
« Ah! Nostalgie ! » Difficile pour les possesseurs d'une Nintendo 64 à la fin des années 90 de ne rien penser à l'écoute du thème d'introduction de The Legend of Zelda : Ocarina of Time. Pour beaucoup en effet, cet épisode, représentatif d'une époque et d'un tournant pour la série (sur console de salon, tout du moins), a joué un rôle particulièrement important, au point d'avoir été réédité sur de nombreux support et fait l'objet de multiples détournements, hommages ou parodies. Plus de 15 ans après, il semble donc normal que l'écoute des première secondes d'un jeu emblématique de Nintendo, du passage à la 3D ou d'une enfance réveille certaines passions. Mais plus intéressant encore est le fait que le ce morceau recèle un potentiel nostalgique bien plus profond que l'on pourrait se l'imaginer. Sa construction le place en effet comme l'exemple même d'un état d'esprit qui, déjà à l'époque, enrobait la nouveauté dans un attachement au passé et un entrelacement de références, celles-ci constituant aujourd'hui la marque de fabrique de toute la série...
Un nouvel instrument...?

À ceci près que l'ocarina, ou la flûte, utilisable par le joueur est présent dans la série depuis bien plus longtemps que cela. En effet, dès le premier opus, il était possible de récupérer un « sifflet » qui, selon l'endroit où il était joué, permettait déjà de se téléporter, révéler des entrées secrètes et même rendre un boss inoffensif. Et Kôji Kondô n'a bien sûr pas négligé cette information en composant le thème d'Ocarina of Time, puisque la mélodie que joue le fameux instrument n'est autre que celle qu'on entendait dans The Legend of Zelda premier du nom en utilisant la flûte.
De la pianostalgie
Maintenant que le rôle de l'ocarina a été explicité, il nous reste un second élément perturbateur car pour le coup très inhabituel : le piano. Si aujourd'hui nous sommes habitués à une grande variété dans les orchestrations de jeux vidéo, et particulièrement dans les récents Zelda, n'oublions pas que ce n'était pas encore le cas à l'époque. Nous pouvons donc déjà noter qu'il s'agit de la toute première fois que nous entendons un piano dans une bande-son de la série. Si par la suite l'instrument se fera plus présent, il s'agit de son unique utilisation dans ce jeu en particulier.
Il est donc difficile de trouver une filiation très claire avec l'histoire de la série concernant l'usage de cet instrument. Cependant, une ressemblance plus que troublante avec une œuvre du répertoire peut, à défaut de tout expliquer, confirmer la volonté de mener l'auditeur dans les tréfonds de la nostalgie. En effet, les oreilles les plus fines n'auront pas manqué de faire le rapprochement entre les notes jouées au piano dans cette introduction et le début de la première Gymnopédie d’Éric Satie. Et ces oreilles auront vu juste, puisque dans les deux morceaux, et bien que ces derniers soient écrits dans des tonalités et des métriques différentes, on retrouve deux accords aux fonctions identiques. Dans les deux cas, comme on peut le voir dans les extraits notés ci-dessous, le piano oscille entre un accord du premier et du quatrième degré de la gamme, instaurant une sorte de balancement plagal atypique et irréel renforcé par l'usage d'une septième majeure.
Gauche : Gymnopédie - Droite : Title Theme


Il est précisé sur la partition de la première Gymnopédie que celle-ci doit être jouée de façon « lente et douloureuse ». Cette indication, qui n'est pas sans rappeler le ton nonchalant de l'ouverture d'Ocarina of Time, ainsi que les registres très proches des deux pianos, laisse finalement peu de doute quant à l'inspiration qui a été tirée de cette pièce. Cet écran titre se plaçait donc dès la sortie du jeu dans une volonté d'émouvoir le joueur. Qu'il soit déjà un vétéran du milieu des années 80, ou bien un cadet découvrant avec des yeux émerveillés cet univers plein de promesses, ce dernier n'avait plus qu'une envie : jouer de l'Ocarina et parcourir inlassablement Hyrule à dos de cheval... Si aujourd'hui on se souvient avec un pincement au coeur de ces instants contemplatifs (ou vides et ennuyeux comme la plaine, selon les avis), on pouvait déjà à l'époque visualiser le chemin parcouru en quatre opus et évaluer ainsi le passage rapide du temps, le tout en quelques notes. Heureusement, l'on pouvait alors se consoler en reposant l'épée au temple du Temps, et retomber littéralement en enfance, enfin, dans le jeu tout du moins.