Lili

Le pas nerveux, elle scrutait l'horizon en protégeant ses yeux clairs du plat de sa main. Pas âme qui vive, rien. Mis à part eux deux, aucun être n'était assez fou pour venir se risquer dans la Dépression.
- Lucco ?
Il grogna, et s'essuya la bouche d'un mouchoir gras de morve. L’œil vide de l'individu sembla s'éclairer en se détournant vers la petite fille. Il déglutit bruyamment, en faisant passer sa bouchée avec une gorgée de mauvais vin.
- Oui, madame ?
- Quelle heure-est-il à ton avis ?
Il se gratta la tête, un cours instant.
- J'ai faim... Il doit être midi.
Un sourire torve déforma la bouche de la petite fille. Elle se détourna vers lui. Il se sentit épié.
- Tu ne penses qu'à manger. Tu n'es bon à rien. Si mon père ne t'avait pas mis dans mes pattes, je serai plus libre.
Lucco soupira. Il passa une main désabusé dans sa barbe, et gratta quelques poux qui s'étaient nichés çà et là. Elle avait raison. Si son père ne l'avait pas embauché voilà quelques semaines, il serait sans doute en train de se reposer, prélassé face au soleil brûlant de la Dépression, la panse ouverte en deux par une lame.
Il avait fallu qu'il aille chercher Lucco au plus profond d'une vallée aride, à l'ouest de la Cité, au-delà des limites du Milieu de Nulle Part, là où personne n'aime à croiser quelques goules appâtés par la viande, et autres monstruosités ambulantes.
Lucco avait été capturé par un raid, mais sa solide constitution lui avait épargné le trépas. Il avait beau n'être qu'un croahn, bipède abêti à la mâchoire prognathe, fruit de la copulation d'une humaine avec un orc, il n'en restait pas moins valeureux et doué d'un minimum de facultés intellectuelles. Sans se départir, il avait juré allégeance au chef de la Cité, le père de la petite, sur qui il veillait maintenant depuis cinq longues journées. Parfois, Lucco regrettait l'espace presque clos de cette vallée sableuse, au sein de son village, à tenir la garde devant la hutte du chef de clan. Il aimait cette tranquillité, cette immobilité. Marcher, ici, au cœur de la Dépression, relevait de la torture.
- Madame, où comptez-vous nous emmener ?
- Patience mon mignon. Tu me sembles bien pressé.
- C'est que…
Il se gratta la nuque, et remis un peu d'ordre dans les rares cheveux qui couvraient son crâne brun.
- Les provisions sont pratiquement épuisées. Et dans la Dépression, il n'y a ni puits, ni village où nous approvisionner.
La voix de la fillette se fit lointaine. Une chape glacée étreignit les larges épaules du croahn.
- Douterais-tu de mes talents, stupide goule ?
- Non… Non, bien sûr madame, je ne voulais pas vous offenser. Mais je n'ai pas votre vision, je n'ai pas votre sensibilité. Je ne suis qu'un homme lige. Et je m'inquiète de votre sécurité.
Elle se détendit un peu, en ralentissant la cadence.
- Tu n'es là que par le bon plaisir de mon père. Je me débrouillais très bien sans toi. J'allais là où le vent m'ennuyait, je ne dépendais de personne. Alors sois aimable Lucco : contente-toi d'avancer, cela me suffira.
A nouveau, l'homme-lige sentit ses entrailles se pétrifier.
- Mais ne remet plus jamais mes pouvoirs en question.
- Bien… Bien sûr, madame.
Ils reprirent la route. Là, au fond de cette grande plaine jaune, brûlée par le vent, défigurée par le soleil, où le sable et le sel étaient rois, la fillette et son protecteur traçait un sillon vierge vers une destination inconnue. La Cité, loin derrière eux, n'était plus qu'un souvenir que Lucco tentait parfois de ramener à la vie.

J'ai rien compris
Suite ?

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