Le premier film généré entièrement par IA va bientôt sortir. Même si le geste peut être intéressant, je vous le dis tout de suite : c'est ignoble.
Voici la bande-annonce de Maharaja in Denims : premier film réalisé par IA
Le réalisateur indien Singh Khushwant l'a fièrement annoncé sur son compte Instagram : son film Maharaja in Denims serait le premier "AI movie" de l'histoire. Ici, pas de studio de cinéma à proprement parler. Le film est produit par Intelliflicks Studios, une boîte assez obscure dont le métier semble être de générer des prompts sur Chat GPT et Midjourney. Ce n'est même pas particulièrement rabaissant de dire ça, même le site officiel de l'entreprise a l’air d’être généré par IA. Lorsqu'on souhaite se renseigner sur l'équipe pour savoir si, par exemple, des animateurs ont bossé sur Maharaja in Denims, on lit :
Our Team
Our team consists of highly skilled professionals with years of experience in their respective fields. We work together to deliver the best possible results for our clients.
Ce qu'on pourrait traduire par "Notre équipe est composée de professionnels hautement qualifiés ayant des années d'expérience dans leurs domaines respectifs. Nous travaillons ensemble pour obtenir les meilleurs résultats possibles pour nos clients.". Avouez que ce genre de texte pue l'IA à plein nez. On sent qu'il s'agit d'une réponse générique, qui ne correspond à rien de précis. Plus j'ai cherché à me renseigner sur ce projet, plus je suis tombé sur des choses bancales, pour ne pas dire carrément scabreuses.
Maharaja in Denims est une adaptation d'un roman de Khushwant Singh. Le scénario du film sort donc de la tête d'un humain, pas d'un LLM. Le best seller indien raconte l'histoire d'un ado rongé par des flashbacks de ses vies antérieures. C'est pour cela que, dans la bande-annonce, on voit des scènes qui semblent provenir de différentes époques.
Mon avis est clair : l'IA au cinéma, c'est nul
Je ne suis pas du genre à avoir des avis bêtement anti-IA. De manière générale, je ferai un bien piètre journaliste tech si le progrès technique ne me fascinait pas au moins un peu. Pour tout vous dire, j'utilise moi-même des IA assez régulièrement pour m'aider dans des tâches administratives, reformuler un paragraphe que je sens peu clair ou générer une miniature par exemple. Il me parait important de préciser tout ça avant de démonter la démarche du film.
On pourrait commencer par lister l'évidence :
- on dirait une succession de tableaux génériques ;
- il y a des aberrations dans les images ;
- nous sommes en plein dans la vallée de l'étrange ;
- tout est trop lisse et trop flou ;
- ça manque de dynamisme, même les lèvres ne bougent pas pendant les dialogues ;
- le personnage change de tête à chaque plan...
Je peux continuer comme ça encore longtemps. Les IA ne sont pas parfaites et il est pour l'instant très compliqué de sortir un film visuellement agréable simplement en animant des images créées par MidJourney. Seulement, je ne pense pas que ces défauts soient les plus importants à mettre en avant. Après tout, il est fort probable que les intelligences artificielles évoluent très rapidement que tous ces défauts purement esthétiques soient corrigés d'ici à quelques années. Une bonne critique de cette bande-annonce ne doit, je pense, pas se concentrer sur la forme mais sur le fond du projet.
Le fond du projet, c'est la transformation du cinéma. L'expression ne vient pas de moi mais de Singh Khushwant lui-même. Ce film a tout de même coûté 1 million de dollars (il faut bien un budget marketing, payer des salaires, etc.), mais ce chiffre est ridiculement faible. En temps normal, un projet de cette envergure en Inde coûte "6 fois plus cher", toujours d'après les dires du réalisateur.
L'objectif est donc de poser une première pierre vers un cinéma moins humain pour faire des économies. Un cinéma qui précarise ses acteurs, au sens large du terme. Un cinéma qui s'uniformise. Un cinéma toujours moins artistique et toujours plus industriel. Même si les IA deviennent parfaites, je ne peux pas pleurer devant une production froide comme un circuit imprimé. Sans la chaleur des tripes et des viscères des artistes, les films, la musique, les bouquins ou les tableaux ne pourront jamais me toucher.
L'IA en elle-même est un outil formidable. Lorsqu'elle est utilisée comme une simple machine à faire du fric qui tue le geste artistique, là, l'IA devient un outil bien triste.