Nous l’avons vu, Capcom sort son dernier beat’em up en 1997 avant de délaisser ce genre que personne ne semble vouloir inviter à la 3D. Si Sega tente de faire illusion en proposant deux beat’em up classiques mais avec des personnages polygonés, Core designs (Tomb Raider) prendra plus de risques et va, avec Fighting Force, accoucher d’un titre qui tire pleinement partie de la 3D. Malheureusement son titre est mou et mal équilibré. Il ne tient aucunement la comparaison avec les derniers jets 2D. Aussi, ils oublieront cette idée et feront de sa suite un TPS, un genre bien plus dans le vent. Nonobstant l’arrivée, en l’an 2000, d’un certain Dynasty Warriors 2, qui créera un sous-genre populaire, mais ne visant pas forcément le même public, le genre du beat’em up semble oublié.
Celui qui l’a fait vivre et prospérer s’est trouvé une autre mamelle. Avec Resident Evil, Capcom tient une franchise qui se vend plus qu’il n’a jamais vendu, et va se lancer dans une véritable orgie de Resident Evil et de Resident Evil-like ! En l’espace de seulement 5 ans, la série connaîtra 4 opus principaux, trois spin-off et Capcom développera aussi en parallèle deux Dino Crisis. Chez Capcom, on ne plaisante pas avec ce qui rapporte, et à vrai dire à l’époque, on plaisantait encore moins là-dessus. Il n’est guère étonnant, dans ce contexte, que leur retour avec le beat’em up soit plus fortuit que volontaire. Onimusha: Warlords va partir comme un concept de Resident Evil dans le Japon de Nobunaga. Il en reprend les angles de caméra et ce déplacement du personnage par rapport à son axe et non sa position à l’écran. Seulement, ce personnage, c’est un samurai ou une kunoichi. Ils sont armés d’armes bien aiguisés, bien tranchantes et les développeurs vont leur donner assez de techniques pour en faire bon usage.
C’est donc comme un nouveau beat’em up qu’Onimusha sortira (même si plus d’un journaliste, abusé par le rapprochement avec la série des Resident Evil, le rangera dans la case des survival-horror). Et un beat’em up qui va enfin bien se vendre. Il faut dire qu’il a pour lui l’argument qui fait vendre. Le jeu est très beau, très bien animé. Il est l’un des porte-étendards de ce que la PS2 a dans le ventre. L’intro en image de synthèse est absolument sublime. Il est aussi en phase avec ce nouveau public que la première PlayStation a créé, avide de mise en scène et d’interruptions cinématiques fréquentes. Le scénario n’a rien d’exceptionnel, mais le joueur a le sentiment de faire partie d’une aventure, d’un film. Capcom a d’ailleurs carrément modélisé les traits du héros à partir de ceux d’un acteur et mannequin japonais populaire, Takeshi Kaneshiro.
Le gameplay est assez simple, de premier abord même un peu pauvre. Une touche pour attaquer, qui sert à sortir un combo de base, un coup de pied, un coup d’estoc, et à frapper son adversaire lorsqu’il est à terre. Une autre touche lance un sort, puissant, un peu trop peut-être. Vu comme ça, ce n’est pas la joie, mais le personnage est leste. Une touche permet de le verrouiller à un ennemi ce qui lui donne alors la possibilité de tourner facilement autour, sans jamais arrêter de lui faire face. Une autre l’immobilise mais lui permet de bloquer les attaques. Ces deux actions donnent aux affrontements de vraies allures de duels d’épéistes. Mais ce qui sauve véritablement Onimusha de la catégorie des button mashers sans saveur (ces jeux où on martèle la touche attaque sans arrêt), c’est son système de contre.
Jamais avant Onimusha Warlords un jeu n’avait autant centralisé dans ses mécaniques le contre. Véritable jeu dans le jeu, un mode de difficulté oblige même le joueur à contrer pour tuer ses opposants. Il peut être réalisé de plusieurs façons. La plus classique, en appuyant sur la touche d’attaque (carré) au moment exact où on allait recevoir le coup. On parle alors d’Issen. Mais on peut aussi appuyer sur la touche de parade au moment exact où on allait recevoir le coup, puis immédiatement après sur la touche d’attaque. C’est l’Hajiki Kaeshi. Enfin on peut esquiver une attaque et appuyer immédiatement après sur la touche d’attaque. On parle alors d’Hajiki Issen. Toutes ces actions doivent être effectuées dans un tout petit intervalle de temps, de seulement quelques frames, mais sont récompensées par un superbe flash lumineux et d’énormes dégâts.
De plus, le joueur peut, avec un timing exact, enchainer ces Issen en rappuyant sur la touche d’attaque à chaque fin d’animation. Le héros se téléporte alors vers l’ennemi suivant et lui assène un Issen. La combinaison timing strict et grosse récompense a le mérite de satisfaire le joueur et de le pousser à devenir toujours meilleur à ce jeu-là. Bref, et bien que le jeu soit très court (enfin, il n’est pas plus court que les beat’em up des années 90, mais les cartes mémoires avaient déjà bien commencé à contribuer à l’allongement de la durée de vie des jeux, et on en attendait déjà beaucoup plus, même d’un jeu d’action), on y revenait facilement.
Onimusha est un succès, et les suites vont se succéder. Mais surtout, il incarne la transformation opérée par le genre pour passer de la 2D à la 3D. On passe ainsi de jeux souvent jouables à plusieurs à des jeux solo, ce qui est principalement lié aux contraintes posées par la caméra pour mettre en scène l’évolution du joueur dans des environnements 3D beaucoup plus complexes que les niveaux à défilement horizontal de ses ancêtres. En général, le nombre de personnages jouables se rétrécit, mais il est contrebalancé par le fait d’avoir accès à plusieurs armes. Les jeux deviennent plus longs et intègrent une vraie dynamique de jeux d’aventure, avec souvent des objets à ramasser, mais aussi et surtout la possibilité de faire évoluer son personnage. Le joueur peut en effet s’acheter des améliorations, à mesure qu’il récolte une sorte de monnaie issue directement de ses victimes. Ces jeux deviennent, de plus, très scénarisés, quand bien même ce scénario est souvent banal. Les cinématiques, dont le but est généralement de mettre en valeur le héros et ses capacités, abondent. Nous voilà presque en face d’un nouveau genre. Le beat’em up est mort. Vive le beat’em up.