Si par hasard il vous venait l'idée saugrenue de vous promener dans le centre touristique du vieux Bombay, il n'est pas impossible que vous rencontriez un de ces rabatteurs, franchement insistants, qui proposent aux étrangers de passage de figurer dans un film de Bollywood. Si vous acceptez, vous serez alors payé entre 500 et 1.000 roupies, soit maximum 13 €, pour passer une journée ou une nuit entière à faire le planton sur un plateau bondé, à voir des chorégraphies qui tuent, des effets spéciaux à deux sous, des scènes de romance niaiseuses et sexistes ou des bastons épiques. Avec Juliette, on avait bien envie de tenter l'expérience, et quand une jeune espagnole nous a proposé de figurer dans une scène d'un tel film sur le toit d'un hôtel chic, c'était inespéré, et on a sauté sur l'occasion. Il était alors minuit, et le tournage devait durer jusqu'au lever du soleil. Et vous ne pouvez même pas imaginer notre déception lorsque l'on tombe sur le plateau, non pas d'un film indien, mais du prochain film de Nicolas Saada, un réalisateur français qui a participé à tellement de navets qu'il pourrait être millionnaire sur Animal Crossing.

Vis Bollywood, Dors Bollywood, Mange Bollywood

A cet instant, les Masala movies (littéralement films-mélange) nous manquent, avec leur énergie épuisante, leur laxisme dans le raccord des différents plans et le catéchisme Bollywood qui met en avant des Indiens à la peau blanche pétés de fric dansant sur des compositions monolithiques en montrant leurs pectoraux et leurs formes généreuses. Bollywood est une machine aussi bien huilée que ses acteurs phares, et monopolise une grande partie du temps de cerveau disponible de la population indienne, moins blanche et moins riche. Les icônes du moment sont présentes partout, dans la rue sur les affichages publicitaires, à la télévision dans les talk-shows, et les clips musicaux extraits du dernier film en date sur les lèvres des passants... Il n'est donc pas vraiment surprenant que Bollywood se soit également intéressé au jeu vidéo pour asseoir un peu plus sa position médiatique, et si possible générer de l'argent facile en passant.

Du marketing de combat

Depuis peu de temps, pour accompagner la sortie des grosses productions cinématographiques de l'année, des éditeurs de films confient à des studios de jeux vidéo comme Gameshastra, Nazara Technologies ou 99 games le développement des jeux tirés de leurs films. Un échange de bons procédés. D'un côté, les jeux, mis sur le marché avant la sortie du film, servent sa campagne promotionnelle. De l'autre, l'image de marque du film, forgée à grand renfort de roupies, permet au jeu de se vendre par centaines de milliers de copies peu importe sa qualité. Les jeux sont mis en avant par quelques commentaires sur Twitter ou autres par la star du film (ou du moins par l'un de ses gestionnaires de communauté), et vous pouvez vous assurer qu'un seul tweet de Deepika Padukone, demi-déesse en Inde, avec ses 7,91 millions d'abonnées, a autrement plus d'impact sur la masse que toutes les gesticulations affolées de Nabilla.

Happy New Year, le jeu, et sa chanson dans Just Dance Now

Après la récente sortie de son film Happy New Year, Shah Rukh Khan (ou sans doute un de ses agents) a déclaré que le studio de développement Hungama était « un pionnier en matière de divertissement digital », et que le contenu de ses jeux était « engageant et simpliste ». Résultat, plusieurs centaines de milliers de téléchargements dans la semaine qui a suivi le lancement du jeu... Jean-Philippe Pieuchot, directeur du studio Ubisoft Pune, nous confie qu'il espère également un soutien de Shah Rukh Khan pour accompagner la sortie sur Just Dance Now du morceau Indiawaale, extrait lui aussi du film Happy New Year. Enfin, il serait idiot de ma part de mettre Just Dance Now dans le même paquet que les autres jeux promotionnels.

L'attaque des clones

Je ne vais pas vous mentir, la seule chose de positive avec ces derniers, c'est qu'ils ne plantent pas trop. Mis à part cette qualité indéniable, il y a comme un manque d'idées en termes de mécaniques de jeu et comme une odeur de laisser-aller en ce qui concerne le travail sur les graphismes. Dans le meilleur des cas, ces jeux sont des copies de gros titres à succès, et surtout des jeux pas trop difficiles à mettre en œuvre. On trouvera à foison des clones de Line Runner, de Temple Run (mais avec des grosses bagnoles ou des grosses motos), du jeu de plates-formes, etc. Dans le pire des cas, le studio peut décider d'innover, et dans ce cas-là, c'est la crise de rire assurée. Laissez-vous séduire par le gameplay et les animations du jeu de baston en 3D  Bang Bang inspiré du film éponyme.

Ces jeux, vous les avez déjà vus des tonnes de fois

Le vent, c'est de l'argent

« C'est gratuit, ça ne coûte rien d'essayer ! », la phrase préférée des testeurs de free-to-play. Allez dire ça à un pauvre type broyé dans l'engrenage du semi-gratuit, qui se mord les doigts de perdre non pas de l'argent, mais bien plus important, du temps, à se gâter le cerveau sur Candy Crush Saga, Clash of Clans ou Flappy Bird. Les jeux Bollywood n'échappent pas à l'enfer du free-to play. Pour soustraire de l'argent à leurs clients, les développeurs ajoutent dans leurs jeux à la fois des encarts publicitaires bien gênants et des boutiques intégrées. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils en usent et abusent.

Dans le jeu Bang Bang, vous aurez droit à des publicités vidéo pour Clash of Clans ou Empire Four Kingdoms de 15 secondes chacune entre chaque changement d'écran dans le menu. Dans Krrish 3, le décor du jeu lui-même est bourré de panneaux publicitaires virtuels pour la Tata Manza (une voiture), et les collectables sont des logos de l'entreprise agroalimentaire Del Monte (une boîte qui vend des bananes !). Le délire complet... Parfois, les publicités en jeu sont curieusement ciblées. Pendant l'équivalent indien des élections législatives par exemple, vous pouviez trouver des publicités en faveur du BJP, le parti politique de l'actuel Premier ministre.

La boutique en ligne, de son côté, vend du contenu supplémentaire pour 800 roupies en moyenne, soit environ 10 €, ce qui n'est pas donné en Inde, des items bonus pour 60 roupies, ce qui reste très cher également.

FxLabs, le serpent de mer indien

Hors du secteur mobile, quelques jeux sont également annoncés, à intervalles réguliers, sur PC ou sur consoles, notamment par une société appelée FxLabs. Ce qui est étrange, c'est que ces jeux sont effectivement uniquement annoncés. « D:2.5 », le jeu adapté du film très fructueux Dhoom 2, puis Ghajini, tiré du film éponyme, ont été annoncés avec tambours et trompettes et uniquement quelques copies on été tirées sur DVD. Les jeux sont mauvais, en 3D, trop ambitieux pour les moyens du studio. Et puis, même si le studio en avait les moyens, le jeu n'est pas vraiment fait pour être joué, mais pour servir de faire-valoir au film, pour augmenter artificiellement le contenu et la présence numérique de celui-ci sur la Toile.

Et pourtant j'y joue...

Ça fait six heures que je m'ennuie à mourir sur le plateau, et j'ai finalement sorti mon téléphone. J'enchaîne les parties sur Don 2 : The Run, les yeux dans le vide, l'épuisement intense n'empêche pas de jouer à ces jeux pour somnambules. Je regarde, plus trop amusé, Louis-Dominique De Lencquesaing qui fait son coq à la française, qui se plaint de tout et de rien et qui toise les assistants indiens d'un regard mauvais et je me dis que finalement, on y est pas si mal, en Inde.

Cet article est écrit et proposé par Edouard, voyageur moderne à l'origine de l'initiative "Joueurs du monde".