Courte nouvelle de deux pages. Enjoy.

Je t’ai déjà parlé du gobe-histoire ? Je l’ai rencontré comme je rencontrais tout le monde. Il faut se dire que c’était une autre époque. Les plus optimistes te diraient que c’était avant la merde totale, mais c’est faux. La vérité, c’était que la merde, on en avait déjà par-dessus les épaules. C’est juste qu’on était plus jeune, et qu’on était meilleur à prétendre. Faire semblant que ça allait, ou que c’était qu’une mauvaise passe. Au pire, on se mettait la tête à l’envers, et tout allait bien. Quelle bande de cons qu’on était.
Enfin, bref, je vais pas te la refaire. Pour en venir au fait, comme je l’ai dit, je l’ai rencontré comme je rencontrais tout le monde. À ce moment-là, j’avais besoin de croire que tout allait bien, donc, fallait que je me mette la tête à l’envers. Pour la première fois de ma vie, j’arrivais dans un bar avant les deux heures. C’était déjà comme ça. La première heure, c’était des vieux pour nous. Presque la trentaine, ou légèrement dépassée, ils se pointaient avec leur costard et leur tailleur et s’enfilaient des alcools sucrés en se disant « vivement le week-end ». Après, ils nous laissaient la place, se défilaient en douce pour faire place aux durs. C’étaient nous : les rois de la deuxième heure. On buvait trop, on parlait fort, on occupait la place. Quand la soirée s’avançait, on emballait des gonzesses. On avait la tchatche, surtout quand tout allait bien.
Enfin, bref, celle-là non plus, je vais pas te la refaire. Pour en venir au fait, comme je l’ai dit, j’arrivais dans un bar avant les deux heures. J’étais encore étudiant, je me disais que ça passait encore. Ouais, je tremblais. Ouais, je sentais les sueurs froides dans mon dos. J’avais le corps qui hurlait pour quelque chose. C’était pas… non, c’était pas ça. C’était pas l’alcool. Je voulais juste que tout aille bien. C’était pas… enfin, je crois que c’était pas ça. Restons-en là. J’étais étudiant, un point, c’est tout. Pour me suivre, j’avais invité quelques potes. Comme ils étaient comme moi, comme ils s’en foutaient de suivre les cours, ils sont venus. On était là avant les deux heures. C’est comme ça que j’ai connu l’autre aspect du truc. Dans le bar, c’était pas la joie. C’était pas la fête. C’était pas la musique qui va à balle, c’était pas les petites allées bondées de gens bourrés. C’était pas les rires et les chants, et les danses, et les tournées, et les serveurs débordés. C’était pas ça. C’était l’alcool, ce putain de poison qui nous prend trop quand on en prend trop. C’était le vide, juste clairsemé de corps malades qui se traînaient en espérant que ça passe. En espérant que tout aille bien.
Enfin, bref, encore une que je vais pas te refaire. Pour en venir au fait, j’avais invité quelques potes qui étaient comme moi, qui sont venus. Parmi eux, y avait une copine. Je me rappelle plus de sa tronche, mais c’est normal, je passais plus de temps à lui mater le cul. En tout cas, elle allait pas bien. Une merde avec son mec, ou son loyer, je sais plus. Ou peut-être juste qu’elle avait foiré son maquillage. Moi, j’y pouvais rien, alors, j’lui ai dit que tout irait bien et je lui ai refilé des verres jusqu’à plus soif. Sauf que ça marchait pas. Je comprenais pas, je faisais tout comme d’habitude. Je buvais trop, je parlais fort, j’occupais la place. Mais ça marchait pas. À un moment, elle s’est barrée pour aller pisser. Je crois que je la soûlais. Elle a mis du temps, on se demandait pourquoi. Quand elle est revenue, tout allait bien. Et elle s’était pas mise la tête à l’envers. Je lui ai demandé ce qu’il s’était passé, elle m’a dit qu’elle avait juste discuté. Avec qui ? Avec un vieux gars, assis près de la sortie. J’ai pas compris. On a continué comme d’habitude, comme des habitués. Quand j’ai été cherché ma tournée, j’ai demandé au serveur c’était qui, le vieux gars assis près de la sortie. Il m’a dit que c’était le gobe-histoire.
Tu vois, je l’ai rencontré comme je rencontrais tout le monde. Comme je rencontre encore tout le monde. Dans un bar, avec la nuée éthylique dans le regard, avec le souffle amer dans la bouche, avec une place au bar sous les fesses et une place au paradis dans la tête. J’vais pas te la refaire. On sait ce que c’est, l’habitude. Pour en venir au fait, j’étais fin fait, au bout du compte. Tout allait bien, mais je pensais à ce mec. Le gobe-histoire, qu’ils l’appelaient. Pourquoi ? Et pourquoi après lui avoir parlé, elle allait bien, sans s’être mise la tête à l’envers ? Je voulais savoir. J’ai été trouvé le gobe-histoire. Il était là, assis à sa place, et il m’attendait. Je lui ai demandé qui il était. Il a eu du mal à me voir, à travers les nuées éthyliques. Il m’a répondu d’un souffle amer qu’il était personne. Juste le gobe-histoire. J’arrivais pas à le caser. Pour moi, c’était un point, c’est tout, un corps malade qui clairsemait le vide. Mais c’était pas ça. Je voyais pas bien, je comprenais pas bien. Le gobe-histoire, il m’a fait comprendre. Le vide, c’était pas le bar. C’était lui.
Il m’a expliqué. Il m’a dit qu’il s’asseyait là tous les jours. Qu’il attendait. Entrait alors un homme, une femme, n’importe qui, qui en avait gros. Qui allait pas bien, et qui cherchait à se mettre la tête à l’envers, pour que tout aille bien. Le gobe-histoire les écoutait. Ils racontaient leur histoire, leur sale histoire, ce qui les mettait à la peine. Quand ils partaient, ils allaient bien. Leur peine avait été gobée. Et lui, il restait là, assis sur son tabouret. Je lui ai demandé pourquoi. Pourquoi il faisait ça ? Il m’a parlé du vide, là, en lui. Ce vide qui le prenait et le faisait se sentir si mal. Il avait tout tenté, rien ne pouvait le boucher. Parfois, ça allait mieux. Souvent, ça allait mal. La seule chose qui semblait un peu marcher, c’était quand il gobait une histoire. Parce que lui, il n’en avait pas. Lui, il avait été un jeune qui buvait trop, qui parlait fort, qui occupait la place. Puis, un jour, ça n’avait plus suffi. Il s’était senti mal, et il était venu dans un bar, avant les deux heures.
Quand il m’a dit ça, le gobe-histoire s’est levé, et il est parti. On l’a plus jamais revu. Il a disparu. Moi, je suis resté là. Je me suis assis sur un tabouret près de l’entrée. Dans ce bar, avec ma nuée éthylique, avec mon souffle amer, avec ma place au bar et ma place au paradis. Je tente de remplir le vide avec ce putain de poison. De temps en temps, j’écoute quelqu’un qui me raconte des sales histoires. Je gobe sa peine, et ça va un peu mieux.
Maintenant, tu sais comment j’ai rencontré le gobe-histoire. Alors, rends-moi service. Dis-moi que je ne vais pas me lever, que je ne vais pas partir. Qu’on va se revoir. Que je vais pas disparaitre. Dis-moi que je vais boire de trop, que je vais parler fort, que je vais occuper la place. Dis-moi que c’est ça, nos habitudes. Ça et pas… non, c’est pas ça. Je crois pas. Dis-moi qu’on sera encore les rois de la deuxième heure. Dis-moi qu’on ira dans un bar, un autre bar, et que ce sera la joie. Ce sera la fête. Ce sera la musique qui va à balle, ce sera les petites allées bondées de gens bourrés. Ce sera les rires et les chants, et les danses, et les tournées, et les serveurs débordés. Dis-moi que ce sera ça.
Dis-moi que tu vas me la refaire, comme avant, comme à l’autre époque. Quand on prétendait. Quand c’était pas la merde.

Lu.

Ta patte est toujours aussi bonne. Même si le thème que tu abordes n'est pas ma tasse de thé, il est très bien mené. La forme est impeccable (mention spéciale pour les belgicismes), le fond est bien amené. Le style en écho entre le début et la fin (et plusieurs fois au milieu) est une très belle trouvaille.

Bravo donc ;

Très bon texte fat' ! J'ai beaucoup aimé ce thème
Je ne sais plus si je t'ai déjà lu, mais en tout cas ce fut un plaisir

Un jour tu vas me faire chialer, avec tes conneries.

C'est magnifique, mec.

Pas mieux à dire que mes prédécesseurs... j'ai beaucoup aimé Juste au niveau présentation, t'aurais pu mettre des espaces entre les paragraphes pour moins faire bloc, mais y'a pas mort d'homme ^^

Sinon : "Et pourquoi après lui avoir parlé, elle allait bien, sans s’être mise la tête à l’envers ?" mis

J'ai rien relevé d'autre. Histoire de développer un peu, mention spéciale à ton style que j'ai beaucoup apprécié, à la fois sobre et pourtant bien rempli.

Excellent

Merci beaucoup les gens

Sinon : "Et pourquoi après lui avoir parlé, elle allait bien, sans s’être mise la tête à l’envers ?" mis

Loin de moi l'idée d'être un chieur (mais un peu quand même ) mais j'aimerais bien savoir la logique. Non pas que je te croie pas, mais, dans ma tête c'est "être = conjuguer avec le sujet". C'est parce que c'est une expression, ou j'ai rien callé ?

Super.

Je sais pas trop quoi dire d'autre, en fait, si ce n'est que c'est réellement "super". Maîtrisé, simple et plein a la fois. J'adore le style, j'admire l'aisance. Le thème est vraiment sympa, et " ca fait réfléchir" comme on dit. Je sors justement ce soir, et je vais surement en croiser un, de gobe-histoire. En espérant qu'un jour, ca ne sera pas moi.

Bref, du bon taf, du très bon taf

Non c'est pas parce que c'est une expression, c'est parce que c'est un verbe pronominal Du coup, deux cas de figure possibles :

- soit le sujet du verbe fait l'action sur lui-même, et dans ce cas le participe passé s'accorde avec le sujet (le pronom faisant office de CDV placé devant, du coup c'est la même règle qu'avec avoir, on accorde.)
Exemples : "Elle s'est lavée." ; "Elle s'est mise au dessin."

- soit le sujet du verbe ne fait pas l'action sur lui-même et est suivi d'un CDV/COD, et dans ce cas le participe passé s'accorde avec ce CDV s'il est placé devant le participe. Sinon, il reste invariable. (Le pronom faisant cette fois office, le plus souvent, de CIV/COI, en fait).
Exemples : "Elle s'est lavé les mains." ; "Elle s'est mis la tête à l'envers." (équivalent conjugué actif de ta tournure à l'infinitif passé ^^)

Merci cho'

Elfi J'avoue ne pas tout à fait comprendre, mais au moins, maintenant, je le sais. Merci beaucoup

Arf, désolée, j'ai jamais été très pédagogue

Je me sens mal après avoir vu toutes les éloges de mes camarades...

Je préfère être franc. Le style est très bon oui, mais je me suis fait chier C'est bien écrit, y'a des belles figures, la répétition dont a parlé Marty, c'est fluide. Mais j'ai pas pu entrer dedans. Je sais pas, soit ça prend trop de temps, soit le sujet ne me passione pas, mais y'a un truc qui m'a bloqué, et du coup j'ai pas du tout été réceptif. Après je suis peut-être aussi trop con pour pouvoir réféléchir sur un texte comme ça...
Le prend pas mal hein, c'est juste que j'ai pas pu rentrer dedans... Mais c'est très bien écrit!

Le 11 janvier 2016 à 13:44:32 Mandoulis a écrit :
Je me sens mal après avoir vu toutes les éloges de mes camarades...

Je préfère être franc. Le style est très bon oui, mais je me suis fait chier C'est bien écrit, y'a des belles figures, la répétition dont a parlé Marty, c'est fluide. Mais j'ai pas pu entrer dedans. Je sais pas, soit ça prend trop de temps, soit le sujet ne me passione pas, mais y'a un truc qui m'a bloqué, et du coup j'ai pas du tout été réceptif. Après je suis peut-être aussi trop con pour pouvoir réféléchir sur un texte comme ça...
Le prend pas mal hein, c'est juste que j'ai pas pu rentrer dedans... Mais c'est très bien écrit!

vu la pluie de commentaires dithyrambiques je pense qu'il est même content de recevoir un avis négatif, il devait commencer à croire qu'on se payait sa tronche

Il en fallait bien un

Merci de la lecture mandou T'inquiète, je le prends pas mal. Je comprends bien qu'on est sur un texte très particulier. ça me fait même plaisir d'une certaine façon puisque je lis dans la difficulté que tu as eu à entrer dedans quelque chose qui dépasse l'aspect "cognitif" de la lecture. On est plus dans toute la question de la sensibilité, qui est un aspect que je considère comme étant très important. Bon, après, c'est aussi un aspect très évasif et difficile à cerner, et surtout extrêmement personnel.

vu la pluie de commentaires dithyrambiques je pense qu'il est même content de recevoir un avis négatif, il devait commencer à croire qu'on se payait sa tronche

Allons, j'étais trop occupé à me balader partout dans ma maison en mode diva de l'écriture pour y songer

Le 12 janvier 2016 à 08:47:12 FatuiteR a écrit :

Allons, j'étais trop occupé à me balader partout dans ma maison en mode diva de l'écriture pour y songer

avec ton drap à motifs sur le torse, levant et baissant le pouce à l'envie pour condamner le sort de tes valets imaginaires

Ben sérieux, pas pour jeter des fleurs, mais ca doit être l'une des meilleurs courte nouvelle que j'ai lu ici.

(Après faut dire que le thème me parle^^)

J'ai vraiment bien aimé, mais j'aurai aimé que le personnage du gobe-histoire soit plus développé par ce que le concept est super

Le 20 février 2016 à 17:19:14 CielEnCavale a écrit :

Et à lui aussi https://www.youtube.com/watch?v=IHF6My0J8BY (m'enfin ça c'est plus pour l'ambiance dans le bar)

Je ne suis plus seul. Cette fille est un OVNI

J'aime beaucoup, c'est très bon.

Merci pour les lectures Donaghy et Ciel

"J'étais tenté de rejoindre Elfi sur le manque d'espace (ça rebute un peu à première vue) puis finalement ça m'a pas vraiment gêné à la lecture, au contraire je trouve qu'il y a un écho sympa avec le vide de ce type qui parle trop."

Ch'uis littéralement resté 5 secondes en mode blocage totale tellement c'était méta comme réflexion. Mais en fait, non, c'est juste la mise en forme de JV.COM qui n'est pas capable de reproduire à la perfection mon document Word