Une descente aux Enfers

An de grâce 875 ap. J-C, l’île d’Oakney située au nord de l’Écosse capitule face aux hordes vikings descendues de leurs drakkars. Bien décidés à annexer cette région, les scandinaves massacrent les autochtones ne laissant la vie qu’à de rares survivants parmi lesquels une guerrière picte portant le nom d’une déesse celte de la province romaine de Bretagne. Inspiré du mythe d’Orphée, de la divine comédie de Dante « Enfers » et des nombreuses légendes nordiques, Hellblade conte l’histoire de Senua (incarnée par Melina Juergens) et de son voyage dans le royaume de Hel (ou Helheim) afin de réclamer l’âme de son amant mort des mains des vikings. Véritable plongée en enfer, le titre de Ninja Theory puise allègrement dans les mythes et légendes celtiques et nordiques pour enrichir son propos, et donner vie à cette vision si singulière du deuil.

Senua ne peut se résoudre à abandonner son amour - la tête du pauvre bougre s’agitant à sa ceinture - et ne trouvera le repos qu’une fois ce dernier reposant en paix. Mais cette dernière en paiera le prix. Chaque mètre se gagnera en sacrifiant une santé mentale sur le déclin. La perte de repères de l’héroïne donne alors naissance à une Norvège infernale. Troubles de l’audition émergeant par des sons épars et des voix se faisant l’écho de l’action, manifestations visuelles et hallucinations en tout genre… le royaume de Hel n’est qu’une pure projection née des croyances et des a priori d’un personnage violenté par ses doutes et ses peurs. Contraints à un point de vue interne, Senua et le joueur partagent le même savoir ce qui accentue le sentiment de désorientation et donc cette implacable et dépaysante descente aux royaumes des morts.

Une psychose celtique

Hellblade : Senua’s Sacrifice se définit lui-même comme un jeu d’aventure. L’exploration est donc de mise au cœur d’une expérience avant tout linéaire faite d’interactions avec les éléments du décor et de découvertes. Le royaume de Hel n’est pas un monde ouvert, ni même constitué de vastes zones à parcourir de long en large, mais enrichit son lore par un narrateur murmurant contes et légendes et la présence de stèles à activer – réservoirs à connaissances sur cet enfer nordique et ses mythes.

Telles des barrières spirituelles à briser, d’immenses portes bien réelles entravent le voyage de notre guerrière. Mais les jeux de l’esprit ne se résolvent que rarement par la force et seules vos neurones et un brin d’observation viendront à bout des puzzles placés sur votre chemin. Sans révolutionner le genre ni même demander un prix Nobel en Physique/Histoire/..., ces instants de réflexion font la sève d’une aventure avant tout psychologique. Et lorsque les psychoses de Senua altèrent en temps réel l’environnement, les énigmes gagnent en intensité et retranscrivent parfaitement l’état psychologique dans lequel est plongée la jeune picte aux peintures de guerre bleutées.

Pour ce faire, le studio Ninja Theory s’est employé à transposer par le son et l’image les hallucinations aussi bien auditives que visuelles qui assaillent constamment Senua au point de rendre le joueur aussi fébrile que le personnage qu’il incarne. Le simple murmure d’une voix off, pourtant là pour vous guider, a le pouvoir de vous faire sursauter. Et ce procédé ne serait qu’un simple gimmick sans cette spatialisation du son implémentée avec soin et qui s’avère idéale si ce n’est obligatoire pour simuler les pensées, les voix, les murmures se bousculant dans l’esprit tourmenté de la guerrière.

Une foi forgée dans le sang

Senua est une farouche guerrière picte et compte bien le prouver en témoigne l’épée à sa ceinture et ses compétences une fois celle-ci entre ses mains. Et ses aptitudes en combat ne seront pas de trop pour défaire le bestiaire hantant les salles et corridors de Helheim : vikings armés d’une épée et/ou d’un bouclier, guerriers « corbeau », des boss coriaces (Valvarn, corbeau surnaturel et maître des illusions - Surt, le géant de Feu de Muspelheim…), etc... assurent le spectacle et brisent le rythme des phases d’exploration.

Que ce soit en 1v1, 1v2, 2v3... notre héroïne pare, contre-attaque, esquive et frappe avec élégance lors de chorégraphie où le timing importe bien plus que la puissance brute. Parer au bon moment perturbe l’adversaire le laissant à votre merci, briser la garde ouvre une brèche dans une défense au bouclier… Ces affrontements en « arène » s’avèrent aussi brutaux que techniques (sans atteindre une Dark Souls cela va sans dire) et forcent le joueur à anticiper, analyser, apprendre. Car Senua ne possède aucune jauge de vie. Seul le sang à l’écran traduit son état de santé et si besoin, cette dernière peut se jouer de la mort en utilisant un miroir (lien entre le royaume des vivants et des morts dans la culture celte) pour se régénérer, à condition de l’avoir rechargé en frappant et esquivant l’ennemi.

Si l’enfer est pavé de bonnes intentions… dans Hellblade c’est une toute autre histoire. Certes, la mort n’est pas une fin en soi, mais celle-ci a des conséquences directes sur le personnage principal. La présence de Senua dans le royaume de Hel se traduit par une marque sombre sur sa peau s’étendant mort après mort. Et si par malheur, ce tatouage morbide atteint le visage de notre protégée, un Game Over sonnant et trébuchant efface de ce plan de l’existence votre progression. En d’autres termes, il faudra recommencer l’aventure dans sa totalité. Les puristes du pad en frémissent d’avance.