Cela fait des mois que l'Ozempic fait de plus en plus parler de lui. En mars 2023, l'UFC-Que Choisi titrait déjà "Détournement de l'Ozempic pour perdre du poids". Trois mois plus tard, en août, c'était à TF1 de publier "Folie de l'Ozempic sur TikTok : l'antidiabétique toujours plus détourné pour mincir". Vous vous en doutez, aujourd'hui, cette "folie" ne s'est pas calmée. Sur JVTECH, nous parlons souvent de science, d'industrie et de réseaux sociaux. Il est donc temps de faire le point sur cette affaire qui agite à la fois certains secteurs économiques, certains cercles du TikTok américain et certaines communautés scientifiques.

Des millions et des millions de vues sur TikTok

L'observation de Walmart sur l'impact des médicaments amaigrissants sur les achats

La dernière étude sur Ozempic n'est pas l'œuvre d'endocrinologues, de chercheurs en médecine ou même d'un groupe de patients diabétiques, non. Le dernier papier majeur autour de ce médicament émane de Walmart, la chaîne américaine d'hypermarchés qui compte pas moins de 10 500 magasins répartis dans une vingtaine de pays. Après avoir analysé les paniers d'achat de ses clients, Walmart conclut que les personnes qui utilisent Ozempic ou Wegovy (la même molécule que l'Ozempic) finissent par acheter moins de nourriture. Car oui, c'est bien l'influence des médicaments amaigrissants sur l'achat de nourriture qui intéresse la chaîne américaine d'hypermarchés.

"Nous constatons un léger changement par rapport à la population totale, une légère baisse du panier d'achat global", a déclaré John Furner, président-directeur général des activités américaines de Walmart, dans les colonnes de Bloomberg. Lors de son entretien avec nos confrères, le dirigeant n'est pas entré dans les détails de son étude et s'est contenté de termes comme "moins d'unités vendues" ou "un peu moins de calories". Ces informations, même floues, ont déjà eu un impact concret puisque le cours des actions des entreprises spécialisées dans la production de boissons sucrées et d'en-cas trop gras a baissé suite à ces révélations.

Comprenez que la position de Walmart est assez particulière. Outre-Atlantique, Walmart est un géant, qui commercialise à peu près tout type de produits : nourritures, vêtements, livres, high tech et, oui, même des médicaments. Pour déterminer si la vente de médicaments à base de sémaglutide - le composé sur lequel reposent l'Ozempic et ses concurrents - influençait la vente d'autres produits, comme la nourriture, Walmart n'a qu'à comparer le comportement des clients qui viennent chercher ces médicaments dans ses magasins et à celui d'autres clients au profil similaire qui ne consomment pas ce genre de produits. Notez qu'il est assez fréquent que Walmart utilise son immense base de données (en anonymisant les informations) pour enquêter sur les habitudes d'achat des clients. La rareté ici, c'est qu'une de ces études a entrâiner une baisse du cours de certaines actions.

L'impact économique du buzz TikTok autour d'Ozempic

Cela signifie-t-il que Walmart pourrait perdre de l'argent ? Pas du tout, au contraire même. La multinationale constate certes une baisse des achats alimentaires de certains clients, mais certains rayons sont impactés de façon différente. En effet, le succès de l'Ozempic a dopé les ventes globales dans les pharmacies de détail, et Walmart a annoncé il y a quelques mois que ces pharmacies contribueraient à doper les ventes pour la fin d'année 2023. Même si Walmart fait peu de marge sur les sémaglutides, l'entreprise semble les voir comme un générateur de trafic. Une personne vient dans un espace pharmacie pour de l'Ozempic, et repart avec quelques autres produits en plus.

Avons-nous plus de données ? Oui. Les données sur les ventes récemment publiées par Trilliant Health montrent que les prestataires de soins de santé aux États-Unis ont délivré plus de neuf millions d'ordonnances pour Ozempic (65% des prescriptions), Wegovy et d'autres médicaments similaires contre le diabète et l'obésité au cours des trois derniers mois de l'année 2022. Ce chiffre représente une augmentation de 300 % entre le début de l'année 2020 et la fin de l'année 2022. Le nombre de diabétiques au pays de l'Oncle Sam n'explose pas au même rythme, ce qui montre bien que l'usage de ces médicaments a été largement détourné par le public mais aussi par les médecins qui distribuent des ordonnances d'Ozempic à tire-larigot.

Selon le dossier publié par Axios, les analystes, stratèges et associés de Morgan Stanley estiment qu'au cours de la prochaine décennie, 7 % de la population américaine pourrait prendre des médicaments contre l'obésité. Ces données sont importantes pour l'industrie alimentaire, et en particulier pour les fabricants d'aliments riches en graisses ou en sucres, car les personnes qui utilisent ces médicaments sont susceptibles de consommer jusqu'à environ 20 % de calories en moins. Un rapport de Barclays va dans le même sens et avertit que les médicaments utilisés pour la perte de poids représentent un risque réel pour les entreprises de restauration rapide.

En résumé, l'impact économique de ce buzz TikTok a tendance a être plutôt positif pour la grande distribution et négatif pour les entreprises qui vendent des en-cas trop gras, trop salés, trop sucrés. Mais qu'en est-il de l'impact sanitaire ?

Un impact sanitaire important ? Quels risques encourent les personnes qui détournent l'usage des médicaments contre le diabète ?

Les influenceurs et influenceuses qui mettent en avant l'Ozempic partout sur les réseaux sociaux depuis des mois ne parlent strictement jamais des effets secondaires du médicament et de tous les impacts négatifs que peut entraîner un tel buzz. En voici donc une petite liste non exhaustive :

• Les effets secondaires les plus courants de l'Ozempic entraînent des problèmes gastro-intestinaux divers et variés. Des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique ont publié un papier dans la revue scientifique JAMA à ce sujet. Ils sont formels : les patients traités avec du sémaglutide ou du liraglutide ont 9 fois plus de risques de développer une pancréatite, 4 fois plus de risques de développer une occlusion intestinale et 3 fois plus de risques de développer une gastroparésie (qui entraîne nausées, vomissements et douleurs).
• Suite aux troubles gastro-intestinaux causés par la prise d'Ozempic, le corps humain peut rapidement souffrir de déshydratation, ce qui peut affecter la fonction rénale.
• Des instances officielles anglaises, européennes, islandaises et américaines s'intéressent également à de potentiels effets indésirables sur la santé mentale. Des études sont en cours, mais il se pourrait que ces traitements puissent favoriser certains troubles extrêmement graves.
• La demande mondiale en sémaglutide continue d'exploser, ce qui, forcément, affecte le niveau des stocks de ces produits. Ainsi, il y a de forts risques de rupture pour les diabétiques qui ont besoin de ce traitement.

Même si les effets secondaires vraiment pénibles restent rares (ils touchent environ 1% des personnes qui prennent de l'Ozempic et équivalents), des centaines de milliers de personnes pourraient être touchées. C'est la loi des grands nombre. Si, suite au buzz, des dizaines de millions de personnes se mettent à consommer ce genre de médicament, prenez 1% d'entre elles et cela fait déjà beaucoup de monde (1% de 10 millions, cela fait déjà 100 000 cas). De nombreux experts appellent donc à une meilleure régulation de ces produits afin qu'ils ne soient prescrits que lorsqu'ils sont vraiment nécessaires, c'est-à-dire pour les patients atteints de diabète de type 2 ou pour les patients avec le plus haut risque d'être atteints par de graves problèmes liés à l'obésité.

Le cas particulier de la France : un rapport au poids et au corps compliqué

En France, les autorités sanitaires estiment que seul 1% des prescriptions d'Ozempic sont délivrées à des personnes qui cherchent à maigrir. Le chiffre est faible, beaucoup plus faible qu'aux États-Unis, même s'il représente tout de même plusieurs milliers de cas. On peut supposer que la tendance TikTok touche moins l'Hexagone, ou que les médecins français ont moins tendance à prescrire ce genre de médicaments aux patients qui ne sont pas diabétiques.

Quoi qu'il en soit, nous sommes face, en France comme dans de très nombreux pays, à de graves problèmes liés au surpoids et aux perceptions de nos corps. Pour ne parler que de la France, une récente étude publiée dans le Journal of Clinical Medicine constate que 47,3 % des adultes français sont en excès de poids dont 17% en situation d'obésité. Cela fait plusieurs décennies que ces chiffres, surtout celui de l'obésité, sont en augmentation. À titre de comparaison, sachez que 70% de la population américaine est en excès de poids.

En parallèle, et c'est là où la situation se complique, le culte de la minceur prend de la place dans les esprits. Plus de deux tiers des femmes françaises (et 50% des hommes) estiment devoir perdre du poids, alors qu'une large partie d'entre elles présente un IMC normal. Dans le même élan, 10% de la population affirment avoir suivi plus de 10 régimes différents, et le marché de la minceur possède un très joli taux de croissance de 7% pour un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros en France.

Le cas du détournement de l'Ozempic n'est pas une affaire isolée. On se rappelle par exemple de l'exemple du Mediator, autre médicament détourné qui était à l'origine conçu pour le diabète et qui a provoqué près de 2000 décès. De nouveaux médicaments présentés comme des solutions miracles à des personnes mal dans leurs corps ont de bonnes chances de faire parler d'eux dans les années à venir. De nombreux experts affirment que tant que le problème ne sera pas traité à la racine, il perdurera.