Une réussite à la Blizzard

Blizzard transforme en or tout ce qu'il touche. C'est une assertion. Au fil des années, et alors même que la boîte s'appelait encore Silicon & Synapse, elle a toujours été gage de qualité et de talent, à tel point qu'une fanbase ultra fidèle s'est créée autour d'elle. Mais s'attaquer à un TCG est une toute autre paire de manches et on ne compte plus ceux qui s'y sont joyeusement vautrés. Les pièges sont en effet nombreux quand on essaie de concevoir un jeu de cartes de ce type. Il faut que ce soit ludique, intelligent et surtout, parfaitement équilibré pour empêcher qu'un archétype défonce absolument tout sur son passage. Quand on sait que Magic The Gathering, la référence en termes de longévité, possède un bon nombre de cartes plus ou moins bannies selon les formats, on comprend rapidement qu'il est facile d'aller droit dans le mur.

Ainsi, Quand HearthStone débarque, il y a un terrain à conquérir : le TCG au format jeu vidéo, free-to-play. Car si quelques licences ont tenté le coup, on ne peut pas dire que le secteur était vraiment populaire jusqu'ici. Il manquait la carte de l'accessibilité, celle qui permet d'attirer tous les profils de joueurs là où un Magic Online reste totalement inadapté aux néophytes. Et c'est exactement ce qu'a réussi HearthStone. Les règles de base sont incroyablement simples. Pas de cartes de mana à gérer, des créatures avec des fonctions basiques et rarement plus d'une seule fonction, un environnement accueillant comme Blizzard (le roi du menuing) a toujours su faire et des animations en combat qui ajoutent une vraie personnalité, il n'en fallait pas plus pour attirer les foules. Enfin si, il fallait encore une chose : le coefficient de spectacularité. Car Blizzard le sait : pour qu'un jeu soit populaire aujourd'hui, il faut qu'il puisse être montré sur les plates-formes de type Youtube et Twitch. Et pour que ce type de vidéo ou de stream ait de l'intérêt, il faut que le jeu soit aussi intéressant à regarder qu'à jouer. Il faut que les spectateurs puissent non seulement comprendre ce qu'il se passe, mais qu'ils aient aussi envie de voir la partie jusqu'à la fin.

Pour cela, Blizzard a fait des choix évidents, et d'autres qui l'étaient beaucoup moins. Le choix le plus visible, c'est qu'une grande partie du gameplay concerne directement le board (plateau de jeu). Alors oui, ça peut paraître logique, mais ça ne l'est pas tant que ça. Pour reprendre l'exemple de Magic, Une créature ne peut pas attaquer directement une autre créature. De plus, les joueurs peuvent jouer pendant le tour de leur adversaire de nombreuses manières (capacités activées, sorts « éphémère », capacité flash...). De ce fait, pour que le spectateur comprenne ce qui est en train de se passer, il doit avoir les yeux absolument partout. Dans HearthStone, l'univers du jeu tourne bien plus autour des créatures et du combat qui a lieu devant nos yeux, sur le board. Non seulement faire les bons échanges pour éliminer les créatures adverses et garder les nôtres est indispensable, mais de plus, les joueurs ne peuvent jouer que pendant leur tour, ce qui facilite la compréhension par le spectateur. En y ajoutant un jeu rapide où les tours ne sont pas divisés par phases, le TCG de Blizzard devient automatiquement un très bon candidat pour attirer à la fois les néophytes et ceux qui se contentent de regarder.

Quand le hasard s'en mêle

Toutefois, cela ne suffit pas à assurer le succès et un autre élément vient faire exploser le coefficient de spectacularité : le hasard. Bien évidemment, le hasard est un élément obligatoire dans pratiquement tous les TCG existants. Puisque l'on pioche, dès le début de partie, un certain nombre de cartes dans notre deck, on ne peut jamais être sûr de ce qu'on va avoir dans les mains. Mais HearthStone va bien plus loin que ça. Sur les 743 cartes actuelles du jeu, près de 100 ont un effet aux mécaniques aléatoires. Cela fait environ 13 % d'entre elles, ce qui est pour ainsi dire énorme, surtout quand on sait l'impact que peuvent avoir certains de ces effets en partie.

Regardons par exemple une des cartes les plus jouées, le Déchiqueteur Piloté. Lorsque qu'elle meurt, la carte invoque un serviteur aléatoire coûtant 2 cristaux de mana sous le contrôle de son propriétaire. N'importe quel serviteur à 2 cristaux de mana. Cela équivaut à plus de 100 cartes dans HearthStone. Et s'il n'y a rien de bien foufou à voir apparaître un banal Crocilisque des Rivières (un banal serviteur sans effet), tout change lorsque la carte invoquée est un Auspice Funeste, un serviteur qui détruit tous les serviteurs présents sur le plateau au début du tour de son propriétaire. De quoi retourner des parties.

Et des cas comme celui du Déchiqueteur Piloté, il y en a beaucoup. Qui sait quelles cartes seront ajoutées à votre main après un Larcin ? Qui recevra des dégâts du Jongleur de Couteaux ? Quel serviteur sera créé par un Portail Instable ? Quelle légendaire sera invoquée par l'effet d'exaltation de la Confesseur d'Argent Paletress ? Même les sorts de dégâts directs sont affectés, comme la Destruction Elémentaire ou encore les Projectiles des Arcanes. Le résultat ? Il est quasiment impossible de faire une partie de HearthStone sans que le hasard s'en mêle à plusieurs reprises, en dehors de l'aspect aléatoire de la pioche... Et le résultat, on le voit avec la popularité du jeu sur Twitch ou Youtube : un véritable succès planétaire. Car quoi de mieux pour égayer les foules que des retournements de situation spectaculaires créés par d'immenses coups de bol ?

Un risque maîtrisé

Et si on peut comprendre le succès des vidéos de HearthStone sur le net et la popularité du jeu, on peut tout de même s'étonner d'une telle réussite quand on sait que le hasard, c'est justement ce que les joueurs détestent dans les TCG. A vrai dire, par le passé, on considérait souvent qu'un jeu de cartes qui contenait trop d'éléments aléatoires était un jeu de cartes mal construit qui ne permettait pas aux joueurs de gagner systématiquement grâce à leurs compétences. Pour revenir à Magic, que je cite régulièrement car il est sans doute le plus connu et le plus ancien, il contenait par le passé quelques éléments aléatoires, notamment les cartes qui demandaient aux joueurs de faire un pile ou face avec une pièce pour savoir si son effet allait s'effectuer ou non (ou pour choisir entre deux effets). L'effet n'existe pratiquement plus aujourd'hui (il me semble ne plus l'avoir vu depuis le Planeswalker Ral Zarek).

Bien sûr, si HearthStone fait différemment, c'est déjà parce qu'il peut se le permettre techniquement. Contrairement aux TCG physiques (ou aux TCG inspirés par un jeu physique), le format uniquement virtuel de HearthStone rend possible ce qui serait autrement inconcevable. Si dans Magic version physique, une créature avait pour effet « Quand cette créature est mise au cimetière, mettez sur le champ de bataille une créature aléatoire », comment résoudriez-vous l'aspect aléatoire ? En étant un jeu vidéo, HearthStone peut se permettre plus de folies.

Toutefois, que HearthStone soit un succès malgré autant de mécanique basée sur le hasard reste quelque chose d'étonnant, d'autant que tous les grands joueurs s'accordent à dire que les effets aléatoires sont pour beaucoup dans le résultat d'une partie. Pourquoi les fans de TCG ne considèrent pas que cela fait de HearthStone un jeu sans profondeur où n'importe qui peut gagner ? Tout simplement parce que ce n'est pas aussi évident que cela. Alors oui, il n'est pas impossible qu'un joueur avec un plus mauvais deck, voire un plus mauvais niveau, batte un joueur confirmé grâce à quelques coups de bol bien sentis. Il suffit de voir des joueurs habitués au rang légende monter le ladder en début de saison pour se rendre compte qu'ils peuvent tout à fait perdre au rang 22 contre des joueurs aux tactiques douteuses, juste parce qu'un Attise-Flammes l'aura décidé.

Malgré cela, l'aspect aléatoire de HearthStone peut, au moins partiellement, être manipulé par les joueurs confirmés. Prenons par exemple une carte comme le Canon Lance-Flammes, un sort qui inflige 4 points de dégâts à un serviteur adverse aléatoire. Si dans la théorie, on ne sait pas quel serviteur sera visé, on peut casser l'aspect aléatoire de la carte en se débrouillant pour ne laisser qu'un seul serviteur sur le plateau adverse. Et bim, la carte devient alors « inflige 4 points de dégâts à un serviteur » pour seulement deux cristaux. Certes, tous les cas ne sont pas si évidents que celui-ci, mais à force de pratiquer, les meilleurs joueurs de HearthStone arrivent à mettre les probabilités de leur côté. Du coup, dans les grands tournois, on revoit souvent les mêmes têtes, preuve que mine de rien, une excellente maîtrise de la meta reste indispensable.

Au final, on peut dire que le succès populaire de HearthStone et l'excellent coefficient de spectacularité de son aspect aléatoire arrivent à nous faire oublier la potentielle injustice que le hasard peut engendrer. Oui, HearthStone reste plus grand public que la plupart des jeux du genre. Oui, la plupart des cartes sont aussi peu complexes que l'alpha de Magic. Mais peu importe tant que le jeu offre son lot de surprises, d'équilibrage et de techniques, éléments nécessaires à un TCG virtuel réussi.