Hayao Miyazaki et le Cygne

En salle depuis une bonne semaine chez nous, Le Garçon et le Héron nous a été vendus (comme Le Vent se lève il y a dix ans) comme le dernier film d’Hayao Miyazaki avant une retraite bien méritée. Si visiblement le projet de se la couler douce pour profiter des années qui lui restent semble avoir été abandonné, il n’empêche que Le Garçon et le Héron porte indéniablement en lui cet air de chant du cygne. Le Garçon et le Héron n’est pas qu’un film. Il s’agit d’un testament pensé par un vieil artiste prêt (en théorie) à prendre sa retraite et voulant laisser derrière lui un ultime film pour son petit-fils. En ce sens, il s’agit probablement du projet le plus personnel de Miyazaki, une rétrospective de sa vie et de son œuvre.

Le Garçon et le Héron, c’est l’histoire de Mahito, un jeune garçon qui partage un certain nombre de choses avec le réalisateur à succès. Comme lui, il va connaître les alarmes, la terreur et le feu des villes bombardées en pleine guerre mondiale. Comme lui, il va devoir quitter Tokyo pour fuir les bombes. Comme lui, sa jeunesse sera marquée par la maladie de sa mère. Il y a tout de même une différence de taille : Mahito perd sa mère alors qu’il n’est qu’un enfant ; Miyazaki, lui, la perdra bien plus tard même si ce deuil marquera une bonne partie de ses œuvres. On l’a dit, Mahito change donc de ville, mais aussi de vie. Nouvelle maison, nouvelle école, nouvelle mère… Peut-être un peu trop de nouveautés pour un enfant traumatisé. Sur les traces de sa mère disparue, il va alors embarquer pour une aventure onirique et riche en symboles comme Miyazaki sait si bien les faire.

Mais ce ne sont pas les seuls thèmes abordés dans Le Garçon et le Héron. Le film regorge de sujets chers à Miyazaki, comme le rapport à la nature et au vivant, la création ou encore l’enfance. C’est d’ailleurs bien dommage que le titre français se concentre sur la relation (finalement moins importante) entre Mahito et le héron cendré. Le titre japonais, que l’on peut traduire en Comment vivrez-vous ?, pose une véritable question qui est centrale dans ce film. Comment vivrez-vous le changement ? Comment vivrez-vous le deuil ? Comment vivrez-vous la guerre ? Comment vivrez-vous la vieillesse ? Comment vivrez-vous la détresse ? Comment vivrez-vous le rapport au temps qui passe ? En réalité, cette question elle est même centrale dans toute l'œuvre de Miyazaki. Les thèmes cités plus haut ont d’ailleurs déjà été abordés dans les précédents films du réalisateur.

Car qui dit testament, dit patrimoine. Le Garçon et le Héron c’est un peu la convergence de tous les films Miyazaki. Que ce soit au niveau des thèmes, de la structure, de certains plans visuels mais aussi directement du texte, les liens avec Le Château dans le Ciel, Le Vent se lève, Le Voyage de Chihiro et les autres. Si vous êtes fans de Miyazaki, dans ce qu’il propose de plus désarçonnant et onirique, vous ne serez donc pas dépaysé. Mais heureusement le film n’est pas qu’une pile de références qui s’enchaînent et parvient tout de même à se démarquer de ses prédécesseurs, de façon assez inattendue.

L’oeuvre de la maturité ?

Mahito n’est pas le seul personnage à partager des similitudes avec le réalisateur. La figure du vieux fou incapable de sortir de sa tour, obsédé par son œuvre et à la recherche d’un héritier, c’est littéralement Miyazaki. L’écriture de Nausicäa de la Vallée du Vent l’a, selon ses propres dires, par exemple totalement coupé du monde pendant de longs mois. Tout naturellement, le film apporte donc un questionnement sur l’héritage et la succession avec cette question qui a brûlé les lèvres de nombreuses personnes : qui pour succéder au grand Hayao Miyazaki ? Sans trop en dire, la conclusion du film nous apporte à ce niveau une réponse réfléchie et nuancée. Miyazaki semble avoir appris de ses erreurs, lui qui a tant mis la pression (indirectement ou non) à son fils Goro. De façon intéressante, Le Garçon et le Héron nous propose donc un regard plus sage, presque auto-critique, sur la vie et l'œuvre de Miyazaki. Plus généralement, le film propose une vision peu manichéenne sur bien des aspects et c’est plaisant.

Forcément, on se retrouve avec un récit complexe, peut-être un peu trop par moment. Si Le Garçon et le Héron se cache derrière la phrase “Ceux qui chercheront à comprendre périront”, il nous bombarde de mystères et de questionnements sans forcément nous apporter toutes les clés de compréhension. Cela a déjà été le cas dans les Miyazaki mais c’est d’autant plus vrai du Garçon et le Héron. Si vous avez eu du mal à accrocher aux récits très oniriques du Voyage du Chihiro ou du Château Ambulant, il vaut mieux que vous soyez prévenus, même s’il n’y a pas que de ça dans le film.

Le Garçon et le Héron est en gros divisé en deux parties.La seconde est plus onirique et rythmée, la première plus posée et terre à terre. Si comparaison il faut faire, cette dernière serait plus semblable à un Le Vent se Lève. Mais le jeu des comparaisons marche moins au cours de cette partie. Et ce tout simplement car Miyazaki tente des choses nouvelles, notamment du côté de l’animation. Les premières minutes du Garçon et le Héron sont surprenantes visuellement parlant. Miyazaki tente une animation plus dynamique et c’est réellement réussi. Après cela, on revient sur quelque chose de plus traditionnel mais toujours aussi diablement bien réalise. Le crayon de Miyazaki n’a jamais eu autant le sens du détail et c’est visuellement impressionnant. La bande-son de Joe Hisaishi (toujours lui) est également prenante et remarquable, bien qu’un peu trop discrète par moment. Artistiquement parlant, Le Garçon et le Héron est donc effectivement un chef d'œuvre, un modèle à suivre et un incontournable à voir. Mais est-ce vraiment le chef d'œuvre ultime de Miyazaki ?

Le chef d'œuvre ultime de Miyazaki ?

Et là, on rentre dans une partie plus subjective. Avec un univers aussi onirique que celui d’Hayao Miyazaki, difficile d’avoir un avis purement objectif. Il y a une grande part de subjectivité dans l'appréciation de ce genre de films, plus que pour d’autres. Un film Miyazaki objectivement moins bon vous parlera peut-être plus à titre personnel et se hissera automatiquement dans votre top. Si on faisait le test du classement des meilleurs films de Miyazaki dans les commentaires, on se retrouverait ainsi certainement avec des avis très différents. À titre personnel, j’ai encore du mal à juger si j’ai adoré le film ou juste apprécié. Objectivement, le film est plus que réussi. Si vous aimez l’animation japonaise c’est à voir, mais il y a tout de même un risque d’être laissé sur le carreau. Et cela est principalement dû à une chose : l'ambiguïté du Garçon et le Héron.

On l’a dit, le film est divisé en deux parties. Et si Miyazaki est très bon dans ce qu’il a l’habitude de faire (la partie plus fantastique), ce qu’il tente dans la première partie est aussi audacieux qu'intrigant. Si les uns auront du mal à accrocher, d’autres seront donc au contraire déçus que Miyazaki ne pousse pas plus loin l’exploration de ces nouvelles techniques et atmosphères. L’ambiguïté, elle vient aussi de cette phrase : “Ceux qui chercheront à comprendre périront”. Quand on fournit une œuvre aussi métaphorique et symbolique, c’est assez paradoxal de dire à son audience “ne cherchez pas à comprendre ce que vous ne comprenez pas au premier abord”, et peut-être même un peu facile. La double lecture, c’est le cœur des œuvres de Miyazaki, et prétendre s’en distancer ça laisse un peu perplexe. Surtout que Le Garçon et le Héron est particulièrement complexe, peut-être trop pour son propre bien.

Beaucoup de choses se superposent dans ce film et peuvent facilement perdre le spectateur. On a un peu l’impression que Miyazaki n’a pas réussi à faire un choix parmi toutes les thématiques qui lui tenaient à cœur pour ce dernier film. C’est d’autant plus dommageable que ces thèmes, encore une fois, on les connaît. Le film aurait peut-être gagné à se concentrer sur le rapport à la création et à la succession. Car à trop se rapprocher des autres Miyazaki, il peine à tenir la comparaison. Si visuellement, il n’y a rien à redire, scénaristiquement un Voyage de Chihiro (qui suit une structure similaire) est plus précis et impactant. Et c’est dommage, car cette lourdeur scénaristique elle pèse sur la beauté de certains moments qui sortent réellement du lot. Ces moments de poésie intenses qui font du visionnage de ce film un moment à part malgré tout.

Vous l’aurez compris, il y a du bon (voire même de l’excellent) et du moins bon dans Le Garçon et le Héron. À mi-chemin entre tradition et expérimentation, le réalisateur star de Ghibli nous livre une œuvre particulièrement intéressante sur son rapport à la création et à la succession. Il s'agit d'un excellent film d'animation et Miyazaki n'a pas perdu de son talent, c'est clair. Pour le reste, c’est plus discutable. En tout cas, si vous aimez Miyazaki et son goût pour l’onirique et la contemplation, vous ne serez pas totalement dépaysé. De là à dire qu’il s’agit de son chef d'œuvre ultime… Ce sera en vérité à vous de vous faire votre propre avis selon votre sensibilité.