Avec Tropico 3, sorti en octobre dernier, le studio bulgare Haemimont Games avait réussi à concilier beauté, accessibilité et profondeur, trois adjectifs que l'on n'avait plus vraiment l'habitude de voir cohabiter, y compris dans le domaine des city-builders. Ce troisième opus d'une série très appréciée mais encore trop confidentielle, misait sur son excellente prise en main et sur son moteur graphique impressionnant pour satisfaire un large public. Mais à côté de ça, il ne sacrifiait à aucun moment le gameplay sur l'autel de l'accessibilité : entre développement économique et exercice du pouvoir, la gestion de votre république bananière devenait vite complexe ; heureusement, les fameux décrets et les options de micro-management vous permettaient de garder le contrôle sur de nombreux paramètres primordiaux comme la satisfaction de la population, votre réputation auprès des factions, vos relations avec les puissances étrangères, etc...

Tropico 3 était donc un très bon jeu, mais il n'était pas dénué de défauts. Ces derniers touchaient pour l'essentiel au mode campagne, constitué de seulement 15 missions. La phase de mise en route, quelque peu répétitive d'une partie sur l'autre, était parfois ardue (notamment sur les îles avancées où les conditions de développement étaient difficiles), mais une fois la croissance économique de Tropico installée sur la durée, le jeu devenait plus facile et la victoire était assurée. Du coup, on parvenait assez rapidement au terme de la campagne. C'est là qu'intervient Tropico 3 : Absolute Power, une extension proposée pour une vingtaine d'euros qui se fixe pour objectif de corriger ces défauts tout en apportant son lot de contenu et de fonctionnalités inédites. Au programme : une nouvelle campagne de 10 nouvelles missions, accompagnées de nouveaux bâtiments, décrets et traits de caractère pour El Presidente, mais aussi une nouvelle faction : les loyalistes !

La nouvelle campagne incluse dans Absolute Power se présente toujours sous la forme d'une série d'îles à débloquer, qu'il est ensuite possible de rejouer en mode Bac à Sable. La première mission vous confronte à une île peuplée de hippies et de rastas qui vivent paisiblement au contact de la nature et font à l'occasion la fête entre eux. Concrètement, ils vous empêcheront de développer le tourisme et l'industrie, avec des restrictions précises sur le nombre de bâtiments de tel ou tel type. L'objectif est pourtant d'obtenir un taux de satisfaction de 60 %, ce qui n'est pas forcément simple quand les caisses sont vides ! Qui plus est, cette population a de fortes attentes démocratiques, qui ne collent pas vraiment avec celles des illuminés qui font leur apparition : les loyalistes. Composée de vos soutiens les plus indéfectibles, cette faction voue un culte à votre personne, ne comprend pas l'intérêt des élections et vous protègera en cas de coup d'état si vous la brossez dans le sens du poil.

Pour ce faire, vous disposez d'une nouveau type de décrets qui vous permettront d'asseoir votre mégalomanie : recueil idéologique, émission de télé, fête nationale, privatisation... Rien n'est trop beau pour El Presidente, y compris une statue en or devant laquelle vos tropiquiens s'agenouilleront avec la plus grande déférence. Absolute Power vous permet même de piéger les rebelles ou de dissoudre la faction qui vous ennuie, autant de leviers utiles pour conserver un pouvoir plus que jamais précaire. Désormais, les exigences de chaque faction sont divisées en « majeures » et « mineures », afin que vous pussiez cibler en priorité les plus urgentes. Ce ne sera pas un luxe étant donnée l'intégration de « désastres de faction ». Il s'agit de malus qui s'activent quand vos relations avec la faction en question sont au plus bas : les capitalistes feront chuter les prix à l'exportation, les religieux vous frapperont d'anathème et les communistes organiseront le débarquement de rebelles !

Les relations avec les factions ont donc été renforcées, et c'est notamment pour vous permettre de gérer au mieux ce volet diplomatique que de nouveaux bâtiments font leur apparition. L'école primaire éduquera plus précocement vos tropiquiens et enchantera les intellectuels. La décharge limitera la pollution et l'éolienne produira une petite quantité d'énergie propre : voilà qui devrait faire plaisir aux écologistes. Ces derniers verront par contre d'un mauvais oeil le lancement d'un programme nucléaire, destiné à séduire les militaires et à mettre Tropico à l'abri de la convoitise des deux superpuissances. Bien que coûteuse, la statue du Christ Sauveur impressionnera les religieux et attirera les touristes. Ce ne sont là que quelques exemples, sachant que chacune de ces structures possède bien entendu plusieurs modes de fonctionnement et qu'elle peut être administrée finement. Signalons enfin qu'Absolute Power propose de surcroît quelques petites améliorations d'ordre esthétique liées à la représentation des routes ou encore à la démolition des bâtiments obsolètes.

Vous aurez l'occasion de mesurer, dès les premières missions, dans quelle mesure ce nouveau contenu et ces nouvelles fonctionnalités enrichissent le gameplay et relèvent le challenge. Même si elle est souvent un levier utile, la croissance économique n'est plus une condition sine qua non de victoire. C'est vrai pour une mission délirante comme Retour en Arrière, qui vous amène à remonter le temps et vous prive volontairement de toute modernité et de tout développement rapide. Mais c'est aussi vrai dans De l'Argent pour les Fous, qui vous soumet à une crise mondiale sans précédent pour vous obliger à revoir toute stratégie fondée sur l'exportation. Les missions d'Absolute Power ont surtout le mérite de proposer des objectifs évolutifs qui obligent à se montrer particulièrement réactif, ce qui n'est pas toujours simple quand il faut garder un oeil sur l'ensemble des indicateurs et quand les événements aléatoires, plus nombreux, sont chargés de lourdes conséquences.

Du coup, vous serez peut-être amené à recommencer certaines missions particulièrement difficiles où le challenge est enfin à la hauteur ! Heureusement, l'ensemble se montre moins répétitif que par le passé. Plus variées et plus drôles - que vous deviez booster le potentiel touristique d'une île en éventant la rumeur d'un Chupacabra ou retrouver le tueur au centre d'un complot - les missions d'Absolute Power bénéficient de nouvelles interventions radio hilarantes de Juanito, qui partage désormais les ondes avec la rebelle Betty Boom. On regrette par contre que la bande-son n'ait pas été enrichie : aussi sympathiques soient-ils, ce sont les mêmes rythmes salsa qui tournent en bouclent et qui peuvent se révéler lassants à la longue. Et même si certains défauts mineurs subsistent (comme l'impossibilité de modifier le terrain et d'éditer manuellement ses propres maps), nous ne pouvons que conseiller cet achat indispensable à tous ceux qui ont apprécié le jeu de base.