Linux est donc aujourd'hui prédominant dans beaucoup de domaines : serveurs, super calculateurs, systèmes embarqués, mobilité. Toutefois, et malgré une belle embellie ces dernières années, il peine à faire son nid auprès du grand public : pour preuve, l’OS comptait seulement pour 1,8 % de parts de marché sur ce créneau début 2016, en progression modérée (0,4 % en 2006). Dans le même esprit, les premières statistiques Steam montraient une incursion de Linux sur la plateforme d'environ 2 %, tandis que l’OS stagne plutôt autour des 1% aujourd’hui… Le signe que Linux restera à jamais un outil pour professionnels avertis ? Rien n’est moins sûr…
Depuis l'apparition du client Steam sur Linux, des statistiques le concernant sont régulièrement publiées, notamment par l’intermédiaire du fameux sondage « hardware », mis à jour tous les mois. Et comme nous venons de le souligner, ces statistiques semblent pointer du doigt une diminution de la base des joueurs depuis quelques années, jetant par extension le doute sur la pérennité de l’OS, en tant que plateforme de jeu. Qu’en est-il réellement ? Les joueurs Linux restent aujourd'hui une minorité, c'est une évidence. Cependant, les chiffres présentés sont souvent en trompe-l'œil, pour plusieurs raisons. Et la première d’entre elles, c’est l’aspect relatif des données diffusées par Valve.
Ainsi, le portail Steam est en perpétuelle expansion : de février 2013 à Octobre 2015, le nombre de comptes sur la plateforme a quasiment doublé, passant de 65 millions à 125 millions d'utilisateurs. Sur la même période, Valve enregistrait une baisse du pourcentage d’utilisateur Linux de 0,98 à 0,91%. Vous commencez à distinguer le fond du problème ? En pourcentage, l’OS libre semble accuser une baisse, mais en vérité, ces chiffres traduisent bien plus la très forte croissance globale de Steam, que la désaffection des joueurs pour cette plateforme. D’ailleurs, lorsque l’on s’attache à calculer à partir de ces données le nombre d’utilisateurs Linux réels, on constate que ce dernier progresse plutôt nettement : de 600 000 à 1 200 000 en l’espace de deux ans.
Autre point qu’il convient de noter, et que nous avons effleuré dans le chapitre précédent : quoiqu’important, le portail Steam n’est pas nécessairement la seule plateforme de référence, lorsque l’on parle de jeu sous Linux. Notamment, il n’est pas impossible qu’un nombre non négligeable d’utilisateurs préfèrent éviter les services de vente en ligne de Valve, pour s’orienter vers d’autres alternatives plus conformes à « l’esprit Linux », comprenez, sans DRM, comme GoG, ou le Humble store. Malheureusement, il est difficile de vérifier cette hypothèse, car ces magasins ne publient aucune donnée sur les parts de revenus qu’ils dégagent de chaque système.
Reste que même en considérant ces chiffres avec le positivisme qu’ils méritent, 1,2 million de clients potentiels sur une base de 125 millions, ça reste peu, et la question de la rentabilité des portages Linux se pose donc légitimement.
Rentabilité, difficultés techniques : quels retours des développeurs ?
Malheureusement, il n’existe pas de statistiques globales aujourd’hui permettant de répondre à cette question. La boutique Humble Bundle publie bien quelques données, montrant que Linux représente 4,7 % des achats et environ 7 % des paiements. De même, et comme le soulignait dernièrement l’un des cofondateurs du site, John Graham, les joueurs Linux ont tendance à être nettement plus généreux que leurs compatriotes windowsiens. Quoi qu’il en soit, ces données restent partielles, et ne concernent qu’un modèle économique bien particulier. De fait, elles ne permettent pas vraiment d’établir une vérité sur la rentabilité globale des projets de développement. Par chance, depuis quelques années, de plus en plus de studios communiquent sur le sujet, au travers d’articles post-mortem ou de journaux de bord.
Historiquement – comme on a pu le voir sur le tout premier Humble Indie Bundle – les utilisateurs Linux ont tendance à se montrer plus généreux que les autres
(John Graham)
Prenons donc quelques exemples, en commençant par Overgrowth, un jeu d’action à la troisième personne multiplateforme (Windows, Mac et Linux), disponible en version alpha sur Steam et Humble Bundle. Selon ses créateurs, la version Linux d’Overgrowth est devenue largement rentable à partir du moment où elle a atteint 1% des ventes. Ce son de cloche, on l’entend également du côté des développeurs de Eldritch, qui indiquaient dans un article post mortem sur Gamasutra, que le portage de leur titre sur Mac et Linux avait finalement atteint le seuil de rentabilité.
De leur côté, les développeurs de Dustforce semblaient également satisfaits, notamment parce le portage sur Linux leur a ouvert la voie vers un bundle Humble, et vers de nouveaux revenues. On pourrait aussi parler de Kona, un jeu d’aventure narratif à la première personne : basé sur le moteur Unity 5.3, le titre a généré sur Linux et Mac des revenus bien supérieurs, aux coûts de développement associés aux portages, selon ce que nous ont confié ses créateurs. Enfin, du côté des plus gros titres, la société Aspyr qui s’est notamment chargée des adaptations de Borderlands 2 ou de Star Wars Kotor, a déclaré avoir équilibré ses comptes après moins d'un an d'activité.
Évidemment, on peut logiquement se demander comment ces studios ont réussi leur coup, alors qu’a contrario, de nombreuses autres structures d’envergure continuent de considérer Linux comme une cause perdue et définitivement non rentable ? La réponse est simple : grâce aux progrès réalisés ces derniers temps en matière de portabilité. En effet, tout au long de ce dossier, et jusqu’à présent, nous avons longuement disserté sur les évolutions positives de l’univers Linux en matière de distribution et de visibilité, mais si ces évolutions ont été rendues possibles, c’est aussi parce que les outils mis à la disposition des développeurs pour gérer le portage de leur titre ont été grandement améliorés. Et là encore, afin de mieux comprendre les choses, il convient de revenir sur les us et coutumes qui ont longtemps perduré en la matière, et qui ont fait la réputation de Linux en tant que terre vidéoludique inhospitalière.