Pour toutes les générations ayant grandi avec la bande du Club Dorothée ou toute autre émission jeunesse des années 1980-90's, le manga dans sa plus pure expression touche au sacré. Le tir du tigre de Mark Landers (Kojirō Hyūga), le Genki Dama de Son Goku, les météores de Pégase… nombreux sont les joueurs forgés par ces oeuvres devenues cultes. Et le marché du jeu vidéo n’a pas tardé à exploiter ce filon lucratif. Si les franchises phares ont changé avec le temps, les adaptations perdurent et avec elles un certain sens de l’opportunisme que je déplore aujourd’hui.
Les adaptations sont aussi vieilles que le jeu vidéo lui-même. Les plus vieux d’entre nous frissonnent encore au seul nom de Dragon Ball : Le Secret du Dragon sorti en 1988 sur Nintendo Entertainment System (ou NES) et ce média dans son ensemble n’a pas été épargné avec de nombreux jeux s'éloignant fortement de ce qui fait la sève du matériau d'origine. Le succès d’un manga était synonyme de jeux vidéo se permettant bien souvent des largesses préjudiciables avec l’oeuvre d’origine quitte à froisser les fans. Et ce phénomène se poursuit depuis plusieurs décennies. Les générations successives de consoles ont grandement souffert de ces adaptations parfois aux rabais. Pourtant, de nombreux titres ont tiré leur épingle du jeu et conquis le coeur des fans. Je pense bien entendu à Dragon Ball Z : Super Butōden (1993 sur Super NES) et la série des Budokai (débutée en 2002 sur PlayStation 2). Et les exemples de réussite au pays du consensuel ne manquent pas.
En effet, depuis plusieurs années les adaptations parviennent globalement à rallumer la flamme de la passion auprès des joueurs. Les innovations techniques permises sur les dernières générations de machines et les moyens mis en oeuvre pour transposer manette en mains les aventures de nos héros favoris témoignent d’un changement de cap dans la politique des éditeurs. Le seul Dragon Ball FighterZ du studio Arc System Works en est une preuve édifiante. La réalisation 2D à même de donner vie aux affrontements imaginés par Akira Toriyama et la précision du gameplay laissent les fans rêveurs devant tant de maestria. Pourtant, il s’agit là encore d’un jeu de combat. Qui dit Shōnen dit baston sous toutes ses formes (voir l'article d'Epyon sur le sujet). Ce genre domine les débats suivi de près par le Visual Novel et le Musô, deux genres typiquement japonais et pensés pour ce marché. Et cette simple décision bride les créatifs officiant sur ces projets.
Si les adaptations se comptent par dizaines chaque année, force est de constater que ces dernières utilisent les mêmes moules. Éditeurs et studios s’écartent trop rarement de ce chemin tout tracé et se contentent de recycler des formules vues et revues à l’image de My Hero : One's Justice considéré par beaucoup comme un reskin de la série des Naruto Shippuden : Ultimate Ninja Storm à juste titre tant le gameplay s’inspire des aventures du ninja de Konoha. Je pourrais également citer Berserk and the Band of the Hawk. OMEGA Force s’est appuyé sur un savoir-faire ancestral pour retranscrire le Seinen de Kentaro Miura. Et le résultat est à la hauteur de la prise de risque caractérisant ce titre. Loin des envolés poético-sanglantes de Guts, ce Musô pêche par manque de créativité. La seule mise en scène répond aux abonnés absents. Il en résulte une expérience fun, mais répétitive et dépourvue de ce grain de folie qui affole les sens.
Mais attention, innovation n’est pas toujours synonyme de qualité. Le studio Ryū ga Gotoku en a fait les frais en 2018. Ses intentions, aussi louables soient-elles, se sont heurtées à la dure réalité d’un marché en perpétuelle évolution. Fist of the North Star Lost Paradise s’aventure dans les contrées du monde ouvert à ses risques et périls, et le constat est sans appel. Les nouvelles aventures de Ken le Survivant ne sont pas à la hauteur de nos attentes sur ce point et souffrent d’une comparaison logique avec la concurrence, malgré des combats plaisants et une fidélité à l’univers du manga. La maîtrise de l’art de l’Open World fait encore défaut dans l’archipel nippon, même si cet écart avec les productions occidentales tend à s’estomper sur cette fin de génération. Il ne faut tout de même pas jeter ces initiatives avec l’eau du bain. L'Attaque des Titans 2 est un excellent exemple de tentative de renouveau sans bouleverser la saga. La création d'un avatar, la scénarisation par le biais d’un personnage inédit et le gameplay tridimensionnel racé ont conquis la presse et le public, malgré une répétitivité inhérente aux productions du studio père de la franchise Dynasty Warriors.
Projets copié-collé, genres omniprésents, manques de prise de risque… l’adaptation de manga souffre d’un mal moderne tenace. Et cela me désole car ce média est une source intarissable de créativité. Un action-RPG en monde ouvert Ghost in the Shell, un TPS cyberpunk AD Police, une aventure narrative Samurai Champloo, une traque jazzy dans tout le système solaire avec l'équipe de Cowboy Bepop, une guerre interplanétaire ultraréaliste faite de Gundam... je rêve d’un monde où ces oeuvres qui ont défini ma vision de la pop-culture gagnent leurs galons vidéoludiques avec panache.
