Rencontre entre un jeu de gestion et un STR, Dungeons III tente de reprendre le flambeau laissé à l'abandon par un jeu que les moins de 20 ans risquent de ne pas connaître : le cultissime Dungeon Keeper, sorti tout droit de l'imagination de Peter Molyneux en 1997. Lancée 14 ans plus tard, en 2011, la licence des Allemands Realmforge Studios a connu des débuts hésitants , entre équilibrage hasardeux entre les différentes facettes de gameplay, rythme des parties bancal et interface mal fichue. Ce troisième opus arrive-t-il à corriger le tir pour que la licence devienne bien plus qu'un simple hommage sans génie ?
Le trailer de lancement de Dungeons III
Le Mal, c'est bien
Si vous trouvez que sauver des princesses ou vaincre une quelconque menace pesant sur un monde peuplé de gentilles personnes est une perte de temps, et que voir un village réduit en cendres est bien plus plaisant que de le sauver, Dungeons III saura calmer vos ardeurs machiavéliques. Après les évènements des précédents opus, le joueur retrouve les commandes du Mal absolu dans sa quête pour anéantir les forces du Bien, tranquillement installées sur un continent par delà les océans. Seulement voilà, les larbins du Mal ont visiblement des compétences limitées en charpenterie puisque leur flotte de navires coule... à deux reprises. La solution est simple : entraîner du côté obscur l'elfe noire Thalya, fille adoptive du paladin Tanos, qui sert donc de relais au Mal pour étendre son empire... à condition qu'elle survive à sa bipolarité et ses pulsions bienfaisantes, ainsi qu'à ses disputes avec le narrateur, lui aussi de retour.
Fidèle au fond de commerce de la licence, Dungeons III bombarde avec excès son humour plein d'autodérision et de références à la culture pop, notamment par le biais de cette voix-off omniprésente qui n'en a que faire du quatrième mur. Le schéma narratif du jeu n'est autre qu'une parodie de Warcraft et des clichés de l'héroïc fantasy, qui mène le joueur dans un périple dans les cités de "Soufflevent" et "Dollaran", pour y affronter "Grimli" le nain et la magicienne "Yaina" Outtrefière. Pour peu que l'on connaisse de près ou de loin la licence de Blizzard, on ne peut alors s'empêcher de décocher un sourire de temps à autre... jusqu'au moment où la quantité abusive de dialogues et les blagues forcées rendent le procédé lassant voire lourdingue. Que l'on aime ou non ce type d'humour, il permet surtout de masquer un scénario anecdotique sur fond d'un chara design générique et de graphismes cartoonesques, jeu à petit budget oblige, qui renforcent ce côté cliché assumé. Soulignons tout de même le doublage français de qualité, même si on ne peut que vous conseiller de mettre le jeu en V.O. pour profiter de la voix de Kevan Brighting, l'impitoyable narrateur dans The Stanley Parable.
Gestion...
Quoi qu'il en soit, que l'on adhère ou non à l'humour du jeu, il faut faire avec tout au long des 20 missions qui composent le mode campagne. Celui-ci permet progressivement de se faire la main sur les nombreuses mécaniques de jeu, divisées en deux plans radicalement différents : l'aménagement d'un donjon souterrain dont il faut protéger le coeur dans un premier temps, puis l'anéantissement méthodique des troupes ennemis à la surface. Rien de neuf sur le fond donc. Sur la forme toutefois, les nouveautés sont à la pelle : plus de salles à construire, plus de créatures à invoquer, plus de pièges à placer sournoisement... la gestion se révèle bien plus complexe que par le passé et procure une réelle satisfaction du travail bien fait. Il faut sélectionner les cases à creuser une par une pour bâtir des salles ergonomiques tout en essayant de ne pas trop éloigner celles qui ont une bonne synergie ensemble, afin de veiller notamment à ce les troupes de la horde aient assez de lits pour se reposer et de poulaillers pour se nourrir, mais aussi que les démons soient en mesure de produire du mana et que les morts-vivants aient assez de place dans le cimetière, afin de rendre tout ce beau monde apte au combat et éviter la grève.
Le tout est relativement peu didactique pour les débutants, qui peuvent rapidement se perdre face à la multitude d'options à prendre en compte. Dommage également que le côté exploration souterraine soit laissé pour compte, hormis une poignée de pièces secrètes renfermant monstres et ressources, mais le plaisir de gérer son donjon au fur et à mesure des coups de pioche des larbins est bien présent. Du moins, c'est le cas lors des premières missions. On constate très vite que malgré des objectifs variés qui permettent de maintenir une dose d'intérêt, les parties se ressemblent toutes et souffrent d'une lenteur à en décourager plus d'un. C'est notamment dû à une interface qui, malgré les efforts apportés, reste crispante le temps de s'habituer aux raccourcis, particulièrement si vous jouez sur console de salon, et à une économie qui se développe laborieusement, le nouvel écran de recherche n'aidant pas à accélérer le processus. Désormais, toutes les salles et certaines créatures doivent être développées avant d'être bâties ou invoquées. Il faut pour cela dépenser de l'or et de la Malfaisance, une nouvelle ressource à gérer qui ne s'obtient qu'à un rythme affreusement lent après avoir envoyé votre armée raser un mini camp du Bien à la surface, là où le gameplay passe en mode STR.
... destruction !
Les joueurs qui aiment donc prendre leur temps pour bâtir une gigantesque armée avant de fondre sur leurs ennemis se voient ainsi contraints de répéter méthodiquement les mêmes actions en début de partie, pour ensuite sortir prématurément de leur donjon, sachant que de toute manière, il faut faire avec une limitation de 20 unités de combat au maximum. Le cycle se révèle répétitif et long, malgré des nouveautés introduites à chaque niveau qui apportent leur lot de renouvellement et viennent enrichir un arbre de recherche massif. Se spécialiser totalement dans l'une des trois branches pour varier un peu le déroulement des parties n'est toutefois pas une bonne option, sachant que les limites de ressources obligent à faire des choix drastiques alors que chacune d'entre elles offrent une mécanique de jeu indispensable : les troupes de la Horde construisent les pièges pour le donjon, les démons canalisent du mana permettant d'utiliser des sorts tandis que les morts-vivants ramènent à la vie les unités décédées.
Il y a bien les excursions de plus en plus virulentes des troupes du Bien dans votre donjon qui viennent apporter une part de piquant, mais il suffit de prévoir portes et pièges afin de les accueillir comme il se doit et de faire des allers-retours avec vos troupes entre le sous-monde et la surface. De ce côté là, les affrontements sont à peine plus intéressants. On tient ici une formule STR à la Warcraft simplifiée, puisqu'il suffit généralement de monter une armée équilibrée entre guerriers / soigneurs / attaquants à distance et d'envoyer tout ça à la figure de vos adversaires. En surface, cela reste simple et efficace, mais n'espérez pas y trouver de la profondeur. La microgestion est inexistante étant donné que les capacités spéciales de vos créatures se déclenchent toutes seules, qu'il suffit de viser en priorité les cibles fragiles et les soigneurs ennemis et, dans le cas où les choses se compliquent, de balancer un sort excessivement puissant pour régler le problème. Mais le principal reproche que l'on pourrait faire au jeu dans son ensemble, c'est qu'il n'est jamais question d'affronter d'autres maîtres de donjons, même lorsque l'on s'engage dans le mode multijoueur, où l'on se contente d'attaquer l'entrée du donjon adverse.
Malgré tout, la complémentarité entre les deux plans de gameplay reste plus que cohérente, et surtout, accrocheuse. Les temps morts qui rythment les parties n'empêchent pas de voir les minutes défiler rapidement, tant on se retrouve pris dans la construction de son donjon avec cette volonté d'en créer un parfait. À partir du moment où l'on s'habitue au flot ininterrompu de vannes, la campagne se suit agréablement grâce aux situations débiles dans lesquelles elle nous place. Sachez par ailleurs qu'il est possible de la réaliser avec un autre joueur en ligne pour ainsi se partager les tâches à deux et gérer un même donjon. Une fois terminée, difficile de faire autre chose que laisser le titre prendre la poussière dans votre bibliothèque tant son intérêt devient limité.
Points forts
- Campagne longue (20 - 25 heures) et agréable à suivre...
- Un humour sur fond d'autodérision et de références à la culture pop...
- Une bonne complémentaritée entre une formule STR simple et accessible...
- ... associée à de la gestion de donjon riche en éléments à gérer, tous ayant leur utilité
- Doublage français réussi, notamment le narrateur
- Campagne jouable en coop
Points faibles
- ... malgré un scénario anecdotique
- ... qui devient lourdingue par séquence, à cause de dialogues à rallonge
- Parties mal rythmées et répétitives
- Pas de donjon ennemi à détruire, même en mode multijoueur
- Cartes peu variées
- Interface perfectible
Dungeons III réussit à apporter son lot de nouveautés permettant de rafraîchir l'expérience de jeu façon Dungeon Keeper offerte par son prédécesseur, sans toutefois combler toutes ses lacunes. Sa partie gestion procure autant de plaisir que de frustration dans un monde souterrain que l'on développe la plupart du temps de la même façon et à un rythme affreusement lent, tandis que sa facette STR conventionnelle souffre toujours d'une dimension tactique trop pauvre. Reste alors un jeu de gestion de donjon à la campagne sympathique, bourrée de références et de vannes à tout va, qui permet de passer un bon moment sans trop se prendre la tête et de jouer, pour une fois, dans le camp du Mal.