L’avenir est-il un long passé ?

En 2006, Nintendo ouvre les portes du jeu vidéo à “Monsieur tout le monde” avec sa Wii, son Motion Gaming simple d'utilisation et ses jeux attractifs. La console est un carton planétaire et s’écoule à des millions d’exemplaires à travers le monde. Selon les derniers résultats publiés par le constructeur au 30 septembre 2017, la firme de Kyoto a vendu 101.63 millions d’exemplaires de la Wii… devenant la troisième machine la plus vendue de Nintendo derrière la DS (154.02 millions) et la Gameboy (118.69 millions). Les éditeurs et studios flairent le filon et profitent de l’engouement suscité par la Wii pour inonder le marché. Mais la force de Nintendo réside également dans la toute puissance de ses franchises appréciées de tous.

Les productions 3rd Party peinent à se faire une place au soleil et restent finalement dans l’ombre des titres frappés du N. Sur les 30 jeux les plus vendus sur Wii, seuls 5 d’entre eux n’appartiennent pas à Nintendo : Just Dance, Just Dance 2, Guitar Hero III : Legends of Rock, Michael Jackson : The Experience et le surprenant Resident Evil 4. Ubisoft, Activision et Capcom tirent leur épingle du jeu avec des ventes comprises entre 2 et 5 millions d'exemplaires selon les titres. Mais le mal est fait. Les éditeurs prennent conscience d'un manque de visibilité sur Wii et la sortie de la Wii U en 2012 ne fait qu’exacerber ce phénomène naissant.

Nintendo ne parvient pas à présenter clairement le concept de sa nouvelle console de salon et laisse patauger dans l’incompréhension générale une grande majorité des joueurs habitués à la simplicité de la Wii. Le constat est sans appel. 13.56 millions de consoles vendues plus tard, Nintendo doit se rendre à l’évidence. Sa Wii U ne parvient ni à convaincre, ni à séduire. Et le constructeur est abandonné de toute part. Les éditeurs arrêtent très rapidement de développer sur cette machine ou changent leur fusil d’épaule à l’image d’Ubisoft qui repousse le lancement de Rayman Legends sur Wii U de plusieurs mois (au préalable prévu fin 2012) pour jouir d’une sortie simultanée sur PlayStation 3 et Xbox 360 en août 2013. Et ce ne sont pas les chiffres de ventes de ZombiU, une exclusivité Wii U développée par Ubisoft, arrivant à peine à dépasser le million d’unités qui contrediront cette décision stratégique.

14 des 15 jeux les plus vendus sur Wii U appartiennent à Nintendo, le 15ème à The Pokémon Company. La messe est dite ! Les éditeurs tiers luttent pour seulement exister sur les consoles de Nintendo ou abandonnent tout simplement. Le line up de lancement de la Nintendo Switch n’était que trop peu attractif - sauvé par un titanesque The Legend of Zelda : Breath of the Wild - et le manque de titres issus des chaînes de production 3rd Party ne laissaient rien présager de bon. L’ombre d’un Nintendo esseulé planait sur la Switch, mais il n’en est rien. Les éditeurs et studios tiers sont bel et bien présents, rassurés par les ventes records de cette console hybride à la renommée grandissante.

• Sources : Nintendo, VGChartz, Wikipedia (Wii), Wikipedia (Wii U)

Une console sur le toit du monde

La Nintendo Switch écrase sur son passage tous les records de ses prédécesseurs et s’annonce comme un carton absolu pour le constructeur japonais. 7.63 millions de consoles écoulées à travers le monde à la fin du troisième trimestre 2017 (30 septembre) . Ces chiffres ne prennent pas en compte la sortie de Super Mario Odyssey le 27 octobre dernier avec un pack à l’effigie du plombier moustachu qui a sans nul doute encouragé et encouragera les ventes de Switch jusqu’à Noël. Et Nintendo ne compte pas se reposer sur ses lauriers. Big N se projette et se voit bien dominer le marché hardware console. Selon ses propres projections rapportées dans son rapport fiscal trimestriel d’octobre dernier, le constructeur estime pouvoir vendre pas moins de 14 millions de Switch sur sa première année d’exploitation (mars 2017-18).

Et les estimations vont bon train. Le Crédit Suisse s’est penché sur le sujet et estime que la console détrônera la Gameboy et se rapprochera du record tenu par la Nintendo DS en 5 ans avec 130 millions d’unités distribuées aux quatres coins du globe. Les laboratoires d’analyses aiment à se projeter dans l’avenir. Mais loin de s'adonner à la divination ou à la cléromancie, ces instituts fondent leur conclusion sur des études de marché et des formules/algorythmes éprouvés pour sonder un marché en perpétuelle évolution. Les résultats confirmés et les projections donnent la Switch gagnante. Et après un excellent départ, la dernière machine en date de Nintendo peut rêver à un avenir radieux.

• Sources : Barrons, Nintendo (Rapports financiers de 2017), Nintendo (Ventes hardware)

Un catalogue 1st Party sensationnel

Le constructeur japonais n’a jamais inondé ses machines de jeux avec ses productions 1st Party et compte bien perpétuer cette tradition avec sa nouvelle console. Alors certes, 9 exclusivités frappées du sceau de Nintendo ont alimenté l’imaginaire des possesseurs de Switch en 2017 (The Legend of Zelda : Breath of the Wild, Super Mario Odyssey, Xenoblade Chronicles 2…) et 5 nouveaux projets sont d’ores et déjà annoncés pour la période 2018-2020 parmi lesquels Fire Emblem, Pokémon RPG et Metroid Prime 4. Cela pourrait paraître chiche, mais Big N privilégie la qualité à la quantité sur Switch avec un calendrier de sorties bimestrielles solides.

Avec un triple AAA tous les deux mois pour un Metacritic moyen frôlant les 80% (79.62% pour être exact) en 2017, la firme de Kyoto assure le spectacle et séduit les joueurs. Le seul catalogue 1st Party a de quoi convaincre jusqu’aux fans indéfectibles de l’ère Sega et les ventes prouvent le bien fondé d’une telle stratégie. Selon le dernier rapport financier de Nintendo (Année fiscale 2018 - 2nd trimestre), 2 jeux ont dépassé les 4 millions de ventes - The Legend : Breath of the Wild et Mario Kart 8 Deluxe avec respectivement 4.70 et 4.42 d’exemplaires écoulés à travers le monde. Et la suite du TPS coloré de Nintendo (Splatoon 2) occupe la dernière marche du podium avec 3.61 millions d’unités en attendant les résultats de Super Mario Odyssey qui volera sans nul doute la seconde place à la fin du trimestre en cours si ce n'est la première.

La dernière aventure du plombier moustachu est un cas d’école. La seule puissance de la franchise de Nintendo assure à l’éditeur des ventes exceptionnelles avant même la publication des critiques à son encontre. Au Japon, 90% des stocks initiaux de Super Mario Odyssey ont trouvé acquéreurs à son lancement. 2 millions d’unités écoulées à travers le monde en 3 jours dont 456.987 dans l’archipel nippon, 1.1 million aux USA en 5 jours… SMO pour les intimes bat les records de ses aînés les uns après les autres et devient avec Breath of the Wild le porte-étendard par excellence de la Nintendo Switch. Mais cette mainmise de Nintendo sur sa propre console ne va-t-elle pas freiner les éditeurs tiers au point de bouder cette ruée vers l’or moderne ?

• Sources : Dengeki, jeuxvideo.com, Nintendo (Rapport FY18-S2), Nintendo (Ventes Software), Metacritic

Une ruée vers le pixel

Des éditeurs proactifs

Les possesseurs de Nintendo Switch sont loin d'être sereins en mars 2017. Au lancement de la console, seulement 12 jeux (en incluant les titres Neo Geo) composent le catalogue dont 7 jeux non Nintendo (I am Setsuna, Just Dance 2017, Skylanders Imaginators...). Une offre anémique qui fort heureusement prend de l’ampleur dans les mois qui suivent avec les éditeurs tiers et c’est peu dire. A l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 215 jeux 3rd Party ont été recensés par la rédaction de jeuxvideo.com et cette liste n’est pas 100% exhaustive.

L’ensemble des acteurs majeurs du marché se sont intéressés plus ou moins intensément à cette nouvelle machine hybride. On compte parmi les aventuriers du pixel 2K Games, 505 Games, Activision, Bandai Namco, Bethesda Softworks, Bigben Interactive, Capcom, Devolver Digital, Electronic Arts, Focus Home Interactive, Koei Tecmo, Konami, Rockstar Games, Sega, Square Enix, Telltale Games, THQ Nordic, Ubisoft, Warner Bros Games… et la liste est sans fin ou presque. Certains éditeurs se taillent tout de même la part du lion dont Ubisoft et Bandai Namco avec respectivement 7 et 5 jeux sortis-annoncés sur Switch alors que la Switch n'a pas encore soufflé sa première bougie.

De multiples stratégies

Les éditeurs prennent dans la majorité des cas des risques calculés et se contentent de puiser dans leur line up éprouvé pour tester le marché et comprendre l’audience. Les portages pullulent donc sur Nintendo Switch. 48,8% des jeux 3rd Party sont en réalité des portages en bonne et due forme. Et dans ce domaine, Bethesda Softworks se démarque de la concurrence avec 3 jeux destinés aux “gamers” et à la renommée internationale. Doom (2016), The Elder Scrolls V : Skyrim et prochainement Wolfenstein II : The New Colossus débarquent pétoires fumantes et lames affûtées sur la dernière née de Nintendo. Rockstar Games, Bandai Namco et Ubisoft testent également la température avec L.A. Noire, Dragon Ball Xenoverse 2 et Rayman Legends : Definitive Edition, des titres exigeants démontrant la puissance relative de la machine.

La Nintendo Switch ne peut décemment être la cinquième roue du carrosse. Les portages sont un excellent moyen de découvrir la console pour les éditeurs tiers, mais le nerf de la guerre réside dans les sorties simultanées afin de donner une chance véritable à la machine sans biaiser les résultats avant même la sortie du jeu en question. Certains acteurs plongent tête la première dans ce marché naissant et osent accroître les coûts de production avec un développement en parallèle sur PC-PlayStation 4-Xbox One et Switch. Sur les 215 jeux recensés, 38.1% d’entre eux mettent la Switch sur un pied d’égalité avec les autre supports. Et ces éditeurs audacieux appartiennent entre autres à la crème des acteurs vidéoludiques. Nous comptons parmi eux 2K Games (NBA 2K18), Sega (Sonic Forces), Warner et la licence LEGO ou encore Ubisoft (Just Dance 2018). La Nintendo Switch n’est plus une plateforme secondaire. Cette dernière s’impose comme une nécessité avec ses 7.63 millions d’exemplaires éparpillés aux quatre coins du globe.

Souvent le clou de toute conférence et raison de céder à l’achat d’une machine plutôt qu’une autre, l’exclusivité fait la pluie et le beau temps, et la Nintendo Switch n’échappe pas à la règle. Avec ses seules exclusivités 1st Party, Nintendo est à l’abri du besoin, mais les éditeurs tiers empruntent tout de même cette voie escarpée, à commencer par Ubisoft et sa surprenante collaboration avec le constructeur. Aussi improbable que cela puisse paraître, ces deux géants ont fusionné l’univers de Mario et des Lapins Crétins dans un crossover d’excellente facture (85% sur Metacritic). Les efforts consentis par l’éditeur français payent. Mario + The Lapins Crétins Kingdom Battle est la meilleure vente 3rd Party sur Switch (charts Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni). Et les exclusivités tierces débarquent en nombre. 10,2% du catalogue 3rd Party (soit 22 titres) complètent une offre Nintendo déjà fort appétissante avec des franchises de renom. Pokkén Tournament DX (Bandai Namco), Ace Attorney (Capcom)... le line up ronronne et a de quoi séduire.

Un Switch pour tous les goûts

Nintendo encourage studios et éditeurs, et ouvre les portes de la Switch à des productions matures. Cette société nippone a toujours combattu cette image édulcorée et tout public qui lui colle à la peau, et la firme de Kyoto est en passe d’y parvenir. Selon un article publié par le Wall Street Journal, Nintendo pousse les éditeurs à proposer une gamme de jeux plus large incluant des titres violents, subversifs et donc destinés à un public “adulte”. Le jeu de tir Gal Gun 2 fera monter la température dès le premier trimestre 2018. Et les assoiffés de sang seront rassasiés sous peu. Les hordes de Resident Evil : Revelations Collection, les braqueurs de Payday 2 et les Titans de Shingeki No Kyojin 2 déferleront dans les mois prochains et recouvriront d’hémoglobine l’écran de la console. La Switch se dévergonde tout simplement pour séduire un public réfractaire (ou non) aux univers enfantins et colorés mis en avant par Nintendo.

Je pensais qu'il ne serait pas possible de sortir un tel jeu sur la Switch, mais étonnamment, Nintendo m'a donné un retour positif. - Takuya Aizu (Producteur exécutif chez Inti Creates - Gal Gun 2)

Un soutien sans faille

L’intérêt des éditeurs tiers concernant la Switch va en grandissant. Des projets annoncés au préalable sur consoles de 8ème génération et PC lorgnent désormais avec insistance sur la machine de Nintendo. Ed Boon (Directeur Créatif - Injustice 2) ose mentionner une version Switch lors d'une interview accordée à nos confrères de Gamespot sans ne jamais rien promettre pour Injustice 2. Et le très attendu Dragon Ball FighterZ lui emboîte le pas avec une rumeur persistante née sur Reddit via l’insider DasVergeben bien que les principaux intéressés à savoir Bandai Namco et Nintendo n’aient jamais confirmé/infirmé cette information.

À vrai dire, oui. C'est un hardware à l'architecture très différente, ce n'est pas comme si vous pouviez passer de la PlayStation 4 à la Switch aisément. Je pense qu'on aurait besoin d'une équipe externe. (...) Du point de vue du joueur, est-ce que ce serait fun de jouer à Injustice sur la Switch ? Je pense que oui. - Ed Boon (Directeur Créatif - Injustice 2)

Et ces mêmes éditeurs n’hésitent plus à teaser l’arrivée de titres sur cette dernière. Square Enix, Capcom et Ubisoft promettent jeux et merveilles sans forcément être plus précis après des premiers résultats encourageants sur Switch, un nombre ahurissant de consoles distribuées en moins d’un an et des projections de ventes aguicheuses (130 millions en 5 ans pour rappel). Yves Guillemot (Ubisoft) et le Directeur des Opérations de Capcom, pour ne "citer" qu'eux, confirment l’intérêt de leurs entreprises pour cette console hybride et la sortie de jeux dans les mois-années à venir.

Sur Switch, nous avons déjà entrepris le développement de plusieurs jeux issus de licences populaires que nous vendrons au niveau national et international dont Ace Attorney. - (Directeur des Opérations - Capcom)

Malgré tout, Electronic Arts évalue encore et toujours le potentiel de la Nintendo Switch. Le catalogue de l’éditeur et ses franchises phares ont tout intérêt à s’inviter sur cette plateforme à l’image d’un FIFA 18 encore perfectible car tronqué d’une bonne partie du contenu existant sur les autres supports. EA souhaite attendre selon Blake Jorgensen (Responsable financier - propos rapportés par le Wall Street Journal). Se précipiter n’est pas dans leurs habitudes et la société américaine attend la fin de la première année d’exploitation pour miser pleinement (ou non) sur la Switch.

• Sources : Gamespot, Jiji, Resetera, Wall Street Journal

La Switch séduit, divise, cajole... mais ne laisse personne indifférent. En l'espace de 9 mois, la nouvelle console de Nintendo s'est imposée sur la scène vidéoludique, et a conquis éditeurs et studios au même titre que la PS4, la Xbox One et le PC. Les éditeurs ont compris le potentiel de la machine. La Switch était, est et sera exploitée par l’ensemble des acteurs du marché durant de longues années. Le règne de la reine des nomades ne fait que commencer et les offrandes 3rd Party seront nombreuses.