Une série mythique

Si vous demandez à un fan de Nintendo quels sont pour lui les séries-phare de la firme, Metroid ferait sans aucun doute partie du Top5. Et quand on connaît la ludothèque impressionnante du grand Big N accumulée depuis des décennies, ce n'est pas peu dire. Metroid fait partie de licences qui n'ont pas de réels détracteurs. Non seulement elle nous a offert des jeux de très grande qualité, dont certains font partie des meilleurs jeux jamais créés toutes époques et plates-formes confondues (Super Metroid et Metroid Prime), mais elle se place comme un univers mature chez un éditeur/constructeur autrement connu pour des titres relativement grand public.

En effet, les aventures de Samus Aran n'ont jamais prétendu parler au même public que les Zelda, Mario et consort. le premier épisode, dont ce sera le 30ème anniversaire le 6 août prochain, était particulièrement inspiré du premier film Alien, qui rappelons-le était un film de science-fiction claustrophobique plus proche du film d'horreur que du film d'action. Et cette dimension horrifique, portée par une ambiance moite, des créatures inquiétantes, des musiques angoissantes et un immense sentiment de solitude, est la caractéristique principale de la série Metroid, excepté peut-être les Prime. Bref, des particularités qui lui promettaient un certain succès en s'éloignant des univers colorés habituels de Nintendo. Mais devant l'engouement que semble susciter la série dans la bouche de ceux qui en parlent, on peut se demander pourquoi la firme de Kyoto ne nous abreuve pas plus régulièrement de Metroid, comparés aux Zelda pour donner un exemple concret d'une série née la même année.

Le succès d'estime ne fait pas tout

Ce qui fait la force de Metroid est aussi, sans doute, ce qui fait sa faiblesse aux yeux de Nintendo. Quand on sait que les campagnes marketing du Big N s'adressent autant aux parents des joueurs qu'aux joueurs eux-même, il est difficile de leur présenter un titre qui utilise autant les codes des films d'horreur. Les Metroid sont des jeux sombres et peu accueillants dans lesquels il n'y a pas vraiment de place pour l'humour ou la sympathie. C'est à peu près tout le contraire de l'image que Nintendo veut se donner auprès du grand public. Fatalement, il est donc difficile de mettre un Metroid en avant. Et pourtant, si Nintendo veut s'assurer de la qualité des jeux Metroid, il faut que ce soit des jeux à gros budget, ce qui engendre une belle campagne marketing pour s'assurer que les ventes suivent. Un dilemme délicat qui pose forcément problème. Bien évidemment, Nintendo ne renie pas Samus Aran, mais elle n'est clairement pas leur égérie, alors que de nombreuses licences pourraient être jalouses du succès critique de la série, qui se place sans doute dans le Top10 du jeu vidéo. Mais s'il s'agit là d'une petite épine dans le pied des papas de Mario, c'est n'est pas le plus embêtant.

Malheureusement, que ce soit dans la musique, le cinéma ou le jeu vidéo, on sait pertinemment que succès critique ne rime pas toujours avec succès commercial. Metroid fait-il partie des séries les plus aimées de Nintendo ? Oui. Mais fait-il partie des plus vendues ? Absolument pas. Un exemple simple. Des séries comme Mario ou Pokémon cumulent a plus de 200 millions d'unités vendues. Même les Zelda, qui se veulent bien plus rare sans doute à cause d'un fort coup de production, se sont écoulés à environ 65 millions d'exemplaires. Metroid ? Seulement 17 millions d'exemplaires, tous épisodes confondus... c'est moins que les Animal Crossing, pour vous donner une idée. Mais le plus surprenant, c'est de se rendre compte à quel point le succès critique et le succès commercial de certains opus sont aux antipodes les uns des autres.

Le cas le plus flagrant est sans aucun doute Super Metroid. Oui, celui-la même qui est aujourd'hui reconnu comme un des plus grands jeux de tous les temps, et je pèse mes mots. A sa sortie, les critiques furent tout simplement élogieuses, voire dithyrambiques. Un gameplay d'une profondeur inouïe, une structure intelligente, une ambiance incroyable et oppressante, des musiques à couper le souffre, bref, tout pour obtenir les notes parfaites et quasi-parfaites qu'il a obtenu. Et pourtant, Super Metroid ne s'est vendu qu'à 1,4 millions d'exemplaires. Cela vous semble correct ? Pour un jeu de cet acabit, il s'agit d'une désastre. Car Super Metroid, c'était un super AAA de l'époque, une production sur une durée totale de trois ans, plus longue que de certains gros jeux actuels. Un échec choquant dû à des facteurs qui n'avaient aucun rapport avec les qualités intrinsèques du jeu. Si le timing de sortie n'était pas idéal, au milieu de titres sans doute plus populaires, c'est l'écart entre le public visé et le public de la Super Nintendo qui fut le plus gros problème. Et si aujourd'hui, tout le monde reconnaît la qualité de Super Metroid, c'est parce qu'il a été re-découvert grâce à l'émulation et à la communauté des speedrunners, qui ont rapidement compris que le jeu décelait de nombreux secrets, dont certains furent découvert plus d'une décennie après sa sortie... Quand je parlais d'un gameplay proche de la perfection, je ne mentais pas.

Le problème, c'est que le succès d'estime immédiat et le succès populaire tardif ne remplacent pas l'argent. Et un tel échec sur un projet aussi titanesque, ça marque. Pendant longtemps, on a cru que Nintendo ne ferait plus jamais confiance à Metroid. D'ailleurs, Nintendo avait bel et bien fait une croix sur Samus Aran, persuadé que leur public n'était pas adapté à l'univers du jeu. Il faudra 8 ans à Nintendo pour sauter le pas et finalement retenter le coup avec deux jeux sortis en 2002, Metroid Fusion et Metroid Prime. Heureusement pour Samus, les deux furent des succès commerciaux et critiques et la licence a pu se relancer. Cela dit, on reste bien loin des Mario, Zelda et consort et il reste difficile pour Nintendo de mettre la main à la pâte sans se poser la question de la rentabilité. Et ce n'est sûrement pas le dernier opus en date qui risque de rassurer la boîte. Metroid Other : M, sorti en 2010 sur Wii, ne s'est vendu qu'à 1,36 millions d'exemplaires, c'est à dire un peu moins que Super Metroid, sur une console qui s'est vendu 2,5 fois plus que la Super Nintendo. Pire encore, si les critiques sont bonnes, elles ne relèvent plus, en moyenne, du niveau d'excellence auquel la série était habituée. Un nouveau coup dur qui reposa la même question : le public Nintendo est-il adapté à la licence Metroid ?

Le résultat, aujourd'hui, est simple. Il n'est pas impossible que l'on doive attendre encore longtemps avant de revoir un nouveau Metroid. Et oui, je fais exprès de faire comme si le futur Metroid Prime Federation Force n'existait pas. Non pas que je le considère comme un mauvais jeu, vu que je n'y ai pas touché. Mais je pense ne pas exagérer en le traitant comme un pur spin-off, surtout qu'on peut aussi se poser de sérieuses questions quant à la soudaine disparition médiatique de ce jeu, étonnant pour un titre qui était déjà jouable à l'E3 dernier. Pas un mot depuis juillet, c'est forcément bizarre.

Au final, Metroid risque de rester une série aussi adulée que rare. De part son univers, on voit mal comment elle pourrait devenir un énorme succès commercial tant que Nintendo visera un public aussi jeune et familial avec ses consoles. Toutefois, je ne vois pas Samus Aran disparaître du jour au lendemain comme le fit F-Zero et si toutes les consoles n'ont pas eu leur Metroid (la N64, la Game Boy Color et la Wii U, sûrement de manière définitive), il n'est pas impossible que la chasseuse de prime nous fasse un petit coucou un jour, sur NX...