Inutile de faire les présentations. Les aventures de Kazuma Kiryu et du clan Tojo bercent les joueurs depuis près de 15 ans sur 3 générations successives de consoles et cette longévité n’est pas le fruit du hasard, mais bien d’une équipe acquise à la franchise Ryu ga Gotoku… une franchise connue sous le nom de Yakuza en occident. Le studio désormais en charge de la série emprunte son nom à celle-ci, preuve si besoin il y avait de ce lien indéfectible entre l’oeuvre et l’auteur.
La naissance du Dragon
L’histoire de Ryu ga Gotoku remonte bien avant sa création. Cette filiale fondée par Sega en 2011 repose sur les cendres des studios Amusement Vision (Daytona USA 2001, F-Zero GX...) et Smilebit (Sega Rally 2, Jet Set Radio...). En 2004, l’éditeur japonais engage une restructuration d’envergure à l’origine de la division New Entertainment composée des membres des studios précédemment cités. Ainsi naissent NE R&D et Sports R&D respectivement en charge des franchises Super Monkey Ball / Yakuza et Mario & Sonic aux Jeux Olympiques / Virtua Pro Football. Yakuza débarque l’année suivante sur PlayStation 2 sur fond de récit noir et se démarque de la concurrence par le sens du détail qui caractérise son monde ouvert et ses phases de Beat’em All intenses.
Le succès de ce jeu d’action-aventure en monde ouvert perçu à raison comme le successeur spirituel de Shenmue détermine l’avenir de Toshihiro Nagoshi, malgré des coûts de développement s’élevant à 21 millions de dollars, et fait connaître à l’international le créatif derrière la saga Yakuza. Face à ce succès critique et commercial (1 millions d’unités vendues à date), le département NE R&D s’attèle au développement d’une suite qui voit le jour dès 2006 et se rapproche des ventes de son aîné. Yakuza 2 repose sur une formule similaire et invite les joueurs à découvrir le quartier pas si fictif de Sotenbori situé à Osaka sous couvert d’une intrigue familiale complexe… marque de fabrique de la saga.
Puis le destin de la série bascule. Une énième restructuration orchestrée par Sega donne naissance en 2009 à CS1 R&D, dirigé par Toshihiro Nagoshi lui même, un studio à l’origine des épisodes Yakuza 3 et 4 ainsi que deux spin-off. La saga nous incite à parcourir l’archipel nippon et à découvrir partiellement l’île d’Okinawa (zone de Ryukyu) à travers des scénarios inspirés du 7e Art. Yakuza est désormais une saga installée et lucrative. Les épisodes canoniques dépassent coup sur coup et sans sourciller les 500 000 ventes. CS1 R&D change finalement de nom le 31 août 2011 pour devenir le studio que nous connaissons. La gestation fut longue, mais Ryu ga Gotoku est enfin de ce monde.
Un destin de Yakuza
Ryu ga Gotoku n’a qu’un seul et unique objectif (ou presque, mais nous reviendrons sur ce point plus tard)… exploiter la franchise Yakuza et la fructifier. Après les remaster Yakuza 1 & 2 HD Edition en 2012 sur PS3 et une suite au spin-off “Black Panther”, le premier véritable opus canonique développé par les équipes de Toshihiro Nagoshi dégaine en décembre 2012 et écrit une nouvelle page de la vie de Kazuma Kiryu. Yakuza 5 frappe fort, très fort. Le chiffre 5 reflète le contenu du titre. Ce dernier présente 5 quartiers situés dans 5 villes différentes (Osaka, Sapporo, Tokyo, Nagoya et Fukuoka) et 5 protagonistes, ce qui en fait de loin le Yakuza le plus dense jamais imaginé. Sega écoule près de 600 000 jeux uniquement au Japon et reçoit l’approbation de la presse.
Yakuza Zero : The Place of Oath sorti 3 ans plus tard confirme le talent de Ryu ga Gotoku et l’appétence des joueurs pour les aventures du Dragon de Dojima. Sans surprise, ce préquel convainc la presse ainsi que le public et permet pour la première fois d’incarner un certain Majima Goro, personnage particulièrement apprécié par les joueurs. Avant de changer de moteur et de passer définitivement sur le Dragon Engine, Ryu ga Gotoku surfe sur la vague des remakes qui frappe depuis plusieurs années le jeu vidéo et développe une version Kiwami de Yakuza (2005) qui fait l’unanimité auprès des fans à sa sortie en 2016.
La même année, Yakuza 6 : The Song of Life et son moteur maison laissent entrevoir des jours heureux pour le studio. Pour preuve le million de copies vendues et le 83% Metacritic dont peut se vanter cette conclusion familiale des aventures de Kazuma Kiryu. Par la suite, Ryu ga Gotoku prouve sa capacité à sortir un jeu par an en accouchant de la pépite Yakuza Kiwami 2 en 2017 et du surprenant Judgment en 2018. Si les ventes du remake sont loins des standards de la saga, celles du spin-off dépassent les attentes de Sega en occident et performent au Japon, soit 240 000 copies écoulées un mois après sa sortie. Ces résultats laissent entrevoir un avenir pour Takayuki Yagami, héros de Judgment, dans une séquelle murmurée, mais toujours pas officialisée.
L’intérêt grandissant du public pour la saga pousse le studio à revoir ses ambitions à la hausse et à intensifier sa présence sur les territoires européens et nord-américains. La stratégie de l’éditeur japonais passe en premier lieu par une présence accrue sur PC, machine tertiaire au Japon, avec les sorties consécutives de Yakuza Zero : The Place of Oath, Yakuza Kiwami et Yakuza Kiwami 2 sur la boutique en ligne Steam. Souvent décriée pour son absence de sous-titres en français, la saga affiche clairement ses nouvelles intentions avec Judgment. Le titre de Ryu ga Gotoku est intégralement doublé en japonais/anglais et sous-titré dans 5 langues (anglais, français, italien, allemand et espagnol)... une prise de risque qui porte ses fruits.
Le futur de la série se dessine sans Kazuma Kiryu et cette information n'est pas sans conséquence. Pourtant, l’absence remarquée du Dragon de Dojima dans Yakuza : Like a Dragon ne pourra pas empêcher la franchise de briller. Le prochain épisode, fraîchement présenté lors du Tokyo Game Show 2019, chamboule une formule qui a fait ses preuve et ose un renouveau par la plume avec l’arrivée tonitruante du protagoniste Ichiban Kasuga, et par le gameplay en se dotant d’un nouveau système de combat au tour par tour. La saga Yakuza se renouvelle, défie son propre immobilisme quitte à surprendre, voire décevoir une partie des fans. Une chose est sûre, il est inconcevable de s'ennuyer en compagnie du clan Tojo.
La voie du civil
Le coeur de Ryu ga Gotoku bat au rythme des sorties des jeux Yakuza, mais le studio japonais s’est aventuré au-delà des terres mafieuses de sa licence phare à plusieurs reprises. CS1 R&D se charge ainsi du développement des Super Monkey Ball avant de troquer ses initiales pour un nom plus parlant. Néanmoins, la première infidélité notable remonte au mois de février 2012 et la sortie de Binary Domain, un jeu de tir à la troisième personne prenant place en 2080 dans un univers science-fictionnel. Ce projet initié par Toshihiro Nagoshi s’éloigne un peu des habitudes du créateur pour se focaliser sur l’action et les relations entre les personnages.
Malgré des retours plutôt positifs de la presse, Game Informer le considérant comme l’un des meilleurs TPS de sa génération, le titre peine à trouver son public avec 73 000 ventes au Japon la semaine de son lancement et moins de 20 000 en Amérique du Nord sur une période équivalente. Le second écart du studio Ryu ga Gotoku l'entraîne ensuite sur les terres désolées de Kenshiro (Ken le Survivant) en 2018. Si ce mariage inattendu entre la saga Hokuto no Ken et la formule Yakuza oscille entre l’excellent et le médiocre, les fans se ruent sur le titre. Les ventes de Fist of the North Star Lost Paradise culminent à 126 000 une semaine après sa sortie dans l’archipel et permettent au titre de détrôner un certain Monster Hunter World après sept semaines consécutives passées au sommet des ventes de jeux au Japon.
Ryu ga Gotoku a fait ses preuves à maintes reprises depuis sa naissance en 2011, même bien avant ça, et démontre sans relâche sa capacité à développer des jeux d’envergure aux qualités indiscutables. Le Dragon de Sega se porte comme un gant et son avenir paraît plus lumineux que jamais à l’image de la saga dont il partage le nom. Seul Yakuza : Like a Dragon est officialisé à l’heure actuelle, mais nul doute que le studio nous réserve bien des surprises dans les mois et années à venir.