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Sujet résolu : [Nouvelle-Réaliste], Le hussard bleu

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F_Merlin1973 F_Merlin1973
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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:38:50

Note personnelle : Le texte est un condensé de plusieurs éléments propres à mon vécu. Des éléments romancés, mais propres quand même.

Synopsis :

Léon Morin est un jeune vingtenaire alsacien. Intérimaire dans une usine de confiseries du nord de l'Alsace, il ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Apeuré par un monde qui l'inquiète, il croit pouvoir trouver un sens à sa vie en s'amourachant d'une collègue de travail. Si tout serait aussi simple...

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:40:00

Introduction :

“Sérotonine : c’est un petit comprimé blanc, ovale, sécable“. J’ai cherché la joliesse de l’écriture. Le plus naïvement du monde, certes, mais j’ai cherché.

C’est l’histoire d’une histoire qui, par la force des choses et la nature des évènements, a vocation à se baser sur des faits réels. En tout bien tout honneur, évidemment. Évidemment.

En guise de préambule à cette histoire somme toute particulière, laissez-moi planter le décor : un troupeau de vaches, une usine en redressement judiciaire, un vingtenaire aux lunettes rondes. Puisse la vie être romanesque. Dans son ensemble, dans sa globalité.

Je m’appelle Léon. Léon Morin. J’ai 21 ans, natif de Saverne, j’habite à Sarreliebe depuis 20 ans et 359 jours. Mon père, infographiste pour un grand groupe automobile, m’a élevé seul en reniant ma mère qui, adultérine, a préféré combattre le patriarcat en étant la serrure qui se fait ouvrir par toutes les clés. J’ai rejoint Wrimars en début d’année dernière. Rapidement, j’ai trouvé mes marques en combattant les trente-neuf hebdomadaires avec des podcasts. C’est ainsi que, chaque jour travaillé, Christophe Hondelatte côtoie Vincent Moscato lui-même épaulé par le duo Fabrice Drouelle-Tanguy Pastureau. C’est bien, c’est salutaire, ça me permet de m’extirper d’une condition détestable puisqu’émanant d’un travail- lui-même - détestable. Et puis, elle est apparue. Comme une attaque tranchante dans le Tourmalet qui viendrait réveiller un peloton de sénateurs. Comme une nana belle comme un cœur qui, de facto, aurait brisé le mien. Je crois que, jamais, je n’avais vu de femme aussi désirable. C’est Stana Katic avec les courbes de Claudia Cardinale. C’est Vaimalama Chaves avec l’intellect d’une femme qui n’existe pas. C’est Rosalia, la chanteuse de flamenco, avec Rosalia, l’espagnole échouée sur les rives de la Sarre en bordure d’un sentiment amoureux que je n’arrive pas à faire mien.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:42:27

Épisode I

4e vendredi de février

J’ambitionne de devenir quelqu’un. Pour m’affranchir de mes tares les plus intimes, pour enlacer la joliesse d’une chanteuse de flamenco à qui je pourrai faire découvrir les subtilités les plus abstraites de l’identité malheureuse. Je suis un homme qui, dans le souffle cru, de la vingtaine ne sait pas ce qu’il veut. Pour qu’il y ait réussite, il faut mettre couilles sur la place Rouge. Encore faut-il en avoir suffisamment.
Peut-être faut-il aller jusqu’au bout de soi-même pour se connaître un tant soit peu. Peut-être. Sans doute. Sûrement.

Il est huit heures du matin. L’heure à laquelle les lits se font dans la moiteur – à la fois acerbe, à la fois crasse- de ces matinées teintées d’hypocrisie latente. Je n’ai pas réussi à faire nuit complète. Je n’ai pas de gamin puisque j’en suis un. Et dans l’absolu, c’est tant mieux. J’ai passé une bonne partie de la soirée écoulée à combattre les démons de minuit en m’aidant des apophtegmes d’Antoine Blondin. Les pneus gonflés, j’ai rêvé d’une attaque dans le Tourmalet en lisière d’un maillot jaune fraîchement récupéré dans une échappée victorieuse sur les hauteurs de Castelnaudary. J’ai rêvé du rêve français en m’imaginant caresser les courbes d’une demoiselle d’origine espagnole catapultée dans une Alsace bossue où s’entremêlent désir de fuite et incapacité à s’en aller. Cette demoiselle, c’était elle. Elle qui me hante depuis des jours, des nuits, des semaines. Ses jambes interminables finement moulées dans un jean bleu indigo taille haute, sa chevelure de jais modelée avec soin par des doigts manucurés, son sourire frais et blanchâtre enlaçant les effluves sucrées d’une production soumise aux contraintes de la nouvelle Division Internationale du Travail. Tout, chez elle, me hante. Elle m’obsède comme la louche de pastis qu’on dissimulerait à un quadragénaire interné pour sevrage. Enfin, il faut que j’arrête de fantasmer sur ce que je n’aurai jamais. Qui s’intéresserait à un vingtenaire qui a fait le choix de noyer ses échecs et son appréhension de la réussite dans un travail en usine ?
Elle est belle. Sans artifices. Sans chichis. Sans éléments annexes. Elle est belle parce que femme. Simplement femme.

Je me suis levé en m’étirant et en perfectionnant mon anglais via la genèse d’un discours de Winston Churchill. J’ai fait quelques pompes, deux ou trois flexions avant de descendre un thé vert cul-sec. Je n’ai même pas préparé mon omelette que j’en avais déjà cassé les œufs. Cinq minutes à feu doux et c’était bon. Je pris une assiette héritée d’un parent lointain et déposai le tout dessus. C’était délicieux. Le jaune, légèrement coulant, bécotai le fromage en invitant le persil à les rejoindre. Aujourd’hui, je dois faire des heures supplémentaires pour bénéficier d’une prime de je ne sais combien d’euros. Ça me permettra de me sentir vivre. Coûte que coûte et quoi que ça me coûte.
Je finis mon repas en vitesse et m’engouffra dans mon Alfa Romeo qui, en réalité, n’était qu’une 206 remodelée en sportive du pauvre. J’ai réglé mon autoradio sur le 105.5 FM. France Info m’accompagnait quotidiennement au cœur d’une départementale reliant Bitche, la mosellane, à Haguenau, la bas-rhinoise. Inconsciemment ou non, j’ai fait le choix de me perdre dans la joliesse abrupte – parce que pas encore apprivoisée- d’une terre rude, presque rustre. Il y a du bon, à, vivre dans une région qui place son dialecte et son Racing Club de Strasbourg Alsace au-dessus de tout. L’alsacien est un être particulier : il baragouine des pronoms devant les prénoms, il se ballade au gré du temps qui court sur une route des crêtes fermée aux automobilistes les plus chevronnés, il caricature Mulhouse comme la Marseille de l’est en constatant, une fois avoir mis les pieds dans la cité du Bollwerk, qu’il aurait pu aller plus loin. C’est ce qui, aux yeux des siens, le rend si attachant. C’est ce qui, aux yeux des autres, le rend si détestable.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:45:20

La route principale enjambait un sous-affluent de la Sarre. Le pont était en travaux. Deux-trois ouvriers, genre casquette à l’envers et mélange de vieil arabe ou de nouveau français, discutaillaient de tout et de rien. Surtout de rien. Un feu tricolore à moitié recyclé avec des éléments pétrochimiques de la banlieue sud de 武漢 m’enjoignait à attendre. Désespérément. Une africaine enturbannée saluait son compagnon en l’embrassant à pleine bouche sous le regard, envieux, d’un quadragénaire qui, lors de ses voyages automnaux au Dahomey, se rappelait au bon souvenir de ses années de soldats dans la Coloniale. Un bateau de plaisance conduit par un matelot désœuvré critiquait les avancements des travaux. Le feu toujours rouge, je m’allumai une cigarette en essayant d’oublier pourquoi j’étais chargé de surveiller la teneur en sucre de bonbons destinés au marché asiatique. Rapidement, une femme troubla ma pénitence. Une mouquère trimballait une poussette en laissant dépasser un string ficelle d’une combinaison tout en latex. L’un des manutentionnaires la reluqua de bas en haut, de haut en bas, en s’imaginant quels débats pouvaient être les plus intéressants pour passer directement aux ébats. L’abat féminin ne dit rien. Se contentant de quelques gestes déplacés, elle lança un regard noir lorsqu’elle passa devant le chantier. Le feu passa au vert sans que je ne sache la suite de l’histoire. C’est tout le problème des soaps. C’est pourquoi, ils sont si français.

Quelques usines désaffectées servaient de terrains de jeux à une partie de la jeunesse du village. Celle-là même qui, en déshérence, balançait des boules puantes aux confins des quelques églises romanes du XVIIe siècle qui entouraient le village. On est fous quand on est jeune. Cons, également. Surtout.
J’accélérai, façon Sébastien Loeb dans un virage du rallye de France, comme pour mieux me sentir vivre. Je connaissais les moindres recoins de cette route que j’empruntai depuis presque vingt mois. Les moindres épingles, les moindres gravillons, les moindres écureuils échancrés sur la route par un motard à la veste en cuir estampillée All Saints et au casque à visière de conception germanique.

L’usine était à une quinzaine de kilomètres de mon appartement. Longtemps, j’ai cru que je deviendrai quelqu’un. Un Jean-Michel Bazire par exemple, même un Jean-Michel Bazire du pauvre, mais un Jean-Michel Bazire quand même. Ainsi rêvait Léon Morin, le plus pieux des paroissiens. Rêver, c’est se sentir vivant. Juste vivant. Simplement vivant. Un gros parking bordait mon lieu de travail en englobant un canal fluvial aménagé à la-vite par un groupe industriel de la région dont je tairais le nom (note : Je tiens trop à mon dos pour me retrouver suicidé de deux balles dans les lombaires). Un F-16 survolait la zone. Un troupeau de chasseurs marchait dans la forêt attenante aux sons fluets de la non moins fluette Clara Luciani. C’était quasiment désert. Une bouteille d’Oasis vide fraichement jetée par un proxénète amateur du pays des trois frontières, virevoltait au contact du vent. Rapidement, je reconnus le tas de ferrailles. C’était les voitures de Nabil et Pierrot. Une Renault Clio saluait une Citroën Picasso d’occasion, d’un signe devenu trop contestataire pour être enseigné dans sa globalité. Je marchai en direction de la zone de rencontres en portant mon sac de sport de la main droite.

“Eh Léon. T’as vu, j’ai ramené un tacos. 3 viandes, sauce fromagère et frites. Ne dis rien. Ne dis rien. J’en salive d’avance. Je vais mettre tout ça au frigo pour la pause de midi“.

Nabil avait revêtu un jogging du Bayern et un maillot du Real Madrid floqué Benzema de la saison 2015-2016. J’ai badgé et me suis empressé de le suivre sans rien dire. Pouah ! Ça puait l’odeur de merde. Au propre comme au figuré. Il y avait des excréments partout dans la douche et des cigarettes achetées au marché noir dans la salle des chefs.

“C’est les gitans, ils sont revenus dans la nuit. Regarde, ils ont volé mes posters de Tal sur lesquels Pierrot avait apposé sa touche personnelle pleine de foutre. Comment je vais pouvoir croire au bien fondé du Grand Israël ? Je vais devoir prendre les armes, Léon. Mais non, je rigole. Seulement des pierres. Pas de plainte à la direction, hein“

J’ai ouvert mon casier en constatant, benêt, que mes citations de Napoléon étaient toujours en place. Le portrait de Claudia Cardinale jeune réalisé, à la main, par un peintre vénitien et que m’avait offert une sexagénaire, genre Claudia Cardinale en 2020, trônait encore au-dessus d’une barre en aluminium sur laquelle j’avais déposé ma chemise blanche mal repassée puisque sortie de son pantalon. Je me suis changé et suis allé à mon poste. Sans crier gare en enjoignant Pierrot à me serrer la main. J’ai allumé ma machine en esquivant la flaque d’eau qui singularisait mes conditions de travail. C’était parti pour une journée à contrôler la teneur en sucre de friandises destinées au marché asiatique : Japon et Corée du Sud en tête.

Mes gestes étaient répétitifs, presque instinctifs. Toujours les mêmes : pouce sur la mannette de commande, main droite saisissant le levier pour l’actionner de bas en haut puis de gauche à droite, dépose délicate de l’index sur le bouton marche. Et ainsi de suite. Jusqu’à la pause, jusqu’à la paye, jusqu’à la fin. Tout le monde pense à la retraite. Tout le monde en parle. Constamment. Indubitablement. Elle est devenue la raison de vivre de chacun. Comme pour symboliser le manque d’espérance, on vit en pensant à elle. C’est infamant. C’est détestable. Peut-être si français.

Message édité le 16 mars 2020 à 22:46:28 par F_Merlin1973
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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:47:52

Je n’ai pas vu passer le temps. Trop occupé à disserter sur un futur que j’avais envie de passer en compagnie d’un ketch nommé “Joshua“ que j’aurais retapé avec soin en bordure de la Manche, je n’ai pas entendu Pierrot qui me criait dessus pour me signifier qu’il était déjà l’heure de la pause.
Une vieille radio crachait du Soprano, encore du Soprano, encore et toujours du Soprano, pendant que les effluves grasses d’un tacos réchauffé envahissaient la salle. Pierrot jonglait sur son portable avec les quelques mères célibataires qui voulaient bien lui répondre. Nabil mangeait avec envie un plat devenu, par la force des choses et la nature des événements, le nouveau modèle de la gastronomie française.

“Eh les gars, vous avez-vu la salope ? Mais oui, comment elle s’appelle ? Rosa ? Rosalia ? Ouais, c’est ça, Rosalia. Moussa m’a dit qu’il l’avait vu en train de sucer le DRH dans les chiottes hier soir“ dit Pierrot qui avait quitté son application de rencontres, faute de trouver cassos à son goût.

“Prends pas les fantasmes de Moussa pour des réalités. Pourquoi la gamine irait sucer son beau-père, tu peux me le dire ? On est pas dans « Family Strokes » ou un boulard made in France. C’est la vraie vie. Crois-moi le, crois-moi le. En plus, elle est en kiff sur Léon. C’est l’autre grognasse de Jenifer qui me l’a dit“ répliqua Nabil en essuyant ses doigts pleine de sauce sur le Fly Emirates de son maillot.

“Eh mais je sais, je suis pas con. Je voulais voir si vous suiviez. En plus, je sais qu’elle est love de Léon“.

C’est fou, la manie des femmes a toujours nous rabâcher leur bonheur. C’est fou la manie des vingtenaires à ne pas croire ce qui se dit dans une salle de pause plus à la mode puisqu’à la mode dans le fin fond des années 60.

“Pour vous, toutes les femmes sont des salopes ?“ dis-je alors que je m’imaginais déjà en train de faire, avec elle, des choses qu’il serait indécent de dévoiler à l’écrit. Pudeur des sentiments oblige.

“Seulement celles qui refusent mes avances“

“Donc toutes“ enchaîna Nabil qui, à la suite de Pierrot, régurgita les derniers restes d’un tacos réchauffé et donc, pas nécessairement goûtu.

Rosalia, c’était elle. Elle qui hante mes longues nuitées d’hiver parce que l’ibère aime la douceur charnelle d’un hier qui n’est pas encore celui des contreforts d’Hyères. Demain est un autre jour qui se construit des deux mains.

Je suis retourné travailler en m’enlaçant d’un charnel que j’avais envie de faire mien. Le regard lubrique. Le reste, aussi. Longtemps, je me suis imaginé que je ne serai rien dans une France où même Heaulme, Fourniret, Romand ont fait quelque chose de leur vie. Quelque chose de détestable, certes, mais quelque chose quand même. Je n’ai pas envie de bosser quarante ans pour obtenir une retraite qui, dès trente ans, est déjà dans tous les esprits. Bosser une vie de labeur pour un patron qui, le temps venu, s’en ira se prélasser sur une plage de la côte Adriatique en compagnie de deux-trois pétasses à l’allure qui va avec pour dilapider toutes ses actions Total dans des cocktails de type Davide Campari ou Pernod-Ricard et le dévoiement, fier, de cigarettes de contrebande achetées pour une bouchée de pain dans une quincaillerie cubaine placée entre un graffiti des frères Castro et un autoportrait de Jack Nicholson. Je ne veux pas de tout ça. Je n’ai cessé de réfléchir. Je veux vivre une vie pleine d’amour et de bouteilles de Cristalline qu’on sortirait du congélateur, les hautes températures arrivées. Mais vivre. Vivre. Simplement vivre.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:48:50

Il était quinze heures pétantes. J’ai remballé mes affaires en nettoyant, sommairement, mon poste de travail. J’ai salué le bureau de Rosalia avant de badger. Des classeurs étaient empilés avec d’innombrables feuillets bourrés de fautes grammaticales. Ça sentait le Chanel n°5 : son jasmin, son iris, sa vanille. Ça ressemblait au Brut 33 de Fabergé, ça caressait les courbes du Brut 33 de Fabergé, mais ça n’était pas du Brut 33 de Fabergé. Dans l’office mitoyen, le responsable de la communication avait déployé un poster des Poppys sur un mur blanchâtre. Comme pour mieux prouver au monde que c’est dans les bordels malfamés de Thaïlande qu’il trouve le meilleur moyen de se détendre. On vit avec des béquilles : l’alcool, la drogue, le sexe. Le sexe et la passion déraisonnée régissent les hommes. Au pays des gilets jaunes et de la haine de la réussite, l’argent est roi : son billet violacé, sa villa Greystones, son SMIC basé sur son indexation.

Pierrot et Nabil m’attendaient dans le vestiaire. Le maillot du Real Madrid avait réussi la prouesse de gagner une journée de salaire sans l’intervention de l’arbitre. Je ne dis rien. Pierrot léchait l’arrière d’un ticket de grattage pour se donner du courage. Sans un maux, il jeta son « Millionnaire » à la poubelle, non sans avoir reluqué son prospectus vantant les mérites d’une balnéothérapie sur un paquebot dernier cri. Je me suis changé en retrouvant ma chemise blanche de séducteur. Je voulais la porter en décolleté comme BHL. Par crainte de me prendre une tarte à la crème, je ne fis rien. Nous marchâmes en direction du parking. Un food-truck proposait des trucs salés à base de tomate-mozzarella et autres mélanges épicés du type sandwich poulet-curry.

“Tiens Léon. Jenifer m’a donné ça hier. C’est de la part de Rosalia. Je préférais qu’on soit seuls pour te le donner“ me dit Nabil alors que, déjà, Pierrot fit retentir les pneus lisses de sa Picasso achetée chez un concessionnaire spécialisé dans les achats frauduleux de fausses cartes grises.

“Merci. Et tu sais ce que c’est ?“

“Aucune idée. Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer. Bien se passer, ne t’inquiète pas. T’inquiète pas“

“Tu crois que c’est du respect, ça ? Tu crois que c’est du respect mon garçon ? Est-ce que tu crois que c’est du respect ? Hein ? “

“Je sais pas. Mais, si jamais on pourra toujours aller à Colmar pour lui casser les jambes. Mais pas seul. J’y serai avec mes 120 kilos déjà, puis je ramènerai des amis sérieux. J’ai ouï dire qui pourrait y avoir des tchétchènes. J’sais pas pourquoi, peut-être des échos que j’ai eu. En plus, elle pourra ramener sa copine Sylvain. Elles se mettront toutes les deux en mini-jupe, et on va leur trouver du travail. Avec mes amis, on leur trouvera du travail. Ne pense pas que ça serait tabou. C’est pas tabou. C’est pas tabou. On va rendre service à la société“

“Je te remercie, Nabil. Salue Tarik de ma part et vante lui les mérites de la démocratie participative“

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:49:25

Il partit après avoir effectué un léger hochement de tête. Je ne sais pas trop quoi penser du courrier. Je n’ai pas l’habitude de recevoir les louanges d’une demoiselle au charme de ces demoiselles qui se lèvent à l’est : jambes interminables subjuguées par une robe d’été, chevelure châtain clair teintée de légères bouclettes réalisées avec minutie, regard éreinté par le travail perpétuel de la terre. J’ai démarré ma voiture en poussant un cri de soulagement. Sans savoir ce qu’elle a pu m’écrire, je suis le plus heureux des hommes. Elle pense à moi et je compte, ne serait-ce qu’un minimum, pour elle. Là est l’essentiel. Là. Là et seulement là.

Je n’avais pas envie de rentrer. J’ai roulé toute l’après-midi en frôlant la correctionnelle pour mieux me sentir vivre. Vivre. Simplement vivre. Je traversais les villages déserts à 70km/h en esquivant les cyclistes amateurs et les alcooliques professionnels qui, plus souvent qu’on ne le pense, sont les mêmes. Je me suis arrêté aux confins d’un chemin forestier sur les hauteurs de La Petite-Pierre. Je n’ai réfléchi à rien. J’ai idéalisé sa présence en espérant ne pas me mettre en couple avec quelqu’un que je méprise. Je suis un idéaliste qui ne sait pas ce qu’il veut, ni même ce qu’il ambitionne. Tout ce qui est humain m’est étranger. C’est déjà suffisant. Déjà.

Il est huit heures du soir. L’heure à laquelle les couples se défont dans le charme- à la fois relatif, à la fois cru- de ces soirées qu’on vit seuls parce qu’incapables de vivre l’amour tel qu’on devrait le vivre. Puisse l’avenir être salvateur. Simplement salvateur.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:51:29

Épisode II

1er jeudi de mars

Le football champagne se perd dans les bas-fonds d’une retransmission télévisée aux abords de la Cannebière. L’esprit fantassin n’existe plus. Il n’y a plus de techniciens pour le combat à pied. C’est un tort.

Aujourd’hui, j’ai la cosse. Le travail, c’est la santé. Ne pas travailler, c’est la préserver. J’ai des courbatures, sans doute un semblant de fièvre et les premiers symptômes d’un état qui, même sans être grippal, n’augure pas grand-chose de positif. C’est un jour nouveau. J’ai envie de croquer le monde. Cracher le noyau de son fruit défendu sur un trottoir, encore enseveli sous les feuilles d’automne, de la proche banlieue Strasbourgeoise.

Il était un peu plus de midi lorsque j’ai retrouvé la cuisine de laquelle s’échappait des effluves de beurre. Mon père regardait la télévision en zappant, presque continuellement, sur les chaînes d’information en continu. Le journal, déposé sur la table, titrait sur le dernier conseil communautaire de la mandature. L’article, mal écrit puisque paraphé par un puceau en mal de relations d’un soir, mettait en exergue les relations tumultueuses entre le maire de Sarreliebe et celui de Sewiller : les élections municipales en guise de juge de paix. L’un brigue la présidence de la Comcom, l’autre le maintien à sa tête. C’est un jeu de dupes dans lequel mon patron, en place à la mairie depuis 2008, a tout son maux à dire.

Mon père ressemblait à ces demis d’ouverture de Fédérale 2 qu’on travestirait volontiers, aujourd’hui, sous les traits d’un Charles Denner ressuscité d’entre les morts. Il avait la même gueule de roublard, le même nez dévasté par des années et des années de pratique intensive de la boxe, le même phrasé de titi parisien qui-groguenard- aurait grandi dans une Alsace bossue minée par la gentrification. Oui, c’était lui. Un Charles Denner du pauvre, certes, mais un Charles Denner quand même. Il est parti sans crier gare en me laissant tout seul dans une salle à manger qu’il a bâti de ses mains. J’ai jeté mes détritus à la poubelle en m’imaginant en numéro 10 d’un Racing Club de Strasbourg Alsace victorieux de la Ligue des Champions face à un Milan AC amputé d’une partie de ses titulaires.

Je ne savais trop quoi faire. La lettre de Rosalia, belle parce que dénuée de faute d’orthographes, me torturait l’esprit. Et dans l’absolu, tout ce qui va avec. Un merle toqua à la porte en se cognant contre le plexiglas d’une fenêtre en double vitrage. Quelques oiseaux chantaient faux pendant qu’un couple d’amants s’imagine refaire le monde en caricaturant Vatican II et les curés qui, s’exprimant en latin, portent des soutanes pourpres trop longues. J’espère ne jamais être le cornard d’une affabulatrice. Sans le savoir, je le suis déjà. Peut-être. Sans doute. Sûrement.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:52:45

J’ai rapidement déjeuné. Oh, trois fois rien. Un thé vert, deux œufs à la coque, une tranche de fromage, une demi-baguette, une cuillérée de confiture et un fromage blanc 0%. Je suis retourné dans ma chambre en m’enivrant d’une odeur que je n’ai pas réussi à assimiler. Je crois que c’est ce qu’on appelle, communément, l’amour. J’avais hâte de la retrouver. M’enivrer de son parfum sucré en l’embrassant un peu partout, jusque dans des endroits qu’un gamin de vingt ans ne devrait pas connaître. Elle m’obsède, me hante, me fascine. J’ai envie de caresser ses courbes en écoutant une symphonie non-terminée d’un compositeur allemand en mal d’affection parce que seul. Désespérément seul.

J’ai bifurqué toutes mes affaires dans la douche avant de me brosser les dents avec un dentifrice dont je ne pourrai faire la promotion (les royalties ne m’ont pas encore été versées). L’eau chaude coulait sur mon visage, mes jambes. J’étais ailleurs. Ailleurs dans une région de laquelle je devais m’extirper pour trouver un avenir meilleur. Avec elle. En compagnie de Rosalia. Je suis un idéaliste. Je suis un “french dreamer“. Dans tout ce que cela a de plus beau. Dans tout ce que cela comporte de plus détestable.

Il était midi trente lorsque, l’air faussement niais, j’ai salué mon père qui, calmement, rejoignait sa Captur grisâtre assemblée à Valladolid. J’habitais une commune minée par la désindustrialisation la plus abjecte. Les boulangeries fermaient comme étaient censés se vendre les petits pains. Les jardineries dépérissaient comme du pain rassis servi à une ménagère qui n’y verrait que du feu. J’ai emprunté un chemin de traverse comme pour mieux me rappeler que je ne suis rien face aux soubresauts de l’histoire. Rien. Absolument rien.

Une stèle représentant le général de Gaulle était disséminée en haut d’une bosse qui, de par sa nature courte, n’était pas un col. Un bouquet de roses rouges, au-devant d’une sépulture rendant hommage aux « Malgré-Nous ». J’avais un peu de temps. Je me suis arrêté sur un parking n’ayant rien d’un parking et suis sorti. J’ai fait un signe de croix rudimentaire et me suis agenouillé. Les affres de la passion qui s’endort m’obsèdent. L’allégorie du gaullisme triomphant qu’on honore avec la délicatesse d’un discours de Malraux prononcé sous le crachin glacé des Invalides, aussi. Je me suis retourné. Une fois, deux fois, trois fois. Il n’y avait personne. J’étais seul. Comme de moins en moins de monde, j’ai allumé un cierge dans une chapelle attenante. J’ai prié je ne sais qui, pour je ne sais quoi. Je me suis affranchi de mes péchés les plus intimes. De ceux qu’on souhaite envoyer à une dame pour mieux la séduire. C’est la jurisprudence Griveaux, une certaine idée de la délation érotique. Le tumulte de l’innocence appelle le désir de dépravation. Je suis ressorti, l’air hagard, et quelque peu soulagé par je ne sais trop quoi. Je me suis agenouillé. À nouveau. Au même endroit. J’ai récupéré une rose. Puis deux. Puis trois. Je suis un drôle de paroissien qui suit les préceptes du miraculé, Mocky. Le business de la mort est un business comme un autre. Business as usual, et tout ira pour le mieux.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:53:42

La route était déserte. L’impression d’être dans une départementale reliant Biche, la mosellane, à Haguenau, la bas-rhinoise. Ce qui était le cas, car je roulais éperdument sur une départementale reliant Bitche, la mosellane, à Haguenau, la bas-rhinoise. Je suis arrivé à l’usine pile à l’heure. Nabil et Pierrot, déjà en place, me saluèrent d’un revers de la main. Le bureau de Rosalia était vide. Je ne dis rien, mais n’en pensait pas moins. J’ai câliné mon poste en dénaturant sa fonction initiale. Peu importe, l’important c’est de gagner des sous pour faire un road-trip sur les terres australiennes en compagnie d’un rital à la moustache chancelante et d’un belge à la houpette blonde. J’ai allumé ma machine de la main gauche. Une sonnerie retentissante se déclencha. La voix criarde de Mireille Mathieu roucoulait à travers toute l’usine.

“Léon, tu viens ? C’est l’heure de la réunion“ me lança Pierrot, non sans reluquer le postérieur moulé dans un legging noir d’une intérimaire à la queue de cheval grandiloquente. La tenue lui donnait un air de fille inaccessible dans une tenue de sport trop moulante pour être véritablement aguichante. C’est la caricature de la demoiselle qui se couche avec une dizaine de likes et se réveille en tutoyant, allègrement, le millier.

“Je te suis“

Je n’avais d’yeux que pour une affiche vantant les mérites de l’équipe de France de football. L’image, placée au-dessus du bureau du patron, montrait Benjamin Pavard, N’Golo Kanté et Nabil Fébir en train d’enlacer Guy Stéphan et une coupe du monde refaite à neuf. Nous passâmes devant, sans constater de sel belge, en empruntant un escalier en bois. Nabil était déjà loin. Il faisait la cour à une dame. Une de celles qui, coincée dans un tailleur noir, enlaçait les ouvriers en les charmant. C’était une secrétaire comme la plupart des secrétaires : maquillage de voiture volée dans le 93, jambes interminables parce que sublimées par une paire de talons achetée dans un magasin spécialisé de la proche frontière allemande, rouge à lèvres de prostituée roumaine appâtant le client depuis le trottoir d’une zone industrielle de Strasbourg, Colmar, Mulhouse.

“On y est presque. Putain, j’en peux plus. Saloperie de réunion de merde, on va pas pouvoir faire notre production“

“Calme-toi, Pierrot. Qu’est-ce que ça te rapportera de faire plus ? Tu crois vraiment que le bulletin de paie suivra ?“

“T’as raison. Et alors, avec la petite Rosalia ? Ça se passe comment ? Tu vas te la faire ou pas ?“

“Merde, Pierrot. Un peu de tenue, bon Dieu“

“Ok, je recommence. Sieur Morin, avez-vous déjà demandé à la petite Rosalia de vous montrer son décolleté sur les hauteurs de Sarreliebe ?“

“Maître Pierrot, sachez que je n’ai pas encore vu son décolleté, mais que j’y travaille pour avoir l’envie de m’y perdre“

Il éclata de rire dans un fracas qui réveilla toute l’entreprise. Une plaque de placo se décrocha devant une paire de talons laissée-là par une ménagère en mal d’affection. La salle était déjà pleine. Nabil continuait à faire de l’œil à la secrétaire qui le lui rendait, en louchant. Rosalia me fit un petit signe de la main. Elle était assise à côté de celui qui aime ce que, normalement, il n’aurait pas le droit d’aimer : le Maroc pour le tourisme répréhensible, les chorales de jeunes enfants, les pots de glace à la vanille servis avec une brique de Capri-Sun. Elle était vêtue d’un haut blanc et d’un pantalon type 501 de chez Levi’s. Son portable n’est pas dans la poche arrière de son jean. C’est une fille bien. Elle a le charme, irrésistible, de ces femmes qui se lèvent à l’Est.
La salle suintait l’Amérique latine : ses cigares de contrefaçon, ses dictateurs à la moustache chancelante, ses femmes aux courbes voluptueuses et aux cheveux noirs comme les nuits sans lune.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:54:37

Un brouhaha constant me rappelait que j’étais en usine. Des blagues graveleuses fusaient à tous les coins. Des “Tu l’as vu ?“ enjambaient la bienséance pour l’emporter sur le fil pendouillant d’une chaussette en fil d’écosse confectionnée dans une bonneterie de la route des vins d’Alsace. Une flopée de midinettes s’écharpait sur la dernière tenue de Maddy Burciaga ; cette héroïne de télé-réalité qui a fait réussite de n’en avoir aucune. Et puis, plus rien. Dans un sursaut grave, le directeur, que je ne voyais que très rarement, prit la parole.

“Messieurs, dames. La situation, aujourd’hui, est grave. Je ne vais rien vous cacher. Je ne veux rien vous cacher. Le redressement judiciaire va continuer. Avec tout ce que cela implique, cela va continuer. Je vais devoir assumer mes responsabilités. Les contrats intérimaires ne vont pas être renouvelés. Nous devons nous concentrer et mettre tous nos efforts sur le marché asiatique, et notamment japonais. Nous devons profiter de plusieurs points : le succès de la coupe du monde de rugby, les JO et surtout, surtout, de l’accord de libre-échange signé entre l’UE et le Japon le 17 juillet 2018. J’ai encore, la semaine dernière, eu l’occasion d’échanger avec le responsable du marché Pacifique pour Wrimars France. Et, les chiffres que nous avons sont bons. La France s’exporte bien. Nous devons suivre cette voie et devenir le porte-voix de toute une marque. N’ayons pas peur de l’échec. Et pour paraphraser l’Empereur, le seul, l’unique : “Quand on veut constamment, fermement, on réussit toujours“.

Je ne connais pas vraiment mon patron. Il a la calvitie entamée et le ventre de ces hommes qui, une fois leur promotion obtenue, méprisent ceux qui sont à leur ancienne place. Il a le faciès d’un Nicolas, d’un Mathieu ou des deux : oreilles légèrement décollées, chemise bleue pâle ouverte en V et barbe mal rasée avec un rasoir mécanique acheté aux puces de St-Ouen chez un ancien proxénète reconverti dans les babioles et les arnaques en tout genre. Je ne sais pas comment il s’appelle. À vrai dire, cela ne m’intéresse guère. Je crois qu’il conduit la réplique low-cost d’une Citroën C4 cactus automatique offerte par la boîte en guise de bons et loyaux services. Il marmonne dans sa moustache de dirigeant vénézuélien en délaissant le regard vers l’extrême-gauche. Bigleux, condescendant, prenant plaisir à voir son épouse le cocufier avec un représentant du personnel au physique disgracieux, il cumulait les qualités en faisant de la lèche au PDG de la maison-mère. J’ai ouï dire qu’il tenait des origines italiennes de sa grand-mère, retraitée de la Scala de Milan depuis la toute fin de la décennie 80. Ce qui de facto, et pour le cliché, expliquerait son attrait pour le football champagne d’une Atalanta Bergame portée par Gian Piero Gasperini, et son fantasme revendiqué des déesses d’Italie du Sud aux courbes voluptueuses et aux cheveux noirs comme les lendemains de défaites de l’Inter Milan. Non, je ne le connais pas vraiment.

J’ai cherché Rosalia du regard en ne la trouvant que de dos. Je ne savais pas quoi véritablement penser. Sans doute est-ce dans ces moments-là qu’il est nécessaire de panser le temps long. Avec tout ce que cela implique. J’ai toujours rêvé d’avoir un destin. Je ne suis qu’un enfant des rémunérations ternes et des contrats précaires. Je ne suis qu’un orphelin de l’épopée : un orphelin des envolées lyriques de Jacques Brel sur la scène du Théâtre Royal, un orphelin des victoires françaises dans le Tour de France, un orphelin du bruit sourd d’une craie blanche sur un tableau vert du fin fond du Périgord pourpre qui, par la force de l’hérésie et la nature des évènements, serait devenu noir de monde pour assister à un concert du « Grand Jacques » sur une étape vallonnée de « La grande boucle ».

Chez Wrimars, je ne suis qu’un intérimaire. Un de ceux qu’on va dégager manu militari. Sans arme, ni haine, ni violence. Façon Spaggiari qui s’en va récupérer son butin, un beau matin de juillet 1976.

“Je crois, patron, qu’on aura quelques difficultés à mettre cela en place. Nous sommes une société individualiste. C’est la France qui veut ça. C’est la France qui résonne ainsi. Mais ici, c’est différent. Ça fait une petite dizaine d’années que je suis arrivé ici. J’étais un gamin quand, la première fois, j’ai actionné le bouton ON de la Manhips n°6. Maintenant, je suis un père de famille qui, cassé par le poids du temps qui passe, actionne encore et toujours ce fichu bouton ON. On bosse dans des conditions déplorables. Les machines tombent en rade quasi-quotidiennement. On doit récurer les cuves à la main, en prenant le risque de nous trancher un membre. Vous trouvez ça normal, patron ? C’est juste pas possible. Et vous voulez toujours votre chiffre, votre chiffre. Vous avez que ça à la bouche, le chiffre, le chiffre, le chiffre. C’est nous, les ouvriers, qui faisons vivre l’entreprise. Pas, les petites secrétaires avec qui vous vous buvez des Gin en déblatérant sur les merdes. Parce que c’est comme ça que vous nous appelez, les merdes. Hein, patron ?“

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:56:01

Nabil avait dépêché Sergio Ramos pour recueillir sa grinta, sa soif de vaincre, ou peut-être un peu des deux. Le patron, décontenancé, ne dit rien. Il y eut un silence de cathédrale. Un de ces silences qui veut tout dire. Je poussai un rictus de circonstances et m’empressa de ne rien faire. J’observais les moindres faits et gestes de chacun. Rien. Absolument rien. C’est l’heure d’une course contre la montre. Les minutes d’une bourse contre la montre. Les secondes d’une bourse contre le monstre.

“Je ne peux vous laisser dire cela monsieur Loubaque. Vous débitez des inepties pour placer vos pions. Dois-je vous rappeler que vous faites parti d’une liste aux prochaines municipales de Sarreliebe ? Vous savez, aussi bien que moi, que le futur de Wrimars aura une incidence sur le scrutin. Mais, ne nous mêlons pas ce cela. La situation économique de l’entreprise est particulière. Nous avons subi de plein fouet l’embargo européen à l’encontre de la Russie. Nous sommes une victime collatérale de la politique américaine sur le dossier iranien puisque cela nous empêche de pénétrer, à nouveau, le marché Moyen-Oriental. Nous sommes aujourd’hui, à la croisée, des chemins. Et, je vous dis cela sans vergogne aucune. Nous devons tout mettre en œuvre pour redresser les comptes de l’entreprise. Sinon, nous risquons le dépôt de bilan. Et à situation grave, mesures graves. J’ai décidé, en accord avec les responsables syndicaux dont vous faites partie monsieur Loubaque, de stopper les contrats intérimaires. Nous proposerons un CDI aux ouvriers présents dans l’entreprise depuis plus de 15 mois. Le monde de l’entreprise est parfois brutal. J’essaye de mettre les formes. D’abord la France. Ensuite l’État. Enfin, le droit“.

Les employés partirent en sifflant, huant, vilipendant. J’étais seul. Avec Rosalia. Avec le patron. Je ne dis rien, et les autres non plus. J’avais la douce impression d’être dans une chapelle baroque construite après la guerre par des agriculteurs rondouillards en mal de récolte. Rosalia passa devant moi en me tenant la main puis prit la porte, non sans avoir remis la poignée en place. Je faisais face au patron qui me regardait dans les yeux. Son œillade, crue et noire, ne laissant transparaitre que du mépris. Le nouveau monde a encore frappé. Le tact n’existe plus. A-t-il seulement fait, un jour, parti de l’univers, si cruel, de l’entreprise ?

“Cela tombe bien, monsieur Morin. De toute façon, je désirais vous parler. Vous êtes dans l’entreprise depuis pas mal de temps maintenant. Vous faites du bon travail, vous êtes exemplaire dans votre façon de vous comporter avec le matériel et avec les autres. Je pense que vous l’avez compris, mais vous êtes un de ceux que je souhaite récompenser. Que diriez-vous signer de un Contrat à Durée Indéterminée au sein de notre société ? Bien sûr, je vous laisse l’entière possibilité de négocier votre salaire. Dans la mesure du raisonnable, j’entends“.

Je ne dis rien. Je regardais mes pieds qui, cloués au sol, me démangeaient légèrement. Un flot incessant de voitures s’extirpa du parking à tout berzingue. Le directeur s’assit sur une chaise de bureau rembourrée par de la mousse bon marché. Il sortit un carnet noir à spirales et commença à prendre des notes. Machinalement. À l’instinct. Quelques larmes coulaient sur ses joues.

“Vous savez monsieur Morin, je crois que tout cela était prévisible. Je ne suis pas le plus grand des dirigeants. Je ne suis pas le plus grand des patrons. J’ai toujours eu l’envie de me consacrer à mes passions : la photographie, la plongée sous-marine, l’art contemporain. Des loisirs de privilégiés, en somme. Je serai à ma place en plein cœur de Paris. Ici, je ne suis vu que comme un paria. Pire, un bourgeois. Et, dieu sait que je n’ai jamais eu envie de me considérer comme un bourgeois. Je suis né dans une famille plutôt ouvrière du Cotentin. J’ai profité de mes études pour m’élever. Intellectuellement. Socialement. Humainement, aussi. Je considère avoir réussi. J’ai une femme, délicieuse, deux filles, délicieuses, une voiture de collection, délicieuse. Et pourtant, vous voyez. Je crois que cela ne suffira pas. Vous n’êtes pas mon dernier espoir. Ce dernier s’est envolé dans les méandres de la juvénilité crue d’une chanteuse wallonne exilée en France (note : je crois qu’il parle d’Angèle. À vérifier plus tard). Sans doute est-ce trop tard“.

J’étais sonné, façon boxeur amateur combattant Anthony Joshua dans le vacarme assourdissant de Wembley. Je titubais, marchant un peu partout sans véritablement savoir où poser le pied. Le directeur était un homme comme les autres. Avec ses failles, ses faiblesses, son désespoir le plus véritable. Je sortis un paquet de mouchoirs type Kleenex de ma poche et le déposa sur son bureau. Il se tut et sans crier gare se retourna. Limpide. Livide.

“Je vous remercie, Léon. Je vous remercie de m’avoir écouté et de, vous, ne pas m’avoir jugé. Vous pouvez partir. Je vous laisse faire votre choix. Mais, en attendant, prenez quelques jours de congés et restez auprès de vos proches. Là est l’essentiel. Là. Là et seulement là“.

J’ai quitté la pièce en constatant, plutôt triste, qu’il ne restait que moi. J’ai pris le soin d’éteindre ma machine en respectant les principes d’usage. Des balais jonchaient les couloirs. Des feuilles de papier verdâtre en guise de compagnons de route. Le vestiaire était devenu un capharnaüm, un souk pour ouvriers en manque de considération. On avait ouvert mon casier à la hâte. Rien n’avait changé. Seule, une lettre écrite à la main manucurée d’un rouge vif trônait au-dessus de mes vêtements.

« Sarreliebe, le 5 mars 2020
Aparté scriptural n°1 : Léon Morin

Je ne suis pas de celles qui divaguent, extrapolent à l’envi. J’aime sentir l’odeur d’un sentimentalisme qui viendrait toquer jusque dans ma salle de bain. J’aime m’apprêter, mouler mes fesses dans un pantalon acheté trop petit pour ne pas briser un ego, caresser l’entrejambe d’un homme qui ne saurait me résister.
Je suis une femme de mon temps. Je t’attendrai ce soir, vers 20.30h au lac. J’aurai une robe de printemps, une paire de sneakers blanches et un sac à main en faux cuir. J’espère que tu auras un pain de campagne sous le bras.

Passionnément,

Rosalia
P.S. : Désolé pour le casier. Nabil m’a dit que ce serait la meilleure solution. Pierrot n’a fait qu’acquiescer »

Je crois qu’il est temps de devenir un homme. Avec ses faiblesses. Avec ce qu’il n’est pas en mesure de réaliser. J’ai pris ma décision. Limpide, froide, avec un soupçon de brutal.

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16 mars 2020 à 22:57:15

Épisode III

Soirée du 1er jeudi de mars

Il est huit heures du soir. L’heure à laquelle les couples se défont dans le tumulte cru de ces soirées qu’on imagine parisiennes parce que dénuée de toute originalité. Je me suis mis sur mon 31 alors que nous ne sommes que le 5. J’ai enfilé mon complet bleu marine en constatant, naïvement, que celui-ci n’était plus à la mode car à la mode dans le fin fond des années 60. J’ai salué mon père en le cherchant du regard. Affalé sur un canapé en cuir beige, il regardait un journaliste- à la faconde grossière- présenter un journal télévisé produit avec les moyens de la gouvernance Bouygues.

.J’ai pris mon bâton de pèlerin et suis parti en direction d’un idéal que je n’ai pas encore réussi à faire mien. La griserie solitaire me guette. Ses joies, ses avanies. L’alcool est un bon de sortie. L’ivresse, un tampon qu’on aime retrouver après un trajet sur les autoroutes à attendre celle qui ne viendra pas. Aujourd’hui est censé être un jour particulier. Aujourd’hui, avec ses déconvenues et son récital de turpitudes, ne le sera pas. J’ai l’envie, irrémédiable, de faire quelque chose de mon existence : une thèse, un bouquin, une réforme puisque c’est le cheminement ordinaire. Me balader en costume trois-pièces en discutaillant de la pluie et du beau temps avec un chauffeur personnel payé au lance-pierres car sous les ordres d’innommables conseillers en politique intérieure. Obtenir à ma guise, les coordonnées personnelles d’un actrice aux jambes interminables à qui je ferai miroiter une pseudo-responsabilité associative comme couverture d’un emploi fictif lui-même obtenu avec quelques largesses luxurieuses dans la suite d’un palace parisien fraîchement rénové par ces nouveaux propriétaires saoudiens. Et, c’est aussi ça la réussite. Ou pourquoi, elle fascine autant celui qui veut se lancer dans les affres qui la compose. Ou pourquoi, elle blesse autant celui qui veut servir les autres avant de se servir lui-même.

J’ai marché sans véritablement savoir où j’étais, sans véritablement savoir ce qui allait se passer. La plaine s’étalait à perte de vue ; ses pâturages verdoyants, ses tracteurs Fiat de couleur rougeâtre, ses vaches aux cuisseaux énormes et aux portables dernières générations dans la main. J’étais seul. Seul. Désespérément seul. Seul car je veux m’enivrer de la solitude pour ce qu’elle représente. J’avais vue sur à peu près tous les contours de l’Alsace : la départementale reliant Bitche, la mosellane, à Haguenau, la bas-rhinoise, le parking désert d’une usine de confiseries, le village de marques situé de l’autre côté de la frontière puisque plus propice aux investissements venus d’ex-RFA. Je profitais du paysage en espérant ne jamais devoir le quitter. L’Alsace est belle lorsqu’elle attend le Tour de France. L’Alsace est belle tout court. Au loin un agriculteur, haut blanc et pantalon marron, conduisait son tracteur en empiétant un peu sur la bande cyclable pour ne pas gêner les voitures qui, elles, ne se gênaient pas pour lui klaxonner. De nos jours, et c’est un tort, il y a de moins en moins de techniciens pour le respect des autres. L’esprit altruiste n’existe plus. Je crois à l’ordre tel que me l’a enseigné Fernand Naudin ; sa morale, sa bienséance, son sens du devoir. L’ordre : le seul, l’unique. La jeunesse se perd dans le perplexe d’une nation qui n’arrive plus à la faire rêver. La notion de grandeur n’est devenue qu’un leurre où elle cohabite, maladroitement, avec le spectre d’Abel Bonnard et la fine moustache taillée à l’américaine de Camille Chautemps.

Je me suis assis sur une pierre remodelée par un artisan au visage glabre. J’ai commencé à dessiner. Inlassablement. Instinctivement. J’ai l’envie, folle, de m’élever intellectuellement. Envers et contre tout. Envers et contre tous. Quelques canards barbotaient dans un lac artificiel remodelé par une municipalité RPR. Je l’ai attendu. Patiemment. Indubitablement. Cinq-six gamins jouaient au foute-bôle en se rêvant en numéro 9 d’une équipe nationale victorieuse de la coupe du monde. Footballeur est le rêve des gens sans ambition. Et, les gens sans ambition n’ont que peu de rêves. J’aspire à avoir un destin. Quoi qu’il advienne. Envers et contre tout. Envers et contre tous. Envers et contre moi-même. Surtout moi-même. Je ne m’exprime que trop peu. Je suis un homme de réflexion. À défaut d’être dans la fougue la plus extrême. Je ne veux pas construire toute l’entièreté de ma carrière professionnelle dans une usine qui, potentiellement, fermera dans quelques mois. J’ai appris la pudeur des sentiments en me retrouvant confiné dans un imaginaire caractérisé par l’incapacité cruelle de parler de moi.

Ma montre mécanique d’ascendance japonaise indiquait 20.30h. Il n’y avait plus personne. Les blondins sont partis avec leur ballon fabriqué en Chine par un pré adolescent boutonneux et en surpoids. J’essayais de passer le temps à ambitionner ce que je pouvais être. Ce que je voulais être, aussi.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 22:58:53

Je me rêve en mondain invétéré courant après le spectre d’une vie passée à côtoyer les femmes, la gloire et l’argent. Le spectre singulier d’une existence menée à la hussarde. À la hussarde !
Je fantasme le charnel d’un rendez-vous aux chandelles dans un restaurant gastronomique du Faubourg Saint-honoré. Je veux m’élever socialement. C’est mon seul objectif, mon unique priorité. On me servirait du homard, du fromage italien et une viande saignante sans être trop dure dans une assiette chaude. Le sommelier ferait la nique à la bienséance en me proposant une signature du Beaujolais. Une vinasse bouchonnée qui n’en serait pas une. Dans une chambre d’hôtel accolée à la rue de Vaugirard, j’ouvrirai la fenêtre en plexiglas d’une suite abritant les derniers vestiges du passage d’un magnat de l’immobilier adultère ou d’une playmate, maîtresse d’un ministre de l’intérieur en exercice. L’immensité de la piaule contrasterait avec l’étroitesse des trottoirs extérieurs sur lesquels se presseraient des demandeurs d’asile originaires des pays de l’Est ou des mineurs isolés étrangers en l’âge de se présenter aux élections cantonales. Le sol, moquette ou parquet fraîchement ciré, recueillerait les dernières impressions de mes souliers marron acheté en soldes dans une boutique du boulevard Haussmann. Le porte-manteau, le pardessus gris qu’elle m’aurait offert dans le vacarme incessant d’une soirée d’anniversaire passée avec familles respectives dans un chalet miteux des Vosges profondes. Ses talons posés à côté du lit chanteraient le romanesque d’un moment passé à découvrir le faste luxuriant de la capitale : ses rats bourlinguant le long des berges du fleuve, ses mendiants roumains pressant les touristes asiatiques au détour de la Tour Eiffel et de l’esplanade du Trocadéro, l’architecture singulière de la Maison de la radio ou d’un restaurant italien niché au cœur d’un quartier englobant prostitution chinoise et jeunesse prétendument délaissée par les pouvoirs publics.
Couché sur un matelas fabriqué par un ouvrier français payé une misère, je m’enivrerai de la robe en dentelle noire portée par Rosalia qui, dans un excès de confiance que je ne lui connaitrai guère, commencerait à danser frénétiquement sur un air de Berlioz.
Elle rythmerait ses pas en suivant une mélodie nouvelle. Ses bras suivraient les mouvements de son bassin, son regard lancinant s’arrêtant sur moi. Je profiterai du spectacle en me servant une piquette, fraichement mise en bouteille, dans un verre en cristal de Baccarat. Le spectacle serait délicieux. La musique terminée, elle se jetterait sur moi tandis que subjugué par la scène, j’invoquerai le souvenir de Roger Nimier en récitant des passages du “Hussard bleu“ n’ayant aucun rapport avec la jouissance sensuelle qui se déroulerait alors : « La philosophie est comme la Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les allemands », « Rétablir une République en France, c’est toujours marier une femme coquette avec un vieillard : elle le trompera », « tout sacrifier pour la France, c’est inventer la France un peu plus chaque jour », « tout ce qui est humain m’est étranger ». Effectivement. « Tout ce qui est humain m’est étranger ».
Éreinté par cette démonstration de sentimentalisme bestial, j’exploiterais les sentences les plus viles de la condition humaine : j’embrasserai ses formes avec la pudeur la plus extrême et l’affection la plus caractérisée. Sa chevelure brune vacillera sous les caresses de mes mains préalablement lavées avec un savon bon marché d’une salle d’eau style baroque. Elle sourira, plus ou moins langoureusement, devant cette preuve d’amour propre à la jeunesse et aux couples s’estimant dans la joliesse des débuts. C’est flamboyant, quasiment médiéval. Les artifices sont abscons. La finesse, incandescente. On débattra de la déchristianisation singulière au monde occidental. La mine grave et l’air absent, je lui répondrai que le mouvement soixante-huitard aura eu la peau d’un déclin amorcé par la loi de 1905. J’allumerai une cigarette trainant dans un tiroir jouxtant le lit en expirant une fumée continue. Idéalement, le détecteur sera en panne ou débranché par mes soins. Je dévisagerai sa beauté de jeune femme dans la fleur de l’âge en arguant que tout ceci n’est qu’un rêve, une illusion. Pire le récit singulier d’un idéaliste qui se meurt de ses réflexions et de ses pensées utopiques.

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16 mars 2020 à 23:00:34

« Bonsoir Léon. Tu es comme tous les hommes. Un manipulé qui se fait avoir par l’intelligence supérieure des femmes. Comment as-tu pu croire ne serait-ce qu’un seul instant que je pourrai m’intéresser à toi ? Je suis à la fois belle, à la fois bonne. Tu n’es qu’une sombre merde. Donnes toi du plaisir avec tes fantasmes malsains de jeune homme vierge. Ne t’avise pas de répondre à ce message ou je déposerai une plainte pour harcèlement ».

L’amitié n’est qu’un leurre. La bienséance des relations sentimentales, une hérésie. Au vu du SMS qu’elle venait de m’envoyer via une application de messagerie instantanée, je crois qu’elle ne viendra pas. Mais, ce n’est qu’une supposition.
J’ai commencé à marcher. Le spectre d’une nuit sans lune, parce que sans étoiles, s’abat sur l’Alsace bossue. Les commerces étaient fermés. Étonnamment, les portes de l’église étaient restées ouvertes.

J’ai allumé un cierge à la mémoire de mon enfance qui venait d’en prendre un coup. Je pris place sur un banc accolé à une représentation de Saint-Louis. Un calendrier liturgique de l’année précédente était enseveli sous une pile de psaumes déclamés au cours des messes précédentes. Une religieuse, grande avec sa chevelure noire mate et ses lunettes carrées, récitait l’Angelus. Il était plus de vingt-et-une heure. La sœur s’était assise derrière moi. Son timbre de voix mariait la ritournelle, plate et continue, du musicien. Elle avait le regard perçant. Je l’avais vu : ses petits yeux verts regardaient vers le ciel en essayant d’obtenir l’approbation du Seigneur. Elle était dévouée à la cause. Celle qu’on choisit d’enlacer au détour d’une apparition divine ou d’une quête spirituelle une fois enfermé entre les quatre murs d’une cellule de la prison de la Santé. Le fantasme de la réhabilitation de Jacques Fesch attendra. Encore. Elle posait, successivement, chacun de ses genoux à terre en suivant mot pour mot les vers de la prière.
“Ave Maria, gratia plena
Dominus tecum
Benedicta tu in mulieribus ;
Et benedictus fructus ventris tui, Jesus !
Sancta Maria, Mater Dei,
Ora pro nobis, peccatoribus,
Nunc, et in ora mortis nostræ.
Amen“ répétait-elle d’une voix suave, presque mielleuse. Elle avait l’accent chantant de ces demoiselles du Sud qui, dans le chemin de la croyance, trouvent sans doute une certaine vision du bonheur. C’est Juliette Binoche du temps où elle était encore belle, fringante, désirable. C’est Juliette Binoche, aujourd’hui.
Le voile blanc de la moniale déposait sa signification au-devant de mon complet après s’être envolé dans le romantisme abscons de ces moments d’intense spiritualité. En d’autres termes, son voile s’envola.

“Excusez-moi“ me dit-elle en baissant sa tête pour me saluer.

Je ramassai son bout de tissu et lui redonnait presque immédiatement. Elle me lançai un sourire de circonstances puis prit le chemin de la sortie en direction du couvent limitrophe. Je restai quelques instants à ma place pour méditer encore un peu puis prit la direction de la sortie. Je rallumai un cierge en déposant la monnaie nécessaire dans une boîte fermée à clé. Il faisait nuit noire. Je ne sais pas combien de temps je suis resté. Peut-être trente, quarante-cinq minutes. Peut-être plus. Les rues étaient toujours désertes. Il ne se passe pas grand-chose par ici. Je me suis dirigé vers la maison. Mon père était parti séduire une rombière à la poitrine opulente et aux fesses plus ou moins refaites.

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Niveau 24
16 mars 2020 à 23:01:22

Ça y est. J’ai pris ma décision. Implacable. Nette. J’ai enfourché le siège avant de ma voiture et suis parti à la recherche d’un idéal que j’espère encore. Presque naïvement, j’ai commencé à respecter les limitations de vitesse, les passages piétons, les ralentisseurs exigues bloquant le passage. J’étais paré à toutes les éventualités. Tout était prêt. Mon sac à dos bleu pâle de marque « Eastpak » ne manquait de rien. Je me suis retrouvé sur le parking désert de l’usine. Inconsciemment, j’ai commencé à escalader quelques grilles de protection afin de rentrer à l’intérieur. J’ai commencé à tout inspecter en débutant par le bureau de Rosalia. Je vociférai contre tout et rien en prenant soin de ne pas crier trop fort. La marche à suivre était similaire à celle d’un commandement de la Coloniale. Je n’écoutais personne, façon Bob Denard dans l’ancienne colonie Mauritanienne. J’ai déchiré le poster des Poppys.Un coffre-fort était caché en-dessous. J’ai joué avec la molette comme si je jouais à la roulette russe. Quelques liasses de billets étaient disséminées sous un amas de journaux jaunis par la grâce du temps qui passe. Le vestiaire n’était plus très loin. C’est, à la louche, et sans un regard vers mon portrait de Claudia Cardinale que j’ai déposé deux paquets de petites coupures violettes dans le casier de Nabil et Pierrot. L’amitié n’est qu’un leurre. La bienséance des relations sentimentales, une hérésie.

Calmement, j’ai continué mon périple en marchant à l’aveuglette. Des rats, un pigeon mort m’ont montré le chemin de traverse menant jusqu’au bureau du patron. Un tourne-disque jouait le “Chi-mai“ de Morricone en boucle. Une petite lampe était encore allumée. Le spectre de la nuit sans lune et sans étoiles s’est envolé dans la noirceur crue de ces soirées qu’on espére fantasmées parce qu’elles ne sont plus belles. Le directeur était assis sur une chaise, le buste penché en avant vers une statuette en cire de Napoléon. J’ai pris son pouls. Rien. Ses yeux, livides, étaient encore ouverts. Doucement, je suis parti en prenant garde de ne plus laisser de traces. Un mot était disséminé devant la porte d’entrée :

“Il est temps. Grand temps de partir. Le temps qui court, indubitablement, aura eu raison de moi. Léon Morin, le seul a avoir su m’écouter, sera mon héritier. Le seul, l’unique. En souvenir de Friedland et d’un tableau peint par Jacques-Louis David peint en 1812. Puisse l’éternité l’être véritablement. Signé Vincent Aigoin“.

Je suis sorti de l’office. Un pactole tomba devant une armoire regorgeant d’ouvrages sur les grands de ce monde. Je ne suis rien face aux soubresauts de l’histoire. Je ne l’ai pas ramassé. L’administration fiscale décidera que c’est un don à défiscaliser. Je partis dans un tumulte profond à la recherche de la meilleure manière d’assumer l’entièreté de mes nouvelles fonctions. Un complet bleu marine encravaté en guise de nouvelle tenue de travail. J’ai une usine à faire tourner.

J’ai ambitionné de devenir quelqu’un. Pour m’affranchir de mes échecs les plus profonds, pour caresser du haut d’une main gercée la joliesse d’une demoiselle aux jambes interminables envolée sur les hauteurs d’un Bodensee surplombant un lac artificiel. Je suis un homme qui, dans le souffle cru, de la vingtaine n’a jamais su ce qu’il voulait. Pour qu’il y ait ne serait-ce qu’un semblant de réussite, il faut mettre courage sur le champ de bataille. Encore faut-il qu’il y ait grandeur et semblant d’ambition nationale.
Peut-être faut-il aller jusqu’au dégoût de soi-même pour se connaitre un tant soit peu. Peut-être. Sans doute. Sûrement.

F_Merlin1973 F_Merlin1973
MP
Niveau 24
16 mars 2020 à 23:03:23

Titre de la nouvelle : "Le hussard bleu"

Nombre de mots : environ 9480.

Collateral11 Collateral11
MP
Niveau 13
18 mars 2020 à 17:47:42

Aucun avis ?
Bon, je vais lire ça prochainement, ne désespère pas !
Donne-moi juste un peu de temps !
Et faudra aussi que j’aille voir ce qu’est un hussard. :( :hap:

F_Merlin1973 F_Merlin1973
MP
Niveau 24
18 mars 2020 à 18:28:19

Le 18 mars 2020 à 17:47:42 Collateral11 a écrit :
Aucun avis ?
Bon, je vais lire ça prochainement, ne désespère pas !
Donne-moi juste un peu de temps !
Et faudra aussi que j’aille voir ce qu’est un hussard. :( :hap:

Merci, c'est gentil. Prends le temps qu'il te faut :)

Barbebarde Barbebarde
MP
Niveau 28
23 mars 2020 à 12:51:03

en reniant ma mère qui, adultérine, a préféré combattre le patriarcat en étant la serrure qui se fait ouvrir par toutes les clés.

Non mais oh ! Comment tu parles de ta mère ! Qui c’est qui t’as nourri ? Moi jamais je parlerais de ma mère comme ça, jamais ! Moi ma mère elle était picarde ; et j’ peux t’ dire qu’ça filait doux ! Ça, le père de la Barbe il mouffetait pas ! Et les enfants non plus d'ailleurs.
https://image.noelshack.com/fichiers/2017/22/1496088561-rio-48.png

C’est Vaimalama Chaves avec l’intellect d’une femme qui n’existe pas.

Aya https://image.noelshack.com/fichiers/2016/24/1466366209-risitas24.png

Elle est belle. Sans artifices. Sans chichis. Sans éléments annexes. Elle est belle parce que femme. Simplement femme.

Woh. C'est beau.

Deux-trois ouvriers, genre casquette à l’envers et mélange de vieil arabe ou de nouveau français, discutaillaient de tout et de rien. Surtout de rien. Un feu tricolore à moitié recyclé avec des éléments pétrochimiques de la banlieue sud de 武漢 m’enjoignait à attendre. Désespérément. Une africaine enturbannée saluait son compagnon en l’embrassant à pleine bouche sous le regard, envieux, d’un quadragénaire qui, lors de ses voyages automnaux au Dahomey, se rappelait au bon souvenir de ses années de soldats dans la Coloniale.

:hap:

en s’imaginant quels débats pouvaient être les plus intéressants pour passer directement aux ébats. L’abat féminin ne dit rien.

Elle qui hante mes longues nuitées d’hiver parce que l’ibère aime la douceur charnelle d’un hier qui n’est pas encore celui des contreforts d’Hyères. Demain est un autre jour qui se construit des deux mains.

Bien joué.

Que diriez-vous signer de un

Yes une faute ! Seulement la seule chose à redire dans le texte.

Cool d avoir mis les délires du 18-25, et du M&N dans tes écrits (j'ai senti 'influence de ce dernier dans tes petit dej :hap:)

Bah écoute il n y pas grand chose à dire. Tu aurais sûrement plus de conseils à me donner que l'inverse.

Mais comme il faut quand même être pointilleux je vais te donner mon ressenti sur deux choses, qui ne sont que le reflet de mon avis personnel, et dont tu jugeras si elles sont pertinentes.

La première ce sont le grand nombre de références qui, à mon sens,pourraient échapper à la plupart des lecteurs. Je te mentirais si je disais que je connaissais chaque nom propre que tu as utilisé. À toi de voir si c est volontairement que tu souhaites obscurcir ton œuvre de la sorte. Pour ma part et bien que je puisse comprendre que ça flatte l'ego de certains élitistes fetichistes de la culture, j ai toujours pensais que le beau résidait dans le simple et l'accessible.
Ce n'est pas une critique car ça fait partie de ton style, c est plus un partage d'opinion pour le coup. Car je pense qu'il est dommage de cacher une telle plume derrière un rideau de références culturelle qui en décourager à plus d'un.

Mon second commentaire serait sur certaines phrases un peu "punchline" (la description du patron par exemple). C est très bien écrit, c est drôle, mais il y en a peut-être un peu trop pour qu'il y en est vraiment une qui se démarque.
C est ce que j appellerais "l effet raptor" (si tu regardes le raptor dissident mais j imagine que oui).
A vouloir en faire trop et trop souvent, plus rien ne se démarque.
Pour imager mes propos, imagine un morceau de musique ou tu entendais un solo du début à la fin. C est très technique, c est complexe, mais est-ce un bon morceau ? Un solo se démarque mieux après une série d accord, entre deux silences...
Encore une fois c est très mineur, ca à été très agréable à lire, mais tu vois la en écrivant mon commentaire, aucune phrase "punchline" me vient spontanément à l esprit. Et je pense que c est parce qu il y en a trop.

Chapeau à toi en tout cas. :ok:

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