Le 7 août dernier, une mise à jour de la F.A.Q dédiée à la bêta de Fallout 76 dévoilait une information cruciale pour les joueurs PC : sur cette plateforme, le prochain opus de la série de Bethesda verra seulement le jour par le biais du launcher Bethesda.net. À l’heure de l’omniprésence de Steam sur le marché des plateformes de téléchargement, ce choix peut étonner, mais il découle d’une stratégie logique que plusieurs éditeurs ont déjà adoptée en mettant en avant leur plateforme propriétaire.
Depuis quelques années déjà, Bethesda cultive une image de marque à contre-courant d’un marché que l’on dit favorable aux expériences multijoueurs, en témoignent les succès populaires d’Overwatch ou Fortnite. Nous l’évoquions dans un article en décembre dernier, juste après la cérémonie des Game Awards : l’éditeur américain se posait alors en tant que défenseur du jeu solo via les Fallout, Prey, Dishonored, Wolfenstein ou autres Doom. Au delà du solo, les productions Bethesda ont en commun une certaine appétence pour la vue à la première personne et les univers adultes. Pas forcément exempts de toute légèreté, mais le plus souvent avec un ton et une approche visuelle nettement plus sombres que celles d’un titre de Blizzard, à titre de comparaison.
Ces derniers ne partagent pas le même genre d’univers, mais il est au moins un point sur lequel Bethesda tente évidemment de s’inspirer de Blizzard, à savoir proposer sa propre plateforme de téléchargement. Il faut dire que l’éditeur/développeur californien fait office de pionnier en la matière, puisqu’il a lancé très tôt battle.net avec l’arrivée de Diablo en 1996. De simple chat et outil de matchmaking, la plateforme a su évoluer à chaque génération : mise en place d’un launcher, enregistrement de clés CD et boutique en ligne, et même ajout des titres du catalogue Activision avec Destiny 2 en 2017. Une longévité qui fait assurément la force de Blizzard, capable depuis deux décennies de fédérer une véritable communauté ne rechignant pas à l’idée de pouvoir uniquement jouer à ses titres favoris via Battle.net.
Une concurrence importante
Dans ce contexte, voir Bethesda lorgner sur un tel modèle avec la ligne directrice qui est la sienne peut sembler étonnant. Malgré une patte visible et notamment entretenue par des conférences E3 jouant la carte de l’éditeur ayant gardé un esprit rock’n roll et indépendant, il lorgne aussi avec appétit sur le jeu en ligne : The Elder Scrolls Online et Legends, Quake Champions et bientôt Fallout 76 en sont les plus récents exemples, tous fièrement exposés sur le launcher Bethesda. Mais l’éditeur est confronté à plusieurs difficultés de taille. La première, c’est celle d’arriver après une foule de concurrents. Valve avec Steam, Ubisoft et Uplay, Electronic Arts avec Origin, CD projekt et son Gog ou Microsoft via son store éponyme, les solutions ne manquent pas pour les joueurs et le premier cité a en plus l’immense avantage de proposer un catalogue imposant et de s’être affirmé comme un acteur dominant et incontournable du marché. Lancé en 2016 dans sa version alpha, celui de Bethesda reste exclusivement limité à des productions des studios de la firme, tous également disponibles sur Steam après avoir fait l’objet pour certains d’une exclusivité temporaire. Jusqu’à Fallout 76 donc, qui sera jusqu’à nouvel ordre exclusif à la plateforme détenue par l’éditeur est-américain.
Fallout 76, The Elder Scrolls Legends et TES Online
Deuxième difficulté, et pas des moindres, la réussite d’une plateforme proposant des titres exclusifs est soumise à la qualité et à la capacité de ces derniers à trouver leur public. Que ce soit grâce à son très rentable mode FUT sur FIFA, ses itérations des Sims riches en contenu additionnels ou la licence Battlefield a la communauté toujours très active, EA dispose d’axes suffisamment forts pour imposer la présence exclusive de ces derniers sur sa plateforme Origin. Ubisoft a de son côté pris moins de risques et opté pour la stratégie de l’ouverture, mettant à la fois ses titres à disposition de sa plateforme propriétaire et de Steam, la première servant surtout à proposer ses propres succès et quelques événements communautaires. Quant à Microsoft, il poursuit sa politique d’ouverture en ayant fait le choix d’uniformiser ses plateformes PC et Xbox. Si quelques productions y sont exclusives, d’autres (tels que Quantum Break) se sont aussi frayées un chemin du côté de Steam.
Un tournant pour la démocratisation de Bethesda.net ?
Sur le papier, vouloir populariser sa plateforme avec un épisode "classique" d'une série renommée telle que Fallout ou The Elder Scrolls semble moins risqué. Le fait de porter cette première sous la forme d'un concept multijoueur n'effraie toutefois pas Bethesda, qui peut aussi profiter du caractère différent de l'épisode pour s'enlever un peu de pression inhérente à la sortie d'un grand jeu. L'énorme popularité de la saga peut également suffir à attirer des curieux sur la plateforme, en témoignent les bonnes ventes du précédent opus en date, Fallout 4. Par la voix de Pete Hines (Vice-président chargé du marketing), Bethesda expliquait cependant en août dernier auprès de nos confrères d’IGN qu’il ne s’agissait pas d’un choix gravé dans le marbre :
Nous n’avons pas annoncé “Tous les futurs jeux Bethesda ne seront pas sur Steam”. Ce n’est pas ce que nous avons dit. Nous avons dit “Ce jeu sera disponible exclusivement sur Bethesda.net.
La nuance est de taille, et confirme surtout qu’il s’agit d’un nouvel essai de taille pour Bethesda.net et son concepteur, qui entend bien transformer la tentative en véritable réussite. Pour éventuellement migrer peu à peu ses futurs titres exclusivement sur la plateforme ? Rien n’est à exclure pour le moment, ce que confirme une nouvelle fois Pete Hines en annonçant par la suite que le groupe n’a encore rien décidé sur le fait de poursuivre ou non l’expérience avec d’autres licences. Il ne s'agit cependant pas de la première tentative de l'éditeur, qui avait déjà lancé The Elder Scrolls Online et Legends en exclusivité sur sa plateforme : Fallout 76 pourrait alors n'être qu'une étape supplémentaire moins cruciale qu'il n'y paraît au premier abord.
Le trailer d'annonce de Fallout 76
Les raisons officielles du choix d’opter pour un lancement exclusif sur sa plateforme ne manquent pas : sur Steam, les avis des lecteurs ne sont par exemple jamais bien loin et pourraient dissuader de futurs acheteurs en cas de lancement délicat. L’argument semble toutefois léger, ce que démontrent les évaluations estimées comme “variables” par Steam (69% d’avis positifs) d’un Fallout 4 qui, comme nous le soulignions plus haut, a pourtant su s’écouler à 1,2 millions d’exemplaires durant les 24 heures qui ont suivies le lancement sur la plateforme concernée. L’autre argument directement utilisé par Bethesda est généralement l’un de ceux les plus évoqués par les propriétaires des plateformes concernées :
Nous avons le sentiment que le meilleur moyen pour nous de proposer la meilleure expérience et le meilleur service à nos consommateurs est de traiter avec eux directement, et non par le biais de quelqu’un d’autre.
Ce que Pete Hines appuie en évoquant le fait qu’avoir tout le monde qui travaille directement avec vous “rend les choses un peu plus faciles en terme de communication avec votre base de joueurs”. De quoi pouvoir effectivement résoudre plus rapidement les problèmes lors, là aussi, d’un lancement difficile à supporter pour les serveurs, par exemple.
Un moyen d'engranger l'ensemble des revenus des ventes
Mais il existe tout de même un dernier argument, et non des moindres, qui peut justifier ce choix. Sortir son jeu sur une plateforme tierce revient à renoncer à une partie de ses revenus, celle-ci devant être rémunérée à hauteur de 30% des revenus issus des ventes, microtransactions incluses. C’est d’ailleurs pour cette même raison que récemment, la version Android de Fortnite a décidé de se passer du Play Store et de proposer aux intéressés de télécharger directement le titre sur le site d’Epic Games. Un choix particulièrement osé sur Mobiles ou l’App Store et le Play Store règnent en maîtres, mais rendu possible sur cette dernière grâce à l’immense notoriété du Battle Royal. Les 15 millions d’installations sur Android attestent de la réussite de la démarche, qui aurait également permis à Epic d’économiser près de 50 millions de dollars d’après les analystes de SensorTower.
En sortant Fallout 76 exclusivement sur sa plateforme, Bethesda s’estime donc capable de ne pas perdre trop d’acheteurs potentiels vis-à-vis d’une sortie sur Steam, et surtout, se met en position de force pour le lancement, lors duquel il s’assure de toucher l’ensemble des revenus alors que le titre sera vendu à plein tarif. Une fois les premiers mois de lancement passés et si le succès est au rendez-vous, rien n’empêche d’ailleurs Bethesda de porter son titre sur Steam afin de prolonger les ventes à un tarif moindre. Il l’a d’ailleurs fait plus tôt pour The Elder Scrolls Online et The Elder Scrolls : Legend, proposés exclusivement sur leur plateforme avant de s'inviter sur celle de Valve.
En attendant la sortie de Fallout 76 programmée au 14 novembre prochain, nous scruterons donc avec curiosité le lancement des phases de B.E.T.A attendues pour le 23 et 30 octobre prochain. Celles-ci devraient nous permettre d’en savoir davantage sur la capacité ou non de l’éditeur américain à fédérer une communauté autour de son nouveau titre, et surtout de confronter sa plateforme à l’épreuve d’une communauté de taille : celle de Fallout sur PC.