La première partie de la leçon, qui va être plus large que prévue : elle s'intitule donc '"réflexions sur l'organisation de l'Univers"'''.''
Première partie : questions concernant le temps et l'espace
A / Ressemblances et différences
Les recherches modernes en physique ont montré que, loin d'être sans rapport, le temps et l'espace sont liés à travers la notion d'espace-temps. Cependant, nous allons les présenter séparément afin de suivre les réflexions philosophiques que de multiples penseurs ont élaboré au cours des siècles.
Ressemblances, d'abord : le temps et l'espace sont tout deux des cadres indispensables à l'Homme : il est impossible d'imaginer un objet sans espace, sans taille ou une absence de temps. Kant en avait conclu à l'existence du temps et de l'espace comme deux catégories de l'esprit, à travers lesquelles l'Homme traite les informations venues du monde extérieur. Le temps et l'espace sont tous deux mesurables ; ils sont denses, en ce qu'entre deux points de l'espace et du temps, on peut toujours trouver un troisième point ; ils sont donc sans cassure, leur présence est constante, on ne peut en sortir.
Certaines interrogations seront donc communes : sont-ils infinis (peut-on imaginer que l'espace soit fini – quels bords ? - et qu'il y ait un premier et un dernier instant ? Peuvent-ils être vides ? Peut-on imaginer un espace et un temps sans objets ? D'autres seront particulières, car quelques différences peuvent être relevées : le temps semble s'écouler dans un sens, l'espace est dénué de véritable direction. L'espace est symétrique (gauche-droite, haut-bas) là où le temps est asymétrique (on ne peut pas revenir en arrière, il n'y a qu'un sens). On pourra enfin se poser la question de savoir si l'on peut les séparer : peut-on penser un espace sans écoulement du temps et un temps en dehors de toute perspective spatiale ? Toutes ces questions permettront peut-être de trouver des pistes sur la grande interrogation : le temps et l'espace existent-ils ou non ? Sont-ils des réalités concrètes, des arrangements entre les choses ou bien de simples illusions ?
B /L'espace et le temps : absolus ou relatifs ?
Présentons tout d'abord un débat fameux, qui opposa deux grands esprits du XVIIIème siècle : Isaac Newton et Gottfried Leibniz. Pour le premier, le temps et l'espace sont des bases indispensables à la science, le fondement de l'Univers : ils sont dits absolus, en dehors de tout objet. Ce sont des émanations de Dieu, qui pense sa Création avec eux. Infinis, on ne peut en sortir. Cela est rejeté par Leibniz, qui perçoit le temps et l'espace comme des créatures comme les autres, ou bien plutôt un arrangement entre les différentes créatures, nés du nécessaire rapport entre les choses que Dieu crée. Il a comme argument le fait que, si l'espace et le temps étaient différents des objets et sans rapport nécessaire avec eux, ils pourraient être modifiés sans que cela change quoi que ce soit. Vu que cela n'est pas le cas, Leibniz affirme donc que l'espace et le temps n'existent que dans la disposition des objets. La question est donc posé : le temps et l'espace sont-ils des réalités indépendantes des objets qu'ils affectent ou bien n'existent-ils qu'à travers la disposition de ces derniers ? Kant, comme nous l'avons vu plus haut, tente de concilier ces positions : il « dématérialise » le temps et l'espace pour en faire les filtres (avec d'autres, comme le principe de causalité) au travers desquels l'Homme expérimente la réalité qui l'entoure. Bergson, enfin, distingue entre le temps intime, celui de la conscience, et un temps neutre, artificiel, postulé par les scientifiques et les besoins des hommes pour vivre ensemble. Les recherches modernes ont montré que le temps et l'espace sont liés, ils ne sont pas absolus, l'écoulement du temps étant plus ou moins rapide selon la position de l'observateur et sa vitesse (là encore, j'invite les Jean-Hawking à mieux expliquer cela, je ne suis pas scientifique !).
C / Questions particulières sur l'espace
Combien de dimensions pour l'espace ? Trois seulement, me répondrez-vous. Cela est-il obligatoire ou contingent (aurait pu être différent) ? On considère parfois que le temps est une quatrième dimension, et certaines approches (notamment dans la théorie des cordes) postulent un plus grand nombre de dimensions (jusqu'à dix !) dont certaines seraient en quelque sorte « cachées ». On peut aussi se demander si l'idée d'espace est construit par la somme des différentes petites régions qui le composent ou bien si l'on part d'une idée générale d'espace pour en isoler des parties. On peut aussi se demander si l'espace est fini ou infini : que serait un espace avec un bord ? Comment ce bord se matérialiserait-il ? Les géomètres d'aujourd'hui, en collaboration avec les physiciens qui cherchent à penser une structure globale de l'Univers, arrivent à construire des objets finis sans bord (ne me demandez pas comment, je me contente de le signaler). Le débat est donc toujours ouvert, d'autant plus que, l'expansion de l'Univers ayant commencé il y a 13,7 milliards d'années, la lumière n'a pu parcourir que cette distance et donc pour nous on voit autour de la Terre dans un rayon de 13,7 milliards d'années-lumière (la distance que parcourt la lumière en une année). Au-delà de cette limite, qu'on appelle l' « horizon cosmologique », c'est le grand mystère. On ne peut donc toujours pas savoir si l'Univers est fini ou pas.
Mais la question la plus intéressante reste de savoir si l'on peut penser un espace sans objet, complètement vide. Cela n'a jamais été observé, en dehors de la théorie, c'est donc une question de philosophie du néant. J'aborderai cela plus tard, à la fin des quatre leçons, car c'est extrêmement complexe.
D / Questions sur le temps
La question de l'infinité du temps peut être posée de deux manières : le temps est infini des deux côtés ou bien d'un seul. Il peut ne jamais avoir commencé et ne jamais se finir, ou bien avoir commencé et ne jamais finir. Cela soulève la question de savoir si l'idée d'un premier et d'un dernier instant a un sens : le temps est mesuré à partir de certains points, on pourrait donc qualifier temporellement ce qui a précédé le premier instant, en disant « c'était avant le premier instant ». De même, ce qui suit le dernier instant peut être décrit temporellement … On tombe dans des paradoxes insurmontables.
La question du passage du temps soulève celle du rapport entre ce qu'on nomme le passé et le futur. En premier lieu, le statut du présent : existe-il vraiment, vu qu'on ne peut jamais le saisir ; doit-on au contraire penser qu'il est le seul à exister, vu qu'il est toujours là ? Y a-t-il de plus en plus de passé et de moins en moins de futur (question à mettre en lien avec la réflexion sur l'infinité ou la finitude du temps) ?
L'écoulement du temps serait-il donc une illusion ? Il semble en tout cas que le temps est avant tout de l'ordre de la conscience, qui vit les choses dans un flux temporel. Cependant, cela ne remet pas en cause l'écoulement temporel, qui existe bel et bien, fût-il uniquement dans la conscience. Le problème soulevé par la transformation rapide du présent en passé (changement de caractéristique incessant) consiste à savoir si l'on peut penser que les événements changent de propriété alors même qu'ils surviennent. Ne vaudrait-il pas mieux cesser de raisonner d'après un présent pensé comme une porte à travers lequel s'écoule le temps ? Dans Ainsi parlait Zarathoustra, je le signale au passage, il y a un magnifique passage dans la deuxième partie (je ne me souviens plus du chapitre) où le héros rêve d'une porte nommée Instant où se croisent deux routes, le passé et le futur.
Je posterai la deuxième partie dans deux heures, elle portera sur le problème du déterminisme : toute chose arrive-t-elle d'après un ordre défini ou bien y a-t-il du hasard?
Message édité le 09 décembre 2015 à 17:41:22 par
crok-mitaine
