En ce jeudi 21 octobre, voilà dix ans que Nintendo diffuse souvent ses “Nintendo Direct”, format vidéo où la firme de Kyoto fait le point sur ses nouveautés, les jeux d’éditeurs tiers et indépendants, ou ses services à venir. Un anniversaire loin d’être anodin. En plus d’avoir aidé la société japonaise dans sa dernière impasse marketing, les Nintendo Direct ont également influencé Xbox et Sony.
Des jeux vidéo culte qui fêtent leurs dix ans, c’est plutôt commun, mais ça l’est beaucoup moins quand il s’agit d’un format vidéo. Nés en 2011 et diffusés pour la première fois le 21 octobre de cette même année, les Nintendo Direct font désormais partie intégrante de la communication du constructeur japonais, faisant régulièrement le point sur le catalogue (parfois également les services) de la Switch pendant environ quarante minutes, que ce soit avec des titres déjà connus ou des annonces surprises. Il y a à peine un mois, la dernière grosse édition dévoilait Kirby et le Monde Oublié, premier opus de la série en 3D, ainsi qu’une date inespérée pour Bayonetta 3. Un format vitrine accompagné des “Indie World”, dédiés aux jeux indés à venir sur Switch, et de prises de paroles centrées sur des exclusivités, comme Super Smash Bros Ultimate.
Direct au public
Une offre aujourd’hui très complète qui n’a pas toujours été appréciée ou efficace. En 2011, Nintendo est coincé entre une Wii U qui a du mal à se faire comprendre et le démarrage décevant de la 3DS. Dans ce contexte, Satoru Iwata - alors président de Nintendo, maintenant décédé - aurait "ouvert la porte”, comme l’explique le journaliste Daan Koopmann, co-éditeur de Nintendo World Report, sur Twitter. “Au lieu de faire une conférence (...) la société a présenté sa gamme de logiciels et s'est concentrée presque uniquement sur les jeux sur une page Ustream” affirme-t-il. “La réponse au Japon a été plutôt positive, ce qui a amené Satoru Iwata à repenser l'approche afin de fournir des informations aux consommateurs”. Nous sommes alors en septembre 2011 et la Wii U vient tout juste d’être dévoilée au monde entier à l’E3, trois mois auparavant.
Florent Gorges, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Nintendo que nous avons joint par téléphone, souligne dans tous les cas l’importance de Satoru Iwata, arrivé à la tête de l’entreprise en 2002, dans l'émergence de ce nouveau format : “Il voulait s’adresser à tout le monde (...) ce qu’il fera avec la Wii” raconte-t-il. “Nintendo a toujours eu la réputation d’être très secret”. Une image qu’Iwata cherchera à estomper avec les “Iwata Asks”, articles où le président interview les développeurs de la société, jusqu’alors quasi-inconnus. Une chronique qui aura d’ailleurs directement sa place dans l’édition japonaise du premier Nintendo Direct, en octobre 2011. Une année plus tard, ce sera la dernière conférence de la firme à l’E3, remplacée par des vidéos prévues pour le show. Le cas Wii U n’est pas non plus étranger à cette décision. Nintendo a de plus connu des moments gênants sur scène par le passé, comme avec Zelda Skyward Sword.
Pour sa première édition, le Nintendo Direct fait l’objet de deux présentations distinctes pour le Japon et les Etats-Unis. Sur les terres du constructeur, c’est Iwata, derrière un pupitre bien solennel, qui fait le point sur les nouveautés de la 3DS. Une prise de parole trois fois plus longue que la version américaine. De son côté, Reggie Fils-Aimé, alors président de Nintendo of America, plaisante à propos de celles et ceux qui ne se sont pas encore offerts la dernière console portable de la société. Une originalité qui n’étonne pas vraiment Florent Gorges : “Nintendo America a toujours été très indépendant de Nintendo Japon”. Progressivement, les deux versions vont se fondre, avec un présentateur différent selon les éditions. D'après le spécialiste de Nintendo, les prestations de Satoru Iwata ont d'abord été vivement critiquées, avant que ce dernier travaille sans relâche son anglais, faisant ressortir son côté sympathique. Cela aurait contribué au succès des Nintendo Direct.
A g. : Reggie Fils-Aimé / A d. : Satoru Iwata, lors du premier Nintendo Direct
Doutes au show
À l’époque, le revirement de Nintendo étonne. “(Les Nintendo Direct, ndlr) ressemblaient à un aveu de défaite pour l’entreprise” affirme sur GamesIndustry Christopher Dring, président du média, spectateur de la dernière conférence E3 en live de la société. “Il ne pouvait tout simplement pas faire un bon spectacle, alors il n'allait même pas essayer”. Florent Gorges n’est pas aussi catégorique, expliquant que Nintendo n’a jamais détaillé ses véritables motivations. Ce serait plutôt une prise de conscience, au vu de l’écart de prix entre une vidéo maison et une présentation devant des milliers de journalistes, sans négliger le rôle d'Iwata. “Nintendo a toujours eu de l’argent en réserve” précise l'auteur, malgré la Wii U et les débuts de la 3DS.
Au départ mal à l'aise dans l'exercice du face caméra (les yeux rivés sur le prompteur et les corps raides, comme nous vous expliquions dans un billet de 2019), Nintendo va petit à petit s'approprier ce nouvel espace de communication, s’autorisant souvent des excentricités, comme les marionnettes à l'effigie des stars de la société, gardant ses plus belles pépites pour l’E3, qu’il ne néglige pas pour autant. Comment oublier ce combat entre Reggie Fils-Aimé et Iwata à l’annonce des Mii dans Super Smash Bros for Wii U ? Le tout dans une ambiance colorée avec les dirigeants de la firme qui s'adressent directement aux spectateurs. Aujourd’hui, malgré des formats similaires, ni Xbox, ni Sony fait de même. Big N est proche et transparent.
Tous en direct
Les Nintendo Direct sont aussi une manière d’accorder une mise en lumière équivalente pour chaque titre, précise Florent Gorges, lorsque certains pouvaient auparavant être oubliés rapidement. Des titres d'ailleurs souvent disponibles quelques mois après leur apparition, quand ce n'est pas une démo à télécharer de suite. Bref, la société renoue avec son public, et le succès tardif de la 3DS et le carton de la Switch aideront l'entreprise dans cette voie. Et toujours avec le sens du spectacle. L'arrivée de Kazuya dans Smash Bros Ultimate et l'annonce de la suite de Breath of the Wild (cachées aux journalistes) ont récemment marqué.
Naturellement, cette envie de se rapprocher du public va irriguer toute l'industrie. En 2018, Microsoft lançait ainsi les Inside Xbox, format bien plus long que les Nintendo Direct, qui n'ont pas pour vocation de lâcher annonce sur annonce mais plutôt de prendre le temps d'aborder des sujets liés à la marque. L'entreprise américaine s'est même associée à Twitch, la plateforme reine dans l'art de rapprocher acteur et spectateur, dans le cadre des ID@Xbox, dédiés aux nouveaux jeux indépendants chez Microsoft. Un moyen de multiplier les lieux pour prendre la parole, et de s'éloigner doucement de conférences certes diffusées en direct dans le monde entier, finalement bien loin des consommateurs en chair et en os.
Une tendance qui va encore plus loin chez PlayStation, qui boude l'E3 depuis 2019, et qui a fait de ses formats (State of Play, PS5 Showcase) son principal moyen de communication. Il arrive également au constructeur de balancer une information importante "comme ça", sur son blog officiel, comme ce fut tout récemment le cas pour le portage de God of War sur PC. Une approche presque impensable il y a encore quelques années, surtout pour un gros acteur comme Sony. La crise sanitaire du Covid-19 a ainsi fait office de moteur pour les autres têtes d'affiche du milieu, forcées à changer leurs habitudes, réalisant au passage l'économie de coûts sans pour autant compromettre l'effet d'annonce. Maintenant, même Ubisoft, Square Enix ou encore Capcom ont leur format vidéo, mais diffusés bien moins souvent que les Nintendo Direct.