Il peut se passer beaucoup de choses en une décennie. C'est en partant de ce constat que nous avons décidé de vous offrir chaque mois, via notre news BTG*, un retour sur un événement du jeu vidéo d'il y a dix ans. Ce mois-ci, nous revenons sur l'annonce fort discrète d'un des titres emblématiques de la génération précédente. Sans dévoiler son nom, Remedy préparait alors la présentation imminente d'un nouveau projet bientôt connu sous le sobriquet d'Alan Wake.

Si les joueurs avisés que vous êtes connaissent Remedy, le studio Finlandais créé en 1996 fait figure de cas à part dans le milieu vidéoludique et ne bénéficie pas d'une exposition aussi forte que les développeurs habituels de grosses productions. Avec 20 années d'existence, seulement 7 jeux développés (dont un remake), le tout chapeauté par une équipe qui emploie aujourd'hui un peu plus d'une centaine de personnes, il ne bénéficie pas non plus des mêmes moyens. Chiche en quantité, le studio de Sam Lake n'a pas lésiné sur la qualité, marquant de son empreinte le début des années 2000 avec les deux premiers opus de Max Payne avant d'accoucher 7 ans plus tard d'un Alan Wake qui se sera fait longtemps attendre. Mais nous y reviendrons.

Un titre prometteur à l'aube de la nouvelle génération

La genèse de cette histoire se situe donc autour du 19 avril 2005, quand le site Computer Games Magazine livre une indiscrétion sur le prochain stand d'ATI à l'E3 censé abriter deux nouveaux titres : l'un édité par Take 2 et le second développé par Remedy. Déjà enthousiastes à l'idée de découvrir une nouvelle production du studio Finlandais, les joueurs n'auront pas à attendre bien longtemps avant d'en savoir plus à son sujet. 2 jours plus tard, l'information est confirmée et s'accompagne de deux autres nouvelles plutôt alléchantes : développé pour le PC et la nouvelle génération de consoles (Les futures PlayStation 3 et Xbox 360, dont les premières images ont d'ailleurs fuité quelques jours plus tard), le titre ne sera pas Max Payne 3 mais une toute nouvelle IP appartenant entièrement à Remedy et développée avec ses fonds propres. On vous refait le tableau qui s'est fièrement affiché dans la tête des aficionados du studio : Désormais affranchi de toute contrainte d'éditeur et goûtant aux joies de l'indépendance, Remedy va pouvoir faire appel à son esprit créatif pour livrer une production hors des sentiers battus.

D'enthousiasmant, le titre passe au statut de jeu prometteur dans les semaines qui suivent avec les premiers éléments concrets. Il se trouve tout d'abord un nom, Alan Wake, mais aussi une ambiance et une esthétique qui évoquent respectivement Twin Peaks et les productions de Stephen King. Les premières images sont alléchantes, et les premiers retours venus de la presse le sont tout autant pour celui qui est alors présenté comme un thriller psychologique avec une composante action. Le pitch n'y est pas pour rien et nous place aux commandes d'Alan Wake, un écrivain victime du syndrome de la page blanche et qui va opter pour la bonne vieille technique de la mise au vert afin de retrouver son inspiration. Il se retrouve ainsi à Bright Falls sur les conseils de sa femme qui souhaite le voir reprendre du poil de la bête. Mais cette dernière va disparaître et plonger peu à peu notre écrivain dans la tourmente alors que son dernier livre d'horreur (qu'il ne se rappelle pas avoir écrit) devient réalité, l'obligeant à défier des créatures sombres avec sa lampe torche lors de ses voyages nocturnes.

Au-delà de son scénario alléchant, le titre fait mouche par sa technique propre tirant profit du moteur Havok. Alan peut ainsi parcourir un monde ouvert en utilisant un véhicule, profitant de l'occasion pour admirer la finesse des détails apportés au titre : bourrasques de vent qui balayent les balançoires et les feuillages, eau visuellement impressionnante et météo dynamique, le titre se dote de solides atouts pour figurer parmi les étalons techniques de la nouvelle génération. Anecdote amusante, notre Dinowan national avait à l'époque assisté à la présentation et en était revenu des étoiles pleins les yeux, concluant son aperçu d'un prémonitoire « L'attente va être longue... ». La suite lui donnera raison.

1 an plus tard : Alan s'acoquine avec Microsoft

Après cette brève présentation, plus rien ou presque. Exception faite de quelques images, Alan Wake se fait discret et la hype monte autour du projet. Les ambitions de Remedy s'avèrent trop fortes pour en assurer seul le développement et l'édition. Heureusement, les premières présentations du titre ont suffisamment braqué les projecteurs sur le studio Finlandais pour qu'il puisse se trouver un mécène : Ce sera Microsoft, en pleine crise de boulimine et désireux d'attirer un maximum de studios prometteurs pour nourrir sa belle Xbox 360. Alan Wake devient une exclusivité Xbox 360 et PC. Le nouveau trailer dévoilé publiquement se contente alors de reprendre quelques extraits des présentations de l'E3 2005 et d'y joindre la mention « Microsoft Games for Windows ». Une maigre annonce bien frustrante qui sera suivie de plusieurs mois sans annonce croustillante.

Le titre refait surface fin 2006 lors du X06 de Barcelone et dévoile pour la première fois un rendu proche de ce à quoi il devrait ressembler lors de sa sortie. On y découvre un Alan en pleine phase d'enquête au volant de son 4x4, rapidement emporté par un véhicule ennemi. Un fondu au noir plus tard et Alan est désormais seul au beau milieu de la nuit avec pour seuls alliés un revolver et une lampe torche… Puis plus rien. Le titre entretient encore une fois le mystère sur ses mécaniques de jeu, privilégiant l'ambiance et la mise en scène à une phase de gameplay manette en mains.

3 ans plus tard : Alan t'es où ?

Porté disparu depuis des mois, le développement d'Alan Wake s'enlise : Chaque annonce est de moins en moins importante et les écarts entre ces dernières s'accentuent. Pourtant, Microsoft et Remedy montent au créneau plusieurs fois pour rassurer les foules et confirmer que le titre est toujours en développement. Le géant de Redmond profite même de l'intervalle de temps pour devenir le principal mécène du projet, tuant dans l'oeuf les éventuelles possibilités de portage sur une console Sony ou Nintendo. Reste qu'avec son monde ouvert toujours au programme et l'absence totale de date de sortie, Alan Wake semble alors bien loin de sa version finale et inquiète. Le statut d'arlésienne n'est plus très loin.

Si le jeu se fait attendre, l'ambiance d'Alan Wake impressionne déjà.

4 ans plus tard : Alan s'éveille

La longue attente touche à sa fin au début de l'été 2009. Sam Lake, alias monsieur Big Boss de Remedy fait son apparition sur scène pendant l'E3 et lâche l'information que tout le monde attendait. Alan Wake est toujours vivant et même bien portant puisque désormais annoncé sur Xbox 360 pour mai 2010. En joie, la foule accueille également une vidéo de gameplay (alleluïa) qui montre les contours de ce que sera l'aventure : Exit le monde ouvert, bonjour narration découpée en épisodes et ambiance à couper le souffle. Alan Wake ne fléchira plus et sortira bien en mai de l'année suivante, à seulement quelques jours d'intervalle de Red Dead Redemption. Clin d'oeil ultime du destin pour le studio qui aura côtoyé Rockstar avec ses premiers épisodes de Max Payne. Quant à la version PC, elle ne verra le jour qu'en février 2012, près de 7 ans après l'annonce du titre. La boucle est bouclée.

Héritage

Bien reçu par les critiques et le public, Alan Wake n'aura pourtant pas affolé les compteurs de ventes. Il se dotera tout de même de deux contenus téléchargeables et d'une demi-suite pas vraiment mémorable mais qui aura eu le mérite de prolonger l'expérience, je veux bien entendu parler de l'épisode American Nightmare. La version PC du titre original gonflera le total des ventes, bien aidé par les promotions successives du titre sur les plates-formes de téléchargement… Mais Alan Wake 2, le vrai, le seul, attendu comme le messie par les fans du premier (non, j'exagère à peine) n'est à l'heure actuelle représenté que par quelques vagues rumeurs et une vidéo prototype (visible ci-dessous) datant de la sortie du premier opus mais uniquement dévoilée il y a quelques jours. Remedy étant déjà bien occupé avec le développement de son exclusivité Xbox One Quantum Break récemment reportée à 2016, on laissera le temps au studio nordique de boucler le tout avant de revenir avec une nouvelle mouture des aventures d'Alan.

* L'expression BTG est l'acronyme de "Bien ta grotte" qui exprime l'idée du retard en faisant comprendre à quelqu'un qu'il a manqué une information, importante ou non, connue du plus grand nombre.