Sony, Nintendo, Microsoft… tous les constructeurs et éditeurs de l’industrie ont, à un ou à plusieurs moments de leur existence, refusé de soutenir un projet qui, finalement, s’est révélé être une bombe quand il est sorti chez un concurrent. Alors que nous venons de fêter les 22 ans de la première Xbox, nous revenons sur le moment où la firme de Redmond a dit “non” à GTA III.
Sommaire
- En quête de jeux
- Sam Houser présente…
- Wasted
- Le train en marche
En quête de jeux
Les premiers pas de Microsoft dans le monde ultra concurrentiel des consoles de jeux n’ont pas été faits sans chutes plus ou moins douloureuses. Comme cela a été largement documenté par le passé, les développeurs qui ont eu l’idée de la machine au gros “X” ont dû batailler âprement contre leur hiérarchie afin d’imposer l’idée d’une entreprise plus “cool” dont le hardware est posé près des TV familiales plutôt que dans les bureaux. Après plusieurs batailles en interne, dont une très connue contre l’équipe WebTV et une autre contre l’hydre à deux têtes Bill Gates/Steve Ballmer, les porteurs du projet Xbox ont dû mener une guerre sur deux fronts en simultané : la communication auprès de la presse et l’acquisition de talents. Avec une obligation d’efficacité, la machine devant être lancée en novembre 2001, soit seulement 18 mois après son annonce officielle.
Oui, la firme de Redmond a rencontré plusieurs obstacles quand elle a souhaité se lancer dans le marché des consoles de jeux. Une partie des journalistes de l’époque ne voyait pas d’un bon œil l’arrivée de Microsoft dans le domaine qui les passionnait tant. La société dirigée par Bill Gates n’était pas connue pour son fun, en plus d’être regardée de travers à cause de sa situation quasi monopolistique dans le milieu de l’informatique. Comme chacun le sait, avant de convaincre les joueurs (et donc la presse), il faut avoir des jeux. Et pour avoir des jeux, il faut rencontrer les développeurs et les éditeurs. Plusieurs personnes faisant partie de l’équipe de Robbie Bach, le président de la division Entertainment & Devices de Microsoft, commencèrent à chercher des développeurs dans le monde entier.
Une grande tournée à travers l'Amérique du Nord, l'Europe mais aussi le Japon débute, organisée pour créer de l’attente autour de la console, mais aussi et surtout convaincre les développeurs/éditeurs de craquer pour la machine au gros “X”.
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Sam Houser présente…
Pendant que Seamus Blackley (considéré comme le papa de la Xbox) et les gens de son équipe parcourent le monde, plusieurs projets sont signés. Des titres comme Mad Dash Racing, Fuzion Frenzy, Project Gotham Racing, Rallisport Challenge, Dead or Alive 3 ou encore Jet Set Radio Future sont sécurisés pendant ce voyage. Pendant la tournée européenne, Microsoft rencontre un petit éditeur venu présenter deux jeux en cours de développement qui pourraient éventuellement venir garnir le catalogue d’exclusivités de la console. Parmi ces softs, il y en a qui est en fait un nouvel épisode d’une franchise déjà établie qui doit dépoussiérer la série en mettant de côté la 2D au profit d’une jolie 3D. “Nous allons investir dans ce projet, nous pensons que ça va être passionnant” dit l’éditeur, d’après les propos rapportés par Kevin Bachus (un des co-créateurs de la Xbox) dans le reportage Power On : The Story of Xbox. Ce petit éditeur écossais qui essaie de faire les yeux doux au géant américain n’est autre que Rockstar Games, anciennement connu sous le nom de BMG Interactive. Et le projet présenté est Grand Theft Auto III.
Malheureusement, Sam Houser lui-même ne sait pas comment parler du jeu qu’il supervise. Il sait qu’il a du potentiel, mais ne trouve pas les mots pour convaincre Microsoft de soutenir le projet. Seamus Blackley se souvient des louanges faites par le patron de Rockstar à un autre titre montré pendant la réunion, Austin Powers, dont la démonstration a duré pendant la quasi intégralité de la rencontre. “Il était très enthousiaste à propos d'un jeu et beaucoup moins à propos d'un autre, qu'il n’a montré qu'à la fin. Et les cinq dernières minutes furent consacrées à GTA III” explique-t-il sur Twitter/X. Sur place, les équipes de la marque américaine ne savent pas trop quoi penser de ce qu’ils viennent de voir. “J'étais sceptique quant à la transformation de GTA, un jeu en 2D, en 3D” avoue Seamus Blackley. “Et j'avais tort. Mais tout le monde dans cette salle était également sceptique. C'est dire à quel point nous étions tous des experts !” reconnaît-il, avec un brin d’ironie.
Wasted
Du côté des cadres de Microsoft, l’enthousiasme n’est pas non plus au rendez-vous. “Ils ont estimé que c'était trop compliqué, ils ne comprenaient pas vraiment l'interface utilisateur, ils pensaient que c'était basé sur un jeu qui n'avait pas eu tant de succès que ça” révèle Kevin Bachus. Jusqu’au jour où le couperet tombe : “à ma grande surprise, GTA III a été rejeté” confie le co-créateur de la machine.
Le patron européen de la Xbox de cette époque, Sandy Duncan, a accepté de revenir avec nous sur le cas GTA III lors d’un entretien. “Nous avons essayé d'éviter que Sony assomme les gens avec des exclusivités sur tout et n'importe quoi” nous dit-il. “Quand j'ai rencontré Take Two en Europe, ils m'ont offert l'exclusivité de GTA III. Mais je n'ai pas réalisé ce qu’ils m'offraient parce que j'étais naïf” ajoute-t-il, avant d’apporter plus d’éléments au contexte. “Je ne pense pas que nous aurions pu avoir l’exclusivité parce qu'ils voulaient s'engager sur 5 millions d'unités, et bien sûr, à cette époque, la PlayStation 2 avait 5 millions de consoles installées dans les foyers et pas nous. C'est probablement un projet que nous n’aurions jamais pu concrétiser” signale l’ancien boss de Xbox Europe, avec une pointe d’amertume. “Je pense que si j'avais pu faire quelque chose différemment, ça aurait été de vendre plus de Xbox. Cela aurait au moins permis d'écourter l'exclusivité de Sony sur GTA III” conclut-il.
Le train en marche
Si les anciens responsables de la branche Xbox regrettent amèrement la série de décisions ayant provoqué, d’une certaine manière, l’exclusivité PlayStation 2 de GTA III, c’est parce que le jeu de Rockstar/Take-Two a tout renversé sur son passage quand il est sorti en 2001. Au revoir la 2D et la caméra top/down, le soft adopte enfin la 3D avec une vue à la troisième personne en accord avec son temps. Ce changement de perspective apporte un sentiment d’immersion inédit pour un jeu de ce genre, à l’époque. Le joueur peut enfin se perdre dans une grande ville et faire (presque) tout ce que bon lui semble. Les possibilités sont tellement nombreuses que GTA III lance la mode des jeux en monde ouvert sandbox. Le succès ahurissant de ce troisième volet poussera Take-Two à sortir des épisodes annexes utilisant le même moteur avec GTA Vice City (2002) et GTA San Andreas (2004). La GTA mania est lancée.
Le titre édité par Take-Two devient le jeu le plus vendu de l’année 2001, et il aurait pu terminer en tête des ventes de l’année 2002 si Vice City n’était pas sorti à ce moment-là. Le New York Times dira de GTA III qu’il est “l'un des jeux les plus influents et les plus réussis jamais réalisés”. Conscient de son incroyable erreur, Microsoft fera tout ce qui est en son pouvoir pour proposer le titre sur sa machine. Les joueurs Xbox américains devront attendre le mois de novembre 2003 pour enfin mettre leurs mains sur le Graal. Désireuse de ne plus reproduire les mêmes erreurs, la firme de Redmond ira jusqu’à s’assurer l’exclusivité (temporaire) des deux extensions de Grand Theft Auto IV sur Xbox 360, The Lost and Damned et The Ballad of Gay Tony. Faute avouée est à moitié pardonnée.