Après avoir fait hier un petit tour du propriétaire en vous proposant un reportage sur les comics de Batman, nous vous proposons aujourd'hui une interview de François Hercouët, directeur éditorial chez Urban Comics qui se charge de distribuer les parutions de DC Comics et de Vertigo en France. Nous sommes ainsi revenus sur la façon dont fonctionne la structure, leurs relations avec DC et bien entendu les différents arcs du Dark Knight, les films, les animes ou bien encore les jeux vidéo.
Nous vous laissons donc avec les quelques lignes ci-dessous tout en vous rappelant au bon souvenir de notre concours qui vous permettra de gagner 15 Gotham Central tome 1.
jeuvideo.com : Pouvez-vous tout d'abord vous présenter et nous dire depuis combien de temps vous éditez en France les comics de DC incluant notamment ceux de Batman ?
Urban Comics : Je suis François Hercouët, directeur éditorial d'Urban Comics. Notre maison d'édition a été créée en août 2011 et a commencé à publier ses premiers livres dès le mois de janvier 2012. Nous sommes l'éditeur français de DC Comics, maison d'édition américaine, propriétaire de héros bien connus parmi lesquels on trouve Batman, Superman, Wonder Woman, Green Arrow, Flash, Green Lantern et quelques centaines d'autres.
jeuvideo.com : A ce sujet, avez-vous un arc préféré du Dark Knight dans les comics déjà publiés ou dans ceux à venir ?
Urban Comics : D'instinct, je répondrais Batman Année Un, de Frank Miller et David Mazzucchelli, pour l'efficacité et la beauté avec lesquelles les auteurs ont redéfini les origines modernes du personnage au milieu des années 80. Si on parle de lectures marquantes, Killing Joke d'Alan Moore et Brian Bolland (sur lequel j’ai fait l’erreur de tomber étant gamin) et quelques épisodes de Neal Adams sont profondément ancrés dans mes souvenirs d'enfance (pour Killing Joke on peut presque parler de traumatisme ;) ). Plus récemment, je garde un très bon souvenir du premier arc de Scott Snyder sur le personnage dans Sombre Reflet (Black Mirror en VO). C'est un hommage intéressant au « Batman Année Un » de Frank Miller, avec, sur le même principe, deux histoires en parallèle : celle du Commissaire Gordon, dessinée par Francesco Francavilla, dans une ambiance très polar, et celle de Batman, dessinée par Jock, dans un style plus nerveux.
L'arc de Grant Morrison, qui s'achèvera en mai 2014 avec le tome 8 de notre série Grant Morrison présente Batman, était également très bon. De quoi vous retourner le cerveau pour quelques années encore.
Je recommanderais également No Man's Land et Gotham Central parce que ces séries, dans leur style très respectif, donnent autre chose à voir du personnage : l'une inscrivant le protecteur de Gotham dans l’obligation de se réinventer totalement pour protéger sa cité après le cataclysme qui l’a ravagée, l'autre en replaçant Batman au rang de légende urbaine, vue à travers les yeux des policiers de Gotham City. Et j'attends de voir ce que donnera Batman Eternal, actuellement en cours de publication aux USA.
jeuvideo.com : Comment sélectionnez-vous les histoires publiées en France ? Avez-vous une entière liberté sur le choix ou, au contraire, DC Comics impose-t-elle certaines restrictions ?
Urban Comics : Nous sommes entièrement libres au niveau des choix éditoriaux. DC comprend très bien les spécificités de chaque pays où il est présent via ses éditeurs étrangers. Dès le départ, notre souhait était de développer ce catalogue dans deux directions complémentaires : fournir aux lecteurs qui découvraient DC avec nous une base solide de récits publiés à partir des années 80, composée de rééditions incontournables et complétées (Watchmen, La Mort de Superman, Kingdom Come, Blackest Night/Brightest Day, Justice League Crise d'Identité, Killing Joke, etc.) mais aussi donner accès à ces mêmes lecteurs comme aux connaisseurs à des sagas totalement inédites comme Batman Knightfall ou encore Batman No Man's Land, ainsi qu’à la nouveauté : aux séries en cours de publication aux USA. De là a découlé la création de plusieurs collections chronologiques (DC Archives qui couvre les récits de la fin des années 70 au milieu des années 80, DC Classiques pour la période 1985-2011, DC Renaissance pour les nouvelles séries à partir de 2012, etc.) ou thématiques (DC Signatures centrée sur les grands auteurs de DC, DC Deluxe pour les romans graphiques hors continuité, DC Essentiels, sorte de bibliothèque idéale DC).
Et cette approche pédagogique semble porter ses fruits. Les lecteurs ont désormais une bonne vision d'ensemble du catalogue DC. Cette étape préalable de familiarisation va nous permettre de rentrer un peu plus dans le vif du sujet dans les années à venir. Mais tout cela prend du temps. Notre objectif est de rendre DC accessible au plus grand nombre et pour cela, il faut faire les choses dans l'ordre.
jeuvideo.com : Pensez-vous que les derniers films en date de Batman, réalisés par Christopher Nolan, aient incité de nouveaux lecteurs à lire des comics ?
Urban Comics : Il est vrai que nous avons eu de très bons résultats en juillet 2012 lors de la sortie au cinéma du dernier film de Nolan. Nous avions alors choisi de débuter la publication de la saga inédite en français Knightfall (qui met en scène Bane, le super-vilain du film). Après, honnêtement, il est toujours difficile de mesurer l'impact de films grand public sur notre marché de niche. Si quelques centaines de lecteurs ont pu se mettre à lire régulièrement des comics après la trilogie de Nolan, c'est une très bonne chose. Après, je pense que le nombre de spectateurs des films qui se sont retrouvés en librairies reste très marginal. Il faut bien faire attention au public que l'on vise car si l'on cherche effectivement à brasser le plus grand nombre de lecteurs, on ne s'adresse pas non plus au « grand public » mais à un public élargi de lecteurs de bandes dessinées. C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour un format cartonné, un prix attractif et une maquette que l'on espère élégante dès le début.
Notre cible est plus le lecteur de BD franco-belge que le grand public à proprement parler. Aussi, notre stratégie éditoriale et commerciale, si elle peut évidemment profiter de l'exposition médiatique du cinéma, ne doit pas se mettre en attente de ce genre d'événements. Par exemple, cette année, il n'y aura pas de films DC. Quelque part tant mieux . Nous allons pouvoir mieux évaluer nos efforts éditoriaux : nous avons lancé cette année Before Watchmen, une collection DC Nemesis axée sur les méchants, nous avons également préparé la transition de Knightfall à No Man's Land, nous publions des éditions spéciales anniversaire en noir et blanc pour les 75 ans de Batman, une nouvelle édition de Gotham Central, etc.). A ce propos, en parlant de Gotham Central, et même si le lien est ténu, je suis plus intéressé par les annonces de DC concernant le développement de séries TV (Gotham, Hellblazer, Preacher, Flash, Arrow) que par les prochains films. Les séries, par leur format, leur fréquence de diffusion et le développement des intrigues secondaires et du casting, me semblent plus à même de fédérer un lectorat autour du matériaux de base : les comics. C'est d'ailleurs ce que l'on observe avec le personnage de Green Arrow qui devient de plus en plus populaire auprès des non-lecteurs de comics via sa série TV.
Un autre point, et qui vous touche particulièrement : le jeu vidéo. DC a confié à Rocksteady sa licence la plus forte - Batman - et ce studio a su créer de véritables bijoux. C'est à la fois une vision inédite et très respectueuse du personnage. Les développeurs ont eu l'intelligence de remettre les comics au cœur de leur jeu. Et quand on voit le succès des jeux de la licence Arkham, je pense que ce média est plus à même de nous amener de nouveaux lecteurs que le cinéma. Dans un autre genre, Injustice était également intéressant par son côté What If et donc très libre, mais en même temps très cohérent par rapport au personnalité et à l’historique des personnages.
jeuvideo.com : D'ailleurs, qu'avez-vous pensé de l'approche plus sombre, plus mature, desdits films ?
Urban Comics : Je pense que cette vision colle assez bien avec les attentes du public actuel. Comment Batman se débrouillerait-il s'il devait émerger à notre époque ? C'est effectivement une vision très pragmatique du personnage. A titre personnel, je retiendrais surtout le Joker.
jeuvideo.com : En dehors des longs-métrages, DC a produit de nombreuses séries animées et Direct to Video de qualité dévolus à Batman. Avez-vous également des préférences à ce niveau ?
Urban Comics : Je reste très fan de la série Batman des années 90 de Bruce Timm et Paul Dini, et ses héritières (Batman & Robin, Justice League, Batman Beyond, Superman). Plus récemment, si j'ai moins accroché sur les nouvelles versions de Batman (The Batman et Beware The Batman) mais j'ai beaucoup aimé Young Justice et Teen Titans Go. Pour ce qui est des adaptations de récits papier en dessin animé, Batman Year One était pas mal, All-Star Superman également.
jeuvideo.com : Batman a connu d'innombrables adaptations en jeux vidéo dont les derniers en date, Batman Arkham. Le premier, Batman Arkham Asylum, est justement une adaptation du comics du même nom réalisé par Grant Morrison et David McKean. Connaissez-vous ces jeux et si oui, qu'en pensez-vous ?
Urban Comics : Je viens justement de relire Arkham Asylum et effectivement, même si j'ai très peu fait le rapprochement entre le graphic novel et le jeu à l'époque, le parallèle est évident, avec les indices de la déchéance d'Amadeus Arkham... et la découverte de sa salle secrète .
Ce que j'en pense, c'est assez simple : j'adore. J'ai peut-être préféré Arkham City à Arkham Asylum de par l'étendue du terrain de jeu, mais j'ai beaucoup aimé la tension que représentaient les couloirs et la linéarité du premier jeu. Arkham Origins m'a légèrement déçu (n'est pas Rocksteady qui veut). J'attendais vraiment une ambiance à la Year One, très brutale, en rapport au peu d'entraînement et de maîtrise d'un Batman débutant. Enfin, c'était tout à fait honnête. Et puis, SURTOUT, il y avait Deathstroke en personnage jouable pour rattraper le coup. J'ai presque bouclé tous ses défis. J'adore ce personnage .
Reste à voir le prochain, et dernier, jeu de Rocksteady sur la licence. Bon, pas de bol, la Batmobile ne me fait pas rêver, mais j'ai hâte d'arpenter encore une fois les rues de Gotham .
jeuvideo.com : Quelle histoire aimeriez-vous voir adaptée en jeu vidéo ?
Urban Comics : Je pense que des récits type Un Long Halloween / Amère Victoire de Jeff Loeb et Tim Sale pourraient donner de bonnes adaptations... mais plus en jeu d'aventure et avec une certaine liberté par rapport au matériau d'origine. Un peu à la manière dont Nolan s'est inspiré de ces récits pour ses films. Un jeu d'aventure Batman avec la même qualité que ce que peut faire TellTale avec la licence Fables, ça m'intéresserait.
Maintenant, je pense que les nostalgiques des point’n click comme moi sont minoritaires (quoique), aussi, si on pense plus action, Hush de Jeph Loeb et Jim Lee serait sans doute pas mal, avec la variété des ennemis. Mais le récit qui aurait ma préférence serait l'adaptation de La Cour des Hiboux, de Scott Snyder et Greg Capullo. C'est un récit dans lequel Batman découvre que ce qu'il tenait pour acquis - sa ville, Gotham City - ne lui a jamais appartenu. S'ensuit une véritable descente aux enfers pour un personnage en totale perte de repères. Et que reste-t-il de Batman lorsqu'il ne peut plus compter sur ses acquis ?
jeuvideo.com : Dernière question et non des moindres, pensez-vous qu'un jour Aquaman ne sera plus victime des moqueries et autres quolibets de ses petits camarades, des lecteurs voire même des auteurs ?
Urban Comics : Ah ah ! Eh bien, Aquaman peut remercier son scénariste Geoff Johns et son dessinateur Ivan Reis pour l'avoir sorti des griffes de Conan O’Brien et autres Big Bang Theory ! Si vous doutiez de la crédibilité du personnage, la nouvelle série qui lui est consacrée vous fera certainement changer d'avis. Honnêtement, quand j'ai appris, à l'occasion du New52 (la relance en septembre 2011 de 52 des titres les plus populaires de DC au numéro 1), l'existence de cette série, j'ai été le premier à me moquer. Et puis, j'ai vu les previews d'Ivan Reis. Depuis, je ne ris plus, j’admire le boulot accompli par les auteurs. C'est une lecture très rafraîchissante et le premier numéro de la série désamorce avec beaucoup d'humour toutes les idées reçues sur le personnage.
- 75ème anniversaire de Batman : Les comics