Sept ans après un certain Akira, sortait en 1995 Ghost in the Shell, adaptation du manga éponyme de Masamune Shirow. En très peu de temps, l'oeuvre de Mamoru Oshii deviendra aussi culte que son modèle grâce à une maîtrise parfaite du fond et de la forme. Si quelques années plus tard, Ghost in the Shell 2 : Innocence complexifiera encore plus le propos, reflet d'un visuel également plus riche, le premier film reste quoi qu'il advienne un chef-d'oeuvre intemporel qui aura bravé l'épreuve du temps à travers plusieurs versions dont la dernière, entièrement restaurée, offre au métrage une éclatante beauté. Le pari de toucher à l'intouchable se pose donc d'emblée pour l'adaptation live du film d'Oshii au delà de celui de s'adresser à un grand public peu coutumier de l'animation japonaise.
La première question qu'on peut raisonnablement se poser concerne justement ce fameux public cible car si il est acquis que le film divisera, il est difficile de savoir précisément si le métrage de Rupert Sanders (le très sympathique Blanche Neige et le Chasseur) s'adresse principalement aux profanes ou au contraire aux fans. En effet, en oscillant constamment entre références aux deux films d'Oshii (et à son œuvre au sens large) et histoire plus accessible en l'expurgeant sciemment de véritables notions philosophique (la sève de l'original), Ghost in the Shell semble constamment se chercher à l'instar de son héroïne principale.
De quête d'humanité à quête d'identité
Nous touchons d'ailleurs ici du doigt la première véritable différence entre les deux GitS puisque si le premier s'attardait sur les questionnements de Kusanagi concernant ce qui définit l'être humain, le film de Sanders opte davantage pour une quête d'identité via l'enquête du Major essayant de savoir vaille que vaille qui elle était avant sa cybernétisation. Si pour des raisons d'accessibilité et de compréhension, ce choix a du sens, on trouvera plus malheureux que le réalisateur anglais ait malgré tout cherché à insérer des éléments plus profonds sans se donner les moyens de les creuser. Ainsi, au delà d'une ou deux scènes (celle avec la prostituée, les dialogues avec le docteur Ouelet), le real ne fait que survoler brièvement ces questionnements au centre de Blade Runner auquel il renvoie à plusieurs moments. Même son de cloches concernant les réflexions sur l'utilisation des networks ou bien encore l'upgrade d'humain, ce transhumanisme servant en tant qu'amorce à l'intrigue principale mais étant rapidement laissé en arrière plan.
En somme, Ghost in the Shell cherche, à l'instar du Major, à se trouver une personnalité propre tout en ne reniant jamais son passé. Malheureusement, ce respect lui fait de l'ombre car il est très difficile de ne pas comparer les trois œuvres fusionnant le temps d'innombrables idées visuelles, plans ou même séquences entières. Si le fan retrouvera bien les moments cultes du premier film (l'introduction, la scène de poursuite dans les bas-fonds de Hong-Kong, la séquence finale du premier anime, les androïdes geisha, etc.), aucune scène ne parvient jamais à surpasser ni même égaler celles de l'anime. La faute à une réalisation finalement peu inspirée, sorte de copier/coller sans âme (un comble pour Ghost in the Shell) noyé sous une pluie de CGI et un casting d'acteurs peu inspirés ou surjouant maladroitement.
Si on retrouve également un simili Puppet Master en la personne de Kuze, étrangement lié à Motoko et à même de pirater n'importe quel citoyen disposant d'implants cybernétiques, l'acting hasardeux dessert le propos en rendant certaines séquences involontairement drôles, la faute à des acteurs simulant maladroitement le hacking de leur Ghost. Au final, si les seconds couteaux peinent à convaincre, le casting principal n'est pas mieux loti. Direction d'acteurs branlante ou comédiens un peu perdus dans cet univers si particulier ? Difficile d'être catégorique mais voir pendant 1h45 Scarlet Johansson froncer les sourcils et marcher en bombant le torse pour faire ressortir sa nature de femme forte à travers sa carapace d'androïde a de quoi faire sourire. Si on pensera ici au jeu monolithique de Robert Patrick, basé sur la même gestuelle, dans Terminator 2, celui-ci avait un sens qui est ici plus critiquable du fait de la nature du Major censé ressembler à un humain, tant dans ses mouvements que dans ses expressions.
Difficile aussi d'accepter le sort de la Section 9. Si à l'image des films d'Oshii, tous les membres n'ont pas le droit au même traitement, on sera surpris (autant en temps qu'adaptation que film à part entière) du temps d’apparition extrêmement limité, exception faite de Batou, des autres personnages, de la place de Togusa (seul humain du groupe à ne pas être amélioré et servant d'habile contre-poids à l'intérieur de la team) ou de celle d'Ishikawa n'étant jamais présenté comme l'expert en informatique qu'il est pourtant. En somme, au delà des critiques de whitewashing (aspect offrant néanmoins au film une atmosphère assez étrange), on regrettera que Sanders ait simplement intégré les membres de la Section 9 sans prendre le temps de leur offrir une raison d'être. Reste toutefois Aramaki, leader charismatique de l'escouade n'hésitant jamais à faire pression dans les hautes sphères politiques pour mener à bien son objectif, qui devient ici un patron n'ayant pas son pareil pour faire parler son six coups. Comme si Sanders avait souhaité que Takeshi Kitano incarne ce personnage en puisant dans sa filmo, Violent Cop et Sonatine en tête. Idée originale à défaut d'être très subtile.
Trailer de Ghost in the Shell (2017)
De Blade Runner à Ghost in the Shell
Si le fond altère ou du moins amenuise le propos de l'original tout en essayant de s'en approcher, la forme se montre déjà beaucoup plus réussie grâce au travail de la talentueuse équipe de WETA (Le Seigneur des Anneaux, King Kong...). Reste que si les sfx liés aux androïdes ou à ce qui touche aux corps, réussissent haut la main leur examen de passage, les plans larges de la ville tombent parfois dans une surenchère visuelle évoquant une sorte de Blade Runner shooté aux images de synthèse.
Parfois superbe (surtout dans ses plans nocturnes), parfois maladroit (les véhicules, le Spider-Tank...) le film de Sanders réussit néanmoins à rendre vivante cette ville ayant, à l'instar de ses habitants, évolué durant de nombreuses années d'empilement. On retrouve donc cette cité entièrement dédiée à la société de consommation, comme si chaque panneau publicitaire, chaque hologramme géant semblaient vouloir cacher ces ruelles, échos d'un passé pas si lointain laissé à l'abandon, aux mains des gangs et des habitants plus modestes.
Entre références et indifférence
Que reste-il finalement de cette adaptation des films d'Oshii ? Outre une pléthore de références et de clins d'oeil (à Avalon, au basset du réalisateur japonais, aux deux premiers GitS bien sûr), on ressort de l'expérience décontenancé, pas nécessairement à cause de cette drôle d'idée d'avoir voulu adapter un tel chef-d'oeuvre mais plutôt à cause de la façon dont Sanders s'y est pris, le réalisateur donnant tout le temps l'impression de tâtonner entre récitation de ses classiques et envie d'apporter sa pierre à l'édifice créé par Shirow.
De rythme contemplatif, on passe alors à quelque chose de bien plus dynamique comme si le film, une fois lancé sur ses rails, ne pouvait s'arrêter qu'à travers sa première scène reprise en guise de conclusion, ultime clin d'oeil aux fans et une façon comme une autre de clore la quête du Major effaçant sa personne mais aussi son passé pour aller de l'avant via un reboot de son Ghost.
Pour autant, tout en subissant l'absence du score de Kenji Kawai (indissociable du film d'Oshii) remplacé par la partition assez fade de Lorne Balfe et Clint Mansell, le long-métrage hésite constamment dans ce qu'il doit raconter, comme si Sanders était prisonnier de son scénario simplifié malgré la volonté de faire réfléchir le spectateur. Ne réussissant ainsi jamais à égaler, d'un point de vue thématique, des films comme Ex Machina ou Blade Runner, Ghost in the Shell loupe un peu le coche en ne se penchant jamais vraiment sur le statut immortel du Major et sur ce qui définit l'âme humaine. Si nous n'attendions pas quelque chose d'aussi poussé, on pourra néanmoins être déçu de n'avoir droit qu'à un film futuriste dans sa vision mais nullement dans ses thèmes et dont l'approche scénaristique aurait mérité bien plus de réflexion pour s'imposer en tant que blockbuster stylé dont la principale valeur est de mettre en avant les qualités des longs-métrages de Mamoru Oshii ou de nous faire piaffer d'impatience jusqu'à la sortie de Blade Runner 2049.