C'est au Harpa, mystérieux bâtiment près des eaux qui bordent Reyjavik que notre aventure débute réellement. Après un restaurant de plats typiques la veille, dans lequel la délégation presse internationale a pu goûter les mets locaux et converser avec les équipes de développeurs, nous pénétrons dans cette infrastructure qui défie les normes architecturales classiques. Surface intégralement vitrée et rampes interminables qui rendent la notion d'étage difficile à apprivoiser : le lieu impressionne de par sa structure interne, à l'image d'EVE. Notre groupe de francophones prend donc place à l'intérieur de la salle principale du bâtiment, dans laquelle a lieu la keynote de bienvenue et d'ouverture du salon.

Famille, dévouement et engagement de la firme

Un programme, distribué préalablement, fait état d'une multitude de conférences et tables rondes, des sessions d'une heure dans lesquelles CCP peut présenter ses nouveautés (prototypes de jeux, améliorations diverses, mise en avant de l'univers historique d'EVE...) et peut surtout discuter avec la communauté de manière ouverte et simple sur des sujets divers et variés. Notre première journée démarre donc tel un E3, par un enchaînement de conférences, sauf qu'elles sont toutes dédiées à une poignée de jeux et s'adressent aux fans invétérés des titres concernés, ce qui apporte à la formule usuelle beaucoup plus de peps, de private jokes, de hurlements, de sifflements, d'applaudissements, et s'avère donc plus agréable à vivre qu'une classique conférence de salon.

La philosophie du studio pour ce FanFest se résume en trois mots-clés : "famille", parce que la communauté est une chose sacrée dans l'écosystème du EVE Universe, "engagements", parce que le FanFest est l'occasion pour CCP de faire un point sur les updates et prototypes des jeux et sert aussi à montrer que les titres évolueront significativement durant l'année à venir. Enfin,"avant-gardisme", car on parle ici d'un véritable OVNI du secteur qui fonctionne comme un système nerveux, encaissant les stimuli du marché pour innover (via la VR notamment) et puisant dans ses propres ressources pour canaliser l'énergie et créer, grâce à sa communauté, comme en témoigne la multitude de déclinaisons du produit originel. Un fonctionnement dont beaucoup d'éditeurs devraient s'inspirer tant il est rafraîchissant de voir un tel engouement pour une oeuvre virtuelle.

La transparence est de mise durant la conférence d'introduction et la mise en scène est là pour renforcer le lien entre le staff CCP et les joueurs. Hilmar Veigar Pétursson, le CEO du studio nous montre les premières photos du FanFest, il y a douze ans, et nous présente son fils en train d'essayer l'Oculus RIft, preuve que son goût pour les technologies poussées par l'entreprise dépasse le cadre du travail et que le staff du studio est composé de joueurs qui, tout comme les participants du FanFest, vivent leur passion à fond, en communauté, et parfois même en famille.

Une affaire qui roule, malgré son grand âge

Le contenu produit pour cette année de la part de cet ensemble international de structures force le respect dans l'audience. CCP a su se diversifier et saute sur les occasions technologiques afin d'étendre son empire galactique, du mobile à la VR sans oublier le jeu console et le jeu PC : l'entreprise affirme une stratégie sur plusieurs plateformes. EVE Universe est une affaire de famille, nous vous le disions plus haut, et il est intéressant de remarquer à quel point chaque membre du studio qui monte sur scène pour présenter une partie de la keynote fait partie intégrante de la communauté. Par exemple, on ne les présente non pas par leur nom, mais par leur pseudo sur le jeu. A CCP Seagull, executive producer d'EVE Online succède CCP Ghost, et chacun est introduit sur le rétroprojecteur par son avatar de joueur du MMO EVE.

Le CEO fait le point sur les achats de nouveaux serveurs, photos à l'appui, et montre à l'audience les vieilles images de structures réseau sur lesquelles tournaient les anciennes versions d'EVE. Très vite, on nous informe que le titre continue de battre des records, peut être pas en matière de joueurs inscrits, mais en terme d'engagement de la communauté : c'est un véritable monde dans le monde avec ses batailles littéralement astronomiques, ses détournements d'affiches de film sauce EVE Online, ses courts métrages amateurs présentés en grande pompe... Là encore, le message est clair : EVE Online, c'est avant tout une communauté et cette dernière est mondiale, avec une très forte population chinoise centralisée sur le second serveur du jeu.

D'ailleurs, lors d'une table ronde avec les joueurs, nous avons appris que des rumeurs courent sur l'implication du gouvernement chinois dans le titre, lequel placerait des membres du parti à la tête des corporations pour surveiller le comportement des joueurs et guetter les éventuelles réunions anti-communistes. Autant vous dire que même si nous ne comprenions pas les tenants et aboutissants du court métrage chinois présenté durant la conférence, votre humble serviteur a eu des frissons face à tant d'engagement de la part de joueurs qui partagent ici (à quelques détails près) le même univers, bien loin des autres MMO de son époque où les communautés sont au final toutes séparées et ne bâtissent pas le même monde ensemble.

Le grand-père de Star Citizen et d'Elite Dangerous

C'est d'ailleurs drôle de constater à quel point les amateurs d'Elite Dangerous et de Star Citizen seraient aux anges dans ce genre de convention tant le projet qu'ils soutiennent jour après jour a ici quelque chose de concret et fonctionne en totale autonomie depuis des années. Cette volonté de créer une communauté fidèle et fière de son implication dans le développement est ici palpable dans la salle comme dans le reste du bâtiment Harpa et de la ville de Reykjavik. Les gens viennent entre amis, parlent de leur passion, vont boire des verres ensemble, discutent avec les différentes équipes et acclament les intervenants qui montent sur scène tandis que le rétroprojecteur mentionne qu'il s'agit par exemple de leur 3ème présence au EVE Fanfest. Plus qu'une convention, le FanFest apparaît comme un pèlerinage où les keynotes ne sont au final que la partie "encadrée" de l'événement. Cela explique le peu d'animations au Harpa, qui est désespérément vide pendant les trois jours du FanFest, un constat qui nous inquiète quelque peu puisqu'il nous est souvent impossible de déterminer combien de fans participent à l'événement en dehors des keynotes.

Après un rapide passage en revue des différentes IP présentées, incluant du gunfight multijoueur VR avec EVE Valkyrie (qui évolue pour l'occasion et s'offre une nouvelle carte et un nouveau mode de jeu), EVE Gunjack et son shooter en tourelle qui, après un lancement réussi sur Gear VR, débarque sur Oculus Rift, CCP Seagull nous présente deux prototypes. Ces derniers sont Project Arena, un jeu de duel inspiré de Tron sur Oculus RIft avec les manettes 3D Oculus Touch, et Project NOVA, un FPS Free To Play qui tentera de corriger les erreurs de Dust 514, lui aussi shooter gratuit lancé sur PS3 il y a un peu plus de deux ans. Chacun de ces jeux apporte sa pierre à l'édifice qu'est EVE Universe : un tout qui perdure et qui apporte des évolutions concrètes et régulières. D'ailleurs, il était intéressant de voir que ces différents spin-off ne sont pas vraiment au gout des joueurs assidus d'EVE Online, présents à la convention. A vrai dire, très peu de jeux en dehors du MMO, n'intéressent ceux que nous avons rencontré au FanFest. Certains avouent faire deux ou trois parties d'Hearthstone pendant que leurs nombreux comptes sont occupés à faire des actions, mais sans trop généraliser, on peut estimer que le préjugé selon lequel les joueurs d'EVE Online ne jouent qu'à ça, est vérifié.

La question de la difficulté rebutante, enfin abordée

Pour beaucoup de joueurs, EVE Online est une chimère attirante que l'on approche aussi vite que l'on s'en détache. La faute à un tutoriel de plusieurs heures, relativement indigeste, qui blinde d'informations le joueur jusqu'à trop souvent le décourager de continuer. CCP Ghost, une des nouvelles recrues du studio, fait son entrée en scène en met en avant ce problème. Il décrit son arrivée à CCP de manière tout à fait originale en nous présentant un IRM de son cerveau, étrangement dépourvu de vaisseaux sanguins en apparence. Dans sa quête d'explications sur son cerveau, il fini par s'intéresser à EVE Online dans le cadre de sa recherche sur les systèmes neurologiques complexes car, pour lui, c'est exactement le fonctionnement du titre : un amas de possibilités et de choses à maîtriser, contenues dans un sandbox où chacun peut trouver son but.

le FanFest apparaît comme un pèlerinage où les keynotes ne sont au final que la partie "encadrée" de l'événement

On apprend au fil de son intervention que l'homme est chargé d'améliorer l'expérience des joueurs débutants en les impliquant peu à peu dans l'univers d'EVE au lieu que ces derniers ne soient propulsés dans un tutoriel indigeste ou enrôlés par leurs amis dans des missions sans qu'ils ne puissent comprendre ce qu'il se passe autour d'eux. Ces améliorations futures arriveront bientôt et CCP espère bien corriger le chiffre déroutant donné par Ghost : 1.5 million de joueurs ont essayé EVE Online l'an dernier, et un peu plus de la moitié a abandonné avant d'avoir joué deux heures... Lors d'un entretien plus long avec le principal intéressé, nous avons d'ailleurs exploré la possibilité d'inclure des cinématiques, d'étaler le tutoriel sur le temps de manière plus fragmentée, ou même d'encourager les joueurs à apprendre à jouer via la companion app, dévoilée lors du FanFest.

Une conférence d'actionnaires à l'ambiance hors pair

La conférence de bienvenue laisse vite place à la keynote dédiée à EVE Online, laquelle nous a montré l'envers vertigineux du décor. Dans la salle, on retrouve des centaines de fans invétérés du MMO spatial, tous plus excités les uns que les autres à l'idée de savoir quelles seront les nouveautés apportées au titre. Dans le viseur : l'extension Citadelle qui viendra apporter son lot d'ajouts cette année. On compte plus de 35 mises à jour majeures à l'heure actuelle sur le MMO, preuve que l'univers du jeu évolue sans cesse. Le titre reste l'un des seuls MMO à abonnement payant encore en activité et s'adresse à un public mature avec notamment une moyenne d'age proche de la trentaine d'années chez les joueurs. Ces derniers viennent de tout horizon : nous avons pu rencontrer des informaticiens, des développeurs, chefs d'entreprises, rentiers, plombiers, enseignants, chômeurs, étudiants...

Le fait d'avoir un public dévoué et mature permet de rentrer dans des détails assez techniques. On passe par exemple en revue via une présentation visuelle des sommes astronomiques illustrées, des données relatives au minage, aux constructions, aux destructions... Autant de statistiques qui sont jour après jour drainées par le microcosme d'EVE Online et ressorties lors des conférences. Ainsi, on dépeint les dégâts enregistrés lors du Bloodbath de B-R5RB, une bataille dantesque qui a eu lieu en 2014. Pendant 21 heures, plus de 7500 joueurs se sont relayés pour s'affronter dans un déchaînement de tirs et d'explosions. On estime les sommes perdues ce jour-là comme équivalentes à 300 000 dollars puisque, rappelons-le, une grande partie des destructions sont définitives dans EVE Online.

Cet étalage de gros chiffres, dont chaque donnée provoque une réaction chez l'audience nous fait directement penser à une conférence d'actionnaires, lesquels se massent en Islande une fois l'an pour qu'on leur présente l'état actuel du marché sur lequel ils évoluent chaque jour. Alors que la migraine commence à nous guetter, la présentatrice et Producer "Seagull" range les charts pour passer à des choses bien plus faciles à comprendre. On passe en revue les dons générés pour les organismes de charité, les avancées du Project Discovery, un étonnant mini-jeu qui propose aux joueurs d'identifier des cellules, ce qui les récompense dans EVE Online et aide la science à progresser dans le monde véritable (en collaboration avec l'université de Reykjavik). On enchaîne par la suite avec un peu de politique, un passage étonnant de par l'ambiance qui l'accompagne...

Il est difficile de se dire qu'EVE Online n'est qu'un jeu lorsque l'on vient au FanFest et on a plus l'impression de voir une bande d'amis et d'ennemis qui débarquent sur Terre pour faire un point avant de repartir dans le monde impitoyable.

EVE et la politique, c'est toute une histoire

Quelle ne fut pas notre surprise en voyant sous nos yeux l'évolution de la vie politique d'EVE Online, dans laquelle différents joueurs peuvent entrer dans les rangs du CSM, le Council of Stellar Management, un conseil formés par de vrais joueurs qui représente les abonnés après leur élections et fait le pont entre la communauté et les développeurs de CCP. Ils ont accès à un forum spécial et viennent en Islande deux fois au minimum durant leur mandat pour discuter et influencer l'évolution du titre et représenter leurs électeurs. A l'annonce des différents membres du 11ème conseil, on se croirait en pleine guerre politique.

Certains noms se font huer par les joueurs de la faction adverse, d'autres sont chaudement acclamés : la politique interne au jeu semble presque aussi troublante que celle en vigueur sur l'Ile. Pour la petite histoire, suite au scandale des Panama Papers, nous avons pu voir les habitants de Reykjavik assurer une permanence bruyante, carton rouge brandi, sifflets, klaxons, et tambours battants, en face de la mairie, pour demander la démission du gouvernement, dont certains membres sont mouillés dans l'affaire financière. On apprend d'ailleurs que le président de l'Islande viendra durant le FanFest pour saluer les développeurs, ce qui est une première, et traduit l'importance grandissante de l'éditeur et de l'événement au sein du pays.

Diversifier un peu plus l'expérience

On nous présente différents produits liés à la licence, du livre d'artworks ultra-détaillés dédié aux vaisseaux du monde d'EVE en passant par la companion app du jeu qui débarquera sur mobile durant l'année. Les blagues incompréhensibles pour les profanes se succèdent, faisant référence par exemple au modèle de moteur équipé par tel ou tel vaisseau : un niveau de détails qui prouve l'implication des joueurs dans leur univers. Il est difficile de se dire qu'EVE Online n'est qu'un jeu lorsque l'on vient au FanFest et on a plus l'impression de voir une bande d'amis et d'ennemis qui débarquent sur Terre pour faire un point avant de repartir dans le monde impitoyable, teinté de camaraderie et de trahison, qui nous est ici dépeint.

Des tables rondes aux conférences d'un représentant de la NASA, en passant par les concours de cosplay, les championnats e-sport, les stands de maquillage et de coiffure, sans oublier les réunions informelles de joueurs dans tout Reykjavik, le FanFest semble graviter autour du bâtiment Harpa sans jamais y dévoiler d'un coup toute sa saveur. C'est véritablement à la tombée de la nuit que l'âme du FanFest se fait sentir...

Des tables rondes au barathon, il n'y a qu'un pas

Dans le programme, nous avions repéré pas mal de moments dédiés au repos et à la convivialité. Si l'on met de côté l'après-midi passée au Blue Lagoon, une source chaude très célèbre en Islande, c'est surtout le "Pub Crawl", encadré par CCP, qui a attiré notre curiosité. Il n'est pas rare dans les conventions d'avoir des soirées de rencontre entre joueurs organisés, mais là, nous avions franchi un tout autre stade avec cette soirée dédiée à "ramper dans les bars". Un concept qui s'avère relativement connu chez les expatriés et chez les organisateurs d'événements. Le principe ? Former des groupes de gens qui ne se connaissent pas forcément, et faire la tournée des bars avec des tickets de boissons gratuites. Ce qui pourrait s'apparenter à un classique barathon prend ici toute sa saveur puisque CCP l'organise. Après un petit karaoké au Harpa, où l'on chante à tue-tête Bohemian Rhapsody de Queen, voilà que les développeurs prennent le micro et annoncent les groupes du Pub Crawl. Chaque groupe attend ses encadreurs, lesquels arrivent en fanfare par paquets de trois ou quatre développeurs armés jusqu'aux dents de canettes de bière et d'une bouteille de vodka locale.

Le but est ici de se préparer physiquement pour une tournée de bars locaux en bonne et due forme, en criant plus fort que les groupes adverses lorsqu'on les croise. Un phénomène que l'on peut retrouver dans les soirées d'intronisation d'écoles supérieures et qui ici, s'avère terriblement efficace pour briser la glace et favoriser l'échange entre les équipes et les joueurs. Après quelques shots et bières, les encadreurs guident les joueurs dans les rues de Reykjavik où la fête bat déjà son plein. L'itinéraire prévoit moins d'une heure dans chaque bar, des escales où les joueurs peuvent dépenser leurs tickets de boissons gratuites et discuter librement, danser, se raconter des anecdotes, et passer un bon moment en pleine immersion avec les équipes du jeu. La soirée se terminera pour certains dans une "maison-bar" en plein cœur de la ville, et pour d'autres, bien plus tard, tout en sachant que le lendemain sera difficile...

De mémoire de journalistes, nous n'avions jamais vu ça, et certains internationaux nous confiaient avoir déjà vécu ce genre de pratiques dans d'autres conventions, sans pour autant que les développeurs ne se mêlent à la foule toute la soirée. Définitivement unique en son genre, le EVE FanFest restera dans nos mémoires comme une expérience extra-terrestre. La ferveur des joueurs et des organisateurs, venus célébrer leur implication, nous fait penser à ces joyeuse bandes de pilotes de chasse fêtant après, un debriefing de l'année et un passage en revue des objectifs, une nouvelle soirée en vie dans les séries comme BattleStar Galactica. Plus qu'une convention, c'est avant tout un moment de détente, de communion, de pèlerinage, et de partage, qui ne centralise ses participants qu'à l'occasion des keynotes, réunions, tables rondes, et les laisse vagabonder selon leur gré dans toute la ville le reste du temps. Après tout, le FanFest est à l'image d'EVE Online : un atypique bac à sable ou l'ingéniosité côtoie franche camaraderie et savoir vivre.