors, même ses pensées elles-mêmes ne firent plus de sens. Fidget ne put plus lutter, et le monde prit fin.

Le lion se réveilla en sursaut. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler où il était et échapper à la brume des évènements qu’il venait de revivre. Il poussa un grognement, irrité par les tremblements de son siège. Pourquoi fallait-il toujours emprunter les routes les plus dépravées ? Alors que Fidget clignait des yeux pour s’adapter à la lumière, les filaments de conscience qui avaient constitués son rêve s’évanouirent, laissant simplement l’angoisse derrière eux. L’appréhension pure, après l’avoir poursuivi dans la nuit, était révélée en plein jour.
Ses pensées se tournèrent immédiatement vers leur destination, n'arrangent pas son état. Fidget, dans un réflexe nerveux, porta la main à son cou pour ajuster le collier. Mais son poing ne se referma que sur du vide. Il ne s’habituait toujours pas à sa nouvelle condition, alors même qu’il était sur le point de la perdre.
Ces derniers jours s’étaient écoulés en un battement de cils. Depuis sa dispute avec Skye, ils n’avaient pas reparlé de sa mission. À son grand désarroi, Fidget avait pu sentir la tension. Il s’était dit que cela allait passer, mais il avait la douloureuse sensation d’avoir quitté son amante sans que tout soit dit entre eux. Peut-être était-ce pour le mieux ; peut-être cela lui donnerait une raison de se battre.
Quoi qu’il arrivât, le lion ne connaîtrait jamais les regrets.
Et puis, il y avait eu l’opération. On les avait prévenus que c’était dangereux, que c’était mal maîtrisé encore, presque comme pour les dissuader. Mais ils étaient trop engagés désormais pour faire demi-tour. Au final, tout s’était bien passé. Fidget ne se souvenait que d’avoir tenu la main de Skye avant l’opération, et de la sensation bizarre du masque sur son visage, le reste noyé dans une brume d’anesthésie et d’impatience.
Au réveil, ses pensées avaient été un peu floues, et il avait mis un petit instant avant de percuter ce qu’il s’était réellement passé. Puis, dès qu’il avait pu, il s’était précipité pour voir si Skye allait bien.
Et ça avait été une des plus belles visions qu’il lui avait été donné de voir. Lui faisant monter les larmes aux yeux. Il était resté là, abasourdi, à dévorer des yeux le cou libre de son amante. Puis il avait ressenti cette douce émotion en lui, ce n’était pas de l’amour, ou du soulagement ; il était fier. Fidget était fier d’avoir été capable de faire cela. Il était fier d’avoir pu offrir un tel cadeau à Skye.
D’ailleurs, la façon dont elle l’avait regardé l’avait fait se sentir, durant un instant, comme le plus heureux des êtres.
Une nouvelle secousse le ramena à la réalité. Il regarda tristement à travers la fenêtre. Fidget aurait tant souhaité que son souvenir ait duré éternellement. Il aurait tant aimé être encore là-bas.
Mais il était ici, sur le point de faire ce qui était - sans doute aucun - la chose la plus dangereuse de sa vie. Skye avait raison, il était stupide. Toutefois, l’éclat qu’il avait vu dans les yeux de la louve à son réveil valait toutes les vies du monde. Cette mission valait le coup, si c’était ce qu’il fallait pour la faire se sentir ainsi, même juste une seconde.
Fidget était satisfait. Sa vie était réussie. Cependant, il lui restait tant à vivre encore… La boule se resserra au creux de son estomac ; il parlait déjà comme un condamné, mais il ne voulait pas mourir. Il s’était promis de s’en sortir. Il lui avait promis de s’en sortir.

Ils avaient dépassé le dernier village depuis plus d’une demi-heure quand le camp apparut enfin au loin. La ligne grise se détachait de l’horizon, la fumée opaque qui s’élevait vers le ciel semblable au doigt accusateur d’une divinité, pointé avec véhémence sur le complexe
Alors qu’ils n’étaient plus qu’à quelques kilomètres, le véhicule sorti de la route principale, empruntant un chemin qui se mit à gravir. La région recluse était entourée de montagnes. Et même si l’air glacial ne suffisait pas en cet instant à givrer le sol, les sommets blancs laissaient présager que cela serait amené à changer.
L’altitude nouvelle leur permit de mieux voir le camp dans la distance. Il leur paraissait tout plat d’ici, comme un tatouage répugnant sur la face du monde. À côté du béton aussi omniprésent que terne, les falaises rocheuses semblaient un arc-en-ciel de diversité.
Et à mesure que la perspective leur révélait l’étendue du camp, la mer anthracite semblait sans fin. Elle recouvrait le fond de la cuvette sur des dizaines d’hectares, peut-être des centaines. Les entrepôts se multipliaient sans fin, bien séparés par des routes larges aux formes géométriques. D’autres bâtiments étaient parsemés ici et là, le tout dans une configuration modulaire qui avait dû faciliter la construction. Dans toutes les directions, le même motif se répétait. Si l’on ignorait ce qui se trouvait ici, on aurait pu croire à un grand complexe industriel. Une usine ou un abattoir quelconque ; si ce n’était pour la ligne de clôture barbelée tout autour, comme des pointillés dans la distance.
Leur voyage prit fin avec un air de couperet. Tant qu’ils roulaient encore, la perspective du camp semblait lointaine pour Fidget. Mais désormais, où qu’il regardait le lion ne pouvait se soustraire à l’atmosphère de fin du monde. Les montagnes semblaient concentrer la souffrance, réverbérer la détresse des âmes qui lui parvenait comme un puissant écho.
Même à cette distance respectable Fidget se sentait mal à l’aise. La nature lui semblait plus faible, les animaux plus rares, le silence plus étouffant. Il sentait une terreur étrange - presque surnaturelle - se fondre autour de lui, prête à l’assaillir à tout instant. Le lion n’aurait pas été surpris de voir passer un cryptide entre les troncs, une créature cristallisant les pires horreurs. Peut-être même un Grand Ancien aperçu furtivement dans les monts lointains.
Peut-être cela aurait-il été préférable.
Car le monstre qu’il contemplait dans la vallée était on ne peut plus réel. C’était une bête tellement plus froide, faite d’acier et de raison. Un outil, un système inévitable. Elle n’avait pas de propension instinctive au carnage. Elle n’était pas un être que l’on tenait à distance. Elle n’avait ni sang à verser ni cœur à transpercer. Elle était un processus, une idée, aussi volatile qu’omnipotente. Inévitable.
Mais le lion ne pouvait pas fuir comme le lui intimait chaque fibre de son corps. Il se força à descendre, à quitter la protection du véhicule. Là, dehors, il se sentait soudain bien plus exposé, bien plus vulnérable.
-Deux d’entre nous vont t’accompagner, Fidget. Les autres resteront ici.
Le commandant de la mission s’approcha. Le lion s’arracha au spleen qui menaçait de l’engloutir à tout instant, la mélancolie qui collait à la peau comme un brouillard invisible.
-Prépare toi et vous pourrez y aller. Vous êtes à une heure de marche, maximum.
Fidget acquiesça, et s’avança vers le coffre d’où on avait déjà sorti le matériel nécessaire. Un soldat l’aida à troquer sa tenue de la résistance contre un haillon de prisonnier. Pour l’instant, il y ajouta un lourd manteau. Mais le lion savait qu’il devrait le quitter bien trop tôt, et affronter la morsure du froid en plus du reste. Il se demanda si les humains avaient justement choisi cet endroit pour ça - comme punition supplémentaire -, ou bien uniquement parce qu’il était si reculé.
Un autre monstre le prit à parti pour lui expliquer le fonctionnement du matériel. Il lui tendit un minuscule tube de plastique pas plus grand qu’un rouge à lèvres, et une plaque qui mesurait tout au plus cinq centimètres de large pour vingt de long.
-Le tube est une caméra portative, lui dit l’ingénieur. Tu pointe la face noire vers ce que tu veux prendre en photo, et tu appuies sur le bouton de l’autre côté. C’est silencieux, et il y a assez de batterie pour une semaine.
Le monstre reprit l’appareil photo puis dévissa le bout où se trouvait le déclencheur. À l’intérieur était rangé un petit fil. Tapotant la plaque du doigt, il ajouta ;
-Ça c’est un émetteur. Tu branche le câble sur un des petits côtés, et ça enverra tout ce qu’il y a dans la mémoire de l’appareil. Nous, on restera ici tout le long, donc essaies d’orienter la face large dans notre direction. Surtout, garde le bout vers le ciel ; ce n’est pas un tuyau, les ondes sortent perpendiculairement à l’axe de la longueur, pas dans la direction où il est pointé. Compris ?
-C’est bon, je sais comment marche une antenne, grommela Fidget.
Le lion reprit le matériel et le fourra dans deux poches habilement dissimulées sous son haut débraillé. C’était tout ce sur quoi il pourrait compter une fois à l’intérieur.
Enfin, un autre soldat le prit à part. Un de ceux qui l’escorteraient jusqu’à la bordure du camp. Le monstre lui tendit une paire de jumelles, et indiqua une direction sur sa boussole.
-J’ai inspecté la clôture. Il y a des trous un peu partout, le complexe ne semble pas en très bon état.
-C’est bizarre. On est sûr qu’il est toujours en activité ?
-Oui, il y a du mouvement. J’imagine qu’ils pensent simplement que le grillage est là pour faire joli. Les montres ne peuvent pas partir de toute façon, même si on leur ouvrait la porte, railla-t-il.
Fidget hocha la tête, et le soldat reprit ;
-Quoi qu’il en soit, ça va nous faciliter la tâche. C’est ton ticket d’entrée, mais aussi de sortie. D’après ce que j’ai vu, c’est une zone un peu à l’écart, mais pas très fréquentée. Tu devrais pouvoir te faufiler rapidement.
-Compris.
Les préparatifs se prolongèrent durant quelques minutes, suite à quoi Fidget fût prêt à partir. Toutefois, avant de commencer la descente, il lui restait encore l’élément le plus important à équiper.
Là, posé sur une table d'appoint, se trouvait une réplique du collier. Si fidèle qu’une partie de son esprit s’alarma un instant, craignant un piège. L’animation de l’écran était impossible à distinguer de la vraie, le cuir du collier avait la couleur que le lion avait si souvent vu dans le miroir, et présentait même des marques d’usure caractéristiques. Il se demanda si, en réalité, la résistance n’avait pas réutilisé le cuir inoffensif de son vrai collier.
Fidget sentait les regards posés sur lui. L’instant se prolongea avec une solennité presque religieuse. Le lion souleva la réplique. Il eut un instant d’hésitation, puis passa les mains autour de son propre cou. La fermeture était à usage unique ; ils devraient couper le collier une fois la mission finie. Il l’ajusta bien, jusqu’à ce que la parure retombe pile dans le sillon encore creusé dans sa fourrure.
Même au port, ce collier ne se distinguait pas du vrai. Fidget se sentit oppressé un instant, mais cette fois, il resta libre de ses mouvements. Aucun lien ne vint entraver son âme. Il poussa un long soupir, appréciant ce moment comme son dernier.
Puis les monstres s’écartèrent autour de lui, laissant le passage libre vers la forêt. Et Fidget s’y engagea.

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Niveau 10
25 janvier 2019 à 18:38:21

2

Le lion se tenait à l’orée du bois, escorté par les deux soldats. Devant eux s’étendait la plaine, et plus loin encore - cinq cents mètres au bas mot - la clôture du camp. Cela faisait un moment qu’ils marchaient ; Fidget avait décidé de se reposer un peu avant d’entamer l’étape la plus périlleuse.
En effet, entrer sans se faire voir était une tâche plus simple à énoncer qu’à accomplir. Et la bande de terrain dégagé ne facilitait pas les choses. Heureusement, il n’y avait pas de miradors de ce côté du camp, mais pendant deux bonnes minutes Fidget serait totalement à découvert. Un regard malencontreux suffirait pour signer son arrêt de mort.
À moins que ses vêtements gris et sa fourrure sale l’aident à se fondre dans le paysage.
L'appréhension était à son paroxysme. Fidget prit de grandes inspirations pour tenter de trouver le calme, sans grand succès. Il était comme un bâton prêt à rompre ; seule l’action suffirait à le soulager. C’était bientôt l’heure, il le savait. Il n’avait qu’un mot à dire, un geste à faire, et pourtant sa gorge était serrée, ses muscles tétanisés.
-Je vais y aller, se força-t-il à murmurer.
Le monstre à sa droite hocha la tête et fit un pas un avant. Il reprit le manteau, s’assura qu’ils n’avaient rien oubliés, et vint regagner sa place un peu plus en arrière, au couvert des arbres.
Fidget s’étira. Il se balança sur ses pieds quelques instants, réunissant le courage nécessaire. Il pensa à la résistance, à sa mission, à ce qu’avaient fait les humains, pour tenter de se donner de la force. Le lion avança de quelques mètres. Il était pleinement visible maintenant, il n’avait plus le choix, il devait se lancer.
Alors c’est ce qu’il fit.
Puisant dans toutes les ressources de l’entraînement, tel un athlète durant la course de sa vie, Fidget courut le plus vite qu’il put. Il savait qu’il ne pourrait sprinter que quelques dizaines de secondes, mais c’était toujours ça de gagné. Le lion ne regarda pas en arrière, uniquement concentré sur son objectif, sur cette faille dans la clôture qu’il ne voyait pas encore. Son cœur battait à tout rompre et son souffle était rauque, mais il fit taire son corps pour en tirer encore quelques mètres à pleine puissance. Qu’est-ce qu’étaient quelques secondes à l’échelle d’une vie ? Rien, et pourtant la souffrance irradiait dans tout son corps et il lui semblait s’écouler une décennie entre chaque inspiration.
Fidget regrettait de n’avoir pas fait plus de cardio. Le lion n’aurait pas dit non à un meilleur souffle, à un cœur plus puissant. Il était sur le point de craquer, et n’atteint que péniblement la moitié avant de fortement ralentir. Tout se passait dans la tête, pourtant il lui semblait que son esprit n’était qu’une digue pathétique face au raz de marée incarné par son corps douloureux. Mais il s’efforçait de continuer. Sa respiration était si forte qu’il craignait être entendu à des kilomètres. Le sang battant bouchait ses oreilles et obscurcissait sa vue. Cependant, l’air frais de la montagne était comme une bénédiction. Sa fourrure emmagasinait la chaleur, et il se serait sûrement effondré sans cette aide extérieure.
Il n’était plus qu’à une centaine de mètres. Cela lui redonna du courage, et il s’élança sur les dernières secondes. Plus que quelques foulées, plus qu’un pas, et enfin il se laissa tomber, haletant, tentant de récupérer ses forces avant de se faufiler sous le grillage.
Fidget regarda la distance qu’il avait franchie avec une certaine fierté. Il ne distinguait plus ses compagnons - ni le véhicule plus haut dans les montagnes pour ce qu’il en était -, en revanche eux devaient toujours le voir au travers de jumelles. Il leur fit un petit signe au cas où.
En se retournant vers le camp, Fidget eut des sentiments contradictoires. D’un côté, il lui semblait bien plus appréhendable maintenant qu’il était trop proche pour constater sa grandeur, un peu comme il était impossible de contempler le sommet d’une montagne en se trouvant à son pied. Mais de l’autre, il n’aurait pu se trouver plus près de l’épicentre de terreur qui rayonnait dans toute la région. Il était au bord du trou noir, à l’horizon des évènements. Par-delà ce grillage, qui savait ce qu’il pourrait trouver ? Le monde tel qu’il était cessait d’exister, pour laisser place à un lieu qui ferait pâlir de honte plusieurs paliers de l’enfer.
Il était trop tard pour faire demi-tour désormais. Le trou n’était qu’à quelques mètres. Fidget s’approcha et, en tâchant de ne pas faire le moindre bruit, se glissa de l’autre côté. Il était entre deux bâtiments de béton, dans une petite allée. Mais surtout, il était en territoire ennemi, dos au mur.

Le camp était labyrinthique. Dans cette partie qui semblait réservée au personnel, il aurait été plus qu’aisé de se perdre. Heureusement, le lion avait pris soin de bien étudier le chemin à suivre. En réalité, l’endroit qu’il devait rejoindre n’était pas si loin. Et même si le camp faisait la taille d’une ville, les grandes allées bien droites minimisaient les bifurcations.
Fidget avançait méthodiquement, se cachant au coin des bâtiments et tendant bien l’oreille pour ne pas se faire surprendre. Au lieu d’user de vitesse, il devait cette fois privilégier la lenteur calculée, la discrétion absolue. Rien ne pressait, les couverts étaient nombreux, et ç’aurait été d’une grande incompétence de sa part que de se faire prendre. Presque mérité.
Quelques fois, le lion avait entendu des humains passer non loin. Il avait même dû se terrer derrière un container tandis qu’il avait senti les présences juste de l’autre côté. Fidget avait craint que la mission - et sa vie - ne se terminent bien trop prématurément. Mais finalement il était parvenu à naviguer le camp sans encombre. Cela s’annonçait bien.
Cependant, il devait encore trouver un moyen de pénétrer l’enceinte intérieure. Il avait atterri dans le quartier réservé aux humains ; une nouvelle barrière en métal s’élevait, l’empêchant de rejoindre l’endroit où il était censé se trouver.
Fidget longea le grillage. De l’autre côté, il voyait quelques monstres par moment. Toutefois la plupart semblaient réunis dans une cour au loin. Probablement l’endroit central du camp. Il se souvint de son propre passage. C’était là où il se trouvait la plupart du temps ; s’il n’était pas au travail forcé.
Au bout d’un moment, il parvint à ce qui semblait être des bâtiments en dur. Ils étaient encastrés dans la clôture, l’entrée dirigée vers l’intérieur. Fidget en fit le tour, guettant quelque passage qui lui permettrait d’entrer facilement. Cela commençait à faire trop longtemps qu’il était bloqué dans l’entre deux à son goût. Il devenait urgent de trouver un moyen de passer ce grillage.
Malgré les fenêtres percées dans les murs, Fidget n’avait aucune chance de passer par là. Elles étaient malheureusement bien trop hautes pour le lion. En effet, le rebord du bas devait bien atteindre les deux mètres cinquante, peut-être trois mètres. Les humains avaient prévu le coup. De toute façon, les ouvertures étaient gardées par d’épais barreaux de métal.
Cela dit, les barreaux semblaient vieux. Certains s’étaient déjà défaits, et gisaient au sol, à moitié enfoncés dans la terre meuble ou bien grignotés par les éléments. D’autres encore paraissaient sur le point de se détacher, pourvu qu’on les aide un peu.
Une idée lui vint. En marchant, il avait vu de nombreuses caisses plus ou moins grosses. En réalité, les plus grandes lui permettraient facilement d’atteindre les fenêtres, mais il n’y avait pas moyen de les déplacer discrètement. En revanche, Fidget en avait vu quelques autres qui devaient faire un petit mètre de côté. Juste assez pour les transporter confortablement, et suffisant pour faire un empilement à bonne hauteur.
Le lion fit plusieurs fois le tour des bâtiments, cherchant la meilleure ouverture. Il en trouva une presque entièrement déblayée. Il n’était pas sûr de pouvoir enlever les barreaux restants, toutefois il pensait pouvoir se glisser à l’intérieur même s’il n’y parvenait pas.
Fidget se mit alors en quête des caisses qu’il avait aperçues. Elles n’étaient pas bien loin. Sans trop de difficultés, il les ramena au pied du mur, où il fit une petite pyramide ; deux au sol, et une au-dessus.
De là, le lion entreprit d’escalader sa construction bancale. C’était l’étape la plus critique : complètement exposé, et nulle part où se cacher s’il entendait des humains arriver. Il tâcha de ne pas y penser alors que le haut de son corps arrivait tout juste au niveau de l’ouverture.
Comme il s’y attendait, le premier barreau céda sans trop forcer. Il l’envoya valser au loin, priant pour qu’il ne fasse pas de bruit en atterrissant, mais la barre de métal émis à peine un petit thomp étouffé. Fidget reprit son travail. Le deuxième barreau fut un peu plus dur à arracher, et il s’en voulu de ne pas avoir gardé le premier pour faire levier ou quelque chose du genre.
Cependant, ce fut le dernier qui lui donna le plus de fil à retordre. Il était positionné de telle façon à ce qu’il l’empêchait de prendre une bonne prise, tout en ne gênant pas vraiment le passage de son corps. Fidget aurait pu s’arrêter là, mais le risque de coincer son bras était grand.
Alors qu’il tâchait d’exploiter les fissures du mur, le lion entendit des voix s’approcher. Fidget tendit l’oreille ; pas de doutes, des humains étaient sur le point de débarquer. Il regarda à droite et à gauche, soudain prit d’une poussée d’adrénaline. Aucune issue. Rien. Pas même un passage où se glisser. Les caisses n’étaient pas assez grosses pour le dissimuler. Il était pris au piège.
Fidget n’avait pas le choix. Il prit appui sur le rebord de la fenêtre, hissant le haut de son corps. Les tractions n’étaient pas son fort, mais les voix qui se faisaient de plus en plus proches lui donnaient une énergie inattendue. Le lion passa le bras de l’autre côté, essayant de se tirer grâce à la face intérieure du mur. L’avant de son corps reposait désormais sur le petit rebord. Fidget avança un peu plus. Il était sur le point de basculer alors que les voix semblaient n’être plus qu’au coin du bâtiment. Mais le lion réalisa soudain qu’il n’aurait pas la place de se retourner ; il chuterait la tête la première, avec seulement un bras pour se rattraper.
Il n’avait plus le temps de réfléchir, et d’ailleurs il se demanda si la pensée ne lui était pas venue alors qu’il tombait déjà. Dans un ultime effort, Fidget se propulsa à l’intérieur. Ses jambes râpèrent sur le béton, et le sol se rapprocha à vive allure.

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Niveau 10
25 janvier 2019 à 18:39:05

3

Le lion s’effondra lourdement par terre. Une intense souffrance le prit à l’épaule. C’était plus douloureux que tout ce qu’il avait pu connaître jusque-là, et il lui fallut un contrôle absolu pour ne pas hurler. Il n'entendit même pas les humains passer tant l’impact lui avait coupé le souffle. La douleur à son épaule irradiait dans tout son corps, lui donnait la nausée. Il ne pouvait que se tordre au sol, incapable de respirer ou de crier ou de penser.
Quand enfin ses sens lui revinrent, Fidget tenta de se relever. Il devait continuer, pousser de l’avant. Il était dedans désormais ; paradoxalement, il était à l’abri. Pourtant, son bras refusa de lui obéir, envoyant une nouvelle salve de douleur pulser dans tout son corps. Le lion se mordit les lèvres et resta allongé, recroquevillé.
Le reste de son corps lui semblait plutôt épargné. Il aurait de gros hématomes, mais rien d’urgent. En revanche, il commençait vraiment à s’inquiéter pour son épaule. Fidget essaya à nouveau de bouger, sans y parvenir. Son bras était comme fait de plâtre, totalement engourdi.
Avec sa main encore valide, le lion vint palper la blessure. Il n’y avait pas de sang. En revanche, la forme était clairement anormale. Est-ce qu’il s’était cassé l’épaule ? Est-ce que cela était possible au moins ? Mais, même cassée, il devrait au moins pouvoir la bouger, non ? Une nouvelle tentative lui apprit qu’il pouvait en effet bouger légèrement, mais la souffrance était bien trop intense pour faire le moindre mouvement significatif.
Derrière lui, le lion entendit des pas. La situation lui revint à l’esprit. Il était blessé - neutralisé - dans un endroit hostile et totalement inconnu. Il pouvait parfaitement être dans un endroit interdit, et sa position ne laissait aucun doute sur ce qu’il venait de se passer. Fidget tourna la tête à gauche et à droite, apercevant des lits alentours. Il était dans un dortoir ? Au moins, il avait plus de chances d’être découvert par un monstre.
Et c’est ce qui arriva. Au-delà de ses yeux vitreux le lion vit un visage curieux se pencher sur lui. Fidget émis un soupir de soulagement. Toutefois, il n’était pas complètement tiré d’affaire pour autant. Il ne pouvait pas faire confiance à un monstre qui portait un collier. Et s’il avait reçu l’ordre de rapporter le moindre comportement suspect ? Et s’il décidait juste de ne rien faire, perdu dans les brumes du désespoir ? Fidget savait bien l’effet que les camps pouvaient avoir sur l’esprit.
Le monstre inconnu s'agenouilla à côté de lui.
-Tu es tombé de là-haut ? Demanda-t-il.
Fidget hésita à répondre. Mais, finalement, que risquait-il de plus ? De toute évidence, il ne pourrait pas se déplacer seul. Alors il était bien obligé de lui faire confiance. Le lion murmura un oui inaudible en hochant la tête, grimaçant de douleur.
-Je vois, répondit le monstre. Je ne veux pas savoir comment.
Il fit une pause, et reprit ;
-Je vais t’aider à te relever. Ton épaule est dans un sale état.
Fidget serra les dents pour retenir une exclamation. Son épaule était comme un millier de pics plantés droit dans ses nerfs, tiraillant les fibres ultra-sensibles à chaque mouvement. Le monstre l'adossa à un des lits, et Fidget fit ce qu’il put pour trouver une position confortable, sans trop de succès.
Puis le monstre vint toucher la blessure, palpant la chair pour tenter de percevoir les os en dessous. Le lion glapit de surprise, haletant pour chasser la douleur. Il tâchait de penser à autre chose, de s’imaginer autre part, dans un endroit confortable. Mais c’était inutile tant les éclairs qui le traversaient étaient obsédants.
-Je suis pas médecin, fit finalement le monstre, mais je crois pas que ce soit cassé. J’ai plus l’impression qu’elle est démise.
-C’est à dire ? Gémit Fidget.
-Elle est démise… Enfin, tu vois ce que ça veut dire ? Tu connais ?
-Oui oui, répondit impatiemment le lion, mais qu’est-ce que je fais ?
-Il n’y a pas vraiment le choix. Je vais te la remboiter.
Le lion eut un mouvement de recul, qui ne le fit que se contracter davantage. Il prit une grande inspiration.
-Ok.
-Ça va faire mal.
-Ok.
-D’accord. Je compte jusqu’à trois. Un… Deux…
Le monstre tira violemment sur l’articulation, et Fidget put sentir la chair et les tendons bouger à l’intérieur de son corps. La nausée le prit alors qu’il se pliait en deux, incapable de lutter contre le réflexe. Il resta sans voix quelques secondes, les larmes montant aux yeux. Fidget revivait la chute une deuxième fois. Son bras lui semblait complètement tétanisé, comme s’il s’était allongé dessus trop longtemps. Seulement, au lieu de la sensation de picotements habituelle, c’était des vagues de douleur qui provenaient du membre, des raz-de-marée, de véritables tsunamis insupportables.
Et puis la souffrance diminua peu à peu alors que le bras se réveillait. Fidget reprit une respiration normale et se redressa. Prudemment, il leva un peu le bras, contemplant le mouvement à la façon d’un miraculé. Cela faisait mal, vraiment mal en fait, mais ce n’était rien à côté de ce qu’il venait de subir.
-C’est bon ? Demanda son sauveur.
-Oui, merci, fit-il en hochant vigoureusement la tête. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Merci, merci beaucoup.
Le monstre se releva, dominant le lion de toute sa hauteur.
-De rien. Je n’ai fait qu’aider un frère dans le besoin, répondit-il d’une voix sans émotion. Ne bouge pas trop ton bras, il va te falloir un moment pour guérir.
-Sérieusement, je te revaudrai ça. Quand tu seras sorti. Je fais partie d’une organisation. Si tu me croises un jour, si-
Le monstre leva la paume de sa main, lui faisant signe de ne pas en dire davantage.
-Tu viens d’ailleurs, ça se voit. Mais je ne veux pas en savoir plus. Je ne veux pas d’autres problèmes.
Le lion voulu répondre quelque chose, cependant il resta silencieux. Le monstre avait raison, il ne savait pas ce qu’il lui avait pris d’en révéler autant d’un coup. Était-ce l’adrénaline ? Le soulagement ? Le stress ? Fidget hocha la tête d’un air entendu, tâchant de se remettre dans l’état d’esprit de rigueur. Il s’était trop facilement habitué à l’extérieur. Il devait reprendre les vieux réflexes.
Le monstre inconnu se dirigea vers la sortie. Mais alors qu’il passait le seuil, il s’arrêta, hésitant. Finalement, il se retourna et dit ;
-On ne se connait pas.
-Non en effet.
-On ne s’est jamais vu.
-Je vois.
-Si quelqu’un te demande, on ne s’est jamais parlé.
-Pas de soucis.
Fidget doutait que les affaires de deux monstres intéressent qui que ce soit, surtout ici, mais il lui devait bien ça. Son aide avait été inestimable, et le lion fit un effort pour bien mémoriser son visage au cas où il le reverrait une fois dehors.

Fidget resta assit là pendant un long moment. Plusieurs monstres passèrent devant lui. Sans surprise, aucun ne s’arrêta, aucun ne lui demanda s’il avait besoin d’aide, ou simplement n’engagea la conversation. Au final, il avait eu beaucoup de chance de tomber sur celui qui l’avait secouru.
Il en profita pour prendre quelques photos quand personne n’était dans le coin. Il n’y avait pas grand-chose à voir, et il était certain que la luminosité devait être exécrable. Sans compter le flou ou l’angle. Le lion n’était pas photographe, et cela se ressentirait sans aucun doute sur les images. Mais bon, il faisait comme il pouvait.
Ce fut la faim qui le tira de son attente. Et le froid. Le bâtiment n’étant pas chauffé, sa fourrure ne pouvait le protéger éternellement. Cela faisait à peine quelques heures qu’il était là, et les problèmes s’accumulaient déjà. Toutefois, sa dépendance le surprit. Il s’était longuement passé de telles accommodations, et pourtant il lui semblait aujourd’hui difficile de s’en séparer. C’était étonnant comme l’on s’habituait si vite au confort.
Le plus difficile fut de se lever. Une fois debout, Fidget plia son bras et s’aida de celui encore valide pour le soutenir, se tenant chaud au passage. Il ne renvoyait pas une image très confiante, et cela pourrait lui jouer des tours. Ou le sauver. Il ne savait pas comment se comportaient les gardes ici ; s’ils préféraient harceler les faibles ou mater les courageux.
Le ciel était sombre, et la luminosité déjà basse. Aucun moyen de savoir l’heure, sinon en regardant le soleil invisible derrière les gros nuages gris. Fidget estima que l’astre devait être couché. Bientôt les jours se rallongeraient, mais pour l’instant ils restaient courts. Surtout en montagne.
Il se demanda s’il neigerait. Le froid était mordant, mais peut-être pas suffisamment pour maintenir un manteau gelé. Cela dit, qu’il neige ou pleuve faisait peu d’importance ; le danger de l’eau était le même. Et encore, il avait de la chance, il n’y avait pas de vent pour l’instant.
L’organisation du camp était plutôt simple. Le lion n’eut pas de mal à trouver la cour principale. Toutefois, nulle trace d’un quelconque bâtiment commun en dur où se réfugier. S’il y avait un réfectoire, ce n’était pas encore l’heure. Et s’il n’y en avait pas… Fidget préférait ne pas y penser.
Grelottant désormais dans la fraîcheur nocturne, le lion essaya de se rappeler comment il avait survécu la première fois. D’une certaine façon, c’était facile. Il pouvait juste s’abandonner au collier. Alors qu’aujourd’hui il devait non seulement trouver la force d’avancer seul, mais aussi se concentrer pour prendre la même démarche désarticulée que ceux qui l’entouraient.
Il se dit que c’était peut-être le bon moment pour prendre des photos. Avant que la nuit noire comme du charbon ne recouvre complètement le camp. Discrètement, il sorti le cylindre, et commença à capturer tout ce qu’il pouvait : un attroupement figé sur place, du sang sur le sol, une cicatrice récente, un mur couvert d’impacts, un dos portant les traces des matraques. Il aurait voulu pouvoir photographier l’entrée du camp. Les pleurs glaçants qui hantaient ses souvenirs. Mais peut-être le vide de cet endroit surpeuplé parlerait-il plus fort que n’importe quel visage déchiré.

Alors que Fidget s’acclimatait peu à peu au camp, il ne parvenait à se défaire du malaise constant. Le lion laissait son regard se promener un peu partout, sans parvenir à se rassurer. Il épiait chaque recoin, à la recherche de quoi que ce soit d’anormal, tel un animal en cage, s’étant pourtant enfermé volontairement.
La nuit était tombée depuis longtemps lorsque la foule se mit enfin en marche. Le silence nocturne succomba aux battements répétés des pas sans âme. Aucune individualité ne subsistait face aux colliers, et Fidget aurait été bien en peine de trouver le moindre réconfort en ses semblables. Il ne pouvait même pas se réfugier dans la contemplation des étoiles ; le ciel noyé sous la puissante lumière des projecteurs.
Tel un troupeau, les monstres furent guidés dans une nouvelle enceinte. Puis dans un bâtiment qui se dérobait à la vue jusque-là ; un entrepôt immense qui avalait le flot d’esclaves jusqu’à plus soif. L’intérieur agissait comme une gigantesque caisse de résonnance, accablant Fidget sous le bruit combiné de milliers de monstres. Et pourtant, ces sons ne le mettaient que plus mal à l’aise, car aucun n’était vivant. Aucun ne témoignait des êtres qui étaient réunis là. C’était des bruits de chaises, de couverts ou de pas, mais aucune parole ne flottait dans l’air, pas même un toussotement. Rien qui n'eût été produit naturellement.
Le lion regretta que sa caméra ne puisse prendre de vidéo, mais s’efforça tout de même de photographier un maximum de choses. Tout du long, il fit attention à ce qu’aucun garde ne soit en vue. Cependant la foule devait constituer une bonne protection, car il n’en repéra aucun. Ou bien ils ne voulaient pas se mêler à cette masse répugnante de corps collés les uns contre les autres et étaient restés dehors. Encore une fois, que pouvaient bien faire ces monstres ? Même sans surveillance.
Le repas était frustrant. Juste suffisant pour ouvrir l'appétit, mais pas assez pour vraiment nourrir. Fidget était conscient de l’absurdité de ce genre de pensées dans un tel lieu - il aurait dû s’estimer heureux d’avoir à manger tout court. Le lion s’était bien trop habitué aux conditions de la résistance. En même temps, est-ce que ce n’était pas le minimum de décence d’avoir suffisamment à manger ? Même chez ses maîtres il n’avait jamais eu faim.
Il y eut un sifflement, et la salle se vida aussi rapidement qu’elle s’était remplie. Fidget se laissa aller à la dérive, porté par le mouvement. Il avait l’impression de perdre conscience de lui-même et de son corps ; la journée avait été longue, et ce flux inarrêtable le berçait en quelque sorte. C’était étrange de se sentir ainsi partie d’un bloc massif, tout en sachant à quel point on en était différent. C’était triste surtout.
Le froid extérieur lui gifla le visage. Les centaines d’êtres avaient chauffé le réfectoire en un rien de temps, mais désormais qu’elle n’était plus contenue par l’enceinte de béton, cette précieuse chaleur s’évaporait, fondait sous la morsure du froid. Et même s’il était toujours plaqué et chahuté contre les autres monstres, l’air s'infiltrait dans les moindres recoins, comme animé d’une pulsion sadique.
Par-delà le grillage qu’il avait franchi quelques heures plus tôt, dans la zone réservée au personnel, Fidget voyait la lueur des lampes-torche se balader. Bien qu’il ne puisse compter le nombre exact, il y en avait tout de même une certaine quantité. Cependant, elles étaient toutes à l’extérieur, sans exception. Aucun humain ne s’approchait trop des monstres ; finalement, même avec le collier, on n’était jamais trop sûr…
D’ailleurs, maintenant qu’il y prêtait attention, Fidget réalisa qu’il n’avait pas vu tant de gardes que cela. Peut-être cela participait à le mettre légèrement mal à l’aise. C’était étrange - surprenant même. Le no man’s land entre l’enceinte et la liberté ne comportait pas énormément de soldats, pas autant qu’il l’aurait cru. Ses attentes étaient-elles déformées, ou bien les humains faisaient-ils à ce point confiance aux colliers ? Peut-être était-ce simplement un manque d’effectif ? Quoi qu’il en soit, le lion ne manquerait pas de faire mention de cela dans son rapport.
La foule se divisa bientôt. Des files émergèrent du torrent principal, prenant la direction de certains bâtiments. Fidget les reconnut pour avoir observé de loin durant la matinée ; c’était l’heure de se rendre dans les dortoirs, et il était en mauvaise posture.
En effet, le lion n’avait aucune idée d’où il devait se rendre. Est-ce que tous les habitats étaient pleins ? Est-ce qu’on les remplissait au hasard ? Par ordre d’arrivée ? À vue de nez, chaque construction abritait une centaine de monstres. Mais comment savoir s’il y en avait plus ou moins qui entraient ?
À force de passer de plus en plus de bâtiments, le lion voyait ses opportunités se réduire. Finalement, réalisant que la situation devenait critique, il décida d’entrer dans le premier qu’il croiserait. Fidget se déporta sur le bord de la foule, et suivi une des files, priant pour avoir un peu de chance.

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25 janvier 2019 à 18:39:39

4

L’odeur rance de sueur l’agressa immédiatement. Les matelas étaient fins sur les sommiers en métal - pour ceux qui n’étaient pas posés directement au sol. De toute évidence, il avait mal choisi ; celui où il s’était glissé plus tôt semblait en meilleur état. Fidget continua d’avancer, poussé par la pression des monstres derrière lui. Mais rapidement, il atteint le bout du couloir sans avoir trouvé de place. Il se retourna pour parcourir l’allée dans l’autre sens, se retrouvant bloqué par ses congénères en pleine préparation pour la nuit. Le lion prit son mal en patience. Une fois que tout le monde serait allongé, il lui serait plus simple de trouver un matelas libre.
Quand enfin la plupart des monstres s’étaient installés, Fidget rebroussa chemin. Plein d’espoir, son cœur s’enfonça un peu plus profondément dans sa poitrine à chaque lit occupé qu’il croisait. Ses craintes semblaient s’avérer. Et lorsqu’il atteint la porte où il était entré, le lion était complètement accablé. Aucune place, pas même une pauvre paillasse dans un coin.
Fidget retourna dans le fond du bâtiment, complètement désemparé. Inquiété par sa respiration qui se condensait encore à moitié, le lion ne savait quoi faire. Un instant, il hésita à ressortir. Mais le silence qui s’était installé au dehors l’en dissuada. Quoi alors ? Il ne pouvait pas se glisser dans le lit de quelqu’un, si ? Il regarda les deux trois couchettes alentours. Non, il n’y aurait jamais la place. Et même si cela avait été possible, les regards mauvais que certains lui lançaient lui déconseillaient de faire quoi que ce soit.
En un sens, il les comprenait. De toute évidence, Fidget était différent. Et la différence apportait les ennuis ; les monstres avaient bien compris cette leçon. C’était une maxime devenue instinctive, presque gravée dans leurs gènes. Si un garde entrait - ce qui assurément ne manquerait pas d’arriver - ce serait la fin. Cette pensée paniqua encore plus Fidget. Il tenta de se calmer, contrôlant sa respiration et ses muscles, mais il ne parvenait pas à aligner plus de deux pensées.
Le lion s’assit dans un coin. Le sol était froid sous son pantalon élimé. Une leçon qu’il avait appris pendant sa période d’errance dans la ville lui revint. Surtout, ne pas dormir par terre, directement en contact avec le sol. Le sol aspirait la chaleur, vous vidait de cette force vitale. Et jamais il ne se réchauffait sous votre corps ; c’était comme un trou noir aspirant encore et toujours plus de chaleur. Surtout s’il était fait de béton ou de terre. Et les hommes avaient optés pour les matériaux les moins chers en construisant ces camps.
Le lion espérait que l'atmosphère finisse par se réchauffer. Tous n’avaient pas de couverture, alors s’ils parvenaient à passer la nuit, c’était que lui aussi le pourrait. Déjà les respirations se stabilisaient, et il aurait pu jurer que l’air se faisait un peu meilleur.
Fidget leva la tête, posant malencontreusement le regard sur les ouvertures en haut des murs. Les fenêtres de barreaux qui n’offraient aucune protection face à l’extérieur. Le lion se tapit un peu plus dans son coin, espérant échapper aux courants d’air qui ne manqueraient pas de déferler dans la nuit. Mais c’en était trop.
Son épaule lui faisait mal ainsi contorsionnée, toutefois s’il s’ouvrait complètement, c’était le froid qui venait le balayer. Le lion craqua. Recroquevillé, des larmes se mirent à couler le long de ses joues. C’était stupide, cela allait lui donner encore plus froid. Sa raison lui criait que ce n’était rien, qu’il avait déjà vécu pire, de s’endurcir un peu. Toutefois l’instinct reprenait le dessus dans de telles conditions, la terreur innée de la mort à venir. Quoi de plus accablant que le tremblement de chaque fibre de son corps ? Qu’est-ce qui pouvait bien tordre plus les tripes que la brûlure du froid dans chaque nerf ?

Et pourtant, le lion survécu. Il n’avait pas dormi de la nuit, mais n’avait pas ouvert l’œil non plus. Pas bougé, pas pensé. Les heures s’étaient enchaînées dans une sorte de transe délirante, de litanie qui ne laissait qu’un trou noir derrière elle, un trou de mémoire. Seule la certitude de la souffrance subsistait.
Et pour la première fois, le lion douta. Le lion douta de la résistance, de son but, de ses motivations. Pourquoi était-il là ? Pourquoi, alors qu’on lui avait promis la liberté, devait-il la payer ainsi ? Pourquoi devait-il exécuter le plan de quelque inconnu confortablement installé à la base ? Pourquoi rester ici plus longtemps ? En plus, il n’avait même pas pris de photos. Fidget s’empara du cylindre, et voulut soudain le balancer à travers la pièce dans un accès de rage.
C’était plus que du doute, c’était du ressentiment. Une nuit comme celle-ci était fertile à la haine. Tout du long de ses pensées sans queue ni tête, il n’avait cessé de se dire au diable cette mission, au diable la résistance, au diable tout. Il s’était perdu dans ces objectifs flous, il avait perdu de vue son véritable but. Finalement, qu’avait-il vraiment à voir avec la résistance ? Ne s’était-il pas retrouvé en son sein un peu par erreur ? Sur un coup de tête ? Qui étaient-ils pour conditionner ainsi sa liberté quand ils avaient pleinement les moyens de la lui donner gratuitement ?
Et pourtant, le lion se leva. Il n’avait pas pris de photos de la nuit, et il fallait se mettre au travail. Comme si une autre personne venait soudain habiter son corps - une personne plus raisonnable - il oublia ce qu’il venait de penser. Rationalisa, trouva des excuses. Il captura les corps étendus dans la faible lumière. Pour compenser le matin tardif, on avait allumé les projecteurs, et Fidget en profita. La vision avait un certain côté artistique, tragique ; il espérait que l’appareil ait su le capturer.
Tous se réveillèrent exactement au même instant. Une coordination perturbante digne de machines. Le lion regarda, subjugué, les rangs se reformer. Les mouvements à première vue chaotiques se réunissaient pour former une danse parfaitement synchronisée. Chaque pas se faisait dans les traces du monstre précédent, chaque geste dans l’élan du groupe. En à peine une minute le bâtiment était déjà presque vide, et Fidget eut juste le temps de retrouver ses esprits pour se fondre dans la masse.
Dehors, la foule de la veille s’était déjà reformée. Là, il était plus facile de se cacher que dans le rang parfait du dortoir. Les files ne se mêlaient pas, mais celles de l’extérieur bloquaient la vue des gardes toujours derrière le grillage. Fidget profita de la marche pour réfléchir à un plan de fuite ; tentant par là même de détacher un peu son esprit de la réalité. Après tout, il n’avait pas besoin de rester très longtemps ici. Encore une nuit, peut-être deux s’il trouvait la force. Cependant, la présence des gardes était un mauvais présage ; s’il n’en avait pas croisé à l’aller, il craignait que le retour ne soit pas aussi simple.
Il repasserait sûrement au même endroit. Il ne serait pas dur d’empiler des meubles, et le trou était déjà fait. En plus, les monstres avaient visiblement le droit de se rendre là-bas n’importe quand. Fidget espérait simplement que le chemin serait aussi vide qu’à son arrivée. Il calcula rapidement le jour de la semaine, se rassurant en constatant qu’il ne s’était pas introduit pendant un jour de congé.
Le lion profita que tous les monstres soient réunis dans la cour pour émettre ses données. Le rassemblement offrait une belle couverture, et la montagne où l’attendait la résistance était directement dans sa ligne de vue. Dévissant l’embout de la caméra, il brancha celle-ci dans l’antenne et débuta la procédure de transmission. Orientant l’appareil correctement, il espéra que tout serait bien reçu. Il soupira mentalement, soudain encore plus las ; cette mission reposait sur tant d’inconnues… c’en était presque amateur. Mais Fidget tâcha de se rappeler pourquoi il faisait cela. De rendre le temps plus confortable.
Il se demanda ce à quoi Skye pouvait bien être occupée. Sans aucun doute se faisait-elle un sang d’encre, et le lion savait que tout son temps une fois rentré serait consacré à son amante. Il ferait tout pour se faire consoler, pour la réconforter et lui faire oublier ces jours douloureux.
Cela lui redonna un peu de courage. Il était fort. Il allait rentrer en héros. Personne ne verrait l’être pathétique qui avait passé la nuit à trembler ; pour ses semblables, il ne serait plus que celui qui avait triomphé des camps deux fois. Le fantasme était doux quand ses yeux lui montraient tant de misère.
Mais il savait que Skye verrait au-delà de tout ça. Et cela le força à y réfléchir davantage lui aussi. Fidget repensa à leurs derniers instants passés ensemble, déjà paradoxaux. Le lion n’était pas sûr de vouloir se rappeler comment il avait agit - la soirée avait été tellement plus mémorable. Il se souvint de tout ce qu’ils avaient fait, des sensations si délicieuses qu’il avait ressenties. Et cela lui fit du bien.

Le reste de la journée fut semblable à la précédente. Le soleil traversa lentement la vallée, quittant le couvert d’une montagne pour celui d’une autre. Fidget avait la gorge sèche de mutisme, mais au moins ses lèvres ne gerçaient pas. Ses doigts et ses pieds, en revanche, devenaient engourdis, et il s’agita comme il put pour tenter de se tenir chaud.
Fidget s’aventura prudemment dans une des allées à la recherche d’un bâtiment où s’abriter. Perdant ainsi le couvert du nombre, il devait prêter grande attention à se comporter le plus machinalement possible. En soit, même avec un vrai collier il aurait pu se déplacer normalement, cependant il ne voulait pas attirer plus d’attention que nécessaire. Être seul dans les passages était suffisamment inhabituel.
Cela dit, la marche lui offrit quelques informations supplémentaires sur le comportement des gardes. La journée, ils semblaient beaucoup moins présents ; surtout répartis autour des zones d’affluence. C’était logique, mais c’était tout de même bien à son aise. Il ne serait pas si dur de se faufiler.
Quand il trouva enfin un endroit où s’abriter, le lion constata que, comme la nuit, cela n’était pas très efficace. Toutefois, il y avait des lits de libres, et Fidget ne disait pas non à un endroit où s’asseoir. Ses jambes lui faisaient mal, et la couverture qu’il s’appropria l’aida un peu à regagner le contrôle de ses membres. L’idée d’être victime d’engelure le terrifiait, et il espérait que la température n’était pas assez basse pour de telles séquelles ; juste suffisante pour être douloureuse. Mais la rosée verglacée qu’il avait vu briller dans la matinée lui laissait supposer le contraire.
Finalement, il parvint même à trouver un peu de sommeil. Fidget sentait ses forces diminuer, les camps éprouvant rapidement son endurance. Survivre ici, ce n’était pas comme survivre en pleine nature ou dans les rues. Il avait faim, il avait froid, il avait peur, mais le tout à un degré tellement plus élevé que s’il avait été livré à lui-même. Sans compter les exigences supplémentaires qu’il infligeait à son corps pour paraître semblable aux autres monstres.
Il dormi d’un sommeil sans rêve, et en se réveillant, il avait encore plus froid qu’au matin. La couverture n’était que de peu d’utilité, mais il la garda tout de même bien enroulée autour de lui. C’était un vieux plaid troué et probablement souillé au-delà de ce qu’il n’osait imaginer, mais c’était une barrière de plus qu’il n’était pas en position de refuser. Grelottant en attendant que la chaleur ne revienne dans son corps - si seulement cela était possible - Fidget eut la vision d’une douche brûlante qu’il ne manquerait pas de prendre à son retour.
Cela lui donna presque envie de pleurer. Au-delà de l’effort physique et mental que représentaient les camps, ils étaient aussi un ouragan émotionnel. Les pensées et les sentiments s’écoulaient en lui sans relâche, épuisants de par leur intensité. Il pouvait être pris d’une euphorie intense ou d’une déprime insondable, de courage ou de désespoir. Fidget passait d’un extrême à l’autre comme un lunatique.

Le lion sorti du bâtiment en fin d’après-midi, l’estomac noué par la faim. Il lui restait encore plusieurs heures à patienter, et il partit en quête d’un endroit où passer la nuit ; on pouvait clairement voir si un lit était occupé ou non. Fidget ne comptait certainement pas recommencer une nuit recroquevillé dans un coin. Il lui fallut un moment, mais le lion parvint à trouver une place dans un bâtiment reculé. De toute évidence, les dortoirs étaient bel et bien remplis dans l’ordre. Si seulement il avait su ça avant...
Quand ce fut enfin l’heure de manger, il profita tant qu’il put de la chaleur des milliers de corps réunis. Ce simple confort était plus agréable encore que la nourriture. Fidget avait pu reprendre un poids normal à la base, et l’alimentation n’était en vérité pas un si grand problème. Non, cela jouait surtout sur le mental déjà affaibli. C’était un petit soulagement - un luxe - qui aidait à supporter la captivité. Cependant, il aurait volontiers troqué son assiette presque vide contre une heure supplémentaire à passer ici. Le plat était à peine tiède, et réchauffait bien moins que la proximité des corps.
Après cela, la marche en extérieure était juste ce qu’il fallait pour annihiler tout ce repos. Le froid était encore plus mordant que la veille, et le lion se félicita d’avoir pensé à trouver quelque part où dormir. Ses pas se faisaient au rythme de la foule alors qu’il s’efforçait de ne pas trembler. Le flot d’êtres s’assécha peu à peu pour ne laisser plus que lui et quelques autres. Une fois rentré, Fidget s’effondra sur le matelas miteux. Il se retourna longuement, grelottant en dépit de la couverture et des autres monstres tout autour. Mais c’était déjà mieux. Incomparable même. Le lion finit par s’endormir avec difficulté, passant la nuit dans un sommeil agité ; fiévreux malgré le froid.

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25 janvier 2019 à 18:41:08

5

Le lendemain, Fidget décréta que ce serait son dernier jour. Il avait pris largement assez de photos, envoyant le tout de la même façon que le jour précédent. Il lui manquait encore toutefois de la violence directe ; des coups de feu, de matraque, ou d’autres abus encore : pas de scène semblable aux douches de son premier passage cette fois. Et même s’il y en avait eu, Fidget ne s’y serait pas risqué. Impossible qu’il y coule de l’eau chaude. Cela dit, il n’allait pas se plaindre de ne pas avoir eu à assister à ce genre de choses. Les autres aspects du camp étaient suffisants - sans compter les séquelles sur les corps de ses semblables, qu’il avait pu bel et bien photographier.
Non, il sentait qu’il atteignait largement ses limites. À quoi bon les dépasser pour en tirer un minuscule bénéfice supplémentaire ? À quoi bon grappiller les derniers petits clichés, les derniers petits pourcentages de couverture ? Si l’expérience médiatique s’avérait un succès, il était certain qu’on enverrait quelqu’un d’autre. Peut-être filmerait-on de loin. Et si c’était un échec, eh bien, au moins il ne se serait pas risqué plus que nécessaire.
En effet, ces derniers jours n’avaient été qu’à propos de l’instinct de survie, l’obligation de se préserver. Il était temps de faire revenir sa sécurité au-devant de la scène. Plus il restait ici, et plus ses chances de connaître un destin tragique s’accumulaient. Peut-être qu’à un instant donné la probabilité de se faire repérer était très faible, mais sur une durée prolongée le lion était certain de commettre une erreur fatale.
Fidget écrivit “extraction aujourd’hui” dans le sol, avant d’en envoyer rapidement la photo à son escouade, et d’effacer précipitamment. Il espérait qu’ils voyaient les images qu’il transmettait au lieu de juste les stocker pour plus tard. Dans le cas contraire, il espérait être capable de retrouver son chemin jusqu’à la base provisoire. Le lion scruta la montagne, mais aucune trace n’était visible. Cela allait être compliqué, même si cette discrétion était une bonne chose quelque part…
Le lion avait également prêté attention au passage des gardes durant les deux derniers jours. Si ses souvenirs sur l’organisation du camp étaient corrects, il avait une idée plutôt sommaire du plan des patrouilles. Elles n’avaient pas été mises en place par un génie, et cela allait à son avantage.
Dans l’ensemble, il ne serait pas trop dur de parcourir la zone des employés dans l’autre sens. Le seul moment à risque serait le passage sous le grillage, et le sprint qui s’en suivrait. Fidget comptait reprendre le chemin de l’allée - ne souhaitant pas rajouter le risque de chercher un nouveau trou - mais cela signifiait composer avec le passage de plusieurs soldats. Il devrait être extrêmement prudent.
Mais la patience n’était pas un problème. Son existence à la surface lui avait appris à attendre, à saisir la bonne opportunité au bon moment. Il se mit à pleuvoir au courant de la journée. Le gros bruit des gouttes qui frappaient sur les toits de taule et de béton tirèrent le lion de ses réflexions. Fidget échafaudait des milliers de plans combinés, tentant de prévoir chaque possibilité, n’accordant qu’une confiance minimale au réflexe et à l’instinct. Il savait que son succès avait une part d’aléatoire non négligeable, il tâchait de se préparer à chaque éventualité.
Que faire cependant s’il était découvert ? Il aurait du mal à se sortir d’une rencontre en face à face avec un garde. Le mieux était encore de faire en sorte que cela n’arrive pas, mais comment ? S’il avait eu des semaines devant lui, Fidget aurait pu comparer les horaires et guetter davantage ; mais il devait partir ce soir, et chaque seconde écoulée emportait avec elle son lot d’opportunités ratées.

Fidget attendit le crépuscule. Un instant, il avait été tenté de sortir à la nuit complète, avant de se souvenir des puissants projecteurs qui seraient plus dangereux encore que le soleil. Il y avait un petit laps de temps entre la tombée du jour et l’allumage des lumières, et le lion comptait bien en profiter. L’obscurité serait pour une fois son ange gardien.
Tout était prêt. Fidget était retourné dans le dortoir où il avait chuté. Il y avait toujours un trou béant là où le lion s’était acharné contre les barreaux. C’était cependant assez haut, et il lui fallut empiler plusieurs meubles pour parvenir à trouver une bonne prise. Son épaule lui faisait un mal de chien, mais il s'efforçait de ne pas y penser. Tant pis s’il aggravait la blessure ; tant que l’articulation tenait encore quelques heures.
Le lion resta penaud quelques instants. Il fallait qu’il se lance maintenant. C’était le bon moment. Le monstre prit une grande inspiration, puis sauta sur la pile d’objets pour rebondir contre le mur. Ses mains attrapèrent l’autre côté, et ses pieds poussèrent contre le béton pour l’aider à se hisser. C’était dur, mais il y parvint au prix de grands efforts. Haletant, il resta quelques secondes entre les deux mondes, avant d’entamer la descente. Cette fois, il prit bien le temps de sécuriser ses mouvements. Car s’il tombait de nouveau, ce serait bel et bien la fin.
Les caisses qu’il avait empilées à son arrivée étaient toujours là. Fidget s'accroupit derrière en guettant le moindre bruit. Tous ses sens étaient en éveil, prêts à l’alerter au moindre danger. L’avantage d’avoir vécu durant si longtemps sous terre, c’était que la nuit n’avait plus de secret pour lui ; là où les humains avaient peur des monstres dans le noir, il était le monstre dans le noir. Peut-être que cela serait une bonne stratégie en cas de rencontre d’ailleurs. Il pourrait gagner quelques précieuses secondes.
Le lion avança à pas de loup. Les conditions n’étaient pas idéales : ses pas accrochaient au sol boueux et laissaient de profondes empreintes. Cela dit, est-ce que quelqu’un irait vraiment enquêter ? Il se rassura en se disant que si quelqu’un repérait ses traces, le temps de les suivre il serait déjà très loin. Non, ce qui inquiétait davantage Fidget, c’était le risque de glisser. La terre desséchée par l’hiver avait goulûment absorbé l’eau, et certains endroits étaient semblables à des pataugeoires. Par conséquent, il devait également faire attention au bruit de ses pas. Que de complexités…
Fidget entendit quelques voix en traversant les allées, sans pour autant voir la lueur d’une lampe torche. Les derniers rayons de soleil étaient morts depuis plusieurs minutes, pourtant il courait tout de même à moitié accroupi, bien penché pour être le moins visible possible. Plus il se fondait dans les ombres, mieux c’était.
Soudain, le lion entendit des pas. Il se précipita derrière la première protection qu’il trouva. Tapis derrière une boîte de métal, assis dans la boue glacée, il pria pour que la condensation de son souffle ne le trahisse pas. Le puissant bruit des bottes se faisait de plus en plus fort. Ils devaient au moins être quatre ou cinq à en juger par les démarches qu’il entendait. La conversation se faisait plus compréhensible aussi. Quelque chose à propos d’un évènement qui aurait bientôt lieu dans la ville humaine où ils résidaient. Fidget respirait lentement, silencieusement.
Mais les bruits ne faiblissaient pas. C’était comme s’ils se rapprochaient éternellement. Et alors, tel un éclair glaçant le cœur de Fidget, une lumière balaya l’allée où il était retranché. Le lion n’échappa au sursaut que par miracle, et se tapi le plus possible derrière sa protection. Heureusement, les gardes étaient du mauvais côté.
Les quelques secondes de leur passage parurent durer une éternité, et le monstre aurait pu jurer que la conversation s’était tue pendant un instant, comme s’ils se concentraient davantage sur une chose anormale qu’ils avaient repéré. Fidget craignit que son cœur battant à tout rompre ne le trahisse, mais la lumière disparut aussi rapidement qu’elle était arrivée, laissant la ruelle vide. Calme comme une terre désolée après la tempête.
Il fallut quelques secondes au lion pour reprendre une respiration normale. Il devait garder la tête froide, rester concentré sur son objectif. Il était tout proche ; à quelques allée près du grillage le séparant de la liberté. La patrouille s’était éloignée. Il était hors de danger. Fidget se releva, prêt à repartir. Le lion pressa tout de même le pas, prenant conscience qu’il l’avait échappée belle.
Fidget ne rencontra pas d’autres gardes durant le reste du trajet. Il arriva en vue du grillage tout tremblant, transi de froid et d’adrénaline. La liberté était juste là ; le lion pouvait sentir l’excitation couler dans ses veines et lui donner un boost de forces. Juste ce qu’il fallait pour rejoindre la sécurité.
Avant de s’engager dans l’allée, il jeta un coup d’œil à droite et à gauche. Il n’y avait pas d’humains en vue, juste le sifflement du vent giflant les façades de béton. Fidget s’approcha de la clôture. Il y avait bel et bien un trou, mais il lui semblait plus petit que la dernière fois. Il fut saisi d’un doute : s’était-il trompé de chemin ? C’était bien possible. Pourtant, il était certain d’avoir fait attention…
Il réfléchit quelques instants, figé sur place. Tant pis. Ce serait plus dangereux de revenir en arrière que de s’efforcer de passer. Le lion s’approcha, soulevant le rideau de fer. Ça allait être serré, mais s’il se tortillait bien il devrait pouvoir s’en sortir. Fidget se mit à quatre pattes, puis carrément à plat ventre. Il glissa tout d’abord les mains de l’autre côté. La différence était presque palpable dans l’air, et il n’en pouvait plus d’attendre. S’appuyant sur une main et usant de l’autre pour maintenir le grillage, le lion se contorsionna comme un serpent pour avancer. Sa tête atteint l’extérieur sans soucis, mais son buste était plus compliqué à faire passer. Le trou était vraiment petit en réalité, et il eut soudain peur de rester pris au piège.
Maîtrisant sa panique, Fidget continua méthodiquement. C’était le seul moyen d’y parvenir ; des mouvements lents mais efficaces. Ses épaules déjà abîmées effleurèrent les bouts de métal acérés, laissant des entailles dans la peau fragile. Le monstre serra les dents et tint bon. Ce n’était pas grand-chose, et ce n’était pas le moment de s’arrêter à ce genre de considérations.

erosdog erosdog
MP
Niveau 10
25 janvier 2019 à 18:41:20

6

Cependant, alors qu’il progressait davantage, son vêtement se coinça entre les mailles. Le tissu, transpercé par le métal, le retenait et empêchait sa progression. Fidget tenta de tirer dessus, sans succès ; les vêtements avaient beau être en lambeaux, les quelques morceaux restants était bien résistants. Il tira plus fort, d’un coup sec, mais ne réussit qu’à faire tinter le grillage. Le lion s’immobilisa immédiatement, priant que pour personne n’ait entendu. On croirait probablement au vent.
Dégageant ses mains déjà bien occupées, Fidget tâcha de démêler les guenilles. Ses doigts étaient engourdis. Soudain, il entendit des bruits de pas approcher. Ses yeux s’écarquillèrent et il se figea un instant, avant de reprendre frénétiquement. Il ne cherchait plus à y aller doucement, mais au contraire à arracher son habit au plus vite. Ses mains tremblantes n’arrivaient à rien, et il se démena de plus en plus vigoureusement. Les pas approchaient sans cesse, augmentant son stress à chaque instant. Déjà, il pouvait voir la lueur de la lampe au loin dans sa vision.
Finalement, il parvint à libérer le vêtement dans un gros bruit de tissu déchiré. Déjà, il battait des jambes pour réussir à faire passer le peu de corps qu’il restait, faisant fi de la douleur et du bruit. Il n’était plus question de discrétion. Il ne lui restait presque plus rien à faire passer, il allait pouvoir se relever et fuir.
La lumière s'abattit sur lui. Comme dans un rêve, il entendit un homme lui crier de s’arrêter. Fidget tenta de se propulser dans un dernier effort, mais les coups de feu l’immobilisèrent. Il se recroquevilla dans la boue, incapable d’en faire davantage. Le lion avait usé toutes ses forces, dépensé tout ce qu’il avait. Il avait tout donné, pour rien. Pour se faire attraper au dernier moment.
Il sentit deux paires de bras musclés lui agripper les pieds et le tirer à l’intérieur, le tirer vers l’obscurité. Il ne réagit pas, faisait fi des balafres du grillage. Le lion eut juste la présence d’esprit de se débarrasser du matériel compromettant tant qu’il le pouvait encore. Au diable la résistance. Il avait envie de pleurer. Il n’y croyait pas.
Non. On allait venir le sauver. Les deux gardes allaient s’effondrer d’un instant à l’autre, terrassés par deux balles jumelles. Le cœur du lion fut rempli d’espoir pendant un instant, pour mieux être brisé quand il comprit que c’en était fini. Personne n’allait venir. C’était terminé.

À la fin de la nuit, il n’était plus vraiment lui-même. On l’avait questionné tellement de fois, battu quand il ne donnait pas les bonnes réponses, et inspecté chaque parcelle de son corps pour comprendre ce qui était arrivé. Les humains semblaient perplexes. Incapables de comprendre ce qu’il avait pu se passer. Sans relâche, le lion répéta la même histoire mensongère, redoutant l’instant où il se verrait forcé de se trahir lui-même.
Mais il était encore libre. Il avait encore son faux collier. On estimait qu’il s’agissait d’une défaillance matériel ; un accident rare lors de la manufacture. On craignait que le monstre ne se désintègre une fois qu’on le lui enlèverait, alors on l’examinait tant qu’on pouvait encore.
Finalement il fut décidé de passer un nouvel appareil et de détruire l’ancien, de peur qu’il n’apporte de mauvais présages. Les humains ne voulaient pas que l’affaire s’ébruite, et craignaient d’être réprimandés par leurs supérieurs. On décida que la vie de Fidget valait bien le silence sur l’affaire. S’il mourait, alors personne ne saurait jamais ce qu’il s’était passé, et s’il vivait, alors il ne parlerait jamais. Les deux situations étaient favorables.
Le lion, déjà privé de tout, obéissait sagement. Que pouvait-il faire d’autre ? Il pensait à Skye, à leur vie là dehors. Gardait cet once d’espoir insensé au fond de lui qui l’empêchait de se jeter sur les gardes pour une mort rapide.
Le monstre s’assit là où on lui demanda, et ne résista pas quand on lui leva la tête de force. On lui passa un bracelet d’identification au poignet. D’un jaune fluo, comme sa magie qu’il ne reverrait jamais.
Puis son âme quitta son corps, et pour la seconde fois les doigts glacés du collier l’entourèrent, étouffèrent Fidget dans leur étreinte. Quand le cœur regagna la poitrine du monstre, il ne restait qu’un corps emmêlé de toute part dans les fils de la machine. Un être dont on avait pressé toute la substance.
Et le monstre ressorti dans le petit matin froid. Il n’était pas fatigué, ni triste, ni inquiet. Pas vide, pas impuissant, pas désespéré. Son cœur battait sans qu’il ne le sente, sa peau piquait sans qu’il ne la sente.
Pour une fois, il n’eut plus besoin de faire semblant, d’imiter les autres. Car il était les autres. Il n’eut plus besoin de réfléchir, se retirant dans les terres lointaines de son esprit, dernière forteresse qui protégeait les reliques de son être. Il s’abandonna au collier.

Loin dans la montagne, un monstre regardait Fidget disparaître dans ses jumelles. Le camp était déjà levé, depuis que les éclaireurs étaient revenus bredouilles. Il soupira, réfléchissant déjà à ce que le lion avait bien pu révéler sans le vouloir ; rien, mais l’officier ne pouvait le savoir. Persuadé que Fidget avait tout avoué, il réfléchissait déjà à son rapport. Cela n’arrangeait rien. Ils n’étaient pas tout à fait prêts, mais ils n’avaient plus le temps. Ils allaient devoir accélérer leurs plans, et passer immédiatement à la phase finale.
Tant pis. C’était les hommes qui avaient voulu la guerre.
Dans un élan de bonté inutile il releva la couleur du bracelet. Pour toute considération pratique, Fidget était tombé au combat. Il était déjà mort. Personne ne viendrait le sauver. C’était dur, mais c’était la guerre. Même s’il survivait aux camps, ils n’iraient pas le chercher. Car cela n’avait plus d’importance. S’ils réussissaient, alors la question ne se posait pas. Et s’ils échouaient…
Alors cela n’avait plus d’importance…
Le monstre baissa les jumelles. On n’attendait plus que lui pour partir. Il monta dans le véhicule, oubliant déjà le lion, et l’escouade démarra sans plus tarder. Ils n’avaient plus rien à faire ici, et étaient déjà en retard. La résistance avait bien besoin d’eux.
Les morts étaient morts. Et leur poussière appartenait aux ténèbres.

SheogorathDDT SheogorathDDT
MP
Niveau 10
25 janvier 2019 à 20:26:01

Épisode de glicthale
Nouveau chapitre de Slavetale
Week-end

Une belle journée en somme.

Blazethem Blazethem
MP
Niveau 8
25 janvier 2019 à 22:00:55

D'abord un épisode de Glitchtale, puis un chapitre de Slavetale, le tout bourré d'émotion en week-end.

Mais que demande le peuple ? :bravo:

SheogorathDDT SheogorathDDT
MP
Niveau 10
26 janvier 2019 à 00:16:40

[22:00:55] <Blazethem>
D'abord un épisode de Glitchtale, puis un chapitre de Slavetale, le tout bourré d'émotion en week-end.

Mais que demande le peuple ? :bravo:

Le peuple demande Deltarune.

But nobody came.

Blazethem Blazethem
MP
Niveau 8
26 janvier 2019 à 11:09:26

Bah, qui sait, peut-être qu'on aura des monstres de Deltarune :hap:

SheogorathDDT SheogorathDDT
MP
Niveau 10
26 janvier 2019 à 13:09:02

Le peuple demande Napstablook. :oui:

Pseudo supprimé
Niveau 10
27 janvier 2019 à 10:55:37

Le 26 janvier 2019 à 13:09:02 SheogorathDDT a écrit :
Le peuple demande Napstablook. :oui:

Le Peuple acclamait Storyshift , mais le peuple ne verra surement pas ce jour.

SheogorathDDT SheogorathDDT
MP
Niveau 10
27 janvier 2019 à 12:26:42

[10:55:37] <Plukes60>

Le 26 janvier 2019 à 13:09:02 SheogorathDDT a écrit :
Le peuple demande Napstablook. :oui:

Le Peuple acclamait Storyshift , mais le peuple ne verra surement pas ce jour.

Rip Sweet prince

altokazakus4 altokazakus4
MP
Niveau 4
28 janvier 2019 à 08:09:46

C'était triste + sweet

Ray2064 Ray2064
MP
Niveau 8
31 janvier 2019 à 18:23:55

Fidget est ...mort?"Prie pour que ce soit un reve" J'arrète Slavetale si il est mort ,Ok?!!

Blazethem Blazethem
MP
Niveau 8
31 janvier 2019 à 18:44:28

Non, Fidget n'est pas mort, mais il s'est fait choper, et est donc mort aux yeux de la résistance...

Orion-Is-Back Orion-Is-Back
MP
Niveau 9
06 février 2019 à 10:29:01

Ce n'est pas un nouveau chapitre, juste moi qui boit vos larmes de rage.

Blazethem Blazethem
MP
Niveau 8
06 février 2019 à 12:15:04

gpalu vdd :hap:

Ray2064 Ray2064
MP
Niveau 8
06 février 2019 à 15:34:58

Je vous jure,si tu tues Fidget,U GONNA HAVE A BAD TOM!

Ray2064 Ray2064
MP
Niveau 8
06 février 2019 à 16:51:10

Voilà pourquoi Fidget est le mec le plus intelligent de la fic:Au moins,il aura pensé a pas crever puceau XD (Juste avant de crever mais mieux vaut tard que(tartard) jamais.

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