L’air avait été frais ce matin-là. Même la veille le feu n’avait pas réussi à me réchauffer. J’avais décidé de passer par Balder pour me rendre en Astora. Et je m’étais rendu compte bien trop tard que c’était une mauvaise idée. Pendant plusieurs jours, j’avais été suivi. L’éclat d’un casque me l’avait révélé. A partir de ce moment-là, je m’étais montré très prudent. Je m’étais empêché d’allumer des feux pour ne pas me faire repérer dans la nuit. J’avais fait disparaître toute trace de mon passage. Et pendant deux jours et deux nuits, j’avais vécu dans une peur intense. Mais le soir du troisième jour, j’avais fini par me résigner. Mes membres étaient glacés. Je préférais mourir l’épée à la main plutôt que de froid.

Quand je m’étais réveillé, mes yeux encore embués s’étaient posés sur les montagnes aux alentours dont les cimes perçaient les nuages. Puis, ce furent les ruines qui étaient apparues, vestiges désolés de l’ancien royaume de Balder. Enfin, ils s’étaient dévoilés à moi. Cinq canailles, sales, fourbues et probablement malades. Mais tous étaient armés de pied en cap. Certains portaient un casque, d’autres une cape déchirée ou encore un lambeau de bouclier. Des déserteurs. La lame avait jailli dans la main de leur chef. Une dague courbée dont la poignée était composée d’un rubis en forme de dragon. Une arme magnifique. Elle s’était plantée avec une vigueur insoupçonnée dans ma poitrine. Je m’étais débattu, comme un poisson échoué sur la berge. Mais il était déjà trop tard. La vie m’avait quitté à cet instant précis, pour me retrouver au Refuge.

Je me réveillai en sursaut. Cette fois mon regard se posa sur les murs humides des égouts. J’étais de retour à Lordran. Je tremblais. De la sueur perlait sur mon front. C’était la première fois que je rêvais de ma mort. La première fois que je me rappelais du temps où je vivais encore. Beaucoup de détails étaient encore nébuleux mais je savais que j’avais entrepris un voyage avant de mourir. J’avais été un aventurier jadis mais à Lordran je me transformais malgré moi en véritable guerrier. J’ignorais quelle force m’animait et me donnait le courage d’affronter des ennemis aussi terrifiants que les dragons et les gargouilles. J’avais totalement perdu la notion du temps. J’ignorais si j’avais dormi toute une journée ou seulement durant une heure. Je me baissai et je ramassai mon arme. Je déverrouillai la porte que j’avais pris soin de barricader, pour éviter de me faire attaquer durant mon sommeil. Il régnait un silence de mort dans les égouts. Je profitai de cet instant privilégié pour en chercher la sortie au calme.

Arnaqueur, arrête d'arnaquer...

Je laissai les rats fuir à mon approche. Je ne désirais qu’une chose : quitter les lieux. Je n’avais pas vu de passage pour continuer plus loin dans les égouts. Ou du moins, je n’y avais pas prêté attention. Je repassai par les endroits que je connaissais déjà, faisant gaffe au moindre détail. Je tombai enfin sur le colporteur. La salle qu’il occupait était envahie par toutes sortes d’objets encombrants tels que des roues et des caisses. Je m’approchai de l’homme qui m’accueillit d’un signe de la main :

— Vous revoilà, fit-il. Nos routes se recroisent.

— Je cherche la sortie de ces égouts. Une idée ? répondis-je.

— Hm, pas sûr, non. Mais vous avez peut-être envie de m’acheter quelque chose ?

Je jetai un œil perplexe à ses marchandises. Rien ne m’intéressait dans tout ce fatras.

— Non, dis-je.

— Allons, je ne vous crois pas. Passons un marché dans ce cas : vous m’achetez une babiole et je vous montre la sortie. Ca vous va ?

Je fulminai. J’hésitai pendant un moment à tuer cet escroc mais je préférais m’abstenir. Je lui achetai à contrecœur une boîte pour un prix démesuré. Il ricana en secouant légèrement sa vieille carcasse. Puis du menton il m’indiqua une direction :

— Elle est juste là, votre porte. Derrière cette pile de tonneaux.

En effet devant moi se dressait une série de barriques. De part et d’autres on devinait des jointures, supposant la présence d’une porte. D’un coup de pied, la pile s’effondra. L’accès maintenant dévoilé, je poursuivis mon périple non sans une certaine frustration par rapport au colporteur qui m’avait arnaqué.

Les bas-fonds de Lordran

Je débouchai sur un immense puits. L’obscurité qui y régnait était trop intense pour discerner le plafond. Une échelle, optant soudainement pour une allure tribale à mi-chemin, conduisait encore plus bas que les égouts. Quelques torches éclairaient les alentours et permettaient aux aventuriers tels que moi de ne pas tomber dans le précipice. Un pont de rondins profitait d’une brèche dans la maçonnerie pour guider le voyageur vers une caverne attenante au puits. Dans la pénombre se voyaient des reflets qui bougeaient sur un rythme régulier. La respiration de quelques créatures. Elle était plutôt imposante et ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà vu à Lordran. Une seconde échelle me ramenait au même niveau que ladite bestiole. En cas de problème, je pouvais aussi m’en servir pour remonter et fuir le danger. C’est donc à moitié rassuré que j’entrepris la descente.

Je posai le pied sur une planche pourrie. Elle n’était pas très solide, comme j’aurais pu m’y attendre. J’avais l’impression de m’enfoncer à chaque pas, comme dans du sable. Des trous parsemaient également le plancher et ils devenaient plus nombreux sur le pont de rondins. Le monstre m’attendait de l’autre côté. Il n’hésita pas une seconde à engager le combat sur ce même pont. Il était énorme, bien plus que ce que j’avais imaginé en l’apercevant de loin. Il devait s’agir d’un ogre, ou de quelque chose de similaire. Je grimpai en une fraction de seconde à l’échelle. Là j’attendis que mon cœur se calme. L’ogre ne pouvait me suivre et il poussait des cris rauques à déchirer les tympans. Son armure était hérissée de piques et sa massue aurait pu me défoncer le crâne sans effort. Malgré ça je sautai de mon perchoir. Mais j’avais mal calculé la distance et j’atterris derrière lui. Il m’envoya valser dans le vide d’un balayage de son arme…

En soi, cet ennemi n’était pas particulièrement plus coriace qu’un autre. Le véritable problème résidait dans le fait que je n’avais pas la place pour l’affronter. Le précipice m’entourait de toutes parts et je ne pouvais me permettre d’effectuer des roulades et des esquives. Quant à pousser la créature pour la faire tomber, je n’y pensais même pas. Il me fallait l’inciter à commettre une erreur pour qu’elle tombe d’elle-même dans le vide. Je l’attirai jusqu’à la plate-forme en bas de l’échelle. Là je disposais d’une certaine marge de manœuvre. Il m’était possible, en étant rapide, de passer derrière l’ogre pour éviter ses coups. Il était lourd et pataud et c’était là ma seule chance. Je tournai autour de lui pendant un moment. Je priai pour qu’à chacune de ses attaques l’ensemble de la structure en bois ne s’effondre pas. Elle tremblait à chaque fois.

Le monstre tenait bon. Il était évident que l’habitude de vivre en ce lieu lui avait enseigné à s’y battre en toute sécurité. L’erreur que je voulais provoquer ne vint jamais. Je changeai de tactique. Quand je m’éloignais de lui, il se mettait à brailler, relâchant soudainement toute son attention. C’est ce moment-là que je choisis. Son cou était moins bien protégé que le reste. Les cristaux de mon espadon le déchiquetèrent et la lame ressortit par la nuque, maculée de sang poisseux et nauséabond. L’ogre n’était maintenant plus qu’un pantin que je dégageai d’un coup de pied. Il chuta sans un bruit dans l’immense cavité. Je me précipitai sur le pont avant qu’il ne suive le cadavre.

La caverne contenait un ensemble de passerelles, ponts et habitations, le tout en bois. Là vivaient des créatures insolites, un croisement entre des poissons et des morts-vivants. L’échelle tribale était sûrement de leur fait car le hameau souterrain qu’ils avaient construit arborait des allures primitives. Tout comme leurs armes. Un tireur m’envoyait régulièrement des fléchettes empoisonnées. Du lichen m’aida à faire partir les toxines mais tant que l’ennemi était en vie, j’étais exposé. Je parcourus un dédale de ponts pour finalement le trouver et l’occire. Ceci fait, j’explorai les alentours. J’eus un mal fou à trouver mon chemin car ici aussi tout se ressemblait.

Je posai le pied sur un pont mais je reculai aussitôt car il s’était mis à bouger. Heureusement une issue à gauche me permettait de me rendre au même point en toute sécurité. Je tuai toutes les créatures qui se dressaient sur mon chemin. Elles étaient faibles et me rappelaient les carcasses du Refuge. Plus bas, j’allumai un feu pour me reposer quelques instants. Je souris gravement en pensant au feu qui m’avait coûté la vie à Balder. Je sortis la boîte sans fond que j’avais acquise malgré moi auprès du colporteur. J’y rangeai tous les objets qui ne me servaient pas. Je me levai, prêt à reprendre la route. Mais pour aller où ?

L'ennemi le plus ridicule du monde

Plus loin, c’est une meute de chiens qui m’accueillit. Ils étaient rouges comme la braise. On avait probablement arraché leur peau. Dans quel but ? Je les décimai sous une pluie de fléchettes empoisonnées. Au hasard de mes déambulations, un son attira mon attention. En contrebas, une chose s’agitait dans l’obscurité. On aurait dit une sorte d’araignée géante dont le corps était celui d’une énorme limace. Elle était gluante et franchement repoussante. Je me demandais comment toutes ces créatures hostiles faisaient pour cohabiter : les ogres, les morts-vivants à l’allure de poisson, les chiens et maintenant ces… choses ?

D’autres hommes s’étaient aventurés jusqu’ici avant moi. De temps en temps je trouvais leur cadavre dans ce dédale. L’un d’eux me donna un bouclier de l’aigle, d’autres leurs âmes. Je repoussais sans cesse la confrontation avec l’araignée-limace. J’espérais trouver un autre chemin. Et sans savoir comment je me retrouvai soudain juste à côté. Je m’en approchai et la bête souleva une patte pour l’écraser aussitôt au sol. J’empoignai fermement mon arme. Furieux d’avoir été presque embroché, je coupai la patte coupable. Et sous mon regard étonné, le monstre lâcha prise et s’écrasa plus bas. Je me pris à rire, croyant avoir affaire à un monstre féroce. Je découvris un second puits, au moins aussi imposant que le premier. Plus bas, un voile de fumée barrait la route. Je retournai en arrière. Près du feu se trouvait une zone que je n’avais pas encore explorée.

Arnaqueur, tu vas le payer...

Les chiens rouges crachaient du feu. Je m’empressai de les liquider par peur, une fois de plus, que l’édifice entier ne succombe. Le tout étant en bois, il me paraissait évident d’empêcher les chiens de vomir leurs flammes. Un autre pont amovible se dressait devant moi. Mais cette fois, je n’eus d’autre choix que de l’emprunter pour aller plus loin. Durant toute la traversée, je retins ma respiration. En dessous de moi, le sol se trouvait à peu près à une centaine de mètres. Et régulièrement les différentes parties du pont pivotaient, déformant complètement la structure et menaçant de m’envoyer au fond au moindre faux pas. Je le passai avec toutes les précautions du monde, prenant mon temps pour franchir chaque partie. De l’autre côté, je m’octroyai une petite pause. Mais le chemin ne conduisait pas très loin. Je me retrouvai rapidement bloqué, sans avoir d’autre possibilité que de repartir en arrière… Je franchis une nouvelle fois le pont. J’étais plus à l’aise qu’à l’aller, l’ayant passé la première fois sans encombre.

Hormis trois touffes de lichen et une humanité, je ne trouvai rien d’intéressant dans le coin. J’estimai avoir exploré toute la région. Je me rendis dans le second puits et je gagnai le voile de fumée. Je n’en finissais plus de descendre. Deux échelles conduisaient encore plus bas. J’étais bientôt au fond de la caverne. Un insecte géant voletait à ras du sol. Il déploya une sorte de fouet de feu mais je lui arrachai les ailes avec mon épée. J’éliminai une série d’insectes quand tous les cristaux de mon arme volèrent en éclats. Une boule d’angoisse se forma dans mon ventre. Privé de mon arme, j’étais déjà mort. Je retournai immédiatement près du feu pour être tranquille. Là j’essayai de réparer mon espadon mais j’ignorais totalement comment faire. A contrecœur je la rangeai tout en poussant une bordée de jurons. C’était une bonne arme à laquelle je devais renoncer. Je maudis encore le colporteur qui me l’avait vendue et qui ne m’avait pas prévenu de sa fragilité. Si je tombais dessus, je ne l'épargnerais sans doute pas. Je ressortis la claymore que j’avais trouvée près du dragon rouge. Elle était nettement moins efficace. La suite allait se révéler beaucoup plus difficile.

L’échange d’épées effectué, je revins sur mes pas. Mais pour chaque lieu que je visitais, je jetais un coup d’œil prudent avant de m’engager. Après quelques ennemis défaits de manière laborieuse, j’optai plutôt pour une hache extrêmement lourde. Maniée à deux mains, elle faisait des ravages. Cependant à cause de son poids, elle était difficile à manipuler et d’une telle lenteur que je prenais souvent un coup avant d’avoir pu en porter un. Ma claymore était inefficace, tout comme la hache de gargouille… Je ne pouvais aller plus loin. Et renoncer à tous ces efforts aurait été dommage. Il ne me restait plus qu’une solution : me rendre chez le forgeron pour qu’il répare l’espadon.

Je refis tout le chemin en sens inverse. Je retournai dans les égouts et de là je gagnai les soubassements du village. Je remontai à la surface jusqu’à la paroisse. Puis j’accédai à la ruine où avait élu domicile André le forgeron. Mais comble de malchance, lui non plus n’était pas capable de donner une seconde vie à mon espadon. Je fulminais. Il ne me restait plus qu’à regagner le Refuge pour y pourrir et devenir une carcasse… C’est André qui proposa une solution alternative : aiguiser la lame émoussée de ma claymore. Ainsi elle retrouverait une certaine efficacité. J’acquiesçai sans conviction. Par chance, il vendait des ustensiles pour améliorer armes et armures. Je les lui achetai, pour m’éviter des futurs allers-retours jusqu’à lui. Je laissai ensuite le soin au forgeron de renforcer la lame de ma claymore pour la rendre plus acérée. Ceci fait, je m’en retournai au hameau souterrain.

Zone inondable

Durant toute la descente, je fus assailli par une myriade de mouches. Je me demandais d’où elles venaient. Mais il me suffit de regarder aux alentours pour avoir la réponse. Des racines immenses sortaient des murs. Leurs nids devaient s’y trouver. Le terrain en contrebas était en réalité un marécage empoisonné. Je l’appris malgré moi quand, ayant raté une marche, je me retrouvai plongé dans l’eau poisseuse. Le poison ne tarda pas à gagner mon sang. Je me sentais faible et le seul recours que j’avais se trouvait dans le lichen. Mais je devais faire attention car mes réserves de la précieuse mousse s’amoindrissaient rapidement. Il me fallait absolument rester sur la berge.

Des pitons rocheux dépassaient çà et là du sol. Une petite bande de terre les accompagnait à chaque fois. Je me rendis de l’un à l’autre, essayant de minimiser mes déplacements dans l’eau. Les mouches m’attaquaient toujours, rendant la tâche plus compliquée qu’elle ne l’était déjà.

Je découvris une alcôve en pierre qui pointait hors de l’eau. Un couloir menait au fond de l’un des deux puits. Je ne pus déterminer lequel car après avoir tourné dans tous les sens, je n’avais plus le moindre sens de l’orientation. Là se trouvait un coffre sans protection. Je me méfiai, pensant naturellement à un piège. Je m’attendais à ce qu’un monstre me tombe dessus au moment où je touche le coffre. J’avançai vers celui-ci avec précaution, jetant un regard affolé vers tous les recoins. Et quand je me plantai juste devant le coffre sans subir d’assaut, je me dis que la pièce de bois elle-même devait être piégée. Je l’observai, à la recherche d’un mécanisme mais je ne vis rien. J’ouvris enfin le couvercle et là encore je m’apprêtai à combattre quelque bête qui serait arrivée silencieusement dans mon dos. Mais on me laissa tranquillement fouiller la cachette. J’en extirpai une écaille de dragon. Je remontai précipitamment l’échelle qui m’avait permis de descendre dans le puits et je retournai dans le marais. Je m’étonnai que personne n’ait tenté de me piéger. Je m’enfonçai plus loin dans la tourbière. Près de l’alcôve, des torches en cercle attirèrent mon attention. Elles indiquaient le chemin car une volée d’escaliers démarrait juste après.

L'équilibrisme ce n'est pas pour tout le monde

Une machinerie composée de roues et de poulies faisait un bruit quelque peu rassurant. Il s’agissait en réalité d’un ascenseur dont les plates-formes n’offraient aucune sécurité. Je frémis durant l’ascension car j’atteignis rapidement une hauteur vertigineuse. Et vu la configuration de l’ascenseur, il ne fallait pas traîner pour sortir. J’arrivai à hauteur d’une passerelle. Je sautai hors de la plate-forme qui commençait déjà à décrire une courbe autour de la roue qui la déplaçait.

Ici aussi se trouvait une série d’échelles mais cette fois elles conduisaient vers la surface. Je fouillai les alentours tout en prenant mille précautions afin de ne pas tomber. Une cavité infestée de tireurs me donna du fil à retordre. Des fléchettes empoisonnées volaient autour de moi. Je tuai un à un les mécréants tout en me gavant de lichen quand ils me touchaient. Je n’avais pas emmené de bouclier et je commençais à le regretter. Je ressortis et je me risquai sur une branche d’arbre. Pas très large, elle suintait un produit inconnu qui avait tendance à rendre la ramure glissante. Je me trouvais trop haut pour que je regarde en bas. Le vertige paralysait mes mouvements, inutile d’en rajouter. A mi-chemin, je regrettai déjà de m’être aventuré par-là. Comble de l’ironie, l’autre côté ne contenait rien d’intéressant. Furieux, je revins en arrière. Ma colère se transforma aussitôt en effroi lorsque je retraversai l’abîme dans l’autre sens. Je ne perdis pas une minute de plus et je grimpai le plus haut possible. Dans un coffre je trouvai une clé.

Le dragon revenu d'entre les morts

Je suivais maintenant un long boyau. Tellement long que je n’en distinguais pas le bout. Et soudain j’étais à l’air libre. Qu’il était bon de sentir le vent sur ma peau. Je profitai des quelques rayons du soleil avant de me remettre en route. J’étais sur une fine bande de pierre qui sortait de la montagne. Plus loin, une passerelle rejoignait un autre versant. Je décidai de suivre la bande sur laquelle je me trouvais.

Je crus d’abord apercevoir une énorme plante. Mais en réalité il s’agissait d’un dragon mort. Entre ses gigantesques griffes et sa gueule reposaient des cadavres. Les fouiller était tentant. Mais ce qui était défunt au royaume de Lordran ne l’était pas tout à fait… J’hésitai pendant un moment. Si je passais mon chemin et que le dragon était véritablement décédé, je pouvais oublier les éventuels trésors qu’il gardait jadis. Si par contre il feintait la mort, c’était moi qui allais l’être bientôt. Je me résolus à prendre le risque après avoir analysé le dragon. Il paraissait ne plus vouloir bouger. J’entrepris de fouiller en vitesse les corps. Puis un œil s’ouvrit. Le dragon leva la gueule et me happa. En un coup de dent, il me dévora.

Il était maintenant bien réveillé. Je maudis ma cupidité mais j’avais au moins eu le temps de récupérer l’une ou l’autre chose. J’évitai de retourner auprès du dragon. J’empruntai la passerelle qui séparait les deux versants de la montagne et je déverrouillai, avec la clé que j’avais trouvée juste avant le tunnel, la grille qui se trouvait tout près. Je me retrouvai dans une nouvelle caverne. Encore une… Je regrettais déjà le soleil. Mais le spectacle qui s’offrait à moi était magnifique. Une véritable ville souterraine s’étalait sous mes yeux, faiblement éclairée par une lueur bleutée.

L'enfer sous terre

Un ascenseur m’emmena à la surface et c’est avec une agréable surprise que je me retrouvai au sanctuaire de Lige-feu. Mais le feu ne brillait plus. Et je ne pouvais pas le raviver. L’homme qui se tenait auprès de ce dernier m’apprit que la gardienne du feu était absente. Je retournai donc d’où j’étais venu avec un pincement au cœur. Un pont en bois courait au-dessus de l’eau et conduisait à la ville. Je m’y engageai en ne quittant pas l’eau des yeux. Elle était très profonde et le poids de mon armure m’entraînerait à coup sûr au fond. Arrivé à l’autre extrémité, un mouvement attira mon regard. Une sorte d’ombre blanche sortait du sol. Un fantôme. Seuls les êtres maudits étaient en mesure de les affronter. Juste avant le pont, un cadavre avait eu le don de se maudire temporairement. Je le récupérai et je l’utilisai pour massacrer les fantômes. Face à ma claymore, ils ne pouvaient rien faire. Je grimpai un escalier menant à une bâtisse imposante. Là, le carnage continua. Mais plus j’avançais, plus les fantômes devenaient nombreux. Ils arrivaient de partout, m’attaquant à travers les murs et le sol. Je reculai jusqu’à une passerelle de pierre, où je poursuivis la lutte. Sous les assauts répétés des fantômes, je finis par glisser et tomber dans l’eau en contrebas. Je me débattis contre les flots, essayant à tout prix de regagner la surface. Mais rien n’y fit. Ma vue se brouilla et devint noire alors que mes poumons se remplissaient d’eau.

Il me fallait être maudit. Les égouts contenaient quelque chose de malsain dans l’air, probablement ce qui affectait les rats qui y vivaient. Je devais découvrir la source de la malédiction pour m’en imprégner. Je savais que cela m’en coûterait mais je n’avais pas le choix. Et j’avais toujours ma pierre de purge pour me libérer de la malédiction en temps voulu. Je partis en direction des égouts. Sur le chemin, je trouvai un début de réponse, un souvenir de ma lointaine vie d’aventurier. Les basilisques, sortes de grenouilles que j’avais croisées dans les profondeurs de Lordran, libéraient des toxines qui détenaient un pouvoir puissant et occulte. Une légende courait sur elles et disait qu’en les respirant suffisamment longtemps, il se passait quelque chose de malsain…

Je m’approchai d’un basilisque dans les égouts et je le laissai me cracher ses toxines à la tête. Je me sentis rapidement défaillir. Quelque chose en moi changeait. Je revins à la ville souterraine.

Des fantômes m’assaillaient de partout. Ils traversaient les murs, les plafonds, le sol. Ils essayaient de m’attraper avec leurs armes éthérées. Je tailladais de tous côtés avec ma claymore. Les fantômes disparaissaient les uns après les autres mais il y en avait toujours plus. Je courus au hasard, en espérant que cela cesse, tout en prenant garde de ne pas tomber. Mais ils étaient trop nombreux. Je fus submergé en un clin d’œil et traversé de part en part par leurs armes. Je tentai un nombre incalculable de fois de revenir mais chaque tentative se solda par un échec cuisant. A chacune de mes morts, je sentais mon âme se déliter, me rapprochant un peu plus de l’état de carcasse. Il était clair que les fantômes étaient trop puissants et moi trop faible. Je renonçai à passer par là pour le moment. Je me purgeai de la malédiction à l’aide de la pierre et je me sentis beaucoup mieux. Je gardai en tête la malédiction délivrée par les basilisques. Ca me servirait plus tard quand je reviendrai ici. Je retournai encore à Lige-feu car l’homme qui s’y trouvait assis pour l’éternité en savait long sur les cloches de l’Eveil. Il pourrait peut-être m’indiquer où trouver la seconde ?

La fin du début

Il était muet comme une tombe. Il ne voulait rien me dire. Je me rappelai soudain de ses paroles lorsque je suis arrivé. D’après lui, une cloche se trouvait en haut et l’autre en bas. Celle du haut était sûrement celle du village des morts-vivants, que j’avais faite sonner. Quant à aller en bas, le hameau souterrain me semblait être la partie de Lordran la plus basse que j’avais vue. J’y retournai.

Je pataugeais de nouveau dans le marais. Je poussai l’exploration plus loin que tout à l’heure. Je tombai sur des ogres qui portaient des rochers énormes à bout de bras. Ils me les lancèrent. J’étais contraint de rester caché car les monstres restaient dans l’eau. Il était impensable d’y livrer un combat à cause du poison. Après quelques secondes ils vinrent me chercher, faisant rouler une énorme boule de pierre devant eux. Ils la levaient de temps en temps pour m’écraser. Mais je m’en débarrassai facilement puisque les pierres gênaient leurs mouvements.

J’avais enfin trouvé. A l’autre bout du marais, une colline envahie de toiles d’araignée me narguait depuis le début car j’étais passé plusieurs fois devant sans y prêter attention. L’entrée d’une caverne remplie d’œufs me révulsa mais je me résolus tout de même à y pénétrer.

Du couloir émanaient des psalmodies, comme un chant plaintif. Sur le sol, des hommes envahis d’œufs se traînaient. Ils chantonnaient en se contorsionnant. Je ne pus supporter longtemps ce spectacle et je les libérai tous les deux.

Mi-araignée, mi-femme et re mi-araignée derrière

Quelques pas plus loin, je tombai nez à nez avec une créature des plus étranges. C’était une araignée enflammée, surmontée d’un tronc de femme. Ce curieux mélange me déconcerta un instant. Elle me chargea immédiatement. L’araignée cracha de la lave que j’évitai de justesse. Passant derrière elle, je remarquai qu’elle n’avait pas de dard. Peut-être son point faible. L’araignée inonda la moitié de la salle avec son liquide brûlant. Je m’en écartai vivement. J’étais maintenant trop loin pour affronter le monstre. Je ne disposais pas d’arme de jet efficace pour l’abattre. Quant à jeter des bombes enflammées sur un monstre vivant dans le feu, c’était exclu. Pire, ça l’aurait peut-être renforcé.

Nous nous défiâmes longtemps du regard. Puis l’araignée traversa la lave qu’elle avait répandue. Elle ne la gênait nullement. Elle se propulsa en l’air avec une vitesse fulgurante et atterrit sur moi. Elle me plaqua au sol tant son poids était imposant. La tête de la bête touchait presque la mienne. Heureusement, ses pattes ne possédaient pas de griffes, sans quoi elle m’aurait embroché à l’impact. J’étais prisonnier et durant la chute mon épée avait glissé un peu plus loin. Je donnai un coup avec mon front mais cela eut pour seul effet d’enrager davantage la bête. Le gargouillis qui suivit me paralysa de peur. Elle n’allait pas tarder à me jeter sa lave au visage. J’improvisai. Je la mordis au cou et un goût fétide envahit ma bouche, qui devint pâteuse. L’araignée poussa un grognement bizarre et jeta la tête en arrière. Elle desserra aussi l’étreinte qu’elle exerçait sur moi. Je roulai sur le côté, juste à temps pour éviter le déferlement de lave. Je ramassai mon épée et je me remis debout.

Je ne me rendis compte qu’à ce moment-là que j’avais mordu tellement fort que j’avais arraché un bout de chair. Je le recrachai. Du sang vert l’accompagna. Je ne sentais plus ma bouche et cette sensation étrange s’étendait déjà à mon cou. Je possédais encore un peu de lichen. J’en mâchouillai une partie, craignant m’être fait de nouveau empoisonner. L’araignée, folle de rage, bondit encore sur moi. Mais cette fois j’anticipai. Elle tomba juste à côté de moi. Je tournoyai sur moi-même et le bout de mon épée s’enfonça dans le corps du monstre. Je pris de l’élan pour sauter sur la bête et en finir. Elle se retourna à mon approche et cette fois c’est la femme qui prit le relais. Elle maniait un fou de feu. Je m’accroupis et celui-ci passa au-dessus de moi. Je me relevai d’un bond, pour planter mon épée dans le cœur de la bête. Araignée et femme poussèrent leur dernier cri ensemble. Le corps s’effondra. Je m’interrogeai pendant un moment sur l’origine de cette créature.

Je gravis quelques marches et derrière une porte, je vis enfin ce que j’étais venu chercher : la seconde cloche de l’Eveil… Je poussai un long, très long soupir de soulagement. J’actionnai le levier et le doux tintement de la cloche résonna dans mes oreilles. Je souris. Le son me rappelait des souvenirs quand j’étais encore vivant. Je me pris à observer les alentours, une vision d’horreur teintée de lave. Mais même cette vue atroce ne m’arrachait pas le sourire des lèvres. J’avais accompli ma quête. Ou du moins la première étape. J’ignorais ce qu’on attendait maintenant de moi. Et d’ailleurs, qui était-ce « on » ?