Remasters, remakes, reboots, l'heure est à la REdite dans l'industrie du jeu vidéo. Redite ? Le terme est sans doute mal choisi pour la troisième des catégories susmentionnées. Contrairement à ses deux congénères, le reboot permet en effet de nous confronter à un véritable nouveau jeu, faisant fi du passé désuet, trop encombrant ou qui a parfois tout simplement fait son temps d'une licence qu'un éditeur ne souhaite pas mettre aux oubliettes. Un retour aux sources que l'auteur de ces lignes accueille souvent d'un bon œil, soucieux de pouvoir toujours s'adonner à une licence qu'il apprécie tout en la redécouvrant d'un regard neuf. Oui, l'avènement des reboots est une bonne nouvelle pour le jeu vidéo.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
Qu'est-ce qu'un reboot ? Si l'on se fie à une traduction pure et simple du terme anglophone, il s'agit d'un redémarrage. Appliqué ici à une œuvre culturelle, il désigne le fait d'écarter les précédents films, jeux ou même la série originelle d'une licence donnée pour repartir sur de nouvelles bases, généralement d'ordre scénaristique. Les exemples sont nombreux et n'importe quel citoyen lambda a pu constater la montée en puissance du phénomène au cinéma depuis une dizaine d'années : pêle-mêle, Batman, La planète des Singes, Robocop ou Star Trek s'y sont essayés, tandis que Spider-man connaîtra son deuxième reboot en 2017, seulement 15 ans après sa première apparition sur nos écrans.
Comme nous le soulignions quelques lignes plus haut, le jeu vidéo n'échappe donc pas à cette tendance. Mais bien plus qu'une simple mode, ce phénomène tire ses racines du besoin de renouvellement inhérent au secteur, en pleine mutation depuis une dizaine d'années.
Attirer un nouveau public
On ne va pas refaire le monde avec un ensemble de poncifs banals sur l'incessante course technologique livrée par notre civilisation. C'est un fait, les années passent, les jeux naissent, meurent et les consoles suivent le même rythme. Dans un contexte d'évolution si rapide, une licence doit alors trouver un moyen de se renouveler pour soit parvenir à conserver son public, soit être capable d'en attirer un nouveau. Seulement, quand plusieurs générations se sont écoulées depuis l'épisode précédent, le nouvel opus d'une licence ne peut plus s'appuyer sur une base fidèle et une certaine fraîcheur dans les mémoires collectives des souvenirs liés à la série.
Le reboot permet, dans ces conditions, de ne pas perdre la base existante tout en lorgnant sur un nouveau marché. Comble de l'hérésie pour un fan de la première heure, de nouveaux joueurs sont même susceptibles de découvrir la licence avec cette version toute neuve, pensant probablement qu'il s'agit d'une nouvelle franchise et ignorant sa glorieuse descendance. Et alors ? En découvrant la licence par ce biais, un non-initié pourrait très bien se voir offrir une porte d'accès plus en phase avec son époque avant, pourquoi pas, d'aller écumer les anciens épisodes une fois paré pour découvrir les joies du retrogaming.
S'adapter aux standards du marché
S'adapter à son époque implique forcément de modifier une partie des mécanismes du ou des jeux d'origine, parfois daté, ou tout simplement dépassé par une concurrence qui a su mieux s'approprier et/ou renouveler son concept. L'exemple – récent - de Tomb Raider illustre à merveille cette situation : plus souple et plus nerveux dans son maniement que les épisodes classiques qui n'étaient pas vraiment réputés pour leur facilité de prise en main, le reboot de 2013 et sa suite ont également lorgné du côté d'Uncharted pour repenser leur mise en scène. Le tout est également couplé à un retour aux origines de Lara Croft – une autre marotte des industries culturelles : Batman Begins, La Planète des singes : Les origines pour ne citer que ces deux-là côté films – afin de pouvoir pleinement repenser la construction de l'histoire de la célèbre héroïne.
Le résultat s'est avéré séduisant : soigné, beau et particulièrement agréable à parcourir, Tomb Raider version 2013 est l'exemple parfait du reboot moderne qui a tout de même su reprendre les origines de la série, mêlant gunfights, exploration et énigmes. Tout n'était pas parfait, certes, comme le prouve l'exemple des énigmes bien discrètes et trop faciles, tout n'était pas fidèle, comme le démontre l'abandon des gros donjons au profit de petits temples, mais l'intention était bonne et la réalisation l'était tout autant. Outre Tomb Raider, on pourra également rajouter XCOM : Enemy Unknown, Shadow Warrior ou encore DOOM à cette catégorie de softs gardant l'esprit des jeux originaux tout en leur offrant une enveloppe plus moderne, à même de satisfaire les exigences des joueurs de notre temps. Pour ce dernier, la frontière entre reboot et remake était toutefois un peu plus mince, mais ceci est un autre débat qui nous éloignerait de notre sujet initial.
Des "semi-reboots" en préparation ?
Les derniers salons ont également permis de découvrir d'autres séries majeures qui semblent emprunter elles aussi la voie du reboot. « Semblent » seulement, car sans s'engager totalement sur ce chemin, elles proposent tout de même une modification substantielle de leurs canons afin de se renouveler un peu plus que comme une simple suite.
L'exemple de God of War est parlant : le prochain soft ne dispose d'aucun numéro ou sous-titre, sera le premier de la série sur la dernière console de Sony et nous dépeint un Kratos plus âgé, que l'on contrôle avec une caméra évoquant davantage une production Naughty Dog qu'un précédent opus de la série. De plus, notre héros fait ici office de mentor pour son rejeton qui l'accompagne dans des aventures en terres nordiques, une première pour la série. Malgré tous les éléments qui semblent prouver le contraire, God of War n'est pas un reboot puisqu'il n'efface rien des précédentes histoires de la série : il ouvre simplement un nouvel arc narratif susceptible de pouvoir convenir aux aficionados de la saga tout en accueillant un public tout beau, tout neuf, et tout aussi rassuré à l'idée de ne pas se lancer dans une suite en ne comprenant rien à l'histoire. Ce que l'on qualifiera grossièrement – faute de nom officiel – de « semi-reboot » peut aussi servir à définir la nature de The Legend of Zelda : Breath of the Wild qui conserve certes le principe du monde ouvert à la Zelda… tout en modifiant en profondeur certains codes de la franchise pour le rapprocher d'un jeu de rôle occidental dans sa prise en main.
Un choix qui n'est donc pas la chasse gardée des reboots et qui souligne un autre problème auquel sont confrontées les franchises. Enchaîner plusieurs épisodes sur différentes générations implique de perdre une partie du public qui n'aura pas suivi tous les opus, sans récupérer de nouveaux venus à cause du caractère excluant du numéro. Cette question, vous l'avez tous vue circuler sur les forums, salons ou au festival du jeu vidéo d'Aubigné-sur-Layon :
Si je n'ai pas fait les premiers, puis-je quand même l'essayer ?
Pendant que vous vous affairez à trouver la page Wikipedia d'Aubigné-sur-Layon afin d'en savoir plus sur ce mystérieux festival (spoil : il n'existe pas), développeurs et éditeurs réfléchissent à un moyen de résoudre le problème mentionné au paragraphe précédent. Certains ont survécu en s'offrant une histoire inédite à chaque épisode – Final Fantasy reste l'un des plus célèbres représentants de cette caste – mais sur le long terme, n'importe quelle franchise avec des jeux liés scénaristiquement se voit forcément confrontée à la difficulté de surmonter l'accumulation d'épisodes. Sans passer par la case reboot, Assassin's Creed a déjà connu cette situation et choisi de passer à un nouvel arc narratif après Assassin's Creed III. Deux ans après l'ultime épisode de l'arc de Desmond, les traditionnels numéros ont même été abandonnés au profit de sous-titres, moins susceptibles de rebuter un non-connaisseur de la série souhaitant s'y essayer. L'ensemble fait toutefois plus figure de bricolage que de véritable solution à long terme, un autre argument en faveur de l'option du reboot.
Quelques échecs à ne pas répéter
Certes, les exemples de reboots ou de semi-reboots récents qui n'ont pas convaincu ne manquent pourtant pas, tantôt plombés par un gameplay raté - Thief -, des mécaniques à l'opposé des attentes des joueurs - SimCity -, un modèle économique à côté de la plaque - Hitman - voire un choix de game design audacieux mais finalement inadapté : Mirror's Edge Catalyst. Mais il serait criminel de condamner les reboots en s'appuyant uniquement sur l'exemple de leurs échecs : Thief et Sim City sont restés dans l'ombre de leurs successeurs spirituels - qui s'ils n'avaient pas un nom différent, auraient presque des allures de reboot - nommés Dishonored et Cities Skylines, Hitman ne serait pas un si mauvais jeu avec un modèle économique plus classique. Reste un Mirror's Edge Catalyst certes non abouti, mais loin d'être une catastrophe.
Signe que les éditeurs apprennent aussi de leurs erreurs, les reboots totalement passés à côté de leur sujet semblent d'ailleurs moins nombreux qu'il y a quelques années, quand Sonic the Hedgehog, Syndicate et Alone in the Dark subissaient les foudres du public ou disparaissaient des sujets de conversation aussi vite qu'ils y étaient apparus. La clé d'un bon reboot ? S'assurer notamment de confier l'ensemble à un studio capable de faire du neuf avec du vieux peut aider, mais il n'existe pas de recette miracle autre que de parvenir à mettre le doigt sur ce dosage subtil, ce qui explique sans doute pourquoi certaines grosses licences ne s'y sont pas encore risqué. On attendra donc fébrilement de voir le sort réservé à Prey ou System Shock, deux des prochaines productions à passer par la case reboot.
L'attrait de la nouveauté, c'est sans doute ce qui nous pousse chaque année à renouveler notre ludothèque : à l'heure des licences annualisées et parfois surexploitées, le reboot apparaît comme un compromis idéal. Il permet de concilier un ensemble de codes et de bases déjà établis d'une série avec une liberté créative supérieure à celle d'une suite, puisqu’une part variable du jeu doit tout de même être repensée comme s'il s'agissait d'une nouvelle licence. Plutôt que d'enchaîner les suites et s'embourber sur le long terme, se contenter d'une poignée d'épisodes avant d'envisager quelques années plus tard d'appuyer sur le bouton « redémarrer » permettrait de mieux structurer la franchise, en lui offrant différents cycles en fonction des générations. Des quelques licences qui pourraient être concernées, celle qui semble la mieux placée pour tenter l'opération est peut-être Assassin's Creed : avec un univers à tiroir riche en possibilités, un gameplay qui semble avoir fait son temps, mais aussi son potentiel retour à une époque reculée et une fenêtre de sortie attendue pour 2017, les signes montrant qu'Ubisoft Montreal pourrait bien nous surprendre sur son prochain opus sont légions. Amusant quand on sait l'influence de la série, qui a forcément conduit à quelques reboots désireux de s'adapter alors aux nouveaux codes d'un genre repensé à la fin des années 2000, l'action-aventure : avec Assassin's Creed dans le rôle du rebooteur rebooté, la boucle serait bouclée.
Nouveau gameplay, nouveau contexte, nouvelle caméra : God of War lorgne du côté des reboots.