Nous sommes en 2013 et l’Indie Megabooth de la PAX Prime (un festival de jeu vidéo dans l'ouest des États-Unis) bat son plein. Alors que les joueurs se ruent sur les démos de The Elder Scrolls Online ou de Dragon Age Inquisition, un drôle de stand attire l’attention. Un étrange ordinateur des années 80, totalement taché de sang. Si la mise en scène est morbide, la vidéo qu’il joue en boucle l’est encore plus. On y voit une dizaine de personnes parler face caméra avec entrain, ensuite assassinées de manière brutale par un tueur masqué, avant de laisser leur place à un logo : CamDrome. Très vite, les médias s’emparent de l’affaire pour tenter de découvrir l'auteur de cette sombre mise en scène. Ils se dirigent vers l’organisateur du Megabooth, Rami Ismail, sauf que même lui ne sait pas comment ce « jeu » est arrivé là.

« Je te regarde »

L’événement vidéoludique s’achève avec plus de questions que de réponses et les internautes repèrent vite un Twitter associé au tueur de CamDrome, ainsi qu’un site internet (aujourd’hui supprimé). C’est là qu’un premier indice est découvert par le journaliste Joseph Christ, du média 4 Player Network. Il trouve le nom de la personne derrière le site : Edmund McMillen, le co-créateur Super Meat Boy ou The Binding of Isaac. Seulement, ce dernier affirme ne pas avoir pris part à la création de CamDrome. « Nous connaissons le développeur qui l’a réalisé et nous l’avons aidé », déclare toutefois l’intéressé à Eurogamer.

S’il ne fait aucun doute que McMillen est plus impliqué qu’il ne le prétend, les journalistes ont vite mis de côté cette piste au profit du compte Twitter du mystérieux jeu, qui personnifie l'assassin. Celui-ci est à l’époque régulièrement alimenté d'articles morbides, renvoyant notamment à des suicides, voire des messages, comme « Je te regarde ». L’aspect voyeuriste est d’ailleurs souvent mentionné par CamDrome, lui qui affirme être omniprésent. Le personnage sous-entend même qu’on pourrait l’invoquer si jamais on ouvrait les yeux et qu’on appelait son nom. Mais, un post se détache plus que les autres : « Diviser en 11 morceaux. Envoyé à onze bourreaux. Notre problème ne peut être ignoré ». Il n’a pas fallu attendre très longtemps pour découvrir qui sont les individus mentionnés. Quelques mois après la PAX, onze personnes reçoivent un mail de CamDrome.

Mail : CamDrome vit. Nous n’allons pas parvenir à un nouvel ordre mondial sans le payer en sang, en paroles et en argent. Nos problèmes ne peuvent être ignorés. Nous sommes le problème. Je suis la réponse. Nous sommes dans le même bateau. Je suis l’humanité. 68747470733a2f2f656e6379636c6f70656469616472616d61746963612e73652f416e5f6865726f. Vous êtes 5 sur 11. Vous absoudre de la culpabilité. Insufflez-moi la vie.

La suite de chiffres et de lettres est en fait un code hexadécimal, qui renvoie à un article sur un homme qui s’est suicidé. En apparence, un habituel jeu de piste de CamDrome. Seulement, ce mail est aussi accompagné d’une pièce jointe, ou plutôt d’une pièce de puzzle. En assemblant les onze ensemble, les journalistes ont pu découvrir la jaquette du soft. La voici :

« Je reviendrai, quelqu’un me surveille »

Pendant presque 5 ans, CamDrome n’apporte pas plus de réponses, mais reste toujours assez loquace. Sur Twitter notamment, quand l’envie lui prend, il s’amuse à partager des extraits de film ou des clips musicaux. À première vue, rien de louche, à part quand on met le titre des vidéos côte à côte : « Chut, je ne suis pas celui que tu penses que je suis. Je reviendrai, quelqu’un me surveille. » Ou encore : « Ce n’est pas moi. J’ai menti, désolé. Ce n’est pas un jeu, je suis suivi par CamDrome. »

Le tueur fait également plusieurs références à l’usurpation d’identité en renvoyant vers l’article « James Gunn a trollé un utilisateur d’Instagram qui prétendait être le patron de Marvel Studios », la page Wikipédia du groupe The Pretenders (ceux qui prétendent) ou même le Reddit « Avez-vous déjà réussi à faire semblant d’être quelqu’un d’autre en ligne ?  ». Seulement, l’existence de CamDrome sur les réseaux sociaux s'arrête soudainement en 2017, avec ce tweet : « J’essaie de prendre des photos avec mon appareil photo, mais ça montre ça. Vous pensez qu’il tente de me transmettre un message ? ». On y voyait un carré gris, qui dissimule, en réalité, une image "bugée" de la vidéo de la PAX.

« C’était mon jeu d’horreur »

Tout s’arrête sur Twitter, mais pas chez les joueurs. Ce drôle d’ordinateur cache un secret et les internautes feront tout pour le découvrir. Ils décident de revenir sur l'une des premières pistes : Edmund McMillen, créateur de The Binding of Isaac. Et ça tombe bien, il organise très souvent des sessions questions-réponses avec ses fans. Alors en 2019, un utilisateur se lance et demande des nouvelles de CamDrome. Le développeur répond : « Il a été récemment redécouvert, mais le film a été endommagé par le temps. Aucune idée de ce qu’il en sortira ». Pour les joueurs, c’est un aveu à demi-mot, mais que l’homme assumera. C’est désormais officiel : CamDrome est un jeu du studio Team Meat, porté par Edmund McMillen.

CamDrome ? C'était un jeu d'horreur pour adultes qui avait à peine commencé à être développé, mais qui a été perdu dans la Team Meat pendant un moment. Je ne sais pas ce que je peux en faire maintenant... mais nous verrons - Edmund McMillen (janvier 2021)

Pourtant, si le développeur du mystérieux titre a enfin été identifié, cela ne veut pas dire que CamDrome débarquera bientôt, au contraire. Mcmillen a même expliqué que le développement du projet était au point mort depuis 2013. Pour rappel, à part l’installation de la PAX, il n’existe aucun visuel ou gameplay. Toutefois, le jeu n’est pas abandonné. En avril 2023, sur Tik Tok, un fan a demandé au créatif si CamDrome reviendrait. Il lui a simplement répondu : « Oui ».