CB : Mr Eric Viennot, bonjour, avant de commencer, je tiens à vous remercier de m'accorder du temps pour cette interview. Je precise que l'on ne se connait pas, et que seul mon intérêt pour les jeux d'aventure m'a poussé à réaliser cet entretien. Je remercie le site JeuxVideo.com qui m'a donné son accord pour sa diffusion.

Mr Viennot, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais que vous vous présentiez à nos lecteurs.

EV : Bonjour je suis l'auteur et le réalisateur d'In Memoriam un nouveau concept de jeu d'aventure qui sort le 16 octobre en Europe.

Je suis co-fondateur et directeur de création de la société Lexis Numérique et connu pour avoir créé Les Aventures de l'Oncle Ernest, une collection de jeux destinée aux enfants.

CB : Nous allons pouvoir parler du sujet qui nous intéresse aujourd'hui, la sortie dans quelques jours d'In Memoriam. Mais avant, pouvez-vous me dire comment on passe de l'Oncle Ernest, jeu pour jeunes enfants, à In Memoriam jeu pour adultes de plus de 16 ans ?

EV : D'abord je voudrais préciser que même si Les Aventures de l'Oncle Ernest s'adresse effectivement aux enfants, un certain nombre d'adultes y ont joué avec plaisir... Et depuis longtemps certains parmi eux (journalistes ou simplement parents d'enfants) me demandaient pourquoi je ne créais pas de jeux pour adultes. Il y avait à cela deux raisons :

1) Un jeu pour adultes coûte plus cher à produire (c'est donc plus risqué pour l'entreprise que je dirige)

2) Je souhaitais le faire avec un concept radicalement différent de ce qui existe déjà sur le marché.

CB : In Memoriam est-il un jeu accidentel sur votre parcours de créateur, ou est-ce un jeu que vous rêviez de faire depuis longtemps ?

EV : Ce n'est pas un hasard mais une suite logique à mon parcours d'auteur. Après les enfants, j'avais envie de m'attaquer à un public plus adulte. Cela m'a permis d'exprimer une autre facette de ma personnalité en particulier ma passion pour les polars et les thrillers.

CB : Sur quelle base vous y êtes-vous pris pour créer le sujet du jeu ? Avez-vous lu des articles de presse, vous êtes-vous inspiré de films ?

EV : In memoriam est une pure fiction mais c'est une fiction très réaliste. Pour écrire le scénario, il m'a fallu me documenter pendant un an sur des faits-divers réels ou des sujets ayant trait à l'ésotérisme. L'univers est inspiré de films tels que Seven, Jennifer 8, Stigmata... Je me suis inspiré également de nombreux thrillers qui mettent en scène des serial killers : ceux de James Ellroy ou Maurice G. Dantec en particulier. Depuis ma première idée à la fin de la réalisation, il aura fallu 4 ans.

CB : Mettez-nous l'eau à la bouche, sans dévoiler le contenu, de quoi retourne In Memoriam ? A quoi doit s'attendre le joueur?

EV : L'histoire est celle de Jack Lorski, un journaliste disparu avec son amie, alors qu'il enquêtait sur les traces d'un serial killer. Quelques semaines après sa disparition, l'agence pour laquelle il travaille (www.skl-network.com) reçoit un cd-rom étrange conçu comme un jeu morbide. L'agence décide de rendre public ce cd-rom, seul indice en sa possession, afin de se donner un maximum de chances de retrouver Jack.

Vous êtes alors invité à rentrer dans ce cd-rom étrange pour en découvrir les clés. Il faudra pour cela vous servir d'Internet. Au fur à mesure que vous avancez dans l'histoire, vous allez recevoir de vrais mails dans votre boîte aux lettres qui vous relancent sur certaines pistes. A l'intérieur du cd-rom figurent des fragments du journal filmé du journaliste disparu. Ils vont vous permettre de reconstituer l'enquête du journaliste à travers l'Europe.

Alors que dans la plupart des jeux, vous incarnez un personnage, avec In Memoriam vous êtes vous-même intégré à l'histoire. Alors qu'au cinéma, vous suivez l'enquête du héros, ici c'est vous qui enquêtez sur les traces du serial killer !

CB : Bon, ça a l'air d'être excitant, mélange de vidéo avec internet. Pour la partie vidéo, avez-vous fait appel à des acteurs de renom ? Et avez-vous fait appel à toute l'armada que demande la construction d'un film : réalisateur, producteurs, etc...?

EV : Afin de rendre l'histoire crédible, je ne souhaitais pas prendre des acteurs connus même si les deux acteurs (Olivier Chenevat et Caroline Charléty pour ne pas les citer) sont de grands professionnels. Les extraits de films restituent l'enquête de Jack Lorski. Toujours dans un esprit de vérité nous les avons tournés comme un documentaire, sans avoir besoin de toute l'infrastructure d'un tournage traditionnel (maquilleuses, éclairagistes, etc...). Au final, ces films ont bluffé pourtant certains producteurs de cinéma qui ont suivi ce projet avec intérêt. Nous avons même eu des propositions de réalisation de long-métrage à partir du scénario ;-)

En tout, nous avons tourné dans 7 pays en Europe, étalés sur deux ans (pour avoir une notion d'écoulement du temps et des saisons différentes). Cela aurait été très coûteux si on avait tourné de manière traditionnelle.

CB : Pour la partie internet, le jeu n'est pas en ligne mais intègre l'obligation d'une connexion, vous pensez que cela va donner une autre dimension aux jeux d'aventure par rapport à ce qui se fait aujourd'hui ?

EV : Internet apporte une nouvelle dimension : une immersion du jeu dans la réalité. Vous pouvez par exemple jouer le dimanche et quand vous rentrez le lundi soir chez vous après votre travail trouver un mail d'une personne inconnue qui vous relance sur certaines pistes. La plupart des gens qui ont testé le jeu ont été bluffés par cette nouvelle façon de jouer comme par le fait de trouver des indices sur de vrais sites. Ils ont du mal d'ailleurs à distinguer le vrai du faux. Cela donne à l'histoire et aux personnages une grande crédibilité. L'ouverture sur Internet a demandé une grande rigueur documentaire. Il ne fallait pas que les joueurs puissent trouver des informations contradictoires sur différents sites.

CB : J'ai lu l'article dans "EPOK" concernant In Memoriam. Dans cet article, le journaliste fait référence à "Majestic", un jeu un peu analogue qui avait rencontré à sa sortie des problèmes techniques, vous pensez donc que In memoriam est prêt aujourd'hui à nous ravir ?

EV : Majestic jouait effectivement sur une importante dimension online, mais la comparaison s'arrête là. Les gens que je connais qui ont essayé d'y jouer ont vite renoncé pour une raison simple : ils ne comprenaient pas grand chose et le fait de payer pour voir la suite de l'histoire était une contrainte importante. Dans In Memoriam, il suffit d'acheter le cd-rom pour jouer et terminer le jeu. In Memoriam reprend un concept mixte qui a été finalement peu exploité : vous jouez sur cd-rom (avec toute la richesse qu'offre ce support en terme de médias : films, musiques, interactivité poussée) et vous allez sur Internet pour faire des recherches et recevoir des mails. Le jeu ne nécessite pratiquement aucun téléchargement. Pas d'épisodes payant à télécharger, pas besoin d'un modem haut débit (un modem 56 k suffit). Les missions sont claires et si vous vous perdez sur Internet, vous recevez des mails qui vous remettent sur la bonne piste !!!

CB : Pour que nos lecteurs comprennent bien ce qu'est un jeu de cette envergure, pouvez-vous donner des chiffres : combien de mois de travail ? Nombre de personnes nécessaires? Recherches de sites ? Un peu de technique en somme pour bien faire comprendre qu'un jeu n'est pas un simple disque cd ?

EV : In Memoriam c'est en quelques chiffres :

- 4 ans de travail (2 ans de recherche, d'expérimentation, de documentation et de scénarisation + 2 ans de production)

- 80 personnes environ ont participé à son élaboration (scénaristes, documentalistes, historiens, journalistes, écrivains, criminologues, gamedesigners, webdesigners, modelers et animateurs 3D, développeurs, caméraman, musiciens, designers sonores, illustrateurs, comédiens, figurants, traducteurs, providers, testeurs...) répartis en trois grandes équipes : l'équipe films, l'équipe web, l'équipe affectée au cd-rom.

- 350 sites environ liés au jeu, dont un nombre important créés par nous sans oublier un certain nombre de sites partenaires (Libération, Msn....)

- 30 heures de rush

- 45 minutes de vidéo.

- Près d'une centaine d'énigmes et de jeux

- 80 mails

CB : A ma grande surprise, In Memoriam n'a pas été vu dans les magazines specialisées (je ne les lis pas tous), soit en preview, ou même en test, remarquez ce n'est pas le seul... Mais est-ce voulu de votre part, ou est-ce pour une autre raison ?

EV : In Memoriam n'est pas un jeu comme les autres ; il ne repose pas par exemple sur un moteur 3D. Le donner trop tôt en preview à des revues spécialisées n'avait pas de sens car les critères habituels sont difficilement applicables pour un tel jeu. Nous avons donc choisi avec Ubi Soft de communiquer dans un premier temps auprès de la presse généraliste. Libération en a parlé dans ses pages Cinéma (!) il y a un an, Ubik a fait une chronique sur le jeu à la fin du tournage (en mars), LCI lui a consacré récemment son journal du web... La communication auprès de la presse spécialisée se fait seulement depuis plusieurs semaines et l'accueil est excellent. Une sorte de surprise pour pas mal de journalistes gamers (notamment les passionnés de jeux d'aventure mais pas seulement !). Il y en a pas mal qui sont accros ! Vous allez donc en entendre parler prochainement dans de nombreux supports.

CB : Revenons au jeu, certains d'entre nous ont pu voir la vidéo sur le net, le jeu est-t-il résolument tourné vers un public averti (plus de 16 ans) ou y aura-t-il comme sur certains jeux une possibilité de censure intégrée sur le CD ?

EV : L'organisme européen qui teste les jeux (PEGI) a opté pour la mention -16 ans. Je pense qu'il a eu raison : non pas à cause des scènes violentes qui sont montrées (la violence est plutôt suggérée et on voit hélas des choses bien pires au journal télé) mais plutôt à cause de l'atmosphère glauque qui s'en dégage, le ton un peu pervers employé par le tueur... Toujours par soucis de crédibilité, cela n'avait pas de sens de mettre des options de censure au lancement du jeu.

CB : Alors là on va toucher un sujet d'actualité sur les jeux d'aventure, oui, on va dire qu'ils sont moches ou beaux, que ça rame, ou encore qu'ils buguent (pour ma part, j'espère qu'il sera beau, qu'il tournera bien et qu'il n'y aura pas de bug) mais on parle souvent aussi de la durée de vie. A combien de temps estimez-vous la durée de vie d'In Memoriam sans se servir de la solution ?

EV : Personnellement (cela va peut-être vous surprendre) je ne suis pas un grand fan des jeux d'aventure à la Myst. Ils sont souvent très beaux mais je trouve que ça manque cruellement de rythme, que les énigmes sont souvent tordues. En règle générale, on a l'impression que leurs auteurs font tout pour qu'on arrive pas au bout (comme si le nombre d'heures passées à chercher sans fin était un critère de qualité). Des études récentes montrent qu'à part quelques exceptions (les RPG par exemple ou les jeux de simulation) les joueurs ne passent pas plus de 20-25 heures sur un jeu. Peu de joueurs vont jusqu'au bout d'un jeu à part les fans de jeux d'aventure qui jouent pour connaitre la fin de l'histoire. Personnellement une vingtaine d'heures pour terminer un jeu me parait suffisant, à condition qu'on ne s'y ennuie pas. Je préfère 25 heures denses que 40 ennuyeuses...

D'après les tests que nous avons effectués, les joueurs expérimentés mettent une vingtaine d'heures pour terminer le jeu. D'autres (plus novices) ont mis 30 heures. Pour 40 euros c'est plutôt un bon rapport qualité/prix. Pour les plus persévérants, nous avons prévu toute une partie non vitale (sites cachés, intrigues secondaires) mais qui fera comprendre de nombreux éléments du scénario.

CB : Quelle configuration faut-il pour jouer à In Memoriam ? Faudra-t-il une connexion haut débit?

EV : Même si aujourd'hui bon nombre de foyers sont équipés de connexion haut débit, nous avons veillé à rendre le jeu accessible au plus grand nombre avec une config minimale relativement basse : Pentium 333 MHz, Windows® 95,98,2000, Me, XP, 700 MB dispo sur disque dur, 64 MB RAM, lecteur CD ROM 8x carte Sound blaster, connexion internet (modem minimum 56.6 KB) / MAC OS 8.6 ou supérieur.

CB : Le jeu va être mis sur PC et MAC. Est-il prévu sur consoles de jeux ?

EV : C'est un jeu PC / Mac. Il n'est pas prévu (dans sa version actuelle) de passage sur console. Nous n'excluons cependant pas de développer un concept console inspiré de l'univers d'In Memoriam.

CB : Pouvez-vous nous confirmer la date de sortie d'In Memoriam dans les bacs?

EV : Ubi soft s'est engagé à ce qu'il soit présent dans les bacs le 16 octobre.

CB : Selon l'engouement du public pour In Memoriam, pensez-vous déjà à une suite, ou même à une autre aventure dans le même style (ce serait un scoop) ?

EV : Effectivement nous attendons de voir comment le jeu sera reçu avant de penser à une suite. J'y ai évidemment pensé mais c'est encore vague. En ce qui concerne les prochaines productions de Lexis Numérique il est évident que nous allons continuer à étendre notre savoir-faire dans d'autres domaines que celui des jeux pour enfants.

CB : Ma dernière question : si vous aviez un conseil à donner aux futurs joueurs d'In Memoriam, ce serait lequel ? Sauf si bien sûr vous pensiez que j'ai oublié un détail qui vous semble important.

EV : Je pense qu'ils vivront avec In Memoriam une expérience forte. Parmi ceux qui le testent en ce moment, beaucoup me disent qu'ils ont rarement été autant séduits par un jeu. Ca fait plutôt plaisir, non ;-) comme le fait également que les gens arrivent au bout sans s'aider des solutions grâce à notre système très étudié d'aides scénarisées. Ils sont également séduits par la grande variété des énigmes et des épreuves.

Pour les futurs joueurs j'aurais un seul conseil à leur donner : jouez plutôt la nuit en prenant bien soin de fermer la porte à clé !

CB : Et bien Mr Viennot, je ne pense pas que l'on ait fait le tour d'In Memoriam, car le jeu n'est pas encore sorti, mais j'espère que mes questions et vos réponses auront su épancher la soif d'interrogation de nos lecteurs. Je vous remercie une nouvelle fois de vous être livré à cette petite interview qui fut je vous l'avoue fort sympathique. Merci de votre disponibilité, et à une prochaine fois je l'espère.

EV : Merci à vous. J'espère que cela permettra de faire découvrir In memoriam à vos lecteurs. S'ils veulent en savoir plus sur le jeu, ils peuvent également se rendre sur le site officiel www.inmemoriam-thegame.com (la version complète du site sera mise en ligne dans quelques jours).

Propos recueillis par Christian Bozec (virtual_dream) début octobre 2003, par mail.

• Site officiel d'In Memoriam
• Site de Lexis Numérique